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LA-HAUT : le hasard et Dieu
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/04/2012
Un hasard pourrait expliquer une évolution aussi monstrueuse mais un Dieu ? Se peut-il qu’un Etre créateur instaure volontairement une telle forme de Vie ? Et peut-on dès lors la qualifier de supérieure ? La supériorité par la mort. Voilà donc apparue la putain du Maître. Toujours prête à se donner, à s’ouvrir, indécente, à tout ce qui passe à sa portée. Faire mourir pour vivre, il n’y pas d’autre issue. Et la douleur, comme un soldat fidèle et attentif aux ordres de son Maître, insensible aux cris de pitié, viendrait ajouter à ce goût du massacre l’insupportable plongée dans les délires de l’âme humaine lorsque plus rien ne la maintient à flot et qu’elle s’abandonne à la répugnante délectation du sang. Et Dieu se cacherait là-dedans ? Difficile à admettre.
Le sac sur les épaules, reprendre les bâtons, relancer la mécanique des pas.
Il reste une dernière solution à laquelle la main mise inconsciente des religions lui avait interdit de penser. Se pourrait-il que Dieu soit un être fondamentalement mauvais qui s’amuse à nos dépends ? Se pourrait-il que cette nature que nous adorons ne soit qu’un terrain de jeu pour un Esprit pervers ? Que la beauté du décor ne soit destinée qu’à apaiser les douleurs que le Maître du jeu s’amuse à infliger à la troupe d’acteurs ? Se pourrait-il que la complexité de l’être humain, son évolution lente et obstinée ne soit pas un progrès mais une déchéance, l’éloignement sans fin du point d’équilibre ? Croyant courir après le bonheur, l’humanité, engagée dans une fausse direction, ne serait-elle pas finalement en train de le perdre de vue, de laisser disparaître dans les horizons lointains, dans une Histoire antédiluvienne, la Vie simple et belle, immuable, sans désirs de conquêtes, juste installée dans la contemplation du lever du soleil ? Dieu n’aurait-il pas choisi de laisser en paix les créatures les plus simples, de l’amibe au ver de terre en passant par la baleine bleue et de condamner l’espèce humaine à l’angoisse du néant, l’obligeant à s’épuiser dans une quête matérialiste totalement stupide mais qui l’amuse au plus haut point ?
Ne serions-nous pas ses victimes préférées ?
Il débouche au sommet de la pente de neige qu’il avait aperçue la fois précédente. Le col au pied de l’arête des Grands Moulins se dessine devant lui à une heure de marche.
Un thé chaud. En effectuant un tour d’horizon, il devine le col de Claran sous la montagne opposée. Il se retourne et inspecte la pointe du Rognier qui pourrait servir de prochain objectif. Entre les deux sommets, en contrebas, un vaste plateau à l’architecture complexe, coule en pente douce vers les forêts. Il prend la carte et étudie les différents sentiers. Au milieu du plateau, un petit point indique la présence d’un lac. Le lac vert.
La jeune fille. Comme il serait bon, au printemps, de monter avec elle vers les eaux claires.
Elle est là, en lui, et il aimerait tant qu’elle soit également à ses côtés.
Il range la gourde et s’empresse de reprendre sa progression.
Retrouver le fil des pensées.
La science et la théologie n’auraient jamais dû se dissocier. Même s’il semble qu’il existe un abîme entre la démarche scientifique, fondée sur des expériences rigoureusement prouvées, et la démarche théologique, construite sur une hypothèse injustifiable, elles contenaient peut-être, l’une et l’autre solidaires, respectueuses et attentives, les réponses essentielles. Séparées, elles n’ont aucune chance de parvenir, à travers les millénaires, qu’à l’accroissement de leur égarement respectif, qu’elles continueront fièrement, chacune, à nommer progrès. De multiples progrès, c’est certain. Pour la médecine notamment. Mais pour la compréhension de l’Esprit, il n’en sera rien.
Et l’ensemble de la masse, abandonnée par les chercheurs et les mystiques, qui auraient pu faire office de guides spirituels, continuera à errer dans les affres de cette angoisse existentielle, toujours fiévreusement étouffée, et avec une imagination fertile, sous les artifices de la modernité.
Une pénible nausée. Un tel gâchis.
L’échéance de sa réintégration dans le monde humain l’effraie de plus en plus. Comment réussira-t-il à préserver l’incandescence de ses pensées dans le marasme des jours quotidiens ? Jamais, auparavant, il n’était parvenu aussi loin. Il ne sait si toutes ces idées ont un sens réel mais elles correspondent à la réalité que, lui, il cherche.
Se disant cela, il comprend combien il est facile de basculer dans l’élaboration d’une religion. Il ne sait si ses théories ont une logique scientifique ou si la foi, uniquement, les guide mais il serait prêt à les considérer définitivement acceptables et même peut-être transmissibles. Concevant cela, il s’aperçoit de son orgueil et donc de son appartenance à l’humanité et à ses travers. L’idée lui déplaît fortement mais étrangement elle le convainc qu’il n’a aucune raison de devoir lutter contre les sentiments amoureux. Il s’agit sans doute du même ordre de choses, d’une autre faiblesse. Il n’est qu’un humain.
Et c’est bien peu.
Dieu ne lui est pas accessible. Le Hasard non plus. L’Architecte, quel qu’il soit, n’est pas identifiable. Ni même la Vérité. Pas pour l’espèce humaine, en tout cas.
Il se demande si les animaux n’éprouvent pas davantage la réalité de la Vie que nous. N’ont-ils pas su préserver le Contact ?
L’ultime Compréhension.
Mais alors pourquoi pas nous ? De quoi avons-nous été punis ? Et s’agit-il d’ailleurs d’une punition ou d’une mission à accomplir ? Dieu nous aurait-il envoyé une épreuve afin de juger de l’intérêt de cette espèce particulière ? Si c’est bien le cas, le Créateur doit être effroyablement déçu. Dès lors, cette désillusion consommée, se peut-il qu’il soit parti voir ailleurs, désespéré et n’ayant plus aucune attente ?
Si Dieu est parti, nous errons dans le Temps à la merci de notre folie qui est sans borne ou du Hasard qui a repris la place laissée vacante.
Et si Dieu est toujours présent et que la mission qu’il nous a envoyée est bien réelle, la tâche à accomplir est d’autant plus immense que nous avons perdu l’objectif de vue, que dans la cacophonie de nos agitations frénétiques, nous n’entendons plus rien. Il n’est dès lors pas certain que l’humanité soit engagée dans la bonne direction et le progrès qu’elle vénère n’est peut-être en réalité que l’approche de la fange. Si dès lors nous nous éloignons de l’objectif que Dieu nous avait assigné, combien de temps nous faudra-t-il pour nous en apercevoir, expliquer, convaincre la masse non pensante et enfin changer de cap ?
Peut-être s’agit-il d’ailleurs d’une lutte impossible, que le mal est déjà trop ancré dans chacune des cellules qui animent chacun des individus. Que nous tombons en refusant de le comprendre entraînés par la masse colossale de l’humanité. Nous nous sommes arrachés du corps de la nature et nous dégringolons emportés par notre orgueil et notre obstination à ne rien voir.
Les églises, quels que soient leurs noms, ne peuvent plus aider les hommes. Elles ont perdu l’essence même de la Vérité. Elles ne sont plus des temples où Dieu se présente mais des maisons closes où elles ont souillé Dieu, répandant sur la Beauté du mystère leur fiel prétentieux comme une semence assassine. Toutes les règles religieuses sont essentiellement destinées à créer un ciment, à établir une morale commune et donc à contenir les libertés individuelles, à les soumettre, à les anéantir. Les églises ne favorisent en rien la quête de Dieu. Elles l’ont limitée, lui donnant une direction unique, toujours imposée aux incroyants. On connaît les massacres, passés, présents et certainement futurs, perpétrés au nom de Dieu. Il déteste les églises. Dieu, s’il existe, ne peut pas être en dehors de sa Création. Il est dans le brin d’herbe et l’eau des ruisseaux, le vol agité du papillon et les yeux verts de la jeune fille de ses pensées. Que viennent faire les églises dans ce monde sinon le salir et retirer l’homme du temple divin de la Nature ?
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La page 99
- Par Thierry LEDRU
- Le 06/04/2012
7 ans après ..., de Guillaume Musso, passe le test de la page 99
Par Laurent Martinet (LEXPRESS.fr), publié le 06/04/2012 à 09:00
L'éditeur anglais Ford Madox Ford aurait un jour prétendu qu'il pouvait juger de la qualité d'un manuscrit à la lecture de sa page 99. Qu'aurait-il dit du dernier Musso?
Souvent imité, jamais égalé, notre test de la page 99 s'attaque cette fois à un roi du thriller à la française, Guillaume Musso.
L'auteur
Guillaume Musso, 37 ans, est un auteur malheureux. Bien que ses romans se vendent très bien (il a écoulé plus de 430 000 exemplaires de L'Appel de l'ange en 2011), il reproche aux critiques de mépriser sa "littérature populaire". Maigre consolation, le ministère de la Culture l'a nommé Chevalier de l'ordre des Arts et des Lettres en janvier 2012. C'est promis, nous le lirons de la façon la plus impartiale possible.
Le livre
Le titre de ce nouveau thriller: 7 ans après ... Une allusion à la suite des Trois mousquetaires, Vingt ans après? C'est se placer sous de bons augures. Mais les trois mousquetaires ne sont que deux, Sebastian et Nikki, qui se retrouvent après 7 ans de divorce pour rechercher leur fils Jeremy: "Des rues de Paris au coeur de la jungle amazonienne - Un thriller implacable brillamment construit - Un couple inoubliable pris dans un engrenage infernal", comme l'expose la quatrième de couverture.
Extraits de la page 99
Trépignant d'impatience, Lorenzo Santos s'agitait dans le fauteuil de la salle d'attente, un long couloir de chrome et de verre qui surplombait l'est de Manhattan.
Le lieutenant du New York Police Department regarda nerveusement sa montre. Il attendait Nikki depuis plus d'une heure. Avait-elle renoncé à venir déclarer la disparition de son fils?
Santos sortit son téléphone et laissa un nouveau message à Nikki. C'était sa troisième tentative, mais elle filtrait manifestement ses appels. Cela le mit en rage. Il était certain que tout était la faute de Sebastian Larabee, cet ex-mari dont il ne voyait pas d'un bon oeil la réapparition.
Bordel! Il était hors de question qu'il perde Nikki! Depuis six mois, il en était tombé désespérément amoureux.
Notre lecture
Avançons pas à pas. Un premier héros, un nom latino, un long couloir de chrome et de verre qui surplombe Manhattan. Couleur locale, comme une bonne série américaine. On peut y croire. Par contre, Lorenzo "trépigne d'impatience". Cette formule-là est usée et manque de vie.
Le lieutenant du NYPD - comme la télé nous l'a appris, les Latinos ont remplacé les Irlandais dans la police américaine - "regarde nerveusement sa montre". Argh, encore une formule usée. On le savait déjà, qu'il était énervé. Bon, entrée en scène de Nikki. Elle se fait attendre. L'éternel féminin, en quelque sorte.
Lorenzo tente en vain de joindre Nikki. "Cela le met en rage". Femme=retard, homme=colère, c'est du classique. Entrée en scène du troisième personnage, Sebastian Larabee "ex-mari dont il ne voit pas d'un bon oeil la réapparition". C'est curieux comme à ce moment l'histoire semble se dévoiler d'avance. Dans un environnement aussi balisé, on sent que les ex vont recoller. Prime d'ancienneté. Lorenzo, le trépigneur énervé et jaloux, ne fait pas le poids. De toutes façons, c'est écrit, il est "désespérément amoureux".
Le messe est dite, et c'est un mariage. Cette page concentre le rêve vain de tout enfant du divorce: que ses parents se remettent ensemble après s'être bouffé le nez. D'ailleurs on ne serait pas étonné que Jeremy ait fait exprès de disparaître.
Le verdict
Musso a réussi un vrai thriller, oui. Cette page 99 nous donne l'impression angoissante d'être pris dans une mare de glu, sous un ciel bas, dans un air rare. Adieu Nikki, Lorenzo, Sebastian. Portez-vous bien, mais sans nous.
Voilà la page 99 de mon roman "Jusqu'au bout". :)
Les nuages voyageaient vers d’autres territoires. La nature se gorgeait de soleil et l’humidité accumulée s’évaporait, vaste transpiration régulant la température d’un être qu’il savait vivant. Il sentait sous ses pieds le gonflement puissant et profond de sa poitrine. De temps en temps, il en perdait l’équilibre. Il décida de s’arrêter. Ce corps, sous ses pieds, l’attirait férocement.
Enfoui au plus profond des sous bois, il se déshabilla et s’allongea à même le sol. Il frotta sa peau à l’humus nourrisseur, se recouvrit de feuilles putréfiées, lava son corps à la terre molle. Une puissante érection enflamma son ventre. Il prit son sexe à pleines mains, l’entoura de végétaux divers et le caressa lentement. Les rayons solaires tombaient lourdement sur le sol. Aucune frondaison ne retenait encore son ardeur. Il sentait couler dans les troncs une sève nouvelle. Elle montait inexorablement. Elle était la vie, rien ne pouvait retenir ce flux, puissante marée tenace. Il était habité par la même force.
Il connaissait le lien subtil qui faisait de lui un animal terrestre avant d’être un humain. L’amour l’unissait à la terre, femme sublime, aimante et désirable. Il se coucha sur le ventre et enfouit son sexe dans les feuilles noires, draperies magnifiques exhalant des senteurs de pourriture, obéissant à l’envie totale de se donner, d’éprouver à son tour le plaisir des racines fouissant le sol, de la pluie s’infiltrant dans la terre accueillante, des rayons solaires la réchauffant. Il entendit dans son crâne le frémissement des myriades d’insectes creusant la terre et il les accompagna dans cette étreinte, sa verge usant de sa raideur pour tracer au sol le calice de sa liqueur. Il ouvrit la bouche et saisit un amalgame de fibres terreuses. Il frotta sa tête sur le sol et emplit ses oreilles du gémissement lascif des feuilles chiffonnées. Il eut l’impression enfin que toute l’énergie de la terre fusionnait en lui. Il se raidit et s’abandonna à l’extase, déversant dans des jets saccadés son amour pour le monde.
Un cri dans son dos brisa cette union.
Il releva la tête, se tourna et vit le visage horrifié d’une créature humaine.
C’était une femelle, grisonnante, portant un panier en osier. Dans l’incertitude de sa demi conscience, il crut reconnaître la Pennec.
Elle s’enfuit en courant. Il se releva et la poursuivit. Il la rattrapa rapidement et sauta sur son dos. Elle tomba au sol en hurlant. Deux mètres en avant, il vit une magnifique fourmilière, vaste dôme terreux couvert d’aiguilles de pin. Il traîna la femelle en la tirant par les cheveux. Elle se débattait en criant comme une folle. Ces couinements aigus dans le silence de la terre étaient trop abjects pour qu’il la laisse continuer. Il plongea le visage dans la fourmilière, appuyant de tout son poids sur le crâne.
Les bras de la femelle s’enfoncèrent dans l’amas de végétaux, les jambes raclèrent le sol mais tout cela fut beaucoup moins bruyant.
Il n’entendit plus que des sons étouffés, incompréhensibles, qui n’agressaient plus ses oreilles. Il s’allongea de toute sa masse sur le corps gesticulant. Le visage était à moitié enfoui. Les mains cherchaient un appui mais la fourmilière n’offrait aucun support solide. Il sentait des mollets poilus contre ses jambes. Son sexe turgescent avait glissé dans l’écartement de la jupe longue. Ca le dégoûtait et il voulait en finir rapidement. Il appuya encore d’une main, de toutes ses forces, sur la tête inerte, l’autre recouvrant la tignasse grisâtre de particules diverses. Des fourmis paniquées, cachées dans les profondeurs dans l’attente de jours printaniers, attaquèrent de tous côtés.
Enfin, il ne sentit plus aucun mouvement de révolte sous lui. Il se redressa. Le corps ne bougeait plus. Les fourmis s’infiltraient de toutes parts, dans les replis et les ouvertures. Les bras pendaient de chaque côté, les jambes étaient tendues dans une ultime contraction. Cette position lui sembla totalement déplacée et répugnante dans la beauté de cette forêt.
Il s’assit contre un tronc lisse. Il ferma les yeux, posa les mains en coquille sur son sexe assagi et se concentra sur la paix autour de lui. Il engloba amoureusement sous ses paupières la beauté de la lumière, le chant mélodieux d’un oiseau caché, la douceur du silence, les odeurs de sa sueur mêlée à la sueur de la terre.
Ce fut un instant inoubliable. Vraiment. Un moment d’une rare beauté… D’une paix absolue.
Soudain, un florilège écarlate de visions féeriques submergea son cerveau, galaxies colorées, paysages délivrant des sensations inconnues, parades nuptiales d’animaux étourdissants, accouplements divers avec les étoiles, les rochers et le grand corps des océans.
Enfin, il ne resta dans sa mémoire encombrée qu’un manège d’images incompréhensibles.
En ouvrant les yeux, il eut le sentiment d’avoir connu des rêves n’appartenant pas aux hommes. Il en fut gonflé de joie.
Le corps étalé devant lui salissait cet instant magique. Il se releva lentement et entreprit de retrouver ses affaires. Tous ces gestes d’homme furent particulièrement désagréables. Il se força néanmoins à les accomplir. Il tira le corps hors de la fourmilière. Les petits êtres agités, frémissants de tous côtés, abandonnèrent la masse ennemie et rejoignirent le refuge défait.
« Je m’excuse de vous avoir dérangés. Et je vous remercie de votre aide. »
Il chercha sur le sol un creux naturel. A vingt mètres se dessinait une petite dépression qui conviendrait à sa tâche. Il y mena le cadavre et le fit rouler au fond. Le visage congestionné apparut. Il reconnut aussitôt la Pennec. Il ne s’était pas trompé. La bouche ouverte, remplie de matières brunâtres, les yeux exorbités et rouges, les traits tirés dans un dernier spasme hurlant mais étouffé, habillaient le personnage de sa vérité intérieure. Le monstre dévoreur d’enfants était mort. Quel hasard, quelle chance, quel bonheur suprême ! Il n’avait même plus besoin de concevoir des plans d’exécution, de réfléchir pendant des jours et des jours à des machinations aléatoires et compliquées. Le destin se chargeait de lui offrir ses proies. Tout était donc écrit. Il obéissait bien à une mission supérieure, il était le bras vengeur, l’élu d’un ordre séculaire, le guerrier de la lumière. Il ne lui restait plus qu’à rester prêt, disponible, à l’écoute. Les choses se mettraient en place toutes seules, le moment venu.
Un immense soulagement, une sérénité inespérée, une confiance inaltérable.
Il recouvrit le corps d’un tapis de feuilles et de branches et rentra.
Comme à son habitude, il rejoignit l’école à travers champs, évitant le village, les regards et les rencontres. Avant de sortir de la forêt et de franchir la dernière zone dégagée, il observa les environs et ne s’engagea qu’une fois assuré de la tranquillité de son approche.
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Lettres aux écoles 5
- Par Thierry LEDRU
- Le 05/04/2012
"Les écoles existent primordialement pour amener une profonde transformation chez les êtres humains. C'est de cela que l'éducateur est totalement responsable. A moins que le maître ne prenne conscience de ce facteur central, il ne fera qu'instruire l'élève pour le préparer à devenir un homme d'affaires, un ingénieur, un homme de loi ou un politicien. Il y a tant de ces gens qi paraissent incapables soit de se transformer eux-mêmes, soit de transformer la société dans laquelle ils vivent. Peut-être eu égard à la présente structure de la société, faut-il des hommes de loi et des hommes d'affaires, mais quand ces écoles furent créées, ce fut et cela reste, dans l'intentiond e transformer profondément l'home. Il faudrait que dans ces écoles, les enseignants comprennent cela réellement, non intellecteuellement, non comme une idée mais parce qu'ils en voient, avec tout leur être, la pleine implication. Notre objet est le développement totale de l'homme et pas seulement l'accumulation du savoir.
Les idées et les idéaux sont une chose, et le fait, l'évènement réel, en est une autre. Les deux ne peuvent jamais aller de pair. Les idéaux ont été surimposés aux faits et déforment l'évènement de manière à le rendre conforme à ce qui devrait être, à l'idéal issu de la société. L'utopie est une conclusion formulée à partir de ce qui se passe et elle sacrifie le réel, pour le rendre conforme à ce qui a été idéalisé. C'est le processus qui s'est poursuivi depuis des millénaires et tous les intellectuels se complaisent dans les idéations. Esquiver ce qui est, c'est le commencement de la corruption de l'esprit. Cette corruption imprègne toutes les religions, la politique et l'éducation, tous les rapports humains.
L'idée détourne l'attention du fait, de ce qui est et ainsi dirige cette attention vers le chimérique. Ce mouvement de pensées pour esquiver le fait conduit aux symboles, aux images, qui prennent alors une importance dévorante. Ce mouvement pour s'écarter du fait, c'est la corruption de l'esprit. Les êtres humains se laissent aller à ce mouvement dans la conversation, dans leurs rapports, dans presque tout ce qu'ils font. Le fait est instantanément traduit en une idée ou une conclusion qui dicte alors nos réactions. Quand quelque chose est vu, la pensée le transpose immédiatement en une image, laquelle devient la réalité.
Krishnamurti
Le savoir est issu du passé et c'est déjà une corruption lorsque ce savoir est présenté comme un objectif final. Il l'est encore plus lorsque ce savoir est une projection vers le futur et l'obtention d'un statut inhérent à la vie en société. C'est dans cette alternance constante, ce balancement entre le passé et le futur que l'enfant sera déconstruit, éloigné de lui-même, assourdi, aveuglé, formaté. Il ne sera jamais avec lui mais uniquement relié avec le savoir ancien et ce qu'il doit faire de ce savoir pour son avenir. Passé et futur et néant entre les deux.
Le savoir nourrit les idéaux et les individus se repaissent de ces idéaux. Idéal matérialiste, religieux, professionnel, amoureux...Aucun saisissement réel des faits mais une lecture programmée construite sur un savoir ingéré. Le libre arbitre...Vaste supercherie. L'arbitre, dans ce cas, est chargé de réguler la liberté et de lui donner une voie communautaire. Tu seras libre dans l'embrigadement général. Le déterminisme est un fait. Et il est impossible de s'en extraire dès lors que le savoir contribue à son maintien. Le système de l'enseignement en France est justement un sytème. Alors qu'il ne devrait être qu'un contre système. Ce système a une intention. C'est la participation au savoir, son extension par les individus les plus performants, et l'abrutissement des moins actifs.
Combien d'adultes continuent à apprendre une fois qu'ils sont installés dans une voie professionnelle? Je ne parle pas d'aprentissages liés à ce métier mais un apprentissage existentiel.
Combien d'adultes pensent encore ? Non pas des pensées liées aux idées, aux idéaux et au savoir, des pensées externes qui se sont incrustées au fil du temps mais des pensées internes, des observations lucides et approfondies des mouvements de pensées dans le creuset de la réalité existentielle et non de la réalité matérielle ?
Qui donc ?
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Lettres aux écoles 4
- Par Thierry LEDRU
- Le 04/04/2012
"Il faut comprendre toute la signification du mot responsabilité. Il vient du verbe répondre ; réagir non pas partiellement mais totalement. Le mot implique aussi de se référer au passé ; réagir à ce qui constitue à notre aaprière-plan, c'est à dire se référer à notre conditionement. La responsabilité, telle qu'on la comprend généralement, est l'action de notre conditionnement humain. Naturellement, la culture, la société dans laquelle nous vivons, conditionne l'esprit, que cette culture soit celle du pays natal ou celle d'un pays étranger. Nous réagissons à partir de ce passé et cette réactin limite notre responsabilité. Si nous sommes nés en Inde, en Europe, en Amérique ou dans quelque autre pays, notre réaction dépendra de supersititions religieuses, -toutes les religions sont faites de superstition-, du nationalisme ou de théories scientifiques. Ces facteurs, qui sont toujours limités, conditionnent notre réaction. En conséquence, il y a toujours contradiction, conflit et l'on voit naître la confusion. Cela est inévitable et crée la division entre êtres humains.
Comme le mot l'implique, la responsabilité s'applique à la totalité et concerne non pas soi-même, sa famille, des concepts ou des croyances, mais l'humanité toute entière. "
Je pense qu'aujourd'hui ( ce texte a été écrit en 1976), les conditionnements ne sont plus majoritairement religieux, ni nationalistes, ni même scientifiques mais médiatiques. Les médias et le système commercial.
Etant donné l'insignifiance de ces influences, non pas leur puissance mais les "valeurs" qu'elles transmettent, il est évident que la notion de responsabilité est inefficace. L'idée de responsabilité est associée à une intention. Se montrer responsable ne se fait pas avec un objectif universel mais avec une intention egotique, intéressée.
"Je suis responsable de ma voiture" ne signifie pas que je ne dois pas conduire n'importe comment en mettant les autres en danger, mais que je dois l'entretenir parce qu'elle est à moi !!
"Je suis responsable de mes enfants" ne signifie pas que je dois leur apprendre à être conscient de la vie mais juste à les amener à ne pas se comporter de façon à ce que des problèmes me retombent dessus.
Oui, je sais, l'humanité me désole...
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Musique encore.
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/04/2012
Ce compositeur a dans sa tête les musiques que j'ai pour images. Et c'est un cadeau inestimable.
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Lettres aux écoles 3
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/04/2012
"Nos esprits vivent dans la tradition. Le sens même de ce mot - transmettre - nie l'intelligence. Il est facile et confortable de suivre la tradition, qu'elle soit politique, religieuse ou de sa propre invention. On n'a pas besoin, dans ce cas, d'y penser, on ne la met pas en question ; accepter et obéir font partie de la tradition. Plus la culture est ancienne, plus l'esprit est attaché au passé, vit dans le passé. Lorsqu'une tradition disparaît, une autre vient s'imposer, inévitablement. Un esprit qui a derrière lui plusieurs siècles d'une certaine tradition, refuse de rompre avec elle et ne s'y résigne qu'en faveur d'une autre tradition également satisfaisante et sécurisante. La tradition sous toutes ses diverses formes, de la tradition religieuse à la tradition scolaire, nie forcément l'intelligence. Celle-ci est ilimitée alors que le savoir, aussi vaste soit-il, est limité comme la tradition. Dans nos écoles, il nous faut observer le mécanisme de l'esprit générateur d'habitudes et dans cette observation, il y a activation de l'intelligence. "
Je suis convaincu que si le monde enseignant parvenait à établir ce travail de l'observation, de la déconstruction des traditions et des ancrages, les conditionnements finiraient par s'effacer. Et c'est bien pour cela que les instances dirigeantes ne le veulent pas et s'opposent à toute forme de développement personnel. Ce ne sont pas les programmes scolaires de l'école élémentaire qui participent au développement des individus. C'est une aberration de le croire. Aucun enfant n'évolue en tant qu'humain en étudiant la numération ou la grammaire, ni l'informatique ou une langue étrangère, la science, l'histoire de France, l'histoire des Arts, ni tout le reste. Ces éléments pourraient effectivement favoriser ce développement personnel de l'individu s'ils étaient nourris d'une observation des phénomènes internes qu'ils génèrent. Mais dès lors qu'ils n'existent que pour eux-mêmes, ils ne sont qu'une accumulation de savoirs dénués de sens. L'objectif qui est présenté aux enfants est de répondre favorablement à la continuité des traditions ; "Tu auras un travail mon fils..." On pourrait prolonger la phrase par un "Et tu consommeras..."
Il est inconvenant de penser que les programmes scolaires sont chargés de former des individus éveillés, conscients, responsables, autonomes. Non, il s'agit bien évidemment de renforcer les identifications et l'absorption des fonctionnements archaïques. Dès lors que les enseignants adhèrent à ce formatage, ils ne tiennent pas le rôle de cette mission d'éveil inhérente au métier d'enseignant mais ils deviennent des "sergents recruteurs".
Je suis convaincu que ce travail sur l'intelligence et non uniquement sur le savoir, s'il était fait à l'école élémentaire, participerait au bien-être des individus au lieu de les conduire, soit à la rébellion, soit au découragement et dans le moins pire des cas à l'obtention d'un diplôme. Un diplôme attestant de la validté de l'embrigadement. Quelle réussite...
Il est aberrant également d'attendre la classe de Terminale du lycée pour enfin initier les individus à la philosophie. Comment justifier le fait que le parcours scolaire des enfants soient entâchés d'une soumission craintive jusqu'à cette classe pour qu'enfin leur soient présentés des "penseurs" ? La raison en est très simple : le formatage est déjà validé et la philosophie ne sera donc plus une opportunité de développement mais uniquement la participation à un diplôme convoité. La philosophie en elle-même n'apparaît que comme une "épreuve" et elle est redoutable pour des esprits qui ont jusque-là été éduqués à ne pas penser à eux-mêmes mais uniquement à l'accumulation d'un savoir livresque. C'est justement cette absence de considération pour l'individu qui explique cette aversion quasi générale des élèves pour la philosophie. Jusque-là, il leur a été répété jusqu'à l'outrance et si nécessaire jusqu'au harcèlement : "Tais-toi et apprends" et là, pendant un an, il va leur être répété "Apprends mais ne pense pas à ce que les Penseurs enseignent. Contente-toi de le savoir. "
Il ne s'agit pas de le vivre. Juste de le savoir. D'ailleurs, la complexité des programmes interdit toute profondeur. Il faut juste absorber, absorber, encore et encore. Juste des éponges. C'est là que repose la Tradition. Ne pense pas, apprends, applique et transmet.
Si les enseignants considèrent qu'ils doivent oeuvrer à ce marasme spirituel, alors effectivement je n'exerce pas le métier d'enseignant.
Pour le prochain ministre de l'Education Nationale, mon programme de l'école élémentaire est simple.
Suppression de l'apprentissage de la langue étrangère, suppression de l'apprentissage de l'informatique, suppression de la moitié du programme de français (le subjonctif par exemple...), suppression de l'Histoire des Arts, suppression de la moitié du programme d'Histoire (culture humaniste, la vaste supercherie...).
Tout le temps libéré sera consacré aux débats philosophiques. Que ceux ou celles qui ne se sentent pas capables de le faire, entament déjà un débat philosophique envers eux-mêmes. Que ceux ou celles que ça n'intéresse pas laissent la place. Et que le recrutement pour la voie enseignante se fasse sur le cheminement existentiel des individus et non sur un master en architecture ou autre aberration du même genre...Le cursus scolaire n'a aucun intérêt si ça n'est qu'une adhésion aveugle à la Tradition.
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Lettres aux écoles 2
- Par Thierry LEDRU
- Le 01/04/2012
"Le savoir ne conduit pas à l'intelligence. Nous accumulons beaucoup de savoir sur bien des choses, mais il semble presque impossible d'agir intelligemment selon ce que nous avons appris. Les écoles, les collèges, les universités cultivent les connaissances sur l'univers, la science, l'économie, la techonologie, la psychologie mais ces établissements aident rarement un être humain à exceller dans la vie de tous les jours. Les savants soutiennent que les êtres humains ne peuvent évoluer que grâce à de vastes accumulations d'informations et de connaissances. L'homme a pourtant vécu des milliers et des milliers de guerres. Il a amassé beaucoup de connaissances sur les diverses façons de tuer et ce sont précisément ces connaissances qui l'empêchent de mettre fin à toutes ces guerres. Nous acceptons les guerres comme une façon de vivre et toutes les brutalités, la violence et le meurtre comme faisant partie du cours normal de notre vie. Nous savons que nous ne devons pas tuer notre prochain mais le fait de le savoir reste totalement étranger à l'acte de tuer. Le savoir n'empêche pas de tuer les animaux et de détruire la terre. Le savoir ne peut pas fonctionner au moyen de l'intelligence mais l'intelligence peut fonctionner en utilisant le savoir. Le savoir ne peut résoudre nos problèmes humains. C'est l'intelligence qui le peut. "
Un regard sur l'Histoire montre à quel point tout cela est exact. Les progrès de la médecine sont des progrès mécaniques, les progrès de la qualité de vie sont des progrès mécaniques. Même s'ils représentent une avancée qu'il n'est pas question de renier, ils sont vides d'une substance pourtant indispensable. C'est cette intelligence. Ce regard existentiel sur le réel. Et non seulement sur la réalité.
L'école s'attache à transmettre les connaissances qui entretiennent la réalité mais à travers le voile des conditionnements. Il ne s'agit pas de tendre vers un individu lucide, capable d'une observation de tous les phénomènes inhérents à cette réalité mais uniquement de conduire l'individu à un statut de citoyen consommateur.
La crise actuelle fait d'ailleurs voler en éclat bien des illusions. A travers les générations, le rôle de l'école a été de porter les enfants à un statut social plus favorable que celui des parents. Les études sont destinées à fournir un diplôme et une qualité de vie supérieure à cette vie des ancêtres. L'objectif a pu être atteint depuis plusieurs générations parce que la croissance économique répondait aux ambitions. Des ambitions honorables. Mes parents ont eu une vie professionnelle bien plus difficile que la mienne. Je ne parle pas de celle de mes grands-parents. Je ne renie pas les structures qui m'ont permis de devenir instituteur.
Mais on voit bien aujourd'hui le désoeuvrement des adultes qui voient s'effondrer leurs désirs de participer à cette vie sociale proportionnellement à leur engagement dans les études. Le cas de la jeunesse espagnole est dramatique. Ces gens qui se considèrent comme "inexistants", vides de tout, abandonnés. Loin de moi l'idée de les critiquer. Ils ne sont que des victimes d'un fonctionnement archaïque. Tout ce savoir qui se révèle inapplicable se transforme en gouffre, un néant qui les absorbe parce que toute leur existence s'est construite sur ce concept. Le savoir devait les projeter vers le haut mais c'était en fait une échelle mouvante et elle vacille, elle tremble, elle projette en bas les moins solides. Le système sauve toujours en priorité les individus les plus rentables. D'autres chercheront dans des voies parallèles et non "légales" à sauver leur mise. Et puis certains en s'écroulant emporteront avec eux des victimes choisies au hasard des rencontres. Les quatre adolescents qui ont abattu leur "camarade" et brûlé son corps. Désoeuvrement, le vide des existences, aucune valeur humaine, juste une errance nourrie par le désoeuvrement des adultes, par les images multiples d'un monde sordide. Ces drames ont toujours existé. Ils ne sont pas modernes. Ce qui l'est par contre, c'est leur mise à jour à une échelle gigantesque. Le même fonctionnement pervers que celui de "l'art" qui utilise la violence, la folie, toutes les dérives les plus épouvantables. La télévision n'est pas responsable, l'art n'est pas un multiplicateur. Tout ça n'est qu'un reflet. Le miroir n'est pas la réalité. Que des individus choisissent d'agrandir la dimension du miroir ne change pas cette réalité. Elle peut avoir un effet facilitateur sur des individus qui sont sur le fil du rasoir. C'est certain. Mais il est inutile d'analyser l'image reflétée. Cette futilité qui consiste à condamner les projecteurs d'images, c'est consternant.
Si l'éducation n'est pas au service de l'intelligence, si elle ne favorise pas le développement intérieur, si elle ne stimule pas les explorations émotionnelles, les observations lucides, si elle se soumet uniquement à l'accumulation des savoirs avec une unique intention sociale, alors elle fabrique les scissions, les ruptures, les désillusions, les échecs, les images brisées d'une réalité inaccessible.
Cette impression de voir pousser des plantes alors qu'elles ne sont plus ancrées dans la terre. C'est une élévation illusoire, une suspension au-dessus d'un vide existentiel. Certains parviendront, par tous les moyens, à se maintenir dans des altitudes favorables à l'assouvissement de leurs désirs. Beaucoup retomberont au sol.
Est-ce que l'école doit participer à cette réalité, est-ce que l'école a pour mission d'englober les individus dans l'illusoire ascension sociale ?
Il n'est pas question de brûler le système. Il s'agit de l'amener à s'observer. Mais le système en lui-même n'existe pas...Chaque individu construit le système. Il devient nécessaire de mettre un voile sur le miroir. De se détacher du reflet et d'apprendre à ne plus apprendre les reflets. C'est à la source intérieure qu'il faut remonter.
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Lettres aux écoles : Krishnamurti (1)
- Par Thierry LEDRU
- Le 31/03/2012
LETTRES AUX ECOLES
Un ouvrage indispensable, incontournable et méconnu...
Je le relis pour la nième fois.
"Quand l'enseignant et l'enseigné ont à coeur de comprendre vraiment l'importance extraordinaire de la relation, ils établissent alors entre eux, dans l'école, une relation juste. Cela fait partie de l'éducation et a une autre dimension que le simple enseignement des matières scolaires...
La relation requiert beaucoup d'intelligence. On ne l'acquiert pas en achetant un livre et on ne peut pas l'enseigner. Elle n'est pas la somme d'une grande expérience. Le savoir n'est pas l'intelligence. L'intelligence peut se servir du savoir. Le savoir peut être astucieux, brillant et utilitaire mais ce n'est pas l'intelligence. L'intelligence apparaît naturellement et facilement quand on perçoit toute la nature et la structure de la relation. C'est pourquoi il importe d'avoir du loisir afin que le maître et l'élève puissent calmement et sérieusement parler de leur relation dans laquelle ils percevront leurs vraies réactions, leurs susceptibilités et les barrières qui les séparent, au lieu de les imaginer et de les déformer pour se faire plaisir mutuellement ou bien de les supprimer pour amadouer l'autre."
Krishnamurti
L'immense problème au regard de cette relation vient du fait que les enfants rencontrent immanquablement dans leur parcours scolaire, cet enseignant qui n'agit que frontalement, qui nourrit et entretient les conflits par son attitude destructrice. Dès lors, la peur est ancrée. La peur de revivre ce cauchemar. Si un autre ensignant cherche pour sa part à établir une relation juste, cette peur va se muer en colère, un sentiment de revanche, au plus profond de l'inconscient, comme un traumatisme qui remonte à la surface, des émotions bridées, étouffées, qui soudainement jaillissent parce que l'enfant sent que les menaces n'existent plus, que le danger est inexistant. Au lieu de profiter de cette situation favorable, la peur emmagasinée, l'humiliation vécue, la colère ressassée, vont guider cette révolte jusque-là contenue. C'est comme un ressort comprimé qui reprend sa forme initiale mais en portant désormais les traces des coups reçus. La justesse du comportement est rendue impossible par la souffrance. Même si l'enseignant concerné n'en est pas responsable. Il faudrait à l'enfant une aide immense pour qu'il parvienne à établir en lui l'observation de sa dérive. Mais le courant a également une force immense... C'est pour l'enseignant un travail gigantesque. Il doit avant même de pouvoir oeuvrer à cette "intelligence" libérer l'esprit de ce qui l'encombre. Un travail bien plus long qu'il n'en a fallu pour que le traumatisme s'installe.
Imaginons maintenant qu'il ne s'agisse pas d'un seul enseignant humiliant mais de plusieurs...Et pendant plusieurs années...
Que deviendra cette intelligence ? Elle sera fossilisée dans la douleur. Quant au savoir, il sera limité par la place prise par cette douleur.
"La bonté (Intelligence, Plénitude, Lucidité) ne peut s'épanouir dans un climat de peur. Il existe toutes sortes de peurs, la peur immédiate et la peur à venir. La peur n'est pas un concept mais l'explication de la peur est conceptuelle et ces explications varient d'un spécialiste à l'autre ou d'un intellectuel à l'autre mais l'explication n'est pas importante. Ce qui compte, c'est d'affronter le fait même de la peur.
L'enseignant, ne doit pas éveiller la peur chez l'élève. La peur, sous toutes ses formes, rend l'esprit infirme, entraîne la destruction de la sensibilité et un rétrécissement des sens. La peur est le lourd fardeau que l'homme a toujours porté. Elle a donné naissance à diverses formes de superstition, religieuse ou scientifique. On vit désormais dans un monde de faux-semblants et le monde conceptuel dans son essence est né de la peur.
Si dans la relation, il existe la moindre crainte, l'enseignant ne peut pas aider l'élève à se libérer de ses peurs. L'élève arrive avec tout un arrière-plan dans lequel existent la peur, l'autorité et toutes sortes de tensions."
Il est aisé de comprendre qu'aucun enseignant ne peut accompagner un enfant s'il n'a lui-même instauré l'observation constante, approfondie, honnête, lucide de ses propres peurs.
Combien d'enseignants ont réellement accompli cette tâche ?
"Affronter le réel, le présent et la peur est la plus haute tâche de l'enseignant ou de l'éducateur. Il lui appartient non pas de promouvor seulement un excellent niveau scolaire mais, ce qui est bien plus important, de donner à l'élève et à lui-même la liberté psychologique. Quand vous comprenez la nature de la liberté, vous éliminez alors toute compétition, que ce soit sur le terrain des jeux ou dans la salle de classe. Est-il possible d'éliminer complétement l'évaluation comparative sur le plan scolaire et sur le plan éthique ? Est-il posible d'aider l'élève à ne pas penser en termes de compétition dans le domaine scolaire, tout en excellant dans ses études, ses actes et sa vie quotidienne ? Veuillez garder présent à l'esprit que notre objet est l'épanouissement de la bonté et que cet épanouissement est impossible là où existe la moindre compétition. La compétition n'existe que lorsqu'il y a comparaison et la comparaison n'engendre pas l'excellence.
Nos écoles ont été crées non pas pour former de simples carriéristes mais pour promouvoir l'excellence de l'esprit. "