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  • Apprentissage de l'absence

    L'enseignement tel qu'il est pratiqué est un apprentissage de l'absence dès lors que le retour vers soi est nié. L'intention d'un enseignant est de former l'enseigné à une réponse mais sans que le fonctionnement inhérent à cette réponse soit analysé. Il s'agit bel et bien d'une violence parce que l'enseigné subit un apprentissage dans lequel il n'existe pas mais qui est destiné à lui donner une certaine existence ; une existence qui correspond à ce que l'enseignant attend. Il n'est pas question pour l'enseigné de "se" connaître mais juste de connaître. C'est le combat entre l'avoir et l'être.

    "J'ai la bonne réponse mais je ne sais pas, en moi, qui connaît la réponse. Je ne suis pas celui qui connaît mais celui que l'enseignant à former à savoir. "

    L'enseignement est une camisole de force dès lors qu'il n'est pas initialement porté par le développement existentiel de l'enseigné. Et il ne faut pas s'étonner que les enseignés finissent par se rebeller contre l'autorité qui enseigne. Si l'enseignement ne conduit pas l'enseigné à oeuvrer à sa propre connaissance mais uniquement à une connaissance technique, de quelque ordre qu'elle soit, il ne s'agit que de la possibilité donnée aux enseignants de se conforter dans l'accomplissement d'une tâche cognitive et les enseignés qui n'y parviennent pas deviennent des résistants qu'il faut forcer à la soumission. 

    L'enseignement est un acte violent à travers lequel l'absence des enseignés est réclamée. Une absence existentielle. Chaque individu possède une nature. Dans une classe d'école primaire, ces individus sont des enfants. Leur fonction est d'être élève. Si la fonction prend le pas sur la nature et finit par s'imposer comme une identification, l'enseignement agit en sorte que l'élève soit présent et l'enfant absent. Il est indispensable d'établir une distinction extrêmement claire entre ce que l'enfant fait et qui correspond à une fonction provisoire et sa nature d'enfant. Si cette nature est bafouée parce que la fonction le condamne à porter une étiquette qui peut se révéler dévastatrice au regard de l'enseignant, l'enfant n'est plus.

    Cette violence-là est éminemment destructrice.

    L'énorme problème posé par les enseignements programmés, c'est justement qu'ils sont programmés. Impossible d'y échapper. Dès lors, il est absolument vital de les accompagner d'une démarche existentielle, philosophique, un regard intérieur, un ancrage sur le réel et non seulement sur cette réalité rapportée. Le réel est intérieur, la réalité est extérieure. Si cette réalité s'impose, il est évident que se posera un jour ou l'autre de savoir qui est "réellement" là. L'enfant ou l'élève. S'il ne reste que l'élève et que l'enfant n'a fait que subir et se conforter aux apprentissages, c'est une perdition de soi qui s'est jouée pendant des années.

    Que reste-t-il de nos enfants quand ils quittent le système scolaire ? Ont-il perdu en cours de route l'être réel ? S'est -il métamorphosé en diplômé ? Mais qui est diplômé ? Juste un élève ou un individu éveillé à soi ? Qu'a-t-il appris sur lui ? Juste qu'il a été un bon élève ? Et maintenant que se termine cette perdition de soi, comment va se dérouler la suite ? Eh bien, le désastre continuera mais en étant salarié...Etre payé pour se perdre...Mais se réjouir de pouvoir enfin consommer et d'apaiser les douleurs...Parce qu'elles sont toujours là les douleurs. Fossilisées. Et elles sont rentables, elles participent à la croissance puisqu'il faut bien les taire. Consommer, consommer, s'agiter, appréhender la réalité proposée en s'illusionnant de certitudes.

    Le conditionnement de l'enfance a fini son oeuvre.

    L'adulte est là.

    Et puis parfois, la bombe des émotions ravalées explose. La réalité n'est plus qu'un cauchemar et l'être réel est mort. Il a tout perdu. La réalité et le réel. Il n'y a plus rien. Crise économique, crise amoureuse, crise familiale, crise professionnelle...Toutes les étiquettes se déchirent. Il ne reste que la haine, la violence, la folie, le fanatisme, l'errance. Plus aucune estime de soi puisque la réalité est un cauchemar et que l'individu ne se croyait exister qu'à travers cette réalité. Le mal est fait. Il ne reste qu'à le propager. Plus aucune estime pour les autres. Et c'est alors que faire du mal finit par faire du bien. Tout a volé en éclat. Plus aucune valeur humaine puisque cet être réel est mort depuis longtemps.

     

    Je suis effaré parfois d'imaginer que parmi les enfants que je croise, il y aura peut-être un adulte assassin. Car tous les assassins ont été enfants, élèves, étudiants, diplômés, salariés ou "cancres" et chômeurs. Cette réalité qui est imposée à chaque individu est un champ de batailles. On y trouve les armes, on apprend même aux enfants à s'en servir. La compétition, la comparaison, le classement, l'honneur ou l'humiliation. 

     

    Et je vis là-dedans depuis trente ans. Je croise des vies pendant dix mois de classe. Pendant dix mois, je tente de dresser devant eux le miroir de ce qu'ils sont, l'horizon de ce qu'ils veulent être. Non pas dans la réalité mais dans le réel.

     

    Dans quelque semaines, un nouveau Président nommera un nouveau Ministre de l'Education Nationale. Et "on" nous dira qu'on ne sy' prenait pas comme il faut mais que maintenant, tout va aller beaucoup mieux parce qu'on va nous apprendre à travailler correctement.

     

    Et je continuerai à oeuvrer pour le réel. Nature et fonction. Jamais dans l'ordre inverse.

  • Musique

    Voilà un moment que je n'avais pas été bouleversé par une musique...C'est fait.

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  • Dans dix mille ans.

    "Le plus grand bonheur de l'homme qui réfléchit, c'est, après avoir cherché à comprendre ce qui peut être compris, d'adorer ce qui est incompréhensible. "

    Goethe


    "L'homme ne doit jamais cesser de croire que l'incompréhensible peut se comprendre, sans cela il renoncerait aux recherches. "

    Goethe


     

    Au regard des drames incessants générés par l'espèce humaine, il m'est impossible d'adorer l'incompréhension qui en résulte.

    Pour avoir lu quelque peu Goethe, je sais qu'il s'agissait chez lui de l'intuition créatrice. Je ne suis pas celui qui crée mais celui qui perçoit "ce qui crée en moi". Le domaine de l'ineffable contenu dans l'âme ou l'esprit ou toute autre entité inexplorée par la raison.

    Une distinction dès lors entre l'incompréhension perçue par le mental et celle qui concerne la dimension spirituelle de l'individu.

    Il est donc question de chercher à comprendre les fonctionnements de l'humain et par conséquent ses dysfonctionnements, sans pour autant exclure ou ignorer dans cette quête rationnelle, l'inexpliqué, l'irrationnel, l'incompréhensible. Non, parce que cet espace restera inaccessible mais parce qu'il s'agit d'user d'une autre méthode.

    "La grandeur de l'homme, c'est qu'il est un pont et non une fin. "


    Nietzsche

    Le piège du rationnel déploie ses entraves lorsque l'homme finit par être persuadé que la dimension rationnelle, scientifique, sociale, cognitive, expérimentale suffit à dresser un état des lieux.

    Nous sommes d'un lieu dont nous n'avons pas la carte. Et de tirer quelques traits sur l’ineffable ne dessine pas l'Univers.

     

    Il restera inévitablement pour moi une question essentielle :

    La présence de l'espèce humaine répond-elle à une finalité?

    Y-a-t-il dans cette Création une intention insaisissable ?

    Si c'est non, alors il ne reste qu'à tenter de gérer au mieux ou au moins pire, les aléas du hasard, nourri par les egos tourmentés.
    Développer les connaissances, expliquer les comment, cartographier le visible, panser les plaies des pensées déplaisantes, rectifier les choix après en avoir subi les conséquences. Les occasions ne manquent pas. Chaque lever de soleil dévoile les effets nocifs des egos intoxiqués.

     

    Si c'est oui, alors il reste à accepter l'idée que nous sommes un pont. Non pas une multitude de ponts identifiés à des egos individualisés mais "UN" pont vers une dimension inconnue.

    Le concept déifié est suranné. Il a depuis longtemps montré les déviances qu'il génère. L'humain ne peut pas être un pont bâti avec du béton armé. Les citadelles ont des portes closes. S'il ne s'agit que d'un pont levis cloisonnant les enceintes, rien n'est possible. Et les Dieux anciens ne sont que des seigneurs armés.

    L'intention ne se lit pas dans les Textes sacrés dès lors que leurs interprétations sont des sacrements honorant les egos, les scissions, les barrières, les contrôles identitaires à l'entrée des ponts levis.

    Où se cache l'intention ?

    "L'Univers est une vaste pensée. En chaque particule, chaque atome, chaque molécule, chaque cellule de matière, vit et œuvre, à l'insu de tous, une omniprésence. "

    Jean Guitton.

    La Nature se pense et nous en sommes ses excroissances. Nulle entité à l'image de l'homme, nul Dieu dispensant des paroles, nul prophète annonçant des paradis. Tout est ici. « Le labeur des brins d'herbe n'a pas moins d'importance que le tournoiement des étoiles » écrivait Walt Whitman, le chant de la mésange a des intonations liturgiques, le frissonnement des arbres dans la brise est une messe à entendre. Quand on ferme les portes des églises, on ne voit plus le ciel, ni les montagnes, ni les nuages, et quand on chante des louanges, on n'entend plus les mésanges.

    Les temples sont des autels à sacrifices. Des arrachements d'âmes et des congélations de cœur.

    Tout est déjà là. Il n'y avait rien à bâtir, rien à écrire, rien à inventer. Nous n'avions qu'à jouir du présent et nous nous sommes acharnés à l'envelopper de papiers décoratifs jusqu'à en oublier le trésor. Et chaque parcelle de l'humanité se bat pour imposer ses propres enluminures.

     

    Je n'attends rien de la science. Ni de la physique quantique ni du reste. A moins que les explorateurs s’abstiennent enfin de planter un drapeau au sommet de leurs connaissances.

    Comme un étendard à la pointe de leur donjon.

     

    Toujours des citadelles et des seigneurs armés entretenant des contingents d’adorateurs.

    La poésie a un avantage incontournable. Elle ne cherche pas à expliquer, elle sait déjà et se plaît à aimer, simplement.

    C’est sans doute ce que Goethe voulait exprimer dans cette idée de « l’incompréhensible. »

     Cet amour-là existera-t-il dans dix mille ans ? Cet amour de la Terre et de l’espace intérieur dont elle est le reflet.

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  • Joe Kals

    Il est arrivé ...

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  • L'amour entre les peuples. (humanisme)

    Par-delà les gouvernements

     


    Quand Israéliens et Iraniens se déclarent leur amour

     

    Créé le 20-03-2012 à 18h03 - Mis à jour à 18h18      9 réactions

    Parti de l'initiative d'un enseignant en graphisme, "We love you" est devenu en un week-end un véritable phénomène.

     
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    Une des photos postées sur le compte Facebook de la campagne (DR)

    Une des photos postées sur le compte Facebook de la campagne (DR)

    Une initiative israélienne consistant à déclarer son "amour" aux Iraniens, s’est transformée en véritable phénomène durant le week-end dernier sur Facebook, où les deux camps s’échangent leurs messages de paix.

    L’idée de cette campagne est venue à Ronny Edry, un enseignant en graphisme israélien de gauche, qui regrettait de ne discuter qu’avec des gens partageants ses opinions. "Sur ma page Facebook, j’ai des amis de gauche qui parlent toujours de ce genre de chose", explique-t-il au quotidien israélien Haaretz ; "ils sont tous du même avis que moi. Quelque fois, quelqu’un de droite me répond en disant que ce que nous disons est stupide, mais je n’ai jamais parlé à un Iranien. Donc je me suis dit :

    pourquoi ne pas essayer de contacter l’autre côté, de contourner les généraux et voir s’ils me détestent vraiment ?"

    Avec l’aide de sa femme et de ses étudiants d’une école préparatoire de graphisme et de design, Ronny Edry a donc réalisé des posters sur une idée simple : prendre une photo de soi et juste ajouter comme message :

    Iraniens. Nous ne bombarderons jamais votre pays. Nous vous aimons."

    Ces premiers posters, mis en ligne sur Facebook samedi, étaient accompagnés du texte explicatif suivant:

    Au peuple iranien, à tous les pères, les mères, les enfants, les frères et les sœurs, pour qu’il y ait une guerre entre nous, nous devons tout d’abord avoir peur les uns des autres, nous devons nous détester. Je n’ai pas peur de vous, je ne vous déteste pas. Je ne vous connais même pas. Aucun Iranien ne m’a jamais fait de mal. Je ne suis pas un représentant officiel de mon pays. Je suis un père et un enseignant. Nous vous aimons. Nous ne vous voulons pas de mal. Au contraire, nous voulons vous rencontrer, boire un café et parler de sport".

    Au début, Ronny Edry reçoit majoritairement des critiques négatives. "Après le premier poster, les gens ont commencé à me critiquer, en me disant que je suis un idiot, que je suis naïf". Mais en quelques heures, le buzz commence à prendre et les internautes font circuler les posters tandis que s’accumulent des centaines de "Likes". Et très vite, les premières réactions parviennent du côté iranien, tout d’abord via des messages privés et de discrètes demandes d’amitié. Mais, peu à peu, le dialogue s’instaure et l’enseignant israélien se retrouve au milieu de quelque chose qui le dépasse.

    "Quelque chose de fou"

    "Je n’aurais jamais imaginé qu’au bout de 48 heures je serais en train de parler à l’autre côté. (…) Il se passe quelque chose de fou", raconte-t-il ainsi le samedi à Haaretz. Mais dans un premier temps, ses interlocuteurs iraniens refusent de donner des photos d’eux, craignant des représailles dans leur pays.

    Puis, le dimanche, les premiers messages iraniens sont postés. "Nous vous aimons également. Vos mots nous parviennent malgré la censure (…)", dit ainsi l’un des premiers iraniens à écrire à Ronny. "Le peuple iranien, en dehors de son gouvernement, n’a aucune rancune ni animosité contre qui que ce soit, et en particulier contre les Israéliens".

    Depuis, les messages se multiplient des deux côtés, et les Iraniens ont également commencé à faire circuler leurs propres posters, avec, en réponse, inscrit le message suivant :

    Mes amis Israéliens. Je ne vous déteste pas. Je ne veux pas la guerre"

    L’affaire, relayée par les médias israéliens, est devenue en un week-end un véritable phénomène et dispose maintenant de son propre compte Facebook et site internet. De son côté, Ronny Edry a décidé de passer la vitesse supérieure en demandant aux internautes de financer une campagne d’affichage dans les grandes villes et les journaux, le but ultime étant de s’offrir les fameux écrans géants de Times Square pour y diffuser les messages de paix.

    Ronny Edry a à cette occasion postée une vidéo expliquant sa démarche.

     
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    Vos réactions (9)

    Petit Suisse

    Petit Suisse a posté le 21-03-2012 à 16:09

    encore un gauchiste... primo/humaniste etc...
    (propos iconoclastes)
    Bravo !

    Cathy Sarda

    Cathy Sarda a posté le 21-03-2012 à 13:26

    Paraphysique de l ' anarchisme ( suite sur thx1138 poèmes , Patrice Faubert )


    Toute étiquette est compromettante .
    Une petite étude , sur la critique de la séparation , et de son interprétation .
    Se méfier des étiquettes , car n ' importe qui , peut se dire n ' importe quoi .
    Quand nous embrassons une personne cela met en jeu 34 muscles faciaux , et nous n ' avons pas la moindre conscience de ce phénomène physiologique .
    Quand nous avons des céphalalgies , nous incriminons notre encéphale , alors qu ' il est indolore , car ce sont en fait , nos douze paires de nerfs crâniens qui sont sous pression .
    Et je pourrais ajouter des tas de quand ceci , et des tas de quand cela , ceci juste pour réfléchir au fait , que nous ne sommes que des paquets d ' inconscience .
    Et c ' est avec ces valises d ' inconscience , que nous pensons , que nous raisonnons , que nous réfléchissons , que nous exprimons telle ou telle opinion . Bref , que nous vivons . Et nous nous tuons aussi , pour des paquets d ' inconscience ...


    " Si nous voyons , entendons et éprouvons en général une très grande mesure comme nous le faisons , c ' est parce que les habitudes linguistiques de notre communauté nous prédisposent à certains choix d ' interprétation . "


    Edward Sapir ( 1884 - 1939 ) linguiste et anthropologue



    Une digression à propos de la brochure " la F"A" et les situationnistes " de Guy Bodson , qui se trouve dans ma bibliothèque , et ce , dep

    Gabriel Tisserand

    Gabriel Tisserand a posté le 21-03-2012 à 13:20

    C'est pour quand, le faire part de mariage ? de toute façon, ce serait un PAX !

    Lucile Orchidee

    Lucile Orchidee a posté le 21-03-2012 à 12:32

    bravo pour cette belle initiative qui pourra aller à l'encontre de ce qui est, peut-être programmé, hélas, lire ceci :

    http://www.alterinfo.net/Toulouse-Strategie-du-chaos-deliberee-Par-eva-R-sistons_a73330.html

    BIG Mama

    BIG Mama a posté le 21-03-2012 à 01:38

    Qu'elle belle initiative, Bravo Monsieur; on ne peut que vous encourager et souhaiter que beaucoup d'Israéliens vous suivent . Un jour peut-être , vous écrirez PAIX en énormes lettres

    Hocine Rabah Kerkarine

    Hocine Rabah Kerkarine a posté le 20-03-2012 à 19:30

    Essayer cette pratique avec le peuple Palestinien et vous vaincrez tous ceux qui ont interêt à ce que cette stupide guerre y compris vos dirigeants et les dirigeants arabes. vous ne perdez rien et ça en vaut la peine.

    •  

  • "La zone"

    Zonards 23/03/2012 à 17h35

    « La zone », le mystérieux état second dont rêvent les sportifs

    Renée Greusard | Journaliste Rue89
     
     
    http://www.rue89.com/rue89-sport/2012/03/23/la-zone-le-mysterieux-etat-second-dont-revent-les-sportifs-230425

    « J'ai ressenti comme un étrange calme... Une sorte d'euphorie. » Ce sont les mots de Pelé, dans une biographie en 2006. Il parlait de ce que les psychologues appellent « la zone », « le flux » ou « le flow ».

    Des mots mystérieux pour définir un Graal sportif. Un état où l'on gagne sans même l'avoir demandé. Car Pelé a aussi raconté :

    « J'ai eu l'impression de pouvoir courir une journée entière sans fatigue, de pouvoir dribbler à travers toutes leurs équipes ou à travers tous, que je pouvais presque leur passer à travers physiquement. »

     

    Julien Bois, chercheur en psychologie à l'université de Pau, explique que « le flux » est un état qui peut être ressenti dans bien des circonstances. Pas seulement le sport. On peut l'éprouver en lisant par exemple.

    Il y a plusieurs critères pour définir cet état. Le principal est le suivant :

    « C'est un moment où l'individu contrôle toutes ses pensées, toutes ses actions. Et pendant ce moment, le sujet a l'impression d'accomplir parfaitement chacun de ses gestes. »

    Une transe ? « Comme chez les moines tibétains »

    Paradoxe : si « la zone » est un état de contrôle, elle est aussi vécue comme un état second. Thomas Sammut, préparateur mental du cercle des nageurs de Marseille, parle même de « transe ».

    « Ce n'est pas une extase mais c'est une sorte de transe. On ne ressent plus la douleur par exemple. “La zone” m'a souvent fait penser à des moines que j'ai rencontrés pendant un voyage au Tibet.

    Ils sont dans un vrai travail de méditation. Pour devenir moines, ils doivent passer un test : on les mouille à 3000 mètres d'altitude et ils doivent se sécher seulement avec leur énergie corporelle. Pour accomplir un tel acte, il faut être dans la zone... »

    Mais de par son mystère, « la zone » peut faire débat. Une transe ? Julien Bois n'est pas tout à fait d'accord.

    « Il y a une perte de conscience de soi, notamment parce qu'on se fiche désormais de l'image qu'on peut renvoyer, mais cela n'empêche pas les athlètes d'être dans un contrôle de la situation. »

     

    Stéphane Diagana, après avoir gagné un 400 mètres, aux championnats du monde d'athlétisme, à Athènes, en août 1997 (Jerry Lampen/Reuters)

    « Pas un état dans lequel on se met, un état qu'on trouve »

    Le chercheur de l'université de Pau préfère parler d'une concentration totale et noter que cet état exclut toute distraction possible.

    « Un sportif sera ainsi complètement coupé du public, de l'idée de gagner, de la prime de match. »

    Dernier critère majeur de « la zone » : quand on y est, la perception du temps est altérée.

    Ces critères, si clairement énoncés, pourraient laisser croire que « la zone » est accessible à tous, avec un peu de travail. Les choses sont en réalité plus compliquées. Julien Bois explique :

    « Ce n'est pas un état dans lequel on se met, c'est un état qu'on trouve. Et si vous prenez conscience que vous êtes en train d'accomplir quelque chose d'extraordinaire, vous vous déconcentrez, et vous sortez donc de “la zone.” »

    Les préparateurs mentaux ne promettent donc jamais « la zone » à leurs athlètes. Ils tentent plutôt de s'en approcher le plus possible. Thomas Sammut explique travailler avec les sportifs sur leur connaissance d'eux-mêmes, leur identité.

    « Il faut atteindre un état de sérénité, savoir qui l'on est, et si on a des doutes, les transformer en forces. »

    Pour ce, il discute avec les sportifs, les sonde sur leur état mental. De son côté, Julien Bois, aussi préparateur mental d'athlètes, insiste sur la nécessité de faire travailler aux sportifs leur concentration.

    « La focalisation, l'attention, ce sont des choses qui se travaillent. On utilise des techniques respiratoires qu'on retrouve aussi dans la yoga ou encore des techniques d'imagerie. On va demander au sportif de visualiser des paysages calmes par exemple. »

    A la base du concept, une recherche sur le bonheur

    En France, il n y a pas si longtemps de cela, le concept de « la zone » n'existait pas.

    Il faut reconnaître qu'il pourrait faire penser à d'obscurs livres qu'on trouve dans les rayons « ésotérisme » et « développement personnel » des librairies s'il n'avait pas été théorisé par un grand psychologue hongrois, au nom imprononçable pour un Français.

    C'est dans les années 80 que Mihaly Csikszentmihalyi, aujourd'hui professeur à l'université de Claremont en Californie, l'a formulé. Julien Bois :

    « Ce qui est intéressant, c'est qu'à la base, il travaillait sur la question du bonheur. Que font les gens quand ils sont heureux ? Il s'est rendu compte qu'ils n'étaient généralement pas au bord d'une piscine un cocktail à la main, mais bien en train d'effectuer une activité, que ce soit de la musique ou du sport. »

    « La psychologie du bonheur », le livre où il a couché ses travaux, a été publié aux Etats-Unis en 1990, mais il n'a été traduit en français qu'en 2004.

    Il n'y a à notre connaissance, à ce jour, pas d'études neurologiques qui ont été menées pour éprouver les manifestations de ce phénomène avec IRM ou une méthode du même type. De tels tests seraient compliqués comme l'explique Julien Bois :

    « Les techniques d'imagerie cérébrale nécessitent que les personnes sondées ne bougent pas, c'est donc compliqué d'imaginer une telle expérience avec des sportifs. »

    « La zone » restera donc peut-être encore longtemps mystérieuse et les sportifs de haut niveau ne savent pas toujours la nommer. Trois d'entre eux ont accepté de nous en parler.

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    Franck Solforosi, 27 ans, rameur

    « On entend un bruit de fond »

     

     

    Franck Solforosi mène le « quatre de pointe poids léger » de la France aux championnats du monde de Munich (médaille d'argent) août 2007 (Alexandra Beier/Reuters)

    J'ai pu ressentir cet état dans la dernière minute de certaines de mes courses. On entend un bruit de fond, vaguement une clameur, mais on ne sait pas ce qu'elle signifie. On ne sait plus si les cris sont encourageants ou pas.

    Moi je choisis de les prendre positivement, je me dis que les gens sont en train de m'encourager.

    Au niveau purement technique, on a plus de notion de ce qu'il se passe. On fait le geste sans trop y penser et on a l'impression de dominer tout ce qu'on fait.

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    Charles-Antoine Brezac, 26 ans, tennisman

    « La sensation est agréable. On se sent hyper léger. »

     

     

    Charles Antoine Brezac (DR)

    J'ai vaguement entendu parler de « la zone », mais je ne savais pas que ça s'appelait comme ça. Quand ça m'est arrivé, j'étais souvent dans un état de fatigue physique. La sensation est agréable. On se sent hyper léger.

    On sent qu'on n'est fixé que sur le principal. Il y a une perfection dans le geste. On sent bien la balle.

    C'est un état parfait pour un sportif mais ça ne sert à rien de le chercher, c'est quelque chose qui arrive sans qu'on l'ait voulu. On ne l'attend pas.

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    Stéphane Diagana, 42 ans, ancien athlète

    « La zone c'est un moment de grâce, de plaisir intense »

     

    On a l'impression qu'on a le temps. Comme si l'action ralentissait le temps. Pour illustrer ça, je raconte souvent que j'ai des souvenirs, des tranches de vie, qui font l'épaisseur d'un trentième de seconde. Mais je me souviens qu'il s'est passé quelque chose de précis, que je me suis jeté sur la ligne d'une certaine manière par exemple.

     

    Être dans la zone, c'est un moment de grâce, de plaisir intense où on a l'impression que c'est facile. C'est une question de disponibilité.

    Je n'ai jamais ressenti « la zone » ailleurs que dans le sport. Le sport, c'est ce qui a fait que dans ma vie le millième de seconde a existé. Le sport dilate le temps et l'espace. Je crois que je ne serai plus jamais dans « la zone ».