Marc Lévy

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Article écrit par Christine BINI.


Lire "Si c'était à refaire" (2)

Ecrit par Christine Bini 18.04.12 dans La Une Livres, Les Livres, Recensions, Roman, Robert Laffont

Si c’était à refaire, 2012, 432 pages, 21 €

Ecrivain(s): Marc Levy Edition: Robert Laffont

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Si c’était à refaire, je ne lirais pas le roman de Marc Levy. Pour toutes sortes de raisons, la première étant que le temps est une denrée précieuse qu’il n’est pas bon de gaspiller sans plaisir. Quant aux autres raisons, elles ont trait à l’idée que je me fais du romanesque en général, de l’invention, du style, etc. Mais, surtout, surtout, je ne lirais pas ce roman de Marc Levy, Si c’était à refaire, car l’un des motifs exploités est le sort des enfants des disparus d’Argentine, los hijos de desaparecidos. Motif traité à la volée, sans précaution ni recul, sans implication ni engagement.

Il y a dans ce roman de Marc Levy – et peut-être dans les autres, je ne sais pas – une caractérisation pesante du personnage principal, du « héros » : parti de rien et gravissant un à un les échelons qui le conduisent à devenir grand reporter au New York Times, il est parfait, il a toujours raison, il donne des leçons, il ne doute pas.

Il y a, dans ce roman-là, des dialogues insipides et des à-peu-près pénibles (« isoler le bon grain du mauvais », par exemple, ou encore « quatre soldats qui escortaient ces âmes inanimées », expression qui ferait hurler de rire s’il ne s’agissait des corps torturés des opposants argentins au régime de Videla), un tape-à-l’œil assez amusant dans l’emploi de l’imparfait du subjonctif. Et une base fantastique rebattue (le héros est assassiné, se réveille bien vivant deux mois plus tôt, et emploie son temps de sursis à rechercher son assassin) à laquelle le romancier n’apporte rien de neuf, de surprenant, de littéraire.

Mais surtout, il y a, dans ce roman-là, une exploitation romanesque assez nauséeuse d’une époque tragique de l’Argentine. Personne n’est vraiment méchant, finalement, dans cette histoire. Le type qui pilotait un des avions à partir desquels on balançait les corps des opposants dans l’océan apparaît comme un bon père : il a « adopté » une enfant de disparus, a toujours caché la véritable origine de l’enfant à son épouse pour ne pas la traumatiser… Il s’est montré bon père, bon mari, voilà ce que comprend le lecteur. Il a fait une bonne action, quoi.

On se souvient sans doute du film de l’Argentin Luis Puenzo, La historia oficial (1985, Oscar du meilleur film étranger, Norma Aleandro sacrée meilleure actrice à Cannes), dans lequel une épouse de fonctionnaire découvrait la vérité à propos de la petite fille qu’elle avait adoptée. On n’a pas oublié l’ambigüité de l’attitude du mari, la tension parfaite du scénario, la presque dernière scène où le mari écrase les doigts de son épouse entre le chambranle et la porte, évoquant toute la violence de la torture du régime en place sans jamais la montrer explicitement.

On connaît peut-être la nouvelle génération d’écrivains argentins (Félix Bruzzone, par exemple) qui s’emparent du passé argentin, de leur propre passé familial.

On est bien loin de cela, dans le roman de Marc Levy. Ce livre utilise un motif politique douloureux pour brosser le portrait du gagnant parfait, attendu, sans profondeur ni psychologie : le journaliste Andrew Stilman fréquente le bar du Marriott, dîne « dans le meilleur restaurant chinois », roule en grosse voiture, est amoureux depuis toujours d’une pom-pom-girl, anticipe sur la situation internationale sans se tromper… Toute l’aventure argentine n’est là que pour servir de décor à la célébration du héros.

Oh oui vraiment, si c’était à refaire, je ne lirais pas le roman de Marc Levy. Trop tard. C’est fait. Baste.


NB : on voit et on entend beaucoup Marc Levy en ce moment, à la télévision, à la radio. À part à peu près égale avec Guillaume Musso, qui lui aussi sort un nouveau livre. Il est intéressant de noter que la teneur du texte lui-même n’est jamais abordée. On demande à l’auteur s’il est inquiet de l’accueil du public, qu’est-ce que ça lui fait d’être l’écrivain français le plus vendu… Mais sur le texte lui-même, rien. C’est qu’il n’y a sans doute rien – ou pas grand-chose – à en dire. On se prend tout de même à rêver… Et si un journaliste osait demander, par exemple, pourquoi on trouve une citation de Mme Du Deffand en exergue de Si c’était à refaire ? En quoi elle éclaire le roman ? Si l’auteur s’inscrit dans une tradition voltairienne ? Sans aucune animosité, sans préjuger des réponses ou des esquives, pourquoi ne demande-t-on pas à Levy – ou à Musso, qui est soumis au même traitement journalistique – dans quel courant de la littérature populaire il pense se situer ? Plutôt que d’insister sur le dédain affiché de la critique et ainsi permettre à l’auteur de rétorquer « ce qui m’importe, c’est d’être lu. Les critiques, vous savez… Et puis, Simenon a été très décrié aussi, en son temps » (sic), on pourrait… et on pourrait aussi… enfin, on pourrait au moins essayer, quoi.


Christine Bini


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