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Surdoué. Intellectuellement précoce. Haut Potentiel.
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/05/2012
Jeanne Siaud-Facchin
"Etre surdoué ne signifie pas être plus intelligent que les autres, mais fonctionner avec un mode de pensée, une structure de raisonnement différente. L'intelligence de l'enfant surdoué est atypique. C'est cette particularité qui rend souvent difficile son adaptation scolaire, mais aussi son adaptation sociale. C'est aussi grandir avec une hypersensibilité, une affectivité envahissante, qui marquent la personnalité."
Psychologue-clinicienne, spécialiste des surdoués, Jeanne Siaud-Facchin a été membre du laboratoire d'exploration fonctionnelle cognitive de l'hôpital de la Salpêtrière à Paris, puis attachée à l'Unité d'adolescents du Pr Rufo, à l'hôpital de la Timone à Marseille.
Depuis une dizaine d'année, elle s'occupe des personnes surdouées, plus particulièrement des enfants. Elle a créé en 2003, à Marseille, CogitoZ, le premier centre français consacré à la prise en charge des troubles de l'apprentissage. Dans son cabinet, elle reçoit les familles, fait passer des tests de QI, explique aux parents les particularités de leurs enfants et les conseille. Jeanne Siaud-Facchin voit des enfants qui souffrent et elle juge ceci inacceptable : elle sait qu'un enfant surdoué peut être heureux et équilibré si on sait s'en occuper.
Elle a publié chez Odile Jacob en 2002 "l'Enfant surdoué, l'aider à grandir, l'aider à réussir", en 2006 "Aider l'enfant en difficulté scolaire" et, en 2008, "Trop intelligent pour être heureux ? L'adulte surdoué"
Elle a également postfacé "Trouble Tête" de Mathilde Monaque, témoignage sur la dépression écrit par une adolescente surdouée.
L'interview de Jeanne Siaud-Facchin dans "La Recherche" de décembre 2004 : « Un QI élevé peut cacher une fragilité ».
Jeanne Siaud-Facchin, "L'Enfant surdoué, l'aider à grandir, l'aider à réussir", Odile Jacob, 9/2002, collection "Guide pour s'aider soi-même", ISBN 2-7381-1159-9, environ 20€.
Quelques extraits:
"Etre surdoué, c'est penser dans un système différent, c'est disposer d'une forme d'intelligence particulière. C'est aussi grandir avec une hypersensibilité, une affectivité envahissante, qui marquent la personnalité."Particularités sur le plan affectif ...
"... être d'une sensibilité extrême, muni de multiples capteurs branchés en permanence sur ce qui l'entoure .... capacité étonnante de ressentir avec une grande finesse l'état émotionnel des autres. Véritable éponge, l'enfant surdoué est, depuis toujours, littéralement assailli par des émotions, des sensations, des informations multiples qu'il lui est le plus souvent difficile de vivre, d'intégrer et d'élaborer."
Pourquoi est-on surdoué ?
"... composante génétiquement programmée ... mais pas programmable ..."
"... ne peut jamais s'acquérir ... On l'a ou on ne l'a pas, c'est tout ... "
L'hypersensibilité
"... s'observe chez tous les enfants surdoués. Elle est plus ou moins perceptible selon les aménagements effectués par l'enfant, ...
" ... est à la fois un atout, par la finesse perceptive de l'environnement qu'elle permet, mais aussi une source de souffrances et de blessures affectives.
L'enfant surdoué, branché en permanence sur son environnement affectif, sur le monde émotionnel, est constamment bombardé d'informations sensorielles, assailli de messages affectifs."
Perception sensorielle exacerbée (= "hyperesthésie")
Vue: voit/retient mille et un détails
Ouïe: récolte en même temps des informations diverses en provenance de sources multiples.
Odorat: distingue un grand nombre d'odeurs (même quasiment pas perceptibles)
Goût: différencie des saveurs très proches, souvent gastronome.
Toucher: réactivité tactile très élevée, aime/recherche le contact physique, indispensable à son équilibre affectif.La suite dans le bouquin.
L'interview de Jeanne Siaud-Facchin sur le site de ça se discute (émission du 9 avril 2003 : "Génies et surdoués : sont-ils condamnés à vivre dans un monde à part ?")
Ecoutez Jeanne Siaud-Facchin (MP3-4,5MB!) décrire l'enfant surdoué chez Jean-Luc Delarue ("Ca se discute")
Transcription pour les connexions lentes :Delarue : "Jeanne, vous êtes psychologue-clinicienne, attachée à l'Unité d'adolescents de l'Hôpital de la Timonne à Marseille, où vous vous occupez plus particulièrement d'enfants et de personnes surdoués. Comment réagissez-vous à ce qui a été dit jusqu'à présent, sur le QI qui n'est pas quantifiable, etc ?"
Jeanne Siaud-Facchin (JSF) : "Il y a beaucoup, beaucoup de choses à dire; le QI, pas quantifiable, bien sûr, c'est vrai, on ne mesure pas l'intelligence; les tests de QI ne visent pas à mesurer l'intelligence, mais à évaluer le fonctionnement intellectuel d'un enfant, simplement pour pouvoir le comparer et avoir un indice diagnostique. Un QI ne "fait" pas un diagnostic : on parle d'abord d'un enfant et il me paraît incontournable d'avoir une approche globale de l'enfant et de bien comprendre quel est le sens, et la place, de cette particularité intellectuelle dans la dynamique globale de l'individu.
Mais c'est vrai que d'avoir un QI élevé, c'est, d'abord et surtout, pas tellement être quantitativement plus intelligent que les autres, mais surtout, je crois, avoir un fonctionnement qualitativement très différent au niveau intellectuel, càd avoir une forme d'intelligence différente, un système de pensée qui est très différent, qui décale beaucoup par rapport à l'école et qui explique d'ailleurs les difficultés scolaires que rencontrent beaucoup de ces enfants à l'école.
Mais c'est aussi et surtout une hypersensibilité, une hyperaffectivité extrêmement envahissantes, et qui marquent considérablement la personnalité :
- ils voient ce que d'autres ne voient pas,
- ils perçoivent ce que d'autres ne perçoivent pas,
- ils ressentent avec une force inouïe les émotions environnantes
et ça leur donne une forme de lucidité exacerbée sur le monde, qui peut être extrêmement douloureuse ..."Claude Hagège : "L'hémisphère droit !"
JSF : Oui, de toutes façons, l'hémisphère droit; on sait à quel point les enfants surdoués effectivement fonctionnent beaucoup en activant leur hémisphère droit, avec toute la créativité, toute l'intuition que ça suppose, mais aussi l'ingérence affective constante, présente dans tous les actes de la vie des enfants surdoués, et y compris bien sûr dans l'acte cognitif, dans l'acte intellectuel.
Ils ne peuvent pas s'empêcher de penser, ils ne peuvent pas s'empêcher de réfléchir, ils ne peuvent pas, quelque part, s'empêcher de créer, ils ne peuvent pas s'empêcher de ressentir; la moindre variation émotionnelle dans l'environnement va être perçue par ces enfants-là, et c'est dificile de tout ressentir tout le temps, d'être bombardé émotionnellement de tas de choses.
Ce sont des enfants à risque et il faut s'en préoccuper, il faut apporter des réponses, scolaires, au niveau des familles, des parents, pour les aider. Quand on voit Bernard (adulte détecté sur le tard), c'est quand-même terrifiant d'en arriver là. Je crois que ce qui est important aussi aujourd'hui pour lui, c'est de donner sens à ce qu'il a vécu, de pouvoir avoir une forme de recul sur son histoire, sur ce qu'il a pu ressentir, ce qu'il a pu vivre.
Et c'est important de dépister, même plus tard ...La famille de Marseille, moi, je crois que ce qui les sauve, c'est d'être en groupe, c'est d'être en bande, parce que justement ça les structure, ça leur permet d'avoir des repères identificatoires, qui est quelque chose de très difficile pour ces enfants-là, qui n'arrivent pas à se repérer dans le regard des autres, qui se sentent très souvent seuls, même quand ils sont avec les autres, qui ressentent souvent cette espèce de décalage avec les autres, et qui font des efforts terribles pour s'intégrer.
Je crois que ce qui est très douloureux aussi, c'est que, quelque part, l'intelligence est un double mal :
- d'abord, l'intelligence peut faire souffrir;
- et personne ne songe à plaindre quelqu'un d'intelligent; on ne dit pas : "Ah, tiens, oui, il est sympa, mais le pauvre, il est intelligent !"; ça ne traverse évidemment l'idée de personne, et pourtant ..., et pourtant ...Delarue : Pourtant, ce sont les imbéciles qui sont heureux ...!
JSF : Non, enfin, en tous cas, je pense que l'insouciance permet une certaine sérénité, et ces enfants et ces adultes sont tout, sauf insouciants ! Ils ont au contraire une conscience aiguisée des choses et de la vie.
Delarue : Mais alors, il faut qu'ils trouvent une passion, un moyen de ...
JSF : Il faut d'abord qu'ils trouvent des gens qui soient capables de les entendre, de les comprendre, de les reconnaître, de les accepter; et de les accompagner pour les aider à grandir, à s'épanouir, à mettre à profit leur immense richesse, non seulement intellectuelle, mais aussi affective, et leur permettre d'être ce qu'ils sont tout simplement.
Accepter la différence, quelle qu'elle soit, pour ce qu'elle est, avec ses côtés formidables, ses côtés plus compliqués; être surdoué, c'est complexe !J'ai été invité à participer à une réunion de parents d'enfants intellectuellement précoces.Et bien, si je savais depuis longtemps déjà que l'enseignement était parfois désastreux pour les enfants en difficulté scolaires, j'ai pu prendre conscience que ça l'était tout autant avec les enfants à "haut potentiel. "Quel gâchis, quel désastre. C'est effarant. Et la douleur de ces parents, leurs inquiétudes, leurs perdtions parfois sont des révélateurs indéniables de l'incapacité du système à prendre en considération la différence. Toutes les différences d'ailleurs;"Il faut rentrer dans le moule même s'il est considérablement étroit. "Pour ce qui est des enseignants, le problème est très simple. Ces enfants-là mettent à jour toutes leurs insuffisances. Non pas seulement professionnelles mais également existentielles. Toutes ces questions sur l'objectif final de l'enseignement. S'il s'avère que cet objectif est l'obtention d'un diplôme et l'accession à la vie professionnelle, il est évident que les EIP (enfants intellectuellement précoces) font voler en éclat l'insignifiance de ce but.La pensée en arborescence est une caractéritique commune chez ces enfants. A la question très simple de savoir quelle est la singularité commune entre le chat et la souris, un EIP va répondre qu'il s'agit de deux prédateurs, le chat envers la souris, la souris envers le fromage, que ce sont deux rodeurs, deux mammifères, qu'ils peuvent tous les deux être domestiqués, qu'ils vivent principalement sous les climats tempérés, qu'on en trouve des traces depuis l'Antiquité, dans des récits mythologiques, etc etc...La réponse tout simple que ce sont deux animaux ne lui viendra pas à l'esprit.L'effervescence intellectuelle est une particularité qui peut finir par les placer en difficulté. Ils finiront par ne plus rien répondre.A écouter ces parents, je réalisais que les difficultés de leurs enfants concernaient principalement le monde extérieur. Ou en tout cas qu'il s'agissait des difficultés les plus présentes dans l'esprit des parents. Après avoir abordé les "débats-philo" que je fais en classe avec mes élèves, il est rapidement apparu que la dimension intellectuelle ne représentait pas le seul problème...La dimension existentielle occupe bien entendu une place considérable dans l'esprit de ces enfants.L'immense difficulté vient du fait que leur potentiel intellectuel les place justement dans une situation particulière au regard des apprentissages cognitifs et que la dimension existentielle s'en trouve reléguée au second plan alors qu'elle est, à mon sens, la source même de toutes les difficultés.Je repensais à ce travail que je fais dans ma classe au sujet de l'attention et de la concentration. L'attention se porte sur l'environnement et la pensée en arborescence incite encore plus à cette attention. Une pensée précise va se trouver connectée à un réseau infini de pensées parce que la pensée initiale génère un phénomène d'attention qui vient dessiner en eux un emboîtement intellectuel nourri par la profusion de leurs connaissances et l'insatiable curiosité qui les anime.La concentration aurait pour tâche de les amener à "peindre en jaune fluo" la pensée intiale et à éliminer toutes les autres. Mais cela semble quasiment impossible dans le registre intellectuel. Cela peut par contre s'avérer envisageable s'il s'agit d'une démarche existentielle. Parce que cette fois, ils deviennent le sujet d'étude. La philosophie existentielle ou la spiritualité est une observation des phénomènes intérieurs et non une accumulation de savoirs cognitifs. L'observation du penseur par le penseur lui-même favorise la rupture avec les chaînes de pensées; Jusqu'à ne plus penser au penseur et en oublier la pensée elle-même.Il me semble évident que le travail sur la gestion des émotions est une priorité. Perceptions sensorielles à l'origine des émotions et la multiplication des émotions aboutissant au sentiment. Rien que d'effectuer ce cheminement leur permettrait d'établir cette observation interne et à se détourner provisoirement de ce monde extérieur qui les assaille.Il est étonnant en tout cas de constater que ce potentiel intellectuel est accompagné par une effervescence émotionnelle. J'aimerais comprendre ce que cela cache.A suivre... -
Livre du mois.
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/05/2012
http://www.frenchwritersworldwide.com/book-of-the-month/coulisses-de-mes-exploitsobscenes
Coulisses de mes exploits...
" Coulisses de mes exploits...obscènes "
Behind the Scenes of my exploits…
de
Pascal Querou.
Si « l’œil écoute » c’est forcément que « l’oreille regarde »
© Paul claudel.
Rien ne prédestinait Tristan Medelec à embrasser une profession de technicien à la télévision…
Issu d’une famille bourgeoise et intellectuelle, le jeune Tristan avait une vie agréable, pratiquement sans heurt…
A 18 ans, il choisit de devenir artiste peintre sans grande conviction.
Habité par un grand vide, il cherche sa voie en tâtonnant, adulescent vivant la bohème comme si l’évidence allait devenir réalité.
Orphelin à vingt ans, cette disparition lui transperce le corps et l’esprit…
Il se retrouve seul avec sa sœur, vivant d’une somme conséquente reçue en héritage, il n’a donc pas l’obligation de travailler pour subvenir à ses besoins et s’enferme confortablement dans une oisiveté, un bulle hermétique impénétrable, carapace contre l’adversité du monde.
Le commencement de sa vie d’adulte, apparaît comme une parenthèse intemporelle, nourrit d’une sexualité débridée à la recherche d’affections fugaces mais combien nécessaires pour se sentir exister et combler ses manques. Le capital épuisé, un cousin lui suggère de devenir éclairagiste, il deviendra preneur de son pour France 2.
Le hasard fait que son premier baptême du feu allait lui ouvrir un destin imprévisible…Sans qualification il apprendra sur le terrain, et deviendra le témoin privilégié des évènements, des comportements, des réactions, dont il n’avait jamais soupçonné l’existence dans le genre humain…
« Ce jour-là, Mercredi 22 juin 1994, la radio confirma que le Conseil de Sécurité de L’ONU venait d’adopter la résolution 929 qui donnait droit à l’armée française de mener une opération à but humanitaire autorisant la force au Rwanda. Inutile de dire que France2, se devait de couvrir un tel événement qui allait permettre à nos soldats de se distinguer pour une juste cause… Et devenir par la force des choses un des feuilletons médiatiques de l’été… »
Tristant Medelec, avait déjà voyagé avec ses parents et sa sœur, au Sénégal, dans des ghettos d’occidentaux, sans vraiment prendre conscience de la réalité locale. Les premières visions des africains coiffés de bérets, vêtus de treillis et harnachés de kalachnikov perturbèrent ces souvenirs imagés de léthargie africaine envoûtante, classés dans le rayon folklore de son enfance.
Le cruel jaillissait d’un coup devant lui..
« Des enfants s’agglutinaient autour de nous. Et un petit gars haut comme trois pommes d’environ cinq ou six ans me montra le sommet de son crâne avec le bout du doigt. Traversé par une entaille encore sanguinolente… Un autre guère plus vieux s’approcha à son tour, et remua le petit bout de bras qu’il lui restait et qu’un vieux bandage crasseux recouvrait… »
La part d'enfance qui sommeille encore en lui, s'en trouve boulversée.
Les évènements du génocide que tout un chacun a suivi en son temps sur les chaînes de télévision sont nombreux et inoubliables de part leurs atrocités. Graduellement Medelec, qui ne maîtrisait pas toutes les subtilités géopolitiques et diplomatiques des évènements historiques qu’il couvrait, se rend compte qu’il est associé en tant français libérateurs mais acclamés par les Hutus assassins. Lui, qui était si fier de ses principes humanistes et démocratiques d'occident, sent la méprise de la situation créant en lui un mal être empli de culpabilité.
Pascal Querou nous écrit un livre entre l' autobiographie et la fiction romancée empli d’humanité, il peint avec ses mots ses ressentis d’homme vulnérable toutes les facettes de l’humanité qu’il découvre pendant son activité professionnelle, que ce soit l’adaptation instantanée d’une équipe d’hommes et de femmes de télévision qui se connaissent à peine, et qui réagissent spontanément à des situations complètement chaotiques ou encore les regards insoutenables des africains blessés.Les horreurs de la guerre ethnique organisée ne peuvent que choquer les esprits même si dans le feu de l’action le travail d’information passe en première ligne.
L’homme profondément bon se pose toutes les questions spirituelles et éthiques sur le genre humain qui s’autodétruit dans la rage dépuratrice, mais les images atroces restent imprimées dans sa mémoire et l’apparition de troubles somatiques correspond à un moment particulier où le deuil subit un blocage sélectif en rapport avec le retour de la problématique historique.
Ce roman est une fresque faite de craquelures psychologiques ressenties par un homme qui regarde et entend ce que les autres protagonistes semblent vivre autrement que lui-même.
Dans les formes les plus abstraites de l’intelligence, les facteurs affectifs interviennent toujours…l’homme cherche l’équilibre entre l’assimilation des faits et l’accommodation de son être face à des situations extérieures qui le déséquilibrent.
Le monde des médias et de l’information est traversé part une palette de caractères humains et d' hommes nourris d’ expériences vivantes qui modifient leurs personnalités intrinsèques.
On rencontre des rédacteurs aveuglés par les tumultes extraordinaires des situations exposées, prêts à tout, pour devenir les barons de l’information. Certains aristocrates du reportage sont jalousés par les médiocres, condamnés à couvrir l’actualité la plus banale. Chacun recherchant la reconnaissance de sa personnalité à travers l' activité journalistique et caressant l’espoir d’un regard soutenu de la direction, avec pour questionnement : la télévision peut-elle vous rendre fou ?
Medelec y répond : "Car j’avais la certitude que la télévision rendait fou. Dans le sens où les moins scrupuleux souvent implicitement encouragés par une partie de leur hiérarchie et aveuglés par leur ego difforme, n’hésitaient pas à surenchérir sur l’ampleur d’un événement pour lui donner un caractère exceptionnel. Et le transformer en avatar sensationnel… ou en aléa sordide. Pour d'autres une certaine déontologie et un sens de la qualité paraissaient une conception poussiéreuse du métier…le racolage organisé par la création de nouvelles chaînes de télévision, avait amplifié un style très décontracté, qualifié de méthodes de voyous par les plus intègres"
Ce roman n’est pas anodin …il met en exergue la situation professionnelle de ces personnes qui prennent beaucoup de risques pour nous informer des évènements que nous ne voudrions pas voir.
Nos jeunes étudiants diplômés, face à un avenir professionnel incertain et un monde d’une dureté révoltante, font le choix d’un métier qui, à défaut d’être payant, s’inscrit dans une quête de sens, un goût d’aller voir ailleurs, de mieux comprendre ce monde de plus en plus étroit, mais complexe..
On dira qu’ils sont téméraires, naïfs, idéalistes : « Cette peur qui me donnait un sentiment de vie extrême. Comme si chaque seconde comptait double ou triple… et cette sensation me remplissait entièrement. Et rendait tout le reste complètement insignifiant… ».
Mais ce sont des humains comme les autres. La disparition de nos journalistes de guerre, nous rappelle à la fois la brutalité insensée de la guerre et le courage de ceux qui ont choisi de s’en faire les témoins. Aux dernières nouvelles …
Morts aussi à Homs en Syrie,Gilles Jacquier ( janiver2012 ) et Anthony Shadid ( février2012 ), tous deux âgés de 43 ans et pères de famille. Anne Nivat, récemment expulsée de russie pour son travail de terrain à la fois très humain, lucide et surtout critique, est une jeune mère aussi.
Remi Ochlik, jeune photographe français de 28 ans, vient d’être tué en Syrie, tout comme sa collègue américaine Marie Colvin. En 2004, à 20 ans, il avait choisi de partir en Haïti dans l’indifférence générale, lors de la chute du président Aristide. Il a été aux premières loges du printemps arabe en 2011, en Tunisie, en Égypte et en Libye. Il a remporté plusieurs prix d’excellence pour son travail.
Pascal Querou, vitrail d'une cathédrale humaine, ose partager sa fragilité et la part de féminité qui l'habite. Un rayon de lumière rassurant parcourt ce roman, symbole de l'amour de sa compagne qui en filigrane lui éclaircit son histoire personnelle, et donne encore un sens à sa vie.
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"Coulisses de mes exploits...
obscènes "
Genre : roman
Auteur : Pascal Querou
394 pages
Prix : 18 euros
ISBN : 978-2-36013-083-2
© Marie-Christine Dehove pour frencwriterswordwide.com
5 mai 2012
En savoir plus sur Pascal Querou.
"Coulisses de mes Exploits...obscènes" livre sélectionné pour le livre du mois de mai 2012.
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Tout revient à la pensée.
- Par Thierry LEDRU
- Le 03/05/2012
La façon de penser qui nous a mis dans la situation dans laquelle on est, est une façon de penser insuffisante pour s'en sortir. "
A.Einstein.
Une nouvelle façon de vivre ne peut émerger qu'après y avoir pensé mais bien davantage après avoir analysé, autopsié, disséqué les cheminements de la pensée qui ont contribué à l'élaboration de cette vie "intellectualisée".
On ne peut rien créer de nouveau sans que l'état des lieux ait été au préalable effectué. Cette patience et ces efforts ne seront envisageables que si l'individu sait exactement quel est le niveau de connaissance personnelle dont il dispose. Imaginons une maison dont on souhaite renouveler l'aménagement intérieur. Il est indispensable d'en connaître les dimensions, l'architecture et la mesure de tous les meubles qui s'y trouvent. Inutile de vouloir entreprendre quelques travaux intérieurs tant que la constitution de cet espace intérieur n'est pas exactement cartographiée. Se lancer dans la tâche avant d'avoir réalisé cet état des lieux n'aboutira qu'au chaos.
Il convient par conséquent d'y penser. Une pensée à la fois. Et l'explorer jusqu'à son épuisement.
Tant que ce travail n'est pas devenu constant, sans aucun déni, sans aucun délai, l'individu parlera de liberté à atteindre et se constituera des chaînes. Les chaînes de ses intentions, de ses espoirs, de ses attentes alors qu'il n'est même pas au bord du quai et qu'il lui est impossible d'entamer le moindre voyage. Il est figé dans le chaos de ses pensées. Le seul voyage libérateur, c'est celui que l'on entreprend sans intention de liberté. Parce que le travail est déjà fait. Le voyage contribuera au saisissement de la plénitude. Non pas à son élaboration mais à sa validation. Elle est là parce que les pensées ne sont déjà plus des pressions mais juste des phénomènes identifiés qu'il est aisé de déposer lorsqu'ils n'ont aucune utilité.
Il est donc indispensable d'analyser nos habitudes parce qu'elles sont la jonction entre nos pensées et nos actes. Tant que ces pensées sont des flux inconsidérés de formatages répétés, il ne s'agit pas de pensées mais de phénomènes de pensées. La pensée appartient à l'individu alors que les phénomènes de pensées sont les conséquences de l'intrusion forcenée des systèmes éducatifs, historiques, sociaux, religieux, politiques, édiatiques, culturels.
"Ça pense en moi mais "Je" ne pense pas".
Les habitudes qui sont issues des pensées maîtrisées et non des phnéomènes de pensées ne sont pas des habitudes mais des constructions parce qu'elles sont évolutives. L'individu qui crée en lui la constance de l'analyse n'est pas dans une habitude répétitive et inconsciente mais dans un cheminement d'éveil. L'habitude convient à un mental perverti et soumis. Pas à un esprit qui s'éveille.
Celui qui médite quotidiennement n'est pas dans une habitude passive mais dans l'absorption d'une nourriture spirituelle dont la qualité ne pourra que se renforcer.
Celui qui est dans la répétition mécanique des schémas de pensées et d'actes n'est pas dans une démarche évolutive mais dans une extension horizontale dont le matérialisme servira d'étendard. A défaut de posséder une vie intérieure. La société de consommation se nourrit de ces individus-là. Et elle les "consomme..."
Il s'agit donc de cesser de penser à travers des schémas instaurés mais d'élaborer son propre axe vertical; Ni guide, ni gourou, ni ahsram, ni philosophie adorée. Krishnamurti, lui-même, n'a cessé de le répéter.
"Celui qui marche dans les pas d'autrui ne laisse pas ses propres traces". Denis Diderot.
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Crise espagnole
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/05/2012
Un dessin animé très bien construit, clair, précis et effroyablement révélateur de ce qui se passe partout en Europe, sauf désormais en Islande puisque le peuple a mis les banquiers en prison...
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Mémoire pestilentielle
- Par Thierry LEDRU
- Le 29/04/2012
"Une mare pleine d'immondices dégage son odeur la plus agressive au moment où on la récure. L'étendue et l'épaisseur de la saleté se mesurent lorsqu'on nettoie. "
Mâ Ananda Moyî.
Il n'est pas suffisant d'oeuvrer à ce nettoyage émotionnel, existentiel, historique.
Il convient ensuite d'épurer la mémoire car sinon, le mental se complait à réactiver l'époque révolue des immondices. Il s'y retrouve et reprend vie lui, qui n'a plus d'emprise dans le malaxage permanent des immondices. Le Moi ne supporte pas l'absence. Ni tout autant le vide. La mémoire est son ultime recours.
Je réalise, année après année, à quel point j'oublie, à quel point, en dehors des textes que j'ai écrits, les ancrages sombrent les uns après les autres. Je ne jetterai pas pour autant ce que j'ai écrit. Non pas parce qu'il me plaît de ressasser les épreuves ou de contempler le chemin parcouru mais parce qu'il m'arrive dans les moments de flottement et d'errance de regarder simplement le titre d'un ouvrage pour savoir d'où je viens. C'est comme une brique posée pour les fondations. Il n'y a rien à rejeter et si je voulais faire disparaître les fondations sur quoi pourrais-je bâtir ?
Je dispose désormais d'une mémoire écrite et il est donc inutile que je m'obstine à préserver sur le plan de la mémoire "cérébrale" ce qui n'a plus lieu d'être devant moi. Cette vie passée s'efface dans le brouillard des émotions apaisées, une brume nullement inquiétante, juste des voiles diaphanes posés sur le chemin, dans mon dos.
Aucun fantôme n'en surgira. Plus aucune âme disparue n'a à souffrir de mes faiblesses. J'ai vidé la mémoire émotionnelle comme un disque dur.
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L'esprit de solitude
- Par Thierry LEDRU
- Le 27/04/2012
Oh, combien, je me retrouve là...Tout ce que j'ai essayé de traduire dans "les Eveillés. "
L'esprit de solitude de Jacqueline Kelen :http://www.psychologies.com/Moi/Moi-et-les-autres/Solitude/Livres/L-Esprit-de-solitude
La solitude est un cadeau royal que nous repoussons parce qu’en cet état nous nous découvrons infiniment libres et que la liberté est ce à quoi nous sommes le moins préparé.
L’« égo », que toute quête spirituelle authentique conduit à soumettre ou à effacer, représente un noyau de fermeture, d’unique préoccupation de soi, d’arrogance, qui rend un individu vampirique, épris de pouvoir et destructeur. C’est l’égo qui résiste le plus, qui revient l’assaut le plus souvent, qui grossit sans problème.
Le moi, qui reflète une individualité particulière, est fait d’héritage humain et de conditionnements divers. Il dépend de l’histoire, de la société, de la psychologie, de la génétique. Quoique particulier, d’apparence non semblable aux autres, il est un produit. Il recherche la conservation de soi, la sécurité et la survie. Il se rallie au plus grand nombre, il est à la fois narcissique et grégaire. C’est le « gros animal » qu’évoque Platon, qui reproduit les opinions, les modes et les préjugés de la foule, au lieu de mener une recherche personnelle. Gros animal manipulable à merci. (De nos jours, le gros animal se plait dans toutes les manifestations collectives, dans les loisirs de masse et il s’exprime par les sondages.
Le « je » affirme sa différence, il se dégage des divers conditionnements, il s’élève au-dessus de la conscience collective commune. Il exerce son jugement et son libre-arbitre. Il est auteur de ses pensées et de ses actes, il se sent responsable. Là où le « moi » revendique et réclame des droits, le « je » se reconnaît des devoirs. C’est l’individu conscient, singulier, en marche. Il se met en question, il est capable d’évoluer, de se transformer, tandis que l’« égo » demeure statique, lourd, tentaculaire, et que le « moi » reste dépendant et esclave. Seul ce « je « est capable d’éveil.
On comprend qu’une société matérialiste, coupée du sacré, uniquement préoccupée de possessions et de pouvoir, ne prenne en compte chez l’être humain que l’« égo » et le « moi » et les flatte exclusivement ; et qu’elle empêche, surveille ou limite toute émergence du « je » qui conduirait à la grande, à la seule Liberté.
Cette voie royale du « je » est une voie de solitude. Celui qui a maîtrisé ou dissous son « égo » et qui a pris des distances avec son « moi » se retrouve dès lors séparé d’un bon nombre de ses contemporains. Cette distance qui s’est instaurée entre la foule et lui est invisible mais irréversible, elle se nomme conscience et elle surgit en certains instants de manière inattendue.
Personne ne nous apprend à être seul. Au contraire, toute éducation, qu’elle soit dispensée par la famille ou à l’école, vise à ne jamais laisser l’enfant dans le silence, face à lui-même : on l’oblige à jouer avec ses camarades, à faire partie d’une équipe sportive, à embrasser les cousins éloignés et à parler avec les amis des parents, bref, à « communiquer » et à « s’intégrer », ces 2 poncifs tyranniques de la société contemporaine.
Depuis qu’il est né, on l’a détourné de sa solitude : on lui fait croire que sans les autres, il ne sert à rien. Lui qui n’a jamais appris à compter sur lui, à se connaître et à se faire confiance, le voici démuni, apeuré. Sans les autres, il n’existe pas, mais il se rend compte que « les autres » n’ont pas de visage, que la foule est une abstraction, et ce qu’on appelle avec emphase « l’humanité » terriblement dépourvue de chaleur humaine.
Les êtres qui chérissent la solitude sont souvent considérés comme des misanthropes : ils n’apprécient pas les bains de foule, les stades vociférants, les manifestations dites populaires, donc ils méprisent ou détestent leurs semblables.
Or le solitaire n’est pas celui qui n’aime pas les autres mais celui qui apprécie certains autres, celui qui en tout fait preuve d’élection et cultive les affinités. Le solitaire a le sens de l’amitié, qui célèbre une relation unique entre 2 personnes, tandis que de toute part est martelé le mot d’ordre de solidarité, qui fait référence à des populations indistinctes. Il préfère toujours la rencontre particulière à la dilution dans une collectivité. Pour lui, l’individu est d’un grand prix et c’est le mépriser profondément que de le traiter en termes généralisateurs : les jeunes, les travailleurs, les immigrés, les sans-abri…
La solitude s’avère le contraire de l’égocentrisme, du repliement sur soi et de la revendication pour sa petite personne. Le véritable solitaire se passe de témoins, de courtisans et de disciples.
Le solitaire sait qu’il a beaucoup à apprendre alors que la plupart ne cherchent qu’à enseigner, à avoir des disciples.
Il lit, écoute, réfléchit, mûrit ses pensées comme ses sentiments. En cet état, il pèse le moins possible sur autrui : il ne cherche pas, au moindre désagrément, une oreille où déverser ses plaintes, il ne rend pas l’autre responsable de ses faiblesse et de ses incompétences, il ne peut exercer sur personne un chantage collectif.
La solitude est bien une école du respect de l’autre et de maîtrise de soi.
Vivre ainsi, c’est choisir la voie buissonnière, c’est aussi prendre le maquis. Et à tout instant aimer l’imprévisible. Tant que l’on n’a pas compris que la solitude est une force et une alliée, on accepte l’assujettissement et le compromis. Il n’est pas de remède à la solitude, c’est elle qui nous sauve de la médiocrité et de l’abêtissement.
Affronter sa solitude revient à aborder sa peur, surtout la peur de mourir, et à mesurer sa propre puissance. Tant qu’un individu demeure accroché aux autres, tant qu’il craint le jugement d’autrui, il ne sait pas de quoi il est véritablement porteur.
Or, la traversée de la solitude ne débouche pas sur le néant mais sur une mise au monde.
Savoir accueillir la solitude comme une amie rend plus fort et plus libre face aux épreuves et devant la mort –ce qui ne veut pas dire moins sensible. La fermeté d’âme n’a jamais empêché les élans du cœur.
La solitude n’a rien de triste, mais elle a la gravité de l’amour, de la beauté, des choses essentielles. Elle enjoint de vivre avec courage, lucidité et attention. Envisager chaque être comme une solitude, comme un monde à part, est le plus grand respect que nous puissions accorder.
Être seul, c’est se tenir devant l’inconnu. Et prendre le risque de cet inconnu.
L’épreuve de solitude, belle comme une rencontre et difficile comme une maladie, a pour sens d’ouvrir et de défricher nos terres intérieures.
Le premier fruit de solitude que l’on recueille est d’émerveillement et d’intensité : je me découvre unique, irremplaçable et d’un grand prix.
Finalement, notre appréhension de la solitude, notre volonté de la combattre ou de la déprécier serait le signe d’une permanente lâcheté, d’une peur à frayer son propre chemin particulier.
Toute solitude renvoie toujours aux ressources secrètes et imprévisibles de l’individu. Si je me tiens seul face à une épreuve, cela signifie déjà que je suis capable de l’affronter, de la traverser.
La solitude ressemble à une armure impalpable : elle ne protège de rien, elle ne garantit aucune victoire, mais elle permet tous les possibles, la confiance comme la ruse, le courage comme l’inventivité, elle se tient dans l’inattendu de la grâce.
Faut-il rappeler cette évidence ? Le seul compagnon avec qui chacun est assuré de partager toute son existence n’est autre que soi-même. Il est donc recommandé de bien le connaître, ce compagnon de voyage, fin d’éviter une défection, une trahison, une mauvaise surprise.
La connaissance de soi s’avère recherche solitaire et elle n’est guère encouragée par les diverses institutions (famille, école, religion, gouvernement …) qui risquent de se voir mises à mal et ne peuvent plus tourner rond, tourner en rond.
L’intériorité que l’on découvre dans la solitude n’a rien à voir avec la promotion du moi, avec l’autosatisfaction : c’est le silence de soi, c’est une attention au monde.
Loin d’être une coupure, la voie solitaire brûle les limitations que nous imposent le corps, la raison, les préjugés, la peur, et elle nous dilate aux dimensions de l’univers.
On comprend que cette immensité intérieure puisse dérouter de nombreux mortels et qu’ils préfèrent se raccrocher à un territoire plus restreint mais plus tangible.
Lorsque par une patiente solitude, un être humain prend mesure de sa liberté sans limites, il rencontre en même temps sa dimension d’éternité.
Être bien tout seul, être seul et heureux, cela n’a rien à voir avec l’égocentrisme. C’est le signe clair de la liberté. La maturité commence lorsqu’un individu se sent auteur et responsable de son existence, lorsqu’il ne demande pas aux autres de le rendre heureux, lorsqu’il n’accuse pas systématiquement les autres de ses propres faiblesses et insuffisances.
Ainsi, l’idéal du Sage est de se suffire à lui-même.
L’expérience de solitude est une voie de liberté, avec des conséquences non négligeables en des temps de globalisation, d’uniformité : personne ne peut penser à ma place, personne ne peut dire ce qui est bon pour moi, ce qui doit faire mon bonheur, ma vie.
Vivre solitaire renvoie toujours à son jugement personnel, à son intuition, à son esprit critique. C’est un barrage sûr contre la manipulation mentale, la récupération sectaire, les phénomènes de mode.
Tout le mal vient du fait que les hommes, dans très grande majorité, n’ont pas de vie intérieure, et pour cette raison désirent, convoitent, veulent la vie d’autrui. Plus un organisme est évolué, plus il est autonome et solitaire.
Le véritable solitaire ne ressent pas le besoin d’une stabilité que lui fournirait un travail régulier ou une vie conjugale établie parce qu’en lui il se sent structuré et parce qu’il sait que ce qui sécurise devient tôt ou tard ce qui emprisonne.
Vivre solitaire est la meilleure façon de lutter contre l’inertie sous toutes ses formes. On conçoit que cela puisse inquiéter les gens férus d’ordre et de réglementation.
Beaucoup préfèreront répondre à des sollicitations extérieures et à des obligations plutôt que d’exercer bon plaisir et leur libre choix.
N’est véritablement chevalier que l’être humain qui seul s’aventure, qui se met en danger et aborde les surprises et les douleurs que la vie lui octroie. La dignité du chevalier tient à cet honneur de ne pas démériter des rencontres et des périls.
La vie solitaire d’un penseur, d’un artiste, d’un ermite est un engagement, jamais une solution. Résister à la facilité comme à la résignation, demeurer discret sinon secret. Il faut un courage constant, une passion tenue pour oser être soi, pour ne pas renier ses valeurs ni ses rêves.
Le véritable solitaire ne cherche ni à plaire ni à être réconforté. Sa grande force est qu’il n’est point troublé par les agissements et les opinions du monde : quand on vit seul, on ne donne pas prise, on ne se situe plus en rapport au général mais par rapport à l’absolu.
Beaucoup de personnes se montrent incapables de vivre à distance les unes des autres. Comme si de se rassembler tenait chaud et permettait de lutter contre le désespoir et la mort.
Qu’est donc ce danger que sans cesse veut conjurer la vie en collectivité si ce n’est la découverte de soi, de ses désirs, de ses rêves personnels, de sa liberté ?
Ainsi, on continue de vivre ensemble pour éviter de se retrouver seul, pour se croire aimé et protégé, alors que d’être passé par la solitude permet de respecter l’autre, de l’apprécier et de ne pas le charger d’obligations diverses.
Faire cavalier seul, c’est défendre jalousement sa liberté, c’est en toutes circonstances, sauvegarder son intégrité.
Cet état qui paraît fier s’avère surtout précaire, il est donc peu envié par des contemporains soucieux de sécurité. Le cavalier seul allie la force à la fragilité : si la fragilité vient de sa liberté, sa force vient de sa solitude.
La solitude nous rappelle notre condition éphémère qu’aucun argent ne viendra consoler. Elle nous renvoie à l’essentiel.
Libre de tout pouvoir et de toute dépendance, le solitaire sait être heureux sans attendre l’approbation d’autrui. Il a conscience que les jours passent vite, qu’il ne faut pas remettre à plus tard d’aimer, de rire, de connaître, de bâtir. Il se tient volontiers à l’écart d’un monde où règne le cynisme, où s’oublie la ferveur. Il ne se dissout pas dans le genre humain ni dans une vague génération, mais il a le sens de l’amitié –relation d’égalité par excellence- il favorise les relations désintéressées, il aime les personnes avec lesquelles il peut aussi bien se taire que converser. Il apprécie autant la présence d’un chat, d’un arbre, d’une pierre, que la compagnie des hommes, car tout a valeur à ses yeux.
Il se moque bien de plaire ou d’avoir raison. Ce qui lui importe surtout est de ne pas s’avilir, de ne pas abjurer. Ce qu’il déteste le plus a nom insignifiance.
Le vrai rebelle a toute la vie, tous les libres devant lui, il ne se restreint ni à une philosophie, ni à une stratégie. C’est du reste pour cela qu’il demeure insaisissable : il n’est jamais prisonnier de ses idées.
Celui qui n’appartient à personne acquiert une aisance souveraine, comparable à celle du sage qui se trouve bien partout, qui est toujours à la juste place parce que d’abord, il s’est établi en lui, parce qu’il s’est ancré dans la solitude.
Le solitaire ne se sent jamais arrivé, ce qui le garde jeune et créateur. Encore convient-il, pour demeurer libre et vivant, de changer de monture sans arrêt. Pour éviter la récupération autant que l’adulation ou la consécration. Pour ne pas être suivi, imité ou statufié. Ainsi le véritable cavalier seul ne peut être que passager.
A vivre en groupe continûment, un homme régresse dans sa vie émotionnelle, intellectuelle et spirituelle. C’est pourquoi dès que quelqu’un, même un enfant, veut réfléchir ou faire le point sur une situation, il se met à l’écart.
L’intelligence sera toujours seule contre tous parce qu’elle cherche une ouverture toujours plus ample et non l’assentiment des autres. Elle avance les mains vides tandis que le savoir, qui amasse des informations et des certitudes, a volontiers les mains pleines.
La solitude apprend à affermir sa propre pensée et à s’ouvrir à celle des autres. Celui qui n’a aucune idée personnelle se montre aussi incapable de jugement que de tolérance : il se rallera au plus grand nombre.
Faut-il le répéter ? La liberté de pensée ne se trouve ni à droite ni à gauche ni même dans l’anarchisme. Elle ne loge dans aucune religion, dans aucun système politique ou philosophique, pas plus dans l’athéisme que dans la laïcité. Elle est dans ce refus de tout conditionnement et de toute appartenance. Elle n’a pas de dévots, de suiveurs mais seulement des relais.
Le goût de la solitude signe la maturité et parfois le génie. Nul ne peut se dire philosophe, écrivain ou artiste s’il n’a pas exploré, épousé sa solitude.
C’est là le défi titanesque d’une solitude choisie : demeurer « hors » - hors jeu, hors champs, hors d’atteinte. Etranger et passant sur terre. Avec honneur et humilité.
Les épousailles avec soi, dans le secret d’une solitude fertile, permettent une alliance avec l’autre qui ne portera pas atteinte à l’intégrité de chacun. Mais tant que l’individu cherche à l’extérieur celui qui le complétera, qui répondra à ses manques, il ne pourra que nouer des relations intéressées ou précaires. Lorsqu’il est mis au monde, lorsqu’il se sait entier, il envisage avec les autres des liens sous le signe de la liberté et de la gratuité. On ne veut posséder l’autre que si soi-même on se sait incomplet.
Aimer quelqu’un, c’est honorer sa solitude et s’en émerveiller. L’amour ressenti pour un être ne met pas fin à sa solitude mais il l’enrichit, l’enchante et la fait rayonner.
L’élu, l’être aimé serait paradoxalement celui avec qui j’ai envie d’être seul.
Au début du XII siècle, en terre d’Oc, dames et troubadours inaugurèrent une forme d’amour inouïes qu’ils estimaient parfaite et qui n’avait rien à voir avec le mariage ni avec le libertinage. Chacun se savait unique, élu, et sans vivre avec l’autre dans la continuité des jours, étant même éloigné, il se sentait non séparable. Ces amants courtois venaient d’inventer une érotique et une mystique du désir et de la liberté.
Je crois au plaisir de la chair et à la solitude irrémédiable de l’âme.
Veiller sur sa solitude demande du courage, une fermeté d’âme certaine. Une vie solitaire a beaucoup plus de chance d’atténuer, de dissoudre l’égo que de le renforcer.
Un solitaire n’est pas un homme au cœur sec ou impassible, mais un être qui a le goût du secret et de la liberté avant toute chose et qui pratique le plus souvent le retour à soi. Il est capable d’entrer en relation avec autrui sans se perdre et il n’a pas peur de s’attacher car ce lien affectif, même intense, ne porte pas atteinte à son intégrité.
Aimer quelqu’un sans créer une dépendance est un véritable défi à la nature humaine et ce défi, les amants courtois ont eu la fierté de le relever.
Seul un homme libre est capable de vivre un attachement qui ne restreint ni ne ligote et de ressentir un désir incandescent qui n’a rien d’un manque.
Autrement dit, seul un être libre est capable d’aimer, seul il est assez fou pour aimer en toute liberté.
Tous les autres ne savent, sous couvert d’aimer, que posséder l’autre ou lui appartenir.
De même que le véritable attachement se révèle liberté inouïe, enchantement renaissant, de même le vrai détachement conduit à être humble et passant sur la terre, à ne rien posséder ou si peu, à ne rien savoir ou presque, et il devient ainsi libération, allègement joyeux.
On en arrive à ce paradoxe que le plus haut attachement mène au plus grand détachement.
Le vrai solitaire n’a rien à perdre et ne cherche à rien posséder. En rencontrant des personnes diverses, il ne craint pas le jugement d’autrui puisqu’il se connaît et s’est affermi dans cet état ; il ne risque pas de perdre une image de marque déjà évaporée et ne redoute pas la déception puisque de l’autre il n’attend nulle gratification mais avant tout le plaisir de la découverte, le goût de l’échange. Et ainsi il peut aimer l’autre d’être l’autre.
Une vie solitaire fait lâcher les illusions et les convoitises pour faire briller le noyau essentiel. Une telle expérience ouvre à une gratuité totale dans les relations humaines – d’amitié, d’amour, de fraternité- qui peut se formuler ainsi :
« Je n’ai pas besoin de toi, tu n’as pas besoin de moi, mais il est bon de vivre ce moment, ce jour, avec toi. »
Celui qui vit souvent seul apprécie d’autant plus la diversité des individus qu’il rencontre, la qualité des relations qui s’offrent à lui. Dans cet état, je fais l’expérience que tout peut être neuf à chaque instant au lieu de se prolonger, de se répéter. Tout devient possible, surtout l’incroyable.
Il n’y a plus de vie ordinaire, de vie quotidienne, puisque la solitude procure ce goût de l’unique et de l’inattendu.
La solitude apprend à aimer, elle apprend à poser un regard étonné et bienveillant sur les êtres et à respecter leur secret.
Dans la petite enfance, on est aimé et protégé bien plus qu’on aime. Le chemin de maturité conduit à aimer bien plus que d’être aimé. Un individu ne devient intéressant qu’à partir du jour où il s’enquiert d’aimer bien plus que d’être apprécié, choyé ou courtisé.
A demeurer longtemps solitaire, en silence, on oublie les repères habituels et le temps n’est plus compté. Les heures ne tombent plus comme une menace, un couperet, le temps devient une ample respiration.
Un ermite véritable n’a pas besoin de se tenir éloigné des autres, il demeure retiré malgré le brouhaha du monde.
Est infiniment libre celui qui se découvre éternel et vit désormais comme tel.
Ces solitaires mettent à rude épreuve la sécurité et la présomption où se conforte notre époque. Ils mettent en péril les certitudes, les acquisitions, la fierté même. Ils portent en eux-mêmes une immense soif d’absolu.