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  • Des profs.

    Je récupère mon garçon, lycéen et j'écoute sa semaine pendant la route.

    Et je m'entends parler à mes parents, il y a trente ans.

    Comment est-ce possible ? Comment expliquer que ces rapports conflictuels, que cette incommunicabilité, que cette distance effroyable entre de jeunes individus et des personnes matures puissent encore exister ? Comment justifier que les programmes soient toujours entâchés de connaissances inutiles, totalement abstraites pour des esprits qui sont à des années lumières de ce qui leur est imposé, comme si en trente ans, les adolescents n'avaient pas changé, que ce monde technologique n'existait pas, que cette effervescence de communication n'était pas entré dans les têtes des technocrates qui maintiennent sclérosés un monde scolaire terriblement isolé.

    Des notes, des contrôles, des sanctions, des rapports de force, des humiliations, des menaces, des insultes parfois...Des examens, des concours, une course au métier, une compétition acharnée, excaerbée par ces professeurs qui usent de leur bulletin scolaire comme d'une guillotine. "Marche ou crève." "Il faut maintenir les statistiques pour le BAC et puis je vais bientôt être inspecté."

    Quelles sont leurs motivations, quelles sont leurs raisons d'être là ?

    Tout ce que j'ai connu il y a trente ans. Comme si ce monde de l'Education Nationale et ses représentants n'étaient en fait qu'une forme de vie fossilisée, agitée de l'intérieur par des fantômes.

    J'ai eu pourtant des professeurs qui m'ont marqué. Trois exactement. Un professeur de Français au collège, un professeur de Français au lycée, une professeure de philosophie en Terminale.

    Combien y en a t-il que j'ai détestés et que j'ai fini par oublier ? Une cinquantaine...

    C'est effrayant.

     

    Léo raconte : Cours de français, Appolinaire et ses techniques d'absence de ponctuation. Léo est en 1ere S. La prof devrait tenir compte des centres d'intérêt de cette classe et adopter son cours, le rendre actif, participatif, tourner même en dérision l'insignifiance absolue de ces paramètres techniques de la poésie. Qu'elle ne soit pas capable de prendre conscience que sa classe se contrefiche de ce cours académique, de ces notes qu'elle récite depuis quarante ans et que les élèves doivent copier en vue du contrôle surprise à venir, qu'elle fasse mourir dans la tête de ces jeunes toute éventuelle surprise et pourquoi pas intérêt pour la poésie, qu'elle en vienne à tuer la mémoire anarchiste d'Appolinaire qui serait écoeuré de ce massacre, comment est-ce possible ? 

    Comment tout cela est-il possible ?

    Que font-ils là ces professeurs ?

    Comment expliquer que dans les sphères de l'Education Nationale, d'autres individus encore plus obtus, limités, circonscrits à leurs connaissances techniques aient pu accéder à des postes de décideurs ?

    Comment justifier que des générations de collégiens et de lycéens continueront à être martyrisés par des rapports humains dignes d'une enceinte carcérale ?

     

    Et ça n'est pas que Léo qui me parle de ce calvaire. Trente ans que je suis instituteur. Trente ans que j'entends d'anciens élèves vomir leur dégoût.

     

    QUI A UNE EXPLICATION ?

     

    Pour ma part, je dirais déjà qu'un prof qui entre dans ce métier par amour d'une matière scolaire, d'une connaissance, pour prolonger ce bonheur du savoir accumulé, celui-là se trompe.

    On n'enseigne pas ce qu'on sait, on enseigne ce qu'on est. Et un prof se doit d'être avant tout un diffuseur d'humanité. Un prof qui ne sentirait jamais jaillir en lui, jusqu'aux larmes, ce bonheur de l'osmose des âmes, alors celui-là se doit de se retirer. Ou de grandir au lieu de le réclamer à ses élèves.

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  • Je suis prof et je désobéis.

    http://www.indigene-editions.fr/ceux-qui-marchent-contre-le-vent/je-suis-prof-et-je-desobeis.html

    Je suis prof et je désobéis

    Un prof qui désobéit ? En novembre 2008, Bastien Cazals, directeur d’une école maternelle dans l’Hérault, prend cette décision en toute conscience – refuser d’appliquer certaines réformes mises en œuvre par le ministre Xavier Darcos – parce qu’il estime qu’elles trahissent l’idéal pour lequel il s’est engagé. Il a le sentiment désagréable que « sa mission, dorénavant, se réduit à préparer un individu sélectionné, formaté, fiché dès sa plus tendre enfance ». Dans ce livre courageux, documenté, il révèle l’état de l’école aujourd’hui : « un désastre républicain », à ses yeux. 

    Extrait :

    « En sept années de « réformes » de l’enseignement primaire, tout ce en quoi je croyais est mis à mal, sans concertation préalable, sans l’adhésion des professionnels et sans véritable information des parents : le statut de l’école, le rôle de l’instituteur, la place de l’enfant. Égrenées année après année, ces transformations ont pu sembler diffuses. En vérité, elles s’avèrent d’une grande cohérence. Au travers des restrictions budgétaires et du désengagement de l’État, elles servent le double objectif de diminuer la qualité du service public d’éducation et de préparer l’ouverture d’un marché concurrentiel. Ainsi, l’État fera des économies et le privé, lui, des profits !

    L’éducation n’est pas un coût, mais un investissement. Ses bénéfices ne sont pas financièrement quantifiables mais humainement indiscutables. Comme ce fut le cas à l’hôpital – et la future loi hôpital, patients, santé et territoires ne fera qu’aggraver la situation -, je vois entrer à l’école, sous couvert de modernisation, les principes économiques et les outils de management qui régissent le monde professionnel que j’ai voulu quitter, écœuré par l’idée que les vies humaines comptent moins que les enjeux financiers. Parti de l’entreprise pour aller vers l’école, je suis en train de vivre la mutation de l’école en entreprise !

    L’école souffre des mêmes maux que notre société : le délitement des libertés individuelles et collectives, l’abandon des valeurs humanistes, l’inégalité des chances. J’ai le sentiment désagréable que, dorénavant, sa mission se réduit à préparer un individu sélectionné, formaté, fiché dès sa plus tendre enfance. Seul un nouveau projet de société généreux et ambitieux – depuis la crise financière, nous savons tous qu’il est possible de trouver beaucoup d’argent lorsque c’est jugé nécessaire – permettra à l’école publique de renouer avec sa vocation républicaine : offrir à tous les enfants, sur tout le territoire, le même enseignement élémentaire et fondamental, pour permettre une véritable émancipation sociale.

    Début novembre 2008, cette réalité m’apparut définitivement insupportable. Je contactai un syndicat pour savoir si je pouvais démissionner du jour au lendemain. La réponse fut négative. Fin novembre, je pris ma plus belle plume et écrivis une Lettre au président de la République. Un cri d’alerte ! Resté sans réponse… Comme d’ailleurs tous les appels à un grand débat public, portés par les mouvements citoyens actuels.

    Que me restait-il à faire ? En toute conscience : désobéir ! »

    Je suis prof et je désobéis par Bastien Cazals, avril 2009, n° ISBN : 978-2-911939-68-6

    En vente en librairies et en ligne sur Amazon ou Fnac

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  • SURVIVAL

    Enregistrez un message vidéo pour les Awá

     

    http://www.survivalfrance.org/agir/messagevideo

    Les Awá sont l’un des derniers groupes de chasseurs-cueilleurs nomades du Brésil. Voici une occasion unique d’enregistrer un court message vidéo destiné aux Awá, pour leur poser des questions ou tout simplement leur manifester votre soutien.

    Les Awá de la communauté de Tiracambu, près des voies de chemin de fer de Carajás, Brésil.
    Les Awá de la communauté de Tiracambu, près des voies de chemin de fer de Carajás, Brésil.
    © Fiona Watson/Survival

    Si la plupart d’entre eux vivent dans des réserves légalement reconnues, ils sont repoussés dans des espaces toujours plus restreints au fur et à mesure que les bûcherons, les colons, et les éleveurs de bétail envahissent leur terre et abattent leur forêt.

    Les Awá chassent, pêchent et collectent des noix et des fruits sauvages de la forêt. Ceux parmi eux qui sont nomades vivent en groupes de 20 à 30 personnes maximum, extrêmement mobiles et auto-suffisants.

    Durant leurs déplacements, ils conservent les braises incandescentes de leur dernier foyer afin de pouvoir rallumer un nouveau feu lorsqu’ils arrivent à destination.

    Les singes

    Takwarentxia et son singe apprivoisé, communauté de Juriti, Brésil.
    Takwarentxia et son singe apprivoisé, communauté de Juriti, Brésil.
    © Fiona Watson/Survival

    Les Awá ont une relation très étroite avec les singes. Ils dépendent de ceux qu’ils chassent dans la forêt pour se nourrir, mais un jeune singe orphelin sera élevé comme un animal de compagnie. Les femmes awá allaitent les bébés singes comme leurs propres enfants. Ils ne consomment jamais leurs animaux domestiques.

    Chasseurs et agriculteurs

    Leurs forêts étant envahies par les fermiers et les bûcherons, leur gibier chassé par des braconniers, les autorités ont encouragé les Awá à se lancer dans la l’agriculture et l’élevage.

    On leur a même fourni des vaches pour tenter de démarrer une exploitation bovine à petite échelle à proximité de leurs villages.

    Isolés

    Il existe plusieurs groupes d’Awá isolés représentant une soixantaine de personnes; leurs parents déjà contactés les appellent Mihúa. Certains d’entre eux vivent dans des territoires awá reconnus et leur survie est gravement menacée par les invasions.

    En fuite

    Les Awá sont l’un des deux derniers groupes de chasseurs-cueilleurs nomades du Brésil; ils sont repoussés dans des espaces toujours plus restreints au fur et à mesure que les éleveurs de bétail envahissent leur terre.

    Votre message vidéo

    Souhaitez-vous demander quelque chose aux Awá? Peut-être aimeriez-vous savoir comment ils chassent ou de quoi ils se nourrissent. Ou encore comment ils vivent la perte de leurs territoires, comment se sont déroulés leurs premiers contacts avec le monde extérieur. Ou bien en savoir plus sur les petits singes qu’ils adoptent au sein de leurs familles. Vous trouverez ici quelques informations qui vous permettront de vous faire une meilleure idée de leur mode de vie.

    Ou peut-être souhaitez-vous leur manifester votre soutien. Les Awá se battent pour obtenir du gouvernement qu’il chasse les bûcherons, les éleveurs et autres intrus de leur territoire et certains ont récemment été attaqués par des fermiers qui avaient envahi leurs terres. D’une manière générale, les peuples indigènes sont souvent méprisés par leurs voisins ou les autorités. C’est pourquoi le soutien de gens du monde extérieur qui se soucient de leur sort est pour eux très encourageant.

    Et si vous avez des enfants, peut-être aimeraient-ils eux aussi poser des questions aux enfants awá? (Merci cependant d’assister à l’enregistrement même si toutes les vidéos seront revues par Survival avant d’être utilisées publiquement).

    Comment faire parvenir votre message

    1. Nous essaierons de montrer aux Awá tous vos messages vidéo et, si possible, de filmer une réponse. Merci d’être bref, vos messages ne doivent pas excéder 30 secondes.

    2. Vous pourrez visionner et ré-enregistrer votre message vidéo. Quand vous aurez terminé, cliquez sur le bouton Publier la vidéo. Vous pouvez envoyer autant de messages que vous le désirez.

    3. IMPORTANT: Vos messages pourront être diffusés publiquement sur le site de Survival. En nous soumettant votre vidéo vous nous donnez la permission de l’utiliser sur tout support, à n’importe quelle fin et sans rémunération.

    4. Merci de commencer la vidéo en indiquant votre prénom et votre pays. Nous ne prendrons pas en compte les vidéos ne présentant pas ces informations.

    5. Appuyez sur le bouton rouge et cliquez ensuite sur ‘Autoriser’ pour commencer l’enregistrement (vous pouvez visionner et ré-enregistrer avant la fin, mais l’enregistrement ne reprendra que 3 secondes après votre clic).

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  • L'enseignement comme une voie d'Eveil.

    UNE ETRANGE LUMIERE

     

    EXTRAIT.

     

     

    Il ressortit à la tombée du jour. Il prit sa serviette et alla se laver puis il s’habilla et s’adossa à un rocher. Vide de pensées, il se laissa captiver par les lumières rasantes sur l’eau irisée.

     

    « Bonsoir », dit une voix douce dans son dos.

    Il sursauta et tourna la tête.

    « Oh ! désolé, on vous a surpris, s’excusa la femme aux longs cheveux.

    - Non, non, ce n’est rien, j’étais dans la lune, répondit-il, regrettant aussitôt cette expression un peu enfantine.

    - Ou plutôt dans le lac, reprit l’homme.

    - Oui, effectivement, j’étais parti sur les eaux, ajouta-t-il en étendant sa main vers la surface liquide.

    - Vous avez l’air de bien aimer cet endroit ? demanda la femme d’une voix chaleureuse et plaisante.

    - Oui, c’est vrai, j’y ai trouvé la tranquillité dont j’avais besoin, expliqua-t-il en comprenant aussitôt que sa réponse supposait qu’il aurait aimé rester seul. Mais je suis bien content de parler avec quelqu’un. Je commençais à me demander si je saurais encore le faire, ajouta-t-il en s’efforçant d’employer un ton amusé.

    - Parler, on sait toujours le faire, échanger c’est beaucoup plus difficile, reprit la femme sur le même ton enjoué.

    - Vous êtes bien jeune pour aimer ainsi la solitude, c’est plutôt inhabituel, commenta l’homme en souriant. »

    Il fut étonné de ces deux remarques et de la tournure immédiatement sérieuse de l’échange. Devant ces deux personnages, aux voix posées, assurées et étrangement amicales, il se sentit soudainement très jeune et inexpérimenté.

    « Qu’est-ce que vous voulez dire par échanger plutôt que de parler ?

    - Tout simplement, expliqua la femme, que les gens se parlent pour parler d’eux. Uniquement d’eux. Ce n’est pas un échange, c’est de l’autosatisfaction, du narcissisme ou le désir d’être plaint et consolé. Mais il ne s’agit pas d’apprendre quelque chose, d’écouter réellement son partenaire, d’essayer de le comprendre. C’est juste une sorte de monologue par personnes interposées. Et plus le nombre de personnes participant à la discussion est important, plus les possibilités de parler de soi vont être multipliées, ce qui explique que les gens raffolent des concentrations humaines. »

    Le souffle coupé comme un plongeon dans le lac. Un comportement considérablement important qu’il n’était jamais parvenu à analyser avec une telle clarté. Et là, tout d’un coup, l’évidence avait surgi. Quelques mots, une voix chaude et envoûtante, une attitude particulière dans le corps, une tenue pleine de grâce et de force. Et tout était devenu clair.

    Il s’aperçut à leurs sourires amusés qu’il les regardait avec insistance. Gêné, il baissa les yeux.

    « Et, vous, si vous êtes ici, c’est sans doute parce que vous préférez échanger que parler, parvint-il à murmurer.

    - Oui, c’est tout à fait exact, confirma l’homme. Et il ne s’agit pas d’échanger seulement de l’un vers l’autre mais également avec la nature qui nous accueille. Comme vous semblez le faire tous les jours. 

    - Pourquoi dites-vous cela ?

    - Si vous parvenez à rester ici, seul, et à profiter de cette vie, c’est que vous trouvez dans la nature l’échange dont vous avez besoin. Comme si elle vous parlait directement. Peut-être le fait elle d’ailleurs.

    Comme avec nous. C’est simplement un langage que nous ne savons pas clairement percevoir. Il se glisse en nous sans se faire entendre. L’essentiel étant de toute façon qu’il nous aide à nous dévoiler. »

     

    Il pensa un court instant que tout cela était un rêve. Que ces deux apparitions allaient s’évanouir et qu’il se réveillerait. Tant de choses essentielles, tant d’idées qui l’avaient maintes fois effleuré et qu’il n’avait su saisir pleinement, qu’il n’avait pu apprécier. Comme cette lumière lointaine qui finissait toujours par s’évanouir.

    « Asseyez-vous si vous voulez, proposa-t-il, en essayant de cacher son excitation.

    - Merci, c’est avec plaisir, dit la femme.

    - Vous avez l’air d’aimer le VTT, avança l’homme.

    - Oui, j’adore ça. C’est un jeu pour moi. J’essaie de ne pas poser les pieds au sol quand je rencontre des obstacles. Il faut anticiper, essayer de trouver le meilleur passage, et parfois on a très peu de temps pour se décider.

    - Pour nous, ça va trop vite justement, reprit l’homme. On préfère la lenteur de la marche. C’est plus adapté à un retournement vers soi. 

    « Retournement vers soi », répéta-t-il, intérieurement. Son bonheur était si grand qu’il eut envie de rire.

    - Qu’est-ce que vous entendez par là ?

    - Vous avez sûrement déjà éprouvé cette sensation d’être à l’intérieur de vous-même et plus uniquement tourné vers l’extérieur. Et ce que vous percevez est si troublant et inconnu que vous vous enfuyez bien vite. L’homme connaît bien mieux son environnement que ses propres abîmes. Quand on marche, on peut entrer dans un envoûtement favorable à une introspection. C’est cela que l’on cherche ici. Et vous, quel est votre but ?

    - Excusez-moi de vous dire cela, bafouilla-t-il, mais votre intérêt pour moi me semble étrange. Ne le prenez pas mal, mais vous devez bien vous rendre compte que notre discussion n’est pas des plus banales. Pourquoi avec moi ?

    - Parce que vous pouvez comprendre, répondit la femme avec un large sourire.

    - Comment le savez-vous ?

    - C’est écrit sur vous. »

    Il les observa intensément et il sentit qu’il n’avait rien à craindre. L’homme avait passé un bras autour de la taille de sa partenaire. Elle avait posé une main sur sa jambe. Ils souriaient légèrement.

    L’amour les illuminait.

    « Qu’est-ce que ça veut dire que c’est écrit sur moi ?

    - Vous portez sur vous les questions qui vous tourmentent. Même la situation ici, près de ce lac, dans cette solitude est déjà un indice. Vous cherchez dans la vitesse et les efforts avec votre vélo à détourner votre âme des questions qu’elle se pose mais ici, devant le lac, tout rejaillit nécessairement. Vous revenez vous asseoir ici parce que votre être intérieur sait que les réponses ne se découvrent qu’à travers la contemplation. Votre comportement dit ce que vous êtes, même si vous avez l’impression de ne pas vous connaître. Alors, il suffit de vous regarder vivre pour savoir ce qui vous habite. Ca se voit. Ca se sent aussi mais ça ne s’explique pas. Tout à l’heure, quand nous nous sommes approchés, votre attitude parlait à votre place.

    - Comment savez vous tout cela ? Qui êtes-vous ? demanda-t-il enfin, réalisant qu’il ne connaissait rien d’eux et qu’ils semblaient l’avoir déjà découvert.

    - Socialement, nous nous appelons Nelly et Jean-Jacques Verneuil. Nous sommes tous les deux professeurs de philosophie. Nous avons tous les deux cinquante-cinq ans. Réellement, ce que nous sommes est encore un mystère et le restera jusqu’à la fin, l’important étant de rester réceptif à tout ce qui peut nous aider à y voir plus clair. Et vous ?

    - Si je réponds comme vous l’avez fait, socialement, je m’appelle Pierre Cobane, je vais avoir vingt-deux ans, je suis instituteur. Et pour le reste je ne sais rien.

    - Ca, c’est ce que vous croyez. Mais c’est uniquement parce que vous ne parvenez pas à l’exprimer avec des mots. Mais sans les mots, vous savez déjà beaucoup de choses. C’est évident. Sinon, vu ce que nous nous sommes déjà dit, vous seriez parti en courant en nous traitant de fous ! s’exclama Jean- Jacques en riant.

    - Mais les mots ne sont pas toujours utiles, ils sont parfois trop réducteurs et nous limitent dans nos découvertes, continua Nelly. Le langage est devenu une dictature dans le sens où tout ce que l’homme ne parvient pas à expliquer est considéré comme inexistant. Mais les problèmes de la vie sont bien souvent trop vastes pour les frontières limitées du langage humain. La prétention des scientifiques a imposé cette suprématie du langage. Tout doit être verbalisé. Et le mot verbalisé garde bien ses deux sens. Il s’agit également d’une amende, d’une sanction. Car cet usage du langage limite nos découvertes. Il vous est déjà arrivé d’être ému jusqu’aux larmes en écoutant une musique ou en contemplant un paysage. Vous n’expliquez pas pourquoi, c’est une émotion qui déborde. Mais si vous devez expliquer ce qui vous arrive, l’émotion perd de sa grâce et le charme est rompu. Ce que vous n’êtes pas parvenu encore à expliquer existe pourtant, il faut savoir en trouver la quintessence et tout deviendra clair.

    - Ca demande un grand nettoyage ! ajouta Jean-Jacques.

    - J’ai du mal à suivre, avoua Pierre.

    - Mais non, absolument pas. C’est juste une impression. D’habitude, vous gardiez tout cela pour vous, alors ça vous paraît bizarre d’en parler. C’est toujours comme ça au début mais au bout d’un moment, c’est quand on parle de la météo ou du prix du pain qu’on a du mal à suivre. Vous verrez, laissez-vous aller, ça va s’arranger tout seul.

    - Pourquoi me dites-vous tout cela ? Pourquoi moi ?

    - Parce qu’on est heureux de rencontrer un chercheur de lumière ! lança Nelly. C’est si rare ! 

    - Qu’est-ce qui vous dit que je suis ce que vous appelez un chercheur de lumière ?

    - Vous êtes seul, vous regardez ce lac pendant une heure sans bouger, vous vous promenez sans chercher de contact humain, vous ne redescendez pas parmi les hommes à la fin de la journée, vous restez dans votre fourgon ou vous regardez le paysage, vous ne mettez pas la radio à fond, les portes ouvertes, vous n’avez pas installé le barbecue avec la chaise et la table de pique-nique, et vous nous avez évités quand nous étions assis ici. Il y a aussi la technique de la discussion incongrue. On aborde la personne en engageant une discussion totalement inhabituelle, quelque chose qui ne respecte pas les traditionnelles paroles inutiles que les gens adorent, la météo, le fait que le lac était mal indiqué sur la carte, qu’il n’y a pas d’aire de repas ou de jeux pour les enfants, que mémé ne va pas pouvoir descendre au bord de l’eau parce que le chemin n’est pas goudronné. Vous voyez le genre ! Nous, on vous a dit qu’on préférait échanger que parler. Et vous vous êtes intéressé, vous avez posé une question. Ca ne trompe pas. Les gens polis qui voudraient répondre ne parviendraient pas à dire autre chose qu’une ânerie. Ca n’a pas été votre cas. C’est une technique infaillible. Parfois, il n’y a même pas besoin d’attendre que la personne ouvre la bouche, rien que la façon dont elle vous regarde, vous savez à qui vous avez affaire. Vous, tout à l’heure, vous nous avez regardés avec des yeux pétillants. C’était très beau. Et pour le reste, je vous l’ai dit, c’est inexplicable. Juste une intuition. Un éclat dans le regard, la position de votre corps quand vous contemplez la nature, la façon respectueuse avec laquelle vous marchez dans l’herbe, votre abandon, le sentiment que vous attendez une réponse, quelque chose, une aide, un signe, le fait aussi que vous nous écoutiez encore. Je vous l’ai dit, vous seriez déjà parti si vous n’aviez pas en vous des questions qui ressemblent aux nôtres.

    - Quelles questions vous pensez que je me pose ?

    - Suis-je maître de mon existence ? Quelle est la part réelle en moi et quelle est la part qui m’a été imposée ? Rien que ces deux là représentent déjà un sacré chemin à parcourir pour obtenir une réponse, dit Nelly.

    - Et vous avez des réponses ?

    - Les nôtres, oui mais pour vous, nous n’avons rien. Nous savons juste comment s’y prendre pour se lancer sur la route ! reprit Jean-Jacques.

    - Et vous pensez que j’ai une chance d’y parvenir ?

    - C’est absolument certain, confirma Nelly. »

    Encore une fois, il eut envie de pleurer. De joie.

    « Ca vous dirait de marcher un peu avec nous, c’est toujours très bon avant d’aller dormir.

    - Oui, volontiers, répondit-il en se levant vivement. »

    Jean-Jacques prit la main de Nelly. Connexion cellulaire. Il détourna les yeux. C’était trop pénible. Il regarda devant lui. Et sentit combien sa main était vide.

    « Qu’est-ce qui vous montre que je peux avancer dans la connaissance dont vous parlez ?

    - Il y a une chose dont nous sommes certains en vous regardant, c’est que vous n’êtes plus un observateur de la nature mais un participant, expliqua Jean-Jacques. Et ça, c’est essentiel. Pensez que quand vous observez quelque chose, vous vous mettez en retrait, vous cherchez à dominer votre sujet, vous gardez une distance qui vous permet, croyez-vous, d’analyser clairement chaque instant de votre observation. Par cette attitude, en fait, vous restez en dehors de votre sujet d’expérience. Pour comprendre la nature, il est impossible de se placer comme un observateur. Car il ne s’agit pas de la comprendre mais de s’y fondre. Il faut être un participant, comme une fourmi ou une fleur. Sinon, on ne sait rien. On croit savoir. Mais c’est une connaissance humaine, extérieure à la nature. C’est parce que l’homme s’est enfermé dans cette attitude qu’il se permet de détruire cette terre. Il ne se sent pas comme participant mais juste comme observateur et donc comme dominant. Vous n’êtes plus dans ce cas-là. Vous avez découvert la complicité. C’est la preuve aussi que vous commencez à distinguer votre essence de votre personnalité. Votre essence représente la part naturelle de votre individu, la part originelle, ce que vous ressentez par exemple quand vous contemplez la nature et qui vous bouleverse. Votre personnalité, c’est le résultat des pressions qui ont été exercées sur vous à travers les confrontations avec la morale, les autres individus et tout ce qu’ils transportent avec eux, qui ne leur appartient pas mais qu’ils considèrent pourtant comme personnel et qu’ils vont chercher à vous imposer, parfois inconsciemment comme dans la relation amoureuse, et souvent tout à fait consciemment, comme par exemple à l’école. C’est ce qui fait qu’un enfant est un être en voie d’extinction, non qu’il va mourir physiquement mais son essence va s’effacer devant la personnalité jusqu’à ce qu’il soit pleinement un adulte. C’est à dire un non-être.

    - C’est terrifiant ce que vous dites. Je suis instituteur et je participe chaque jour à cette atteinte de l’intégrité des enfants. Même si j’essaie de faire en sorte qu’ils rentrent en classe avec le sourire et qu’ils en sortent heureux d’être venus, je ne peux m’empêcher de penser que mes repères d’adultes, mon éducation et mon intégration dans le monde vont leur servir d’exemple et les éloigner de l’essence dont vous parlez. Qu’est-ce que je peux faire dans une classe pour ne pas être un tueur d’enfants ?

    - Un tueur d’enfants, c’est exagéré mais un étouffeur certainement. Le système est remarquablement bien construit dans sa perversité. Si vous voulez respecter le bonheur des enfants, leur joie de vivre et d’apprendre, leur essence même qui en font des êtres aussi absorbants que des éponges, si vous voulez respecter cela vous n’êtes plus enseignant mais avant tout éducateur. Et c’est justement ce que les enseignants refusent dans leur grande majorité. Ils se considèrent avant tout comme des techniciens de l’enseignement.

    - Moi je les appelle des techniciens de surface.

    - Ah oui, c’est très bien trouvé ! L’individu et le moi réel ne les intéressent pas. Il leur fait même peur. Car eux-mêmes souvent ne sont rien, n’existent pas. Ils ne possèdent que leur savoir théorique et n’ont rien d’autre à donner. Et surtout pas de l’amour ou de la vie. Le pire, c’est qu’ils s’étonnent ensuite d’être confrontés à des attitudes agressives. Comme si en frappant quotidiennement l’enfant dans sa fierté, sa joie naturelle, en le privant du bonheur d’apprendre pour simplement le gaver de connaissances vides et mortes, ils pouvaient espérer autre chose que des mouvements de révoltes. Les élèves sages sont bien souvent des enfants déjà morts. Des adultes en formation accélérée ! Une horreur absolue. Le seul bon enseignant, c’est celui qui parvient à faire travailler les enfants dans la joie. C’est le seul critère de réussite qui a une valeur réelle. Le reste n’a aucune importance. Un enseignant doit avant tout respecter l’essence de l’enfant et ne pas lui imposer sa propre personnalité. Lui révéler ce qu‘il est et non ce qu’il voudrait qu’il soit. L’extrême difficulté vient du fait que les adultes fonctionnent sur un critère que l’on nomme considération. Si vous prenez le cas d’un enseignant, il va s’identifier, bien souvent inconsciemment, à ce que les parents d’élèves, les autres enseignants, ses supérieurs hiérarchiques et la société en général, attendent de lui. Il va y attacher une importance considérable au point que cet homme ou cette femme va adapter son comportement pour favoriser la considération qu’il espère obtenir, une reconnaissance sociale qui dépasse ses propres idées. Quand il en a. Il va donc gaspiller une énorme énergie  pour s’identifier à ce groupe d’adultes qui l’entoure. Ce ne sont donc pas ses idées qu’il va développer mais des préceptes généraux, déjà reconnus par la masse. Même s’il y ajoute une touche personnelle, tout son travail restera axé sur cette quête de considération. Etant donné que ce concept est établi par un système généralisé et hiérarchisé, il n’existe aucune possibilité pour qu’un paradigme nouveau s’éveille. L’enseignement entre dans une standardisation rassurante pour l’ensemble des individus concernés. Sauf pour les enfants. Mais ce problème-là pour les adultes est secondaire puisqu’il s’agit pour eux de réussir à adapter les enfants à leur fonctionnement et jamais le contraire. Ce sont toujours les enfants qui sont en échec, pas les enseignants. Pour ceux-là, il convient avant tout de maintenir leur bien-être même si c’est aux dépends des enfants. Toutes les tentatives d’enseignement accompagné, les remédiations, les soutiens scolaires et autres tentatives du même genre sont vouées en grande partie à l’échec. Elles tentent de combler avec des rustines des trous de la dimension d’un gouffre. C’est à la base que tout est faux. L’enseignement n’a pas besoin de techniciens. Ceux-là doivent travailler sur des machines. Dans une classe, on s’adresse à des enfants ou à des adolescents. Ils ont besoin avant tout d’éducateurs emplis d’amour, de tendresse, de gentillesse, d’attention et d’affection, de sourires et de joie de vivre, de respect et de patience, d’écoute et d’imaginaire, de rigueur et de constance, des créateurs de jeux pour donner aux mathématiques comme à tout le reste l’image d’un défi ludique. Tant qu’on martèlera les enfants de notes, on tuera leur fierté et leur joie et on instaurera dans les écoles des conflits ingérables. Une école doit être un sanctuaire dans lequel les enfants doivent tout d’abord se sentir protégés. Nos écoles se sont avant tout spécialisées dans des comportements agressifs, voilà le problème. Et pour les enfants dont la révolte est déjà engagée, il faut bien comprendre que les adultes en sont responsables et que seul l’amour peut leur apporter la sérénité dont toute personne a besoin et qu’ils ne savent plus trouver. Beaucoup d’adultes refuseraient de supporter la vie d’un écolier. La seule chose qui motive l’ouvrier brimé, c’est qu’à la fin du mois il sera payé. Si on veut que les enfants viennent à l’école volontairement pour subir ce qu’ils encaissent tous les jours, il ne reste qu’à les payer. Mais plutôt qu’en arriver à des extrémités aussi folles, on peut tenter d’être intelligent et établir un rapport humain ! Il faut tout reprendre à zéro. Apprendre aux enseignants à échanger avec les enfants et non à les gaver. Et pour ceux qui en sont incapables, il leur reste à sortir du système enseignant. Ce n’est pas un métier accessible à n’importe qui. Aucun diplôme ne remplacera l’humanité des postulants. Ca ne s’apprend pas. Si on l’a, on peut juste essayer au fil des années de s’en servir avec davantage d’efficacité. Et le reste, tous les apprentissages techniques suivront sans difficulté. Aujourd’hui dans les classes, on travaille à l’envers. On essaie d’affiner des techniques et on ignore l’amour.

    - Et vous, comment vous vous situez par rapport à ces deux oppositions ? demanda-t-il, en les regardant tour à tour.

    - Nous sommes d’anciens non êtres en voie de reconstruction. Cette reconstruction démarre le jour même où vous prenez conscience de votre état. Si vous parvenez, même insidieusement, sans aucun contrôle, juste de façon fugitive, à prendre conscience des mensonges dans lesquels vous survivez, alors vous pouvez affirmer que vous avez basculé de l’autre côté de l’existence. Vous redevenez un être humain. Vous avez de nouveau établi le contact avec la vie réelle. Comme lorsque vous étiez enfant. On peut dire aussi que vous êtes sorti de l’inexistence. Le fait que vous soyez en train de contempler ce lac depuis des jours, le fait que vous continuiez à nous écouter et le fait que vous posiez des questions sont des preuves que vous êtes en état de recherche. Et c’est pour cela que nous vous parlons. Dans nos classes de philosophie, avec l’expérience, nous parvenons à sentir rapidement les individus susceptibles de se lancer dans cette voie et nous les sollicitons. C’est une mission qui nous a toujours semblé importante et qui méritait que nous y passions du temps. Sur nous-mêmes, nous n’avons rien atteint de définitif, nous sommes en état de recherche. C’est cela l’homme qui progresse. »

     

    Il répéta intérieurement certaines phrases, comme une mélodie qu’il désirait ne jamais perdre.

    « Quand vous vous êtes approchés de moi, tout à l’heure, vous saviez que vous alliez me raconter tout cela ?

    - On s’en doutait.

    - Et on l’espérait, continua Nelly avec un grand sourire.

    - Cette année, sur l’ensemble de nos élèves, nous pensons que douze d’entre eux sont encore susceptibles de s’intéresser à la vie. Les autres s’en sont déjà retirés. Pas consciemment mais le mal est fait.

    - Il n’y a aucun moyen pour ces individus de revenir à la réalité ? »

    Un silence pesant tomba soudainement sur le couple, ni l’un, ni l’autre ne semblant vouloir répondre. Il attendit et s’aperçut pendant ces quelques secondes que la lumière du jour avait baissé.

    « Khalil Gibran a écrit que nous sommes comme des noix. Pour être découverts, nous avons besoin d’être brisés. Et bien nous avons été brisés, avoua difficilement Jean-Jacques.

    - Notre fils est mort quand il avait dix ans, continua Nelly d’une voix sombre. Tué par un chauffard dans une rue de Paris. Sa sœur jumelle a été gravement blessée mais elle a survécu. »

    Il baissa les yeux et ramassa un petit caillou sur le sol. Il le fit rouler nerveusement dans ses doigts. Il imagina Rémi mort et Marine grièvement blessée. Un immense frisson le secoua. Il préféra parler pour chasser cette image.

    « Je suis désolé, ça a dû être terrible.

    - Ce drame a tué les non êtres que nous étions, continua Nelly. Nous aurions pu mourir physiquement et c’est ce qui serait arrivé si Lydie aussi était morte. Nous étions en partie responsables de la mort de Mathieu. Nous aimions l’agitation de Paris, les rencontres, les spectacles, la vie trépidante de la ville, la concentration humaine nous étourdissait et nous nous pensions heureux. Nous étions en fait des êtres endormis en train d’entraîner avec eux leurs deux enfants. Nous avons été brisés et nous le devons à la disparition de Mathieu. Si nous n’avions pas su en retirer une nouvelle connaissance, nous aurions tué Mathieu une deuxième fois. »

    Jean-Jacques, silencieux, fixait le lac. Nelly baissa la tête.

    « Vous êtes peut-être trop sévères avec vous-mêmes quand vous affirmez que vous êtes en partie responsables de ce drame. Vous ne pouviez pas prévoir.

    - Prévoir, cela signifie voir en avance, répondit Jean-Jacques. Nous, nous étions en permanence en retard. Nous ne faisions que réagir à tout ce qui nous arrivait avec la prétention stupide de croire que nous maîtrisions quelque chose. Mais l’homme ne décide rien. Tout lui arrive. Vous croyez par exemple que vous avez décidé de venir ici mais ce sont les évènements de votre vie, évènements qui eux aussi vous sont arrivés, qui vous ont conduit ici. En fait, quelqu’un qui saurait lire dans la vie d’un homme aurait deviné que vous alliez venir ici. Pour pouvoir faire quelque chose, c’est à dire en avoir l’idée, ensuite la volonté de l’exécuter, le courage de passer à l’acte avec énergie, la capacité d’en retirer les enseignements, il faut déjà être quelqu’un. Il faut déjà exister. Sinon, vous vous contentez de subir des pressions extérieures qui vous poussent dans des directions qui vous dominent. Tant que vous refusez d’accepter cette terrible réalité, vous ne pouvez pas être. 

    - Et si je pense le savoir et que je l’accepte, que me reste-t-il à faire ?

    - Le plus difficile. Beaucoup de personnes atteignent cet état de conscience dans lequel il découvre la futilité de leur vie et l’absence de contrôle. Une grande partie refuse d’aller plus loin. C’est souvent à cette occasion que surviennent les dépressions, les conflits familiaux, les difficultés professionnelles. Alors on continue à se mentir. En général, la faute retombe sur les proches. On se sent incompris alors que c’est soi-même qu’on ne comprend pas. Mais ça, c’est une vérité trop douloureuse. Et d’avoir entrevu ainsi une nouvelle source de lumière et de prendre conscience aussitôt de son incapacité à la saisir pleinement, par faiblesse, par manque de courage et de volonté, accentue considérablement les états de dépendance. Les gens vont se plonger avec furie dans l’agitation pour tenter d’oublier et surtout de s’oublier. C’est pour cette raison qu’il faut être prudent et ne pas amener à la porte de cette nouvelle conscience une personne dont la faiblesse pourrait s’avérer destructrice.

    - En tout cas, pour y parvenir, reprit Nelly, il est indispensable d’établir la liste des pressions extérieures et tenter ensuite d’échapper à ces états de dépendance. Les états de dépendance, ce sont ceux dans lesquels nous n’avons plus aucune réflexion réelle car l’agitation qui leur est afférente empêche toute observation claire. Parfois, on croit dans ces états que l’on est encore capable de discerner ce qui nous arrive mais c’est un subterfuge de la conscience. Sinon le dégoût de nous-même nous éloignerait de cette source de plaisir. Car la récompense de ces états et le fait que nous les recherchions, c’est uniquement le plaisir. La conscience de l’homme dépendant est prête à toutes les ruses pour en obtenir sa dose quotidienne. Tous ces individus sont des drogués. Le mensonge est la ruse principale pour satisfaire sa soif de plaisir. Il faut donc comprendre que nous nous mentons sans cesse pour commencer le vrai travail et savoir que ce sera douloureux. Les années de soumission créent une dépendance dont il est très difficile de se défaire. C’est ce qui explique l’aveuglement de telles masses. C’est aussi pour cette raison que les adultes soumettent le plus rapidement possible les enfants. Ils sont malléables mais ne le resteront pas. Ceux qui auront résisté jusqu’à l’âge adulte seront des révoltés de toutes sortes. Parfois leur révolte sera destructrice et violente, parfois ils se détruiront eux-mêmes, souvent ils deviendront des marginaux. Quelques-uns parviendront à garder cette clairvoyance qui les a surpris un jour et ils la développeront, l’approfondiront, l’enrichiront à travers de nouvelles expériences ou des rencontres avec d’autres individus illuminés. On se moque des gens qu’on traite d’illuminés. On ne veut pas comprendre qu’ils ont découvert une vérité qui nous dépasse. »

     

    Nelly s’arrêta et enlaça la taille de Jean-Jacques. Il la regarda en souriant.

    « Peut-être que vous désirez aller vous reposer Pierre? Il faut nous le dire, vous savez, sinon, une fois qu’on est lancé, on ne s’arrête plus, s’exclama-t-elle. Aujourd’hui, ces discussions, c’est notre quotidien, alors on peut en parler pendant des heures aussi facilement que les gens qui parlent de la dernière mode vestimentaire ou musicale, ou de toutes les voitures dans lesquelles ils se sont assis au dernier salon automobile de l’année !

    - Oh ! non, par pitié pas ça, implora-t-il sur le même ton moqueur. Pour parler sérieusement, continua-t-il, un peu gêné, je suis très, très heureux de vous avoir rencontrés. Il y a beaucoup de choses qui me sont arrivées cette année et que je comprends mieux maintenant. Il me fallait des éclaircissements mais je ne les trouvais pas tout seul. Je savais que j’avais besoin d’aide. Je ne pensais pas la trouver ici. »

    Jean-Jacques et Nelly faisaient demi-tour. Il les imita.

    « Plusieurs fois, reprit-il, vous avez parlé de consciences comme si vous en comptiez plusieurs. Est-ce qu’il s’agit de niveaux différents d’une même conscience ou de consciences différentes ? »

    Nelly et Jean-Jacques se regardèrent amusés.

    « On pensait bien avoir rencontré quelqu’un d’intéressé et d’intéressant mais on n’espérait pas avancer aussi vite, répondit Nelly rayonnante. C’est un plaisir Pierre de discuter avec vous.

    - Merci, c’est vraiment gentil. Mais je ne vais pas laisser passer une telle occasion de répondre à toutes les questions qui me trottent dans la tête depuis trop longtemps.

    - Alors, on peut considérer les choses de deux façons : soit vous voyez la conscience comme unique mais possédant différents niveaux, comme si elle habitait dans un immeuble. Vous démarrez au rez-de- chaussée et vous essayez de gravir les étages. Le risque dans ce genre de métaphore, c’est de pouvoir à tout moment retomber aux étages inférieurs. Si par contre, vous considérez que les consciences sont multiples, vous les voyez comme possédant chacune une maison. Pour progresser, vous devez quitter la première demeure et intégrer la suivante. La distance vous séparant de la première demeure abandonnée vous protègera quelque peu du risque de faire demi-tour. Il faut en fait établir une séparation importante pour ne pas céder à la tentation. Et les tentations sont extrêmement nombreuses et perverses. Pour notre part, nous voyons quatre niveaux de conscience séparés. Le premier, c’est celui de l’homme endormi. C’est un état passif. Même si l’individu garde quelques souvenirs de ses rêves, il n’a rien contrôlé. Il s’est abandonné et ne cherche rien d’autre dans cet état que le repos. Le deuxième état, c’est celui de l’homme réveillé. A première vue, c’est un état de conscience actif, l’individu semble prendre des décisions, faire des projets, rencontrer d’autres personnes. Il s’agit en fait d’un état de sommeil agité. On dit « agité » car effectivement il connaît des moments d’activité. Mais il n’a toujours pas conscience de son moi profond, de son essence, de sa place comme participant dans une nature identique à lui-même. Il est toujours dans son moi enveloppé. Il n’existe qu’à travers sa personnalité qui n’est pas un état d’existence, ni de conscience. C’est un état d’inconscience où l’individu est actif mais jamais pensif. Tout arrive à cet homme là, ce qui fait qu’en réalité, il n’agit pas. Il réagit ! Malgré tout, il reste persuadé d’être conscient, ce qui rend extrêmement difficile toute tentative de l’attirer sur une autre voie. Le troisième état laisse entrevoir à de brefs instants des halos de clarté, la prescience que quelque chose de supérieur existe, qu’il est possible de le découvrir, qu’on se dirige vers une illumination. Mais tout cela provient de l’extérieur, c’est par exemple une musique, un paysage, une relation amoureuse, un regard d’enfant, parfois l’usage de drogues. Comme il n’y a aucune maîtrise de ces états, tout s’effondre désespérément, parfois au bout de quelques secondes. Nos conditions de vie sont beaucoup trop difficiles et abrutissantes pour permettre à l’individu de se mouvoir durablement dans ces états sublimes. Ce n’est pas l’homme lui-même qui est coupable mais ce que l’homme en général a fait de la vie. Une course effrénée. Il existe néanmoins un grand espoir lorsque l’individu a pu goûter à ce bref instant de bonheur. Si une aide extérieure peut le guider, un professeur ou un livre, à la demande bien sûr de cet individu, il est possible qu’il parvienne peu à peu à s’engager dans une voie nouvelle. C’est un travail très long. Voilà la difficulté principale. Quant au quatrième état, il existe lorsque l’individu parvient à contrôler ces états d’illumination, lorsqu’il a conscience de lui-même, hors de toutes pressions extérieures, baignant dans une paix absolue, et qu’il reçoit l’ensemble des émotions et des connaissances relatives à l’essence de l’être et à sa communion avec l’univers. Ce sont souvent des états décrits par des religieux, des mystiques, des ermites, quelques écrivains, des maîtres yogis, des sportifs parfois lorsque leurs activités impliquent un engagement dans une nature sauvage. Bien souvent, les hommes ne dépassent pas les deux premiers états, ceux qui éprouvent parfois quelques moments de clairvoyance en sont souvent effrayés et rejettent cela sur le compte de la fatigue, de l’alcool, du stress ou de toutes autres excuses réductrices. Le troisième état leur reste donc fermé. Quant au quatrième état, il ne peut être atteint qu’après avoir éprouvé durant de longues années de terribles échecs et quelques moments de sérénité et d’éblouissement, mais surtout après avoir réalisé un considérable travail sur soi.

    - Pourquoi utilisez-vous ce terme d’éblouissement ? Est-ce qu’il y a une lumière réelle ou tout du moins une sensation de lumière ?

    - Pourquoi demandez-vous cela ? Vous l’avez éprouvée ?

    - Je ne sais pas si c’est cela mais ça m’est arrivé dans un certain état de voir ou de sentir, je ne sais pas vraiment ce que c’était, une espèce de lumière intérieure. Mais elle restait toujours très lointaine et si j’essayais de m’en approcher, elle s’évanouissait.

    - C’était dans quelles circonstances ? »

    Il tomba dans un silence gêné. Nelly et Jean-Jacques se regardèrent discrètement.

    « Le cannabis ou encore plus fort ? demanda Jean-Jacques d’une voix amicale.

    - Le cannabis, avoua-t-il honteux.

    - Dans ce cas là, ce n’est pas possible de contrôler la lumière, ni de la rejoindre, ni de la faire apparaître. Encore une fois, tout vous arrive, il n’y a pas de volonté, c’est un événement qui reste extérieur. Ce n’est qu’un contact trop léger, trop fragile pour obtenir une durabilité nécessaire à un apprentissage. La méditation est beaucoup plus efficace. Il s’agit réellement d’un travail sur soi, pas d’un apport extérieur. Les drogues sont fausses car elles conduisent l’individu à augmenter les doses pour atteindre cette félicité qu’il aperçoit. C’est la mort qui est au bout. »

    Ils étaient revenus au parking.

    « Si on vous invite à dîner demain soir dans notre fourgon, vous êtes libre ? proposa Nelly.

    - Libre de venir, c’est certain, libre par rapport à mes états de dépendance, je ne crois pas.

    - Oh ! très bien répondu, voilà un jeune homme qui a l’esprit vif, s’amusa Jean-Jacques.

    - Alors ça sera un plaisir de vous retrouver Pierre », conclut gentiment Nelly.

    Ils lui souhaitèrent une bonne nuit et rejoignirent leurs refuges communs.

     

     

    Une fois allongé, il pensa à la fin de la discussion. La façon dont ils y avaient mis fin l’avait estomaqué. Sitôt qu’ils avaient décidé d’aller se coucher, rien ne les avait retenus et surtout pas les convenances habituelles. Echanger mais ne surtout pas parler. Ne pas se trahir. Dans tous les actes de l’existence. Dans chaque pensée. Superficielle ou fondatrice. Où en était-il de ses sermons ? La question le perturba quelques minutes puis il s’abandonna au sommeil. Ne pas remuer la vase du fond.

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  • Test positif.

    Aujourd'hui, en classe, j'ai proposé ce texte à mes élèves.

    Ecrit dans un triangle avec une mise en page très précise.

     

                                                                                          LA  MOTO

                                                                                       EST  SUR   LA

                                                                                         LA   ROUTE

     

    Je montre ce texte trois secondes et les enfants doivent écrire ce qu'ils ont lu.

    Ils ont tous écrit  : LA MOTO EST SUR LA ROUTE.

    Je leur dis que c'est incorrect, ils sont tous surpris.

    Deuxième lecture.

    Nouvelle erreur générale.

    Troisième lecture, toujours trois secondes.

    Deux élèves trouvent l'énigme.

    Quatrième lecture.

    D'autres à leur tour.

    Je montre enfin le texte longuement, certains enfants ont encore du mal à identifier le doublon.

     

    C'est ensuite que c'est intéressant.

    L'explication du phénomène.

    Faites ce test avec des enfants de CE1 et vous les verrez trouver rapidement le problème. Certains adultes ont besoin de dix lectures pour y parvenir.

    La solution est très simple.

    Les bons lecteurs se trouvent confrontés à une correction immédiate de leur cerveau. Ils ne peuvent donc pas identifier l'erreur parce que leur cerveau l'élimine. La phrase ne veut rien dire et elle est donc automatiquement corrigée, la mémoire et le sens entrent en jeu sans même qu'ils soient sollicités.  Il faut que les enfants prennent conscience d'un dysfonctionnement dans l'analyse de cette phrase pour parvenir à voir l'erreur.

    Ils sont donc de bons lecteurs...

     

    Ce qui m'intéresse dans cet exercice, c'est de pouvoir mettre en avant les qualités des enfants. Le fonctionnement des enseignants les amènent régulièrement à mettre les enfants en difficulté mais en oubliant trop souvent de leur rappeler leurs connaissances. Cette confrontation permanente avec la difficulté peut aboutir à un découragement si elle n'est pas soutenue par un rappel de leurs réussites antérieures. Un enfant de CM2 n'a pas de souvenirs précis de ses premières années d'école primaire...Il est, années après années, mois après mois, jours après jours assailli de difficultés supplémentaires et cet horizon constamment assombri ne peut être supporté qu'avec une mise en valeur de son parcours.

    Je tiens à construire leurs apprentissages sur le regard aimant et fier de leurs fondations, les plonger quotidiennement sur ce qu'ils savent faire avant de les contraindre à avancer en terrain inconnu. Et je me dois de leur permetre d'accueillir en eux ce bonheur du travail accompli.

    Ils n'ont en plus aucune idée précise du chemin à parcourir. Leur avenir scolaire leur est totalement insaisissable. Tant mieux d'ailleurs...

    Mais il faut, pour nourrir le présent de forces vives, leur permettre de s'estimer, de s'aimer, de se réjouir de tout ce qui a été accompli dans ce passé. Il faut ensuite leur faire comprendre que ce passé n'a aucune existence réelle puisque ce qu'ils ont appris est en eux, là et maintenant. Comme un univers en expansion qui continue à produire des étoiles.

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  • Wall Street

    http://www.bastamag.net/article1812.html

     

    Naomi Klein : « Le mouvement Occupons Wall Street est actuellement la chose la plus importante au monde »

    Par Rédaction (12 octobre 2011)

    Naomi Klein, journaliste canadienne et auteur de La Stratégie du choc, était invitée à s’exprimer par le mouvement Occupy Wall Street, à New York. Selon elle, ce mouvement va durer, car le combat contre le système économique « injuste et hors de contrôle » prendra des années. Objectif : renverser la situation en montrant que les ressources financières existent, qui permettraient de construire une autre société.

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    J’ai été honorée d’être invitée à parler [le 29 septembre] devant les manifestants d’Occupons Wall Street. La sonorisation ayant été (honteusement) interdite, tout ce que je disais devait être répété par des centaines de personnes, pour que tous entendent (un système de « microphone humain »). Ce que j’ai dit sur la place de la Liberté a donc été très court. Voici la version longue de ce discours [publiée initialement en anglais dans Occupy Wall Street Journal].

    Je vous aime.

    Et je ne dis pas cela pour que des centaines d’entre vous me répondent en criant « je vous aime ». Même si c’est évidemment un des avantages de ce système de « microphone humain ». Dites aux autres ce que vous voudriez qu’ils vous redisent, encore plus fort.

    Hier, un des orateurs du rassemblement syndical a déclaré : « Nous nous sommes trouvés. » Ce sentiment saisit bien la beauté de ce qui se crée ici. Un espace largement ouvert – et une idée si grande qu’elle ne peut être contenue dans aucun endroit – pour tous ceux qui veulent un monde meilleur. Nous en sommes tellement reconnaissants.

    S’il y a une chose que je sais, c’est que les 1 % [les plus riches] aiment les crises. Quand les gens sont paniqués et désespérés, que personne ne semble savoir ce qu’il faut faire, c’est le moment idéal pour eux pour faire passer leur liste de vœux, avec leurs politiques pro-entreprises : privatiser l’éducation et la Sécurité sociale, mettre en pièces les services publics, se débarrasser des dernières mesures contraignantes pour les entreprises. Au cœur de la crise, c’est ce qui se passe partout dans le monde.

    Et une seule chose peut bloquer cette stratégie. Une grande chose heureusement : les 99 %. Ces 99 % qui descendent dans les rues, de Madison à Madrid, en disant : « Non, nous ne paierons pas pour votre crise. »

    Ce slogan est né en Italie en 2008. Il a ricoché en Grèce, en France, en Irlande, pour finalement faire son chemin jusqu’à l’endroit même où la crise a commencé.

    « Pourquoi protestent-ils ? » demandent à la télévision les experts déroutés. Pendant ce temps, le reste du monde demande : « Pourquoi avez-vous mis autant de temps ? », « On se demandait quand vous alliez vous manifester ». Et la plupart disent : « Bienvenus ! »

    Beaucoup de gens ont établi un parallèle entre Occupy Wall Street et les manifestations « antimondialisation » qui avaient attiré l’attention à Seattle en 1999. C’était la dernière fois qu’un mouvement mondial, dirigé par des jeunes, décentralisé, menait une action visant directement le pouvoir des entreprises. Et je suis fière d’avoir participé à ce que nous appelions alors « le mouvement des mouvements ».

    Mais il y a aussi de grandes différences. Nous avions notamment choisi pour cibles des sommets internationaux : l’Organisation mondiale du commerce, le FMI, le G8. Ces sommets sont par nature éphémères, ils ne durent qu’une semaine. Ce qui nous rendait nous aussi éphémères. On apparaissait, on faisait la une des journaux, et puis on disparaissait. Et dans la frénésie d’hyperpatriotisme et de militarisme qui a suivi l’attaque du 11 Septembre, il a été facile de nous balayer complètement, au moins en Amérique du Nord.

    Occupy Wall Street, au contraire, s’est choisi une cible fixe. Vous n’avez fixé aucune date limite à votre présence ici. Cela est sage. C’est seulement en restant sur place que des racines peuvent pousser. C’est crucial. C’est un fait de l’ère de l’information : beaucoup trop de mouvements apparaissent comme de belles fleurs et meurent rapidement. Parce qu’ils n’ont pas de racines. Et qu’ils n’ont pas de plan à long terme sur comment se maintenir. Quand les tempêtes arrivent, ils sont emportés.

    Être un mouvement horizontal et profondément démocratique est formidable. Et ces principes sont compatibles avec le dur labeur de construction de structures et d’institutions suffisamment robustes pour traverser les tempêtes à venir. Je crois vraiment que c’est ce qui va se passer ici.

    Autre chose que ce mouvement fait bien : vous vous êtes engagés à être non-violents. Vous avez refusé de donner aux médias ces images de fenêtres cassées ou de batailles de rue qu’ils attendent si désespérément. Et cette prodigieuse discipline de votre côté implique que c’est la brutalité scandaleuse et injustifiée de la police que l’histoire retiendra. Une brutalité que nous n’avons pas constatée la nuit dernière seulement. Pendant ce temps, le soutien au mouvement grandit de plus en plus. Plus de sagesse.

    Mais la principale différence, c’est qu’en 1999 nous prenions le capitalisme au sommet d’un boom économique frénétique. Le chômage était bas, les portefeuilles d’actions enflaient. Les médias étaient fascinés par l’argent facile. À l’époque, on parlait de start-up, pas de fermetures d’entreprises.

    Nous avons montré que la dérégulation derrière ce délire a eu un coût. Elle a été préjudiciable aux normes du travail. Elle a été préjudiciable aux normes environnementales. Les entreprises devenaient plus puissantes que les gouvernements, ce qui a été dommageable pour nos démocraties. Mais, pour être honnête avec vous, pendant ces temps de prospérité, attaquer un système économique fondé sur la cupidité a été difficile à faire admettre, au moins dans les pays riches.

    Dix ans plus tard, il semble qu’il n’y ait plus de pays riches. Juste un tas de gens riches. Des gens qui se sont enrichis en pillant les biens publics et en épuisant les ressources naturelles dans le monde.

    Le fait est qu’aujourd’hui chacun peut voir que le système est profondément injuste et hors de contrôle. La cupidité effrénée a saccagé l’économie mondiale. Et elle saccage aussi la Terre. Nous pillons nos océans, polluons notre eau avec la fracturation hydraulique et le forage en eaux profondes, nous nous tournons vers les sources d’énergie les plus sales de la planète, comme les sables bitumineux en Alberta. Et l’atmosphère ne peut absorber la quantité de carbone que nous émettons, créant un dangereux réchauffement. La nouvelle norme, ce sont les catastrophes en série. Économiques et écologiques.

    Tels sont les faits sur le terrain. Ils sont si flagrants, si évidents, qu’il est beaucoup plus facile qu’en 1999 de toucher les gens, et de construire un mouvement rapidement.

    Nous savons tous, ou du moins nous sentons, que le monde est à l’envers : nous agissons comme s’il n’y avait pas de limites à ce qui, en réalité, n’est pas renouvelable – les combustibles fossiles et l’espace atmosphérique pour absorber leurs émissions. Et nous agissons comme s’il y avait des limites strictes et inflexibles à ce qui, en réalité, est abondant – les ressources financières pour construire la société dont nous avons besoin.

    La tâche de notre époque est de renverser cette situation et de contester cette pénurie artificielle. D’insister sur le fait que nous pouvons nous permettre de construire une société décente et ouverte, tout en respectant les limites réelles de la Terre.

    Le changement climatique signifie que nous devons le faire avant une date butoir. Cette fois, notre mouvement ne peut se laisser distraire, diviser, épuiser ou emporter par les événements. Cette fois, nous devons réussir. Et je ne parle pas de réguler les banques et d’augmenter les taxes pour les riches, même si c’est important.

    Je parle de changer les valeurs sous-jacentes qui régissent notre société. Il est difficile de résumer cela en une seule revendication, compréhensible par les médias. Et il est difficile également de déterminer comment le faire. Mais le fait que ce soit difficile ne le rend pas moins urgent.

    C’est ce qui se passe sur cette place, il me semble. Dans la façon dont vous vous nourrissez ou vous réchauffez les uns les autres, partageant librement les informations et fournissant des soins de santé, des cours de méditation et des formations à « l’empowerment ». La pancarte que je préfère ici, c’est : « Je me soucie de vous. » Dans une culture qui forme les gens à éviter le regard de l’autre et à dire : « Laissez-les mourir », c’est une déclaration profondément radicale.

    Quelques réflexions finales. Dans cette grande lutte, voici quelques choses qui ne comptent pas :

    - Comment nous nous habillons,
    - Que nous serrions nos poings ou faisions des signes de paix,
    - Que l’on puisse faire tenir nos rêves d’un monde meilleur dans une phrase-choc pour les médias.

    Et voici quelques petites choses qui comptent vraiment :
    - Notre courage,
    - Notre sens moral,
    - Comment nous nous traitons les uns les autres.

    Nous avons mené un combat contre les forces économiques et politiques les plus puissantes de la planète. C’est effrayant. Et tandis que ce mouvement grandit sans cesse, cela deviendra plus effrayant encore. Soyez toujours conscients qu’il y a aura la tentation de se tourner vers des cibles plus petites – comme, disons, la personne assise à côté de vous pendant ce rassemblement. Après tout, c’est une bataille qui est plus facile à gagner.

    Ne cédons pas à la tentation. Je ne dis pas de ne pas vous faire mutuellement des reproches. Mais cette fois, traitons-nous les uns les autres comme si on prévoyait de travailler ensemble, côte à côte dans les batailles, pour de nombreuses années à venir. Parce que la tâche qui nous attend n’en demandera pas moins.

    Considérons ce beau mouvement comme s’il était la chose la plus importante au monde. Parce qu’il l’est. Vraiment.

    Naomi Klein, le 6 octobre 2011

    Discours publié dans Occupied Wall Street Journal. A lire : le blog de Naomi Klein (en anglais).

    Traduction : Agnès Rousseaux / Basta !

     

     

    Incroyable! Plus de 500 000 personnes ont signé l'appel en seulement 4 jours -- atteignons le million! Cliquez ci-dessous pour regarder une vidéo du compteur Avaaz à Wall Street. Et si ce n'est pas déjà fait, signez puis diffusez la pétition! Par ailleurs, l'UE décide en moment de taxer ou non les banques pour régler en partie la facture de la crise dont elles sont à l'origine. Cliquez ici pour téléphoner d'urgence au Ministre français de l'Économie et des Finances.

    Chers amis,


    Des milliers d'Américains occupent Wall Street, rejoignant ainsi un mouvement mondial qui, de Madrid à Jérusalem, vise à reprendre la démocratie des mains d'intérêts corrompus. Si nous sommes des millions à les soutenir, nous leur redonnerons le moral et montrerons aux médias et à nos dirigeants qu'il ne s'agit pas d'un mouvement marginal. Cliquez ci-dessous pour signer la pétition, chaque signature apparaîtra sur un compteur géant en temps réel situé en plein milieu de l'occupation de Wall Street:

    Des milliers d'Américains occupent pacifiquement Wall Street, un épicentre de la puissance financière mondiale et de la corruption. Dernière lueur d'espoir en date, ces Américains viennent s'ajouter à un nouveau mouvement pour la justice sociale qui se répand comme une traînée de poudre de Madrid à Jérusalem ainsi que dans 146 autres villes et bientôt plus encore. Mais ils ont besoin de notre aide pour réussir. 

    Alors que les travailleurs paient la facture d'une crise financière causée par des élites corrompues, les manifestants demandent une réelle démocratie, la justice sociale et la lutte contre la corruption. Mais ils subissent de fortes pressions de la part des autorités, et certains médias les rejettent d'emblée en les qualifiant de groupes marginaux. Si nous sommes des millions du monde entier à les soutenir, nous renforcerons leur détermination et montrerons aux médias et aux dirigeants que ces protestations font partie d'un immense mouvement dominant pour le changement.

    Cette année pourrait être l'année 1968 de notre siècle, mais pour réussir, ce mouvement doit rassembler tous les citoyens issus de tous les milieux. Cliquez pour rejoindre l'appel à une réelle démocratie -- un compteur géant, qui affichera en temps réel le nom de chacun d'entre nous qui aura signé cette pétition, sera érigé en plein milieu de l'occupation à New York et sera diffusé en continu sur la page de la pétition:

    http://www.avaaz.org/fr/the_world_vs_wall_st_fr/?vl

    La vague de protestation étendue au monde entier est le dernier chapitre en date dans l'histoire du pouvoir citoyen mondial qui s'est écrite cette année. Le suicide d'un marchand de fruits désespéré en Tunisie a déclenché le combat pour la démocratie dans tout le monde arabe. En Egypte, les gens ont envahi la Place Tahrir et renversé leur dictateur. En Inde, le jeûne d'un homme a amené des millions de personnes dans la rue et a mis le gouvernement à genoux, pour déboucher sur des mesures concrètes pour mettre fin à la corruption. Pendant des mois, les citoyens grecs ont protesté sans relâche contre les coupes injustes dans les dépenses publiques. En Espagne, des milliers d'"indignés" ont défié l'interdiction de manifestations pré-électorales et ont monté un camp de protestation sur la Puerta del Sol pour dénoncer la corruption politique ainsi que la gestion de la crise économique par le gouvernement. Et cet été, dans tout Israël, les gens ont construit des "villes-tentes" pour protester contre les coûts croissants du logement et exiger la justice sociale.

    Ces épisodes nationaux convergent vers un même appel mondial et déterminé à mettre fin à la corruption des élites et des dirigeants politiques, qui dans de nombreux pays ont contribué à causer une crise financière désastreuse et veulent désormais que les familles et les travailleurs paient la facture. Le mouvement de masse en réponse peut non seulement s'assurer que le poids de la récession ne soit pas assumé par les plus vulnérables, mais peut aussi aider à rétablir le rapport de force entre la démocratie et la corruption. Cliquez pour soutenir le mouvement: 

    http://www.avaaz.org/fr/the_world_vs_wall_st_fr/?vl

    A chaque soulèvement, du Caire à New York, l'appel à des gouvernements responsables qui servent leur peuple est manifeste, et notre communauté mondiale a soutenu ce pouvoir citoyen dans le monde entier, partout où il s'est exprimé. Le temps où quelques corrompus se mettaient dans la poche les dirigeants politiques arrive à son terme, et nous sommes en train de construire à la place des démocraties réelles avec et pour les citoyens.

    Avec espoir,

    Emma, Maria Paz, Alice, Ricken, Morgan, Brianna, Shibayan et toute l'équipe d'Avaaz

    SOURCES

    Contestation contre Wall Street: «C'est notre Printemps américain!» (La Tribune de Genève)
    http://www.tdg.ch/actu/monde/contestation-contre-wall-street-printemps-americain-2011-10-07

    Des ralliements aux Indignés de Wall Street (L'Humanité)
    http://www.humanite.fr/monde/des-ralliements-aux-indignes-de-wall-street-480995

    Le mouvement des Indignés: une réplique du printemps arabe? (Marianne)
    http://m.marianne2.fr/Le-mouvement-des-Indignes-une-replique-du-printemps-arabe_a206832.html

    Des ministères grecs bloqués pendant l'audit de la troïka à Athènes (Le Monde/AFP)
    http://www.lemonde.fr/europe/article/2011/09/29/des-ministeres-grecs-bloques-avant-l-audit-de-la-troika-a-athenes_1579386_3214.html

    Le mouvement Occupy Wall St - informations en ligne (en anglais)
    http://occupywallst.org/

    Le mouvement Occupy Wall Street commence à être pris au sérieux (France 24)
    http://www.france24.com/fr/20111003-occupywallstreet-finance-new-york-protestation-internet-reseau-sociaux-capitalisme-critique-banque-occupation

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  • JUSQU'AU BOUT : Merci Léo.

    Léo, notre dernier garçon, a lu "Jusqu'au bout."

     

    "425 pages en trois jours, impossible de m'arrêter. J'en rêvais la nuit."

     

    Aucune réponse d'éditeur n'aura jamais cette puissance-là pour moi. Rien ne sera jamais aussi beau.

     

    Image 3

    EXTRAIT

    "Les jours suivants, il fut frappé par la célérité avec laquelle tout s’enchaîna. Comme un dénouement en accéléré. Une barque dans un courant puissant, sans rame, sans gouvernail, juste emportée dans une direction inconnue. Il avait descendu l’embarcation jusqu’à l’eau, croyant dès lors être maître du parcours à venir. Incroyable cette prétention humaine. Il se promit d’être plus vigilant, plus honnête avec lui-même. Il sentait bien, lorsque la clairvoyance l’envahissait, que rien ne lui appartenait vraiment. La vie n’était qu’une succession de réactions en chaîne. Et comme une boule de flipper constamment renvoyée aux quatre coins du jeu, l’individu, pour ne pas sombrer dans la folie se persuadait que le chemin était choisi. Espérant simplement que le maître de la partie aurait suffisamment de classe et d’adresse pour que les coups s’éternisent. Que ce maître s’assoupisse un instant et c’était la catastrophe. Tilt, game over et le tour était passé. Au suivant. Quelle dérision ! Naître dans un beau jeu, bien décoré, offrant de multiples épreuves, vibrer follement à chaque accélération, s’efforcer de toute son énergie à éviter la sortie, voilà les seuls bonheurs de cette existence. Il trouva qu’il avait eu la chance d’être tombé dans une belle partie. Que son parcours jusqu’ici lui avait offert quelques satisfactions, puis la grande découverte, le grand amour et qu’il lui restait à sortir le grand jeu, usant pleinement de ses expériences pour atteindre le jackpot ! Il n’en était pas loin. Tout s’accélérait. Il faudrait rester lucide. Le meneur de jeu ne supporterait aucune faiblesse. Mais est-ce qu’il y avait réellement un meneur de jeu ? Ce n’était pas lui en tout cas, trop de paramètres lui échappaient. Alors qui ? Dieu ? Il n’y croyait pas. Celui-là n’avait été inventé que pour combler l’absence d’explication et permettre surtout aux instigateurs du mensonge de s’enrichir. Il suffisait de regarder le Vatican. Le hasard alors ? Oui, peut-être, juste le hasard. A chaque décision, plusieurs directions se dessinaient et selon la météo, l’humeur du moment, les rencontres sur le chemin, autant de circonstances incontrôlées, l’une ou l’autre de ces possibilités seraient mises en avant et les autres délaissées. Et cette solution appellerait d’autres dénouements, d’autres options à venir. Et dans ce perpétuel imbroglio, l’individu s’efforcerait de se rassurer en affirmant jour après jour, que telle décision était la bonne ! Vaste supercherie. Rien ne nous appartenait et rien n’était écrit. Dieu n’y était pour rien et l’homme non plus. L’homme peut-être un peu plus, tout de même. Parfois, ne prenait-il pas certaines décisions, totalement inattendues, bousculant l’ordre logique des choses en cours, des décisions laissant les proches ou même la communauté entière totalement abasourdis ? Il chercha un exemple et pensa à Bernard Moitessier dans la course en solitaire autour du monde, qui décide de continuer, alors qu’il est en tête, et de ne pas rentrer au port, « pour sauver son âme ». Ca, c’était grand ! Il ne devait cette décision à personne d’autre que lui. Il n’y avait pas eu de hasard. C’était un acte pleinement volontaire, au-delà de la raison, quelque chose qu’il avait construit en réaction à une vie en société qu’il rejetait, à des valeurs qu’il ne reconnaissait pas. Oui, mais alors, il n’avait fait que réagir à une situation qui ne lui convenait pas. Tous ses actes avaient été déterminés par une mise en scène extrêmement compliquée dans laquelle il avait essayé de glisser une petite part de volonté. Sa décision n’était pas neutre, elle lui avait été imposée, ses actes avaient été déterminés par la lutte qu’il avait engagée contre des concepts qu’il haïssait.

    C’était effrayant.

    Il se sentit comme une plume aux vents. Les réflexions s’enchaînaient à une vitesse étourdissante.

    Notre vie ne nous appartenait pas et elle n’appartenait d’ailleurs à personne. L’essentiel, finalement, étant d’en être conscient et de gérer ce drame du mieux possible. Ni dieu, ni maître, ni rien du tout. Qu’une boule de flipper lancée, par hasard, dans une partie que personne ne contrôle, et où chaque péripétie entraînera d’autres péripéties, nullement choisies, justes subies, et dont la boule essayera de se sortir du mieux possible ou plutôt, avec le moins de mal possible, et avec parfois le sentiment prétentieux d’avoir pris une décision supérieure, d’avoir atteint le plus haut degré de conscience. Non, c’était affreux, un cauchemar. Il devait essayer de contrôler le jeu ! Au moins une fois, dans une circonstance, juste une, quelles qu’en soient les conséquences, mais qu’il puisse se dire, avant la fin, « ça c’est à moi. » Même s’il ne s’agissait que d’une réaction contre un système, qu’une révolte contre la dictature permanente des jours qui défilent hors de toute maîtrise, il devait au moins une fois montrer son opposition. Ce serait certainement dérisoire par rapport à toutes les années de soumission mais ce serait enfin un acte relativement personnel.

    Il songea à sa rencontre avec Birgitt et Yolanda. Tout était du hasard. Depuis son départ de l’école, le passage au lac Charpal, l’arrivée dans les Landes. Pourquoi là et pas un peu plus loin ? Seul l’instant où il était parvenu à leur adresser la parole, à leur donner envie de s’arrêter, avait marqué le sceau de sa volonté. Quelques secondes. Il lui avait fallu pratiquement un an de dérives pour y parvenir.

    A vingt et une heures, il se gara devant la maison de Nadine et François.

    Ils l’accueillirent chaleureusement.

    « Qu’est-ce qui t’amène Pierre ? Tu aurais dû venir plus tôt. Tu aurais goûté un poulet maison !

    - Ca sera pour une autre fois. Je ne voulais pas venir trop tôt, je préfère que Léo n’entende pas ce que j’ai à vous dire. 

    - Il y a un problème avec Léo ? s’inquiéta immédiatement Nadine.

    - Non, non, aucun problème. Ca concerne toute la classe. »

    Ils s’installèrent dans le salon et devant l’air soucieux de Pierre, ni l’un ni l’autre ne pensèrent à proposer une boisson.

    « Je ne vais pas rester au Cap Fréhel, lança-t-il immédiatement. Je veux emmener les enfants en Ardèche. Je voulais vous prévenir parce que je sais qu’avec vous Léo est heureux. Il n’a pas les mêmes besoins que les autres enfants de l’école. »

    Nadine et François restèrent stupéfaits.

    « Je ne préviens pas les autres parents, je sais que Miossec refuserait et toutes les autres familles avec lui. Mais moi, je veux partir quand même.

    - C’est un enlèvement ! Tu ne peux pas faire ça. Tu vas avoir des ennuis terribles ! s’exclama François.

    - Oui, je sais mais ma décision est prise. Je ne peux pas faire autrement. Ca serait trop long à expliquer. Et puis moi-même, je ne suis pas certain d’avoir tout compris. Je sais qu’il faut que je le fasse. C’est tout. Je dois énormément à ces enfants et je veux leur donner quelque chose d’inoubliable.

    - Parles-en à Miossec, explique-lui. Peut-être qu’il acceptera, intervint Nadine.

    - Tu sais très bien que c’est sans espoir. L’Ardèche, c’est trop loin. En plus, ce type me déteste et il est ravi que je m’en aille. Que l’école ferme, ça il s’en fiche. Tout ce qui compte pour lui, c’est que je dégage. Je resterai là-bas deux semaines au maximum. J’enverrai une lettre aux parents pour leur dire qu’il n’arrivera rien à leurs enfants, que je veux juste leur donner quelques jours de vacances. J’arriverai à leur expliquer.

    - L’inspecteur va te tomber dessus, reprit François. Tu vas perdre ton boulot.

    - Il ne pourra rien dire puisque je partirai là-bas pendant les grandes vacances. Ca ne sera plus pendant le temps scolaire. Ca ne le regardera plus.

    - Et les gendarmes, ils vont te retrouver, ajouta Nadine affolée.

    - Impossible. Cette région de l’Ardèche, je la connais par cœur. Le coin où je veux aller est absolument introuvable pour quelqu’un qui n’est pas du pays.

    - Et si les enfants veulent rentrer ?

    - Alors je les ramènerai.

    - Tu n’as pas peur qu’ils se fassent punir ou même frapper ? Tu connais Miossec, s’inquiéta Nadine. 

    - Non. Dans la lettre, je dirai que je les ai obligés à me suivre.

    - Tu vas finir en prison, dit François, désespéré par l’entêtement de Pierre.

    - Oui, c’est possible. Mais ça en vaut la peine. Pour les enfants et pour moi. Et puis, je n’y crois pas. Les parents verront bien que les enfants étaient heureux et que je ne leur ai fait aucun mal.

    - Et s’il t’arrive un accident là-bas. Personne ne vous retrouvera. Les enfants devront se débrouiller. Ca peut très mal se terminer. Pourquoi tu ne prends pas quelqu’un avec toi ? Je peux partir quelques jours si tu veux, proposa François.

    - Non, merci François, ce n’est pas nécessaire. Il ne m’arrivera rien et je veux être libre. Je veux me retrouver avec les enfants, juste les enfants.

    - J’ai vraiment très peur de la réaction de Miossec, reprit Nadine. Pour lui, ça sera comme un affront. Il va devenir fou !

    - Je sais, mais j’ai bien l’intention de dire aussi comment il traite Olivier et David. »

    Nadine posa la main sur la jambe de François. Ils se regardèrent.

    « Ecoute Pierre, il faut qu’on en parle Nadine et moi. Il faut qu’on réfléchisse. »

    Il s’efforça de ne pas relancer la discussion.

    « Bon, comme vous voulez, dit-il en se levant. Je vous laisse. »

    Ils le raccompagnèrent à la porte et le saluèrent. Leurs regards fuyants trahirent leurs pensées. Il leur tourna le dos rapidement. Il sentait gonfler une colère terrible, quelque chose qu’il ne saurait peut-être pas contrôler…Il démarra et rejoignit le petit bois où il passait ses nuits. De longues heures fébriles attisèrent, par-delà le besoin de sommeil, des rancœurs chargées de doutes.

    Le week-end servit aux derniers préparatifs. Nadine et François ne passèrent pas à l’école et par peur de ce qu’il s’attendait à entendre, il n’alla pas les voir. Demain tout s’éclaircirait.

    Lundi matin, huit heures trente. Les enfants avaient posé leurs sacs dans la cour. Il manquait Léo, Olivier et David. Il demanda à Bernadette de garder les enfants en classe. Il monta dans le fourgon et démarra en trombe. Tout s’accélérait. Il l’avait prévu. Il l’avait senti.

    Les pneus crissèrent sur le gravier de la cour au moment où François sortait sur le perron.

    « Ah, Pierre, justement j’allais à l’école ! »

    Le ton enjoué sonnait faux.

    François tendit la main et l’entraîna vers le potager.

    Pierre jeta un regard inquiet vers les fenêtres aux rideaux tirés. Pas de Léo. Il décida de laisser son père  s’expliquer.

    « Vous partez maintenant ? demanda François, la voix hésitante.

    - Oui, tous les enfants sont prêts, il ne manque que Léo, mentit-il. Qu’est-ce que vous avez décidé ? »

    La réponse s’affichait dans les yeux baissés. Par-delà sa colère, il éprouva un étrange plaisir à accentuer le malaise. Il s’arrêta.

    « Alors, lança-t-il, agressif, Léo, il vient ou pas ?

    - Non, c’est impossible, murmura François. On pense que c’est trop dangereux. Léo est trop petit pour être mêlé à tout ça. Miossec va devenir fou. Tu comprends Pierre, il…

    - Ca va, te fatigue pas. J’ai compris, vous ne me faites pas confiance.

    - Non, c’est pas ça.

    - Mais si, c’est ça. Tu peux le dire. Et je suppose que je ne peux pas voir Léo.

    - On n’aimerait mieux pas. »

    Il repartit rapidement vers la maison. François se précipita derrière lui et le rattrapa.

    « T’as peur de moi, tu me prends pour un fou, hein ? C’est ça ? Tout ce que j’ai fait avec Léo, vous l’avez oublié. Vous m’empêchez de finir mon travail. Voilà ce que vous faites. Et c’est vraiment dégueulasse. Vous me dégoûtez tous les deux. J’espère que Léo vous le fera payer cher ! »

    Sans attendre de réponse, il monta dans le fourgon et repartit furieusement vers l’école. Un bref instant, quelques secondes brûlantes, il avait senti combien il lui serait facile de tuer François. Il avait pensé à Léo pour s’obliger à prendre le volant.

    Il savait que des problèmes surgiraient mais il ne s’attendait pas à cette trahison.

    Il arriva à l’école. Olivier et David n’étaient toujours pas là.

    Avec les enfants et Bernadette, il commença le chargement de la remorque.

    « Si dans un quart d’heure, ils ne sont pas là, je vais les chercher », pensa-t-il.

    Ils entassaient les caisses de nourriture quand Olivier, essoufflé, entra dans la cour. Le côté droit du front portait un pansement. 

     « Olivier, qu’est-ce qui t’est arrivé ? Où est David ? »

    Tous les enfants entourèrent le garçon. L’air violemment aspiré refoulait au fond de la gorge des mots hachés.

    « C’est …Papa…Il a enfermé David…Avec la truie…Elle a des petits, elle est mauvaise. 

    - Nom de Dieu ! Bernadette, vous gardez les enfants. Je vais le chercher. »

    Il courut au fourgon, prit l’appareil photographique  et vérifia qu’il était chargé.

    « S’il a fait du mal à David, je le tue », pensa-t-il en fonçant vers la ferme.

    Il s’arrêta à une cinquantaine de mètres de l’exploitation, longea un bâtiment puis, droit devant lui, il entendit les grognements des cochons. Il s’élança, la haine dans ses poings serrés. Il poussa violemment le battant en bois et entra. L’endroit était sombre. Il saisit une fourche appuyée contre un mur. L’arme lui convenait parfaitement et il n’hésiterait pas à s’en servir. La puanteur brûlait le nez et coulait dans la gorge comme une bile ravalée.

    « David !! Où es-tu ? cria-t-il. C’est moi, Pierre ! »

     L’enfant se redressa.

    « Je suis là ! »

    Il se précipita. David, retenu par une corde entre les quatre murs en béton, s’était écarté de la truie affalée sur le côté. L’animal leva la tête et grogna sans conviction. Une horde de cochonnets excités luttait pour obtenir une place contre les flancs gonflés.

    Pendant quelques secondes, il resta pétrifié. Il aurait pu tuer Miossec, là dans l’instant, sans aucun scrupule, ouvrir son ventre de monstre à coups de fourche et le regarder se vider au milieu du purin mais le tortionnaire n’était pas là. Il jeta son arme. Il faillit oublier les photos. Il cadra en essayant d’arrêter les tremblements de ses bras. Sur les joues de l’enfant, il vit briller les traces séchées des larmes. David le regarda sans comprendre. Pour les trois prises, il changea d’angle de vue, espérant transcrire toute l’horreur de la scène. Enfin, il enjamba le panneau de bois. Il entreprit de dénouer la corde serrée autour du poignet. L’enfant s’était blotti contre lui. Sa poitrine tressautait encore.

    « C’est fini David, tu vas venir avec moi. »

    Il eut du mal à le libérer. La peau était meurtrie par les fibres rugueuses des liens.

    Il reprit la fourche. Ils sortirent et se dirigèrent vers la maison d’habitation.

    « Où sont vos sacs avec vos habits ?

    - Dans le couloir, en bas. Ils sont prêts mais papa voulait plus qu’on parte. Ce matin, il était très en colère. »

    La mère Miossec apparut sur le pas de la porte.

    « Qu’est-ce que vous faites là ? cria-t-elle en regardant la fourche et son enfant caché derrière l’instituteur.

     Pierre crut revoir la truie.

    « Votre mari, il est là ?

    - Non, il est aux champs. Qu’est-ce que vous faites avec le gosse ?

    - Je l’emmène. Et Olivier aussi. Vous direz à votre mari que j’ai pris des photos de David avec la truie. S’il me cherche des ennuis, je donne tout à un journaliste.

    - Vous n’avez pas le droit de prendre mes enfants ! s’insurgea la bonne femme.

    - Je vous emmerde ! »

    L’enfant restait blotti derrière Pierre qui avançait vers la mégère.

    « Je veux les affaires des enfants. »

    Le gros tas de chairs molles recula dans le couloir. Il entra, laissa tomber la fourche et saisit rapidement les deux sacs. Il mourrait d’envie d’écraser la figure rongée par la vinasse. La viande tremblante devant lui puait un mélange de peur, de haine, de sueur et d’alcool.

    « Vous n’avez pas le droit, répéta-t-elle, indignée et craintive.

    - Et vous, vous avez le droit de maltraiter vos enfants ? Vous êtes bien leur mère non ? Comment pouvez-vous faire des choses pareilles ?

    - C’est pas moi qu’ai enfermé le gosse, c’est mon mari. Si je dis quelque chose… »

    Elle ne finit pas sa phrase mais il savait ce qui s’y cachait.

    Un jour, il tuerait Miossec. A cet instant précis, il en fut persuadé. Il s’étonna même d’avoir pu laisser vivre un tel monstre et se le reprocha. 

    Ils sortirent et coururent au fourgon.

    Quand ils arrivèrent à l’école, le chargement était fini. Il expliqua à Bernadette ce qu’il avait vu. Il savait ainsi que l’histoire ferait le tour du village en vingt minutes.

    Tout le monde embarqua et ils prirent la route.

    « Au petit déjeuner, papa était très énervé expliqua Olivier. Il se moquait de nous en disant que l’école était finie et qu’après la semaine à regarder…chier les oiseaux, on ne te verrait plus et que l’année prochaine tout le monde se moquerait de nous parce qu’on n’aurait rien appris. Il n’arrêtait pas de dire des méchancetés sur toi et il parlait de plus en plus fort. David a commencé à pleurer et moi j’ai dit que c’était dommage si on te voyait plus parce que toi, au moins, tu étais gentil. Alors il m’a envoyé une baffe et je suis tombé sur le bord de la cheminée. David a crié quand il a vu que je saignais et il a pris une baffe aussi. Maman m’a pris et m’a amené chez le docteur à Rostrenen.

    - A Rostrenen ! Pourquoi pas à Plémet ? C’était plus près.

    - Ben oui mais elle avait peur que tout le monde me voit et qu’on me pose des questions. Elle a même voulu que je dise au docteur que je m’étais fait ça à l’école parce que mon maître nous surveille pas. Mais moi j’ai pas voulu. Alors quand on est rentré, elle m’a enfermé dans ma chambre. Mais moi je suis sorti par la fenêtre, ça arrive sur le toit et je suis descendu par la gouttière. J’avais déjà fait ça avant. Ca me fait pas peur. Maman elle m’avait dit que papa avait mis David avec la truie. J’ai eu peur qu’il m’attrape. Alors je suis venu à l’école.

    - T’as bien fait Olivier, tu n’aurais pas pu délivrer David. Même moi, j’ai eu du mal à défaire les nœuds. »

    Les autres enfants étaient terrorisés par ce récit et Rémi avait mis une main amicale sur l’épaule d’Olivier.

    « Moi, je sais pourquoi il était énervé, continua Olivier. Quand il a mis David avec Josiane, Josiane c’est la truie, expliqua-t-il, il a dit à maman qu’il faudrait peut-être abattre toutes les dindes si c’était vraiment la maladie comme il a dit le vétérinaire. Je sais plus comment c’est le nom mais c’est très grave parce que toutes les dindes peuvent l’avoir. Alors, il faut toutes les tuer et les brûler. Il a dit ça à maman et qu’il en avait marre d’avoir que des emmerdements, qu’il avait bien traité le bâtiment et les volailles pour qu’il y ait pas de microbes et que le vétérinaire, c’était un con. »

    Pierre s’aperçut que l’enfant n’utilisait jamais le mot « papa. » L’image qui s’y rattachait contenait sans doute trop de cauchemars.

    Il tuerait Miossec.

    Olivier et David n’en souffriraient pas. Ce n’était pas un père.

    « Olivier, j’aimerais que tu me dises si vous avez été déjà frappé, avant aujourd’hui.

    - Oh oui ! des tas de fois, avoua difficilement l’enfant. Avec le martinet. Sur les fesses. Et puis des baffes aussi.

    - C’est arrivé souvent cette année ?

    - Oui.

    - Tu ne voulais pas me le dire ?

    - J’avais peur. Je pensais qu’après, ça serait encore pire. Je ne savais pas si tu pourrais faire quelque chose. »

    Le dégoût qui l’envahit à ce moment, il ne l’oublierait jamais, il le poursuivrait jour et nuit, il en était certain car il n’avait rien vu, il s’était égaré sur des chemins égoïstes quand deux enfants souffraient, heure après heure, il en garderait la charge, il en garderait le fardeau, comme une pénitence, il le savait et ne le refusait pas, il resterait vigilant maintenant, écouterait chaque parole, approfondirait chaque geste, chaque regard, cherchant la souffrance cachée, cherchant le drame quotidien. Le monde en était rempli de ces enfants martyrs, de ces enfants battus, terrorisés, traumatisés, de ces enfances volées, anéanties par des folies d’adultes.

    Il tuerait Miossec comme il tuerait tous les autres. C’était la seule chose à faire, la seule issue, le rétablissement de la paix passait par cette extrémité, la paix des enfants, les sourires d’enfants heureux, c’est tout ce qu’il désirait, personne ne s’y opposerait plus jamais.

    Des sourires d’enfants heureux.

    Elle était là sa quête.

    Des sourires d’enfants heureux.

    Il essuya les larmes, il ne voyait pas la route.

    « Pardon les enfants, je n’ai rien vu, pardon. Si vous saviez comme je vous aime. »

    Marine le regarda. Elle vit une larme rescapée descendre lentement.

    « Nous aussi, on t’aime Pierre. »

    Il n’y résista pas. Cette voix si douce, si belle, si vraie, balaya ses dernières résistances. Il sentit que toutes les tensions des dernières heures se brisaient. Il arrêta le fourgon sur le bas côté, coupa le moteur et s’effondra sur le volant.

    Eux non plus n’oublieraient rien.

    C’était de ces moments qui sont comme une naissance, qui restent dans les âmes comme une mémoire fossilisée.

    Ce silence entre chaque sanglot, le maître cachant son visage dans ses bras et la même phrase toujours répétée. D’une voix cassée. Ils ne l’oublieraient jamais.

     « Si vous saviez comme je vous aime. »

    Marine osa poser une main sur les cheveux de Pierre et les caressa doucement. A l’arrière du fourgon, personne ne bougeait. Fabrice avait pris son sac et le serrait contre son ventre comme s’il essayait d’y évacuer une partie des émotions trop fortes qui l’étreignaient. Tous cherchèrent une aide. Pas de mots, juste quelques gestes répétitifs, un ongle rongé, une boucle de cheveux enroulée sur un doigt, une jambe qui tremble inlassablement. David pleura, silencieusement.

    Tant de journées perdues, tant d’actions remises à plus tard, tant de fuites, tant de dérives absurdes, tant de lâcheté aveugle alors que les enfants souffraient partout dans ce monde, que des sourires d’enfants étaient morts, que des larmes coulaient dans l’obscurité des chambres closes, que des vies juste entamées étaient déjà broyées, que les jours n’étaient que des cauchemars inlassablement répétés. Et pas moyen d’y échapper en ouvrant les yeux car les yeux étaient déjà ouverts.

    Peu à peu, le dégoût s’éteignit et la haine s’imposa.

    Il tuerait Miossec comme tous les autres.

    Il fallait sauver les enfants.

    Des sourires d’enfants heureux.

    C’était sa mission.

    Le tuteur contre lequel sa vie pouvait trouver la force de s’appuyer.

    « Quand je cesserai de m’indigner, j’aurai commencé ma vieillesse. » Gide l’avait dit. Avec eux, il ne pouvait plus vieillir. Il entamait un long chemin, plein de lumière.

    A chaque indignation, il tuerait et il savait qu’il avait raison. Les lois ne protégeaient pas les enfants. C’était des lois d’adultes. Sans amour. Juste des textes de lois. De la mort immonde derrière laquelle se cachaient les faibles. Lui serait la force, l’armée des enfants. La haine à l’état pure puisqu’ils ne pouvaient eux-mêmes se battre.

    Il releva la tête. Marine retira sa main. Il la regarda avec tout l’amour dont il était capable.

    « Merci, merci, vous m’avez donné la vie. Vous tous. Je regrette juste que Léo ne soit pas là. Vous lui expliquerez ce que je vous ai dit. Vous saurez le faire, j’en suis certain. J’ai été long à comprendre l’importance de cette année, l’importance de notre rencontre. Je n’oublierai jamais. Je sais ce qu’est l’amour maintenant. Il n’y a que les enfants qui savent le donner. Par pitié, ne disparaissez pas, restez vous-mêmes, ne vous oubliez pas, ne vous abandonnez pas à la faiblesse des adultes. Vous possédez la seule issue à ce monde. C’est l’amour. Juste l’amour. Pas celui des adultes. Celui-là est faux. Il n’a pas de cœur, il n’a qu’une raison. Et se faire une raison à aimer, c’est le contraire de l’amour. L’amour n’a aucune règle. Il est la liberté. La seule avec la mort. »

    Quand le calme fut revenu, que les douleurs aiguës eurent abandonné son corps fatigué, il pensa combien Birgitt et Yolanda avaient su préserver leurs âmes d’enfants, combien la joie qui les habitait était restée pure, spontanée, communicative. Il aimait deux enfants dans deux corps de femmes. Elles n’avaient jamais perdu l’envie de découvrir, de jouer, de rire, d’apprendre, de donner de l’amour, à chaque jour, et de vivre dans la beauté. Et dans le calme, comme un petit enfant solitaire assis dans un coin et qui invente avec un bout de bois, un caillou brillant, une peluche adorée, une vie belle et douce, joyeuse et animée."

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  • Le miroir de la Vérité

    "La vérité est un miroir tombé de la main de Dieu et qui s'est brisé. Chacun en ramasse un fragment et s'imagine tenir la vérité toute entière."

    Djalâl ad Dîn Rûmi.

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    Dieu aurait bien fait d'être moins maladroit. Sans parler que sept ans de malheur, ça fait toujours mal dans la vie, même celle d'un Dieu.

    Et sinon, et bien, c'est un très bon résumé du bordel ambiant depuis que le premier humain a ramassé un morceau et s'est regardé dedans. Car l'usage d'un miroir, c'est bien de réfléchir l'image de celui qui le tient. Jusqu'à se persuader que, non seulement ce reflet est réel mais qu'en plus, et c'est bien plus grave, que le sujet reflété l'est aussi.

    Supposons maintenant que Dieu ait laissé tomber ce miroir volontairement, ce qui reste tout de même évident venant d'un Dieu. Que cherchait-il à faire sachant qu'il savait que l'homme se verrait dedans ? Imaginait-il que l'homme y verrait l'ombre de Dieu au-delà de l'image première ? Mais alors comment a-t-il pu se tromper à ce point au regard de ce que l'homme s'est contenté de faire ? Cette erreur de jugement met-elle en doute l'existence même de Dieu, car comment concevoir qu'un Dieu puisse se tromper ?

    Dans toutes mes pérégrinations à la recherche de Dieu, je suis souvent arrivé à la conclusion que nous étions ses victimes préférées. Et qu'il s'agissait finalement d'une opportunité. Car toute victime potentielle est en quête de son salut et de sa survie.

    Le prédateur, quant à lui, n'a aucune raison d'évoluer. C'est pour cela sans doute que Dieu est immuable.