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La nature de la conscience : Sylvie Dethiollaz
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/12/2025
Je ne connaissais pas cette femme, ni ses travaux.
Je l'ai écoutée avec un ressenti de plus en plus joyeux pour finir par une profonde reconnaissance. Je réalise à quel point toutes mes pensées les plus "étranges" sont justifiées, que tout ce que j'ai pu chercher à traduire dans mes romans ne vient pas de rien, que mon histoire personnelle depuis mon enfance m'a mené là, que je ne pouvais échapper à ce cheminement, heureusement.
Il me plaît de réaliser que ces interrogations et ces cheminements personnels ont pris forme à travers des expériences uniques et non a priori des voies intellectuelles. J'avais 14 ans quand j'ai vécu pour la première fois une "sortie corporelle". J'avais 16 ans quand j'ai rencontré la mort, physiquement, spirituellement, émotionnellement, dans ma chair, que j'ai découvert ce que signifiait le néant. J'avais 24 ans quand j'ai exploré le Réel, c'est à dire ce champ de conscience en tant que l'au-delà de notre infime réalité.
Et puis, ensuite, j'ai entamé des recherches, intellectuelles, cognitives, j'ai cherché à savoir si d'autres personnes expérimentaient des situations similaires. Et puis ensuite, j'ai commencé à écrire.
Alors, oui, entendre cette femme est un réel bonheur parce qu'elle oeuvre dans la dimension scientifique et spirituelle et que donc, ma vie intérieure ne relève pas de la psychiatrie.
"La conscience est le substrat de l'Univers à partir duquel tout prend forme."
Sylvie Déthiollaz
Sylvie Déthiollaz est une docteure en biologie moléculaire, spécialisée dans l'étude des états modifiés de conscience. Elle a fondé à Genève le centre Noêsis, qui est devenu en 2012 l'Institut suisse des sciences noétiques (ISSNOE). Son objectif est d'étudier la conscience à travers des phénomènes tels que les perceptions extrasensorielles, les expériences de mort imminente (EMI) et les phénomènes de décorporation.
Parcours et contributions
Formation : Elle a effectué des études post-graduées à l'Université de Berkeley.
Fondation de l'ISSNOE : L'institut qu'elle a créé se concentre sur la recherche pluridisciplinaire autour des relations entre l'esprit et la matière.
Publications : Elle a co-écrit plusieurs ouvrages, dont un sur les états modifiés de conscience publié en 2011.
Collaborations et projets
Collaboration avec Claude Charles Fourrier : Elle a travaillé avec Fourrier, un psychothérapeute ayant vécu une expérience de mort imminente, pour mieux comprendre et accompagner les personnes ayant vécu des expériences similaires.
Projets de recherche : L'ISSNOE mène des recherches sur les états modifiés de conscience non ordinaires, les EMI et les perceptions extrasensorielles.
Vision scientifique
Sylvie Déthiollaz encourage une approche scientifique ouverte et méthodique pour explorer les phénomènes de conscience. Elle soutient que la science actuelle admet que la réalité perçue est seulement une partie de ce qui existe, laissant la porte ouverte à l'idée que la conscience pourrait exister en dehors du corps physique.
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Contre-nature
- Par Thierry LEDRU
- Le 19/12/2025
"Il n'y a pas de fait contre nature ; la nature n'est jamais contre elle-même". Paul Toupin
Les coïncidences, c'est tout de même un phénomène fascinant. Comme à chaque fois que je croise la route d'une phrase qui m'interpelle, m'interroge, me trouble, je la malaxe, la mâche, la décortique, l'autopsie jusqu'à plus faim.
Depuis deux jours, c'est la phrase de Spinoza, présentée dans l'article précédent. Alors, je cherche, je fouille, je sors d'autres ouvrages de ma bibliothèque ou je surfe sur les vagues infinies de l'océan du net et bien évidemment, au fil de mes recherches, il arrive que je croise la route d'une autre phrase, tout aussi importante à ce moment-là. Et cette fois, c'est celle-là, la phrase de Monsieur Paul Toupin dont je n'avais jamais entendu parler et qui me happe au détour d'une lecture.
Et toute la journée, alors que j'avais décidé de repartir en forêt chercher de jeunes arbres à déterrer pour les installer bien à l'abri dans notre terrain, alors que je faisais des trous, que j'installais les nouveaux résidents, que je couvrais le sol de broyats divers et que j'expliquais à ces arbres que ce changement de lieu, aussi perturbant puisse-t-il être, est destiné à leur offrir un espace protégé, je tournais l'expression du "contre nature" dans le terreau de mes pensées.
Larousse : Contre nature est une locution adjectivale signifiant monstrueux ou contraire à l'ordre naturel, s'opposant à ce qui est naturel ou normal.
Mais alors, si la nature n'est jamais contre elle-même, comment l'humanité peut-elle parvenir à être aussi destructrice ? Serait-ce donc que l'humanité ne puisse être reliée à la nature ou s'en est-elle extraite au fil du temps ? Et comme la quadrilogie sur laquelle je ne travaille plus depuis quelque temps s'intéresse principalement aux comportements humains et à leurs effets, j'ai inséré dans l'histoire cette interrogation de l'idée d'une nature inhumaine ou d'une humanité dénaturée.
TERRE SANS HOMMES (texte qui sera changé, repris, rechangé, revu, modifié, effacé, réécrit, et ne sera peut-être jamais publié)
Chapitre 8
Joachim Nichols avait rencontré Nancy. Et à la fin de la troisième journée à ses côtés, participant avec enthousiasme aux activités de la communauté, écoutant cette femme comme il n’avait jamais écouté ses anciennes compagnes, bouleversé, fasciné, comblé, envahi d’une sérénité joyeuse qu’il n’imaginait pas ressentir un jour, il avait compris qu’il ne retournerait pas dans son fortin, que l’invitation de Nancy ne pouvait plus être rejetée, que sa solitude n’était aucunement une nécessité, que son histoire n’existait plus, que tout avait été effacé, qu’il n’avait plus aucune mission, qu’il était juste un survivant, au même titre que Josh Randall et les autres occupants du centre. Un survivant qui se devait de saisir les opportunités que la vie lui proposait.
Nancy. Ses robes colorées, sa longue chevelure noire, cette silhouette féline, une personnalité mystérieuse et pourtant intégralement disponible, un phrasé posé, modulé par une voix captivante, un sourire lumineux qui réjouissait instantanément celui ou celle à qui il était destiné, des yeux bleus d’océan, des regards pénétrants, aimants, l’impression d’être déshabillé. Oui, c’est la première impression qu’il avait eue, comme s’il n’était pas possible devant elle d’être autre chose que soi.
Il en avait eu peur.
Puis, il avait réalisé que c’était absurde.
Nancy embaumait la vie d’un amour immense.
« Tu portes des choses lourdes, Joachim, lui avait-elle dit. Et tu ne veux pas en parler mais elles parlent pour toi. »
Au potager, en soins pour les plantes aromatiques, à la taille des arbres fruitiers, à l’aménagement des combles pour accueillir de nouveaux arrivants, pendant la préparation des repas, n’importe quand, n’importe où, Nancy pouvait prononcer des paroles inattendues et d’une justesse absolue, avec un sourire délicat, amusé et respectueux, pleinement consciente de la portée des mots et essentiellement tournée vers l’éveil de son interlocuteur, une révélation à entendre, un nœud à défaire, un lien à créer, un soulagement à offrir, une vérité à saisir.
« Oui, Nancy. »
Il n’en disait rien de plus.
Elle souriait. Lui aussi.
Il avait rencontré l’intégralité de la communauté, des gens ouverts, solidaires, impliqués, tous actifs, tous reconnaissants, tous désireux de se montrer utile, de construire un avenir commun.
Il avait été considérablement surpris de réaliser que Walter Zorn ne tournait plus dans ses pensées, que cette mission qui lui avait été attribuée s’effaçait dans une brume opaque, comme une vie lointaine qui ne lui appartenait plus, que cette nouvelle humanité dont il aurait été un organisateur n’avait pas eu besoin de lui pour s’établir, elle était là, devant ses yeux, il y avait trouvé une place, il en était heureux. Chaque soir, une fois rejoint la salle commune où dormaient les hommes célibataires, il voyait s’éparpiller dans son esprit les pièces du puzzle de son ancienne vie et alors qu’il craignait intensément cette idée d’une disparition existentielle, une perte de sens, une dilution morbide dans une continuité morne, il réalisait avec bonheur que ses journées dans le centre le comblaient au-delà de toutes projections. Un basculement. Il avait bien conscience que Nancy jouait un rôle prépondérant dans cette sérénité joyeuse. Il s’amusait en lui-même de cette frivolité juvénile, de ce pétillement interne, cette chaleur en lui quand elle l’invitait à travers le camp, pour une activité précise ou juste pour s’asseoir sur un banc, au bord de la baie.
« On pourrait penser que la nature ne peut agir contre elle-même et pourtant le comportement des humains depuis bien longtemps est contre-nature puisqu’il contribue à porter atteinte à cette nature elle-même. Est-ce que ça signifie que l’humain est un être dénaturé ? Ou est-ce que la nature est inhumaine dans le sens où elle ne peut être associée à l’humanité entière ? »
Elle le regarda en souriant. Le ciel gris plombait les eaux de la baie d’une lourde tristesse, comme un monde éteint à tout jamais et les vents tournoyants ne plaidaient aucunement à une contemplation prolongée. Et Joachim rayonnait intérieurement.
« Une nature inhumaine, j’aime beaucoup la tournure, répondit-il. Les humains qui accusent la nature dans le cas des catastrophes et qui omettent que rien dans ces situations ne relèvent d’une quelconque volonté, d’une intention, d’un projet, d’un objectif. Pour être coupable, il faut être conscient de ses actes. La nature est neutre alors que l’humain est conscient. Il sait ce qu’il fait même s’il est souvent incapable d’identifier les conséquences de ses actes. Donc, oui, l’humain s’est dénaturé, il s’est mis de côté.
-Ou au-dessus, intervint Nancy. Ce qui est encore bien pire. »
Ils s‘étaient levés lorsque le bateau de pêche de George était venu se ranger le long du quai et ils avaient aidé au déchargement des caisses de crabes.
« C’est impressionnant la vitesse avec laquelle les populations de crabes se sont multipliées depuis le début du bordel, lança le marin. Et même chose pour les poissons. Je laisse traîner cinq lignes et au bout de trois heures, je reviens avec dix-sept poissons. Cinq espèces différentes. Plus qu’à les saler. »
Depuis plus de dix ans, le centre avait développé un système de marais salants et la production était réputée pour sa qualité. La vente assurait un revenu en plus des séjours touristiques ou à visées scientifiques. George et Jack avaient même construit un fumoir cinq ans auparavant et la vente des poissons sur les marchés locaux s’était révélée fructueuse. Tout ce qu’il produisait était écoulé. Désormais, tout entrait dans les réserves alimentaires.
« Tout ce qui est contraire à la nature est contraire à la raison, énonça Nancy. C’est un texte de Spinoza. »
Ils avaient rejoint la salle commune du centre, une grande pièce toute lambrissée et au bout de laquelle trônait une belle cheminée. La chaleur des bûches attirait les résidents après les travaux du jour.
Nancy et Joachim étaient assis dans un canapé. Nancy avait couvert ses jambes avec un plaid. Joachim lui avait apporté un mug rempli d’eau chaude. Elle y avait versé un sachet de thé. Et devant la danse des flammes, elle reprenait le fil de ses idées.
« Alors, c’est que l’humanité est déraisonnable depuis bien longtemps, intervint Joachim.
-C’est évident. Mais j’en reviens dès lors à cette hypothèse selon laquelle l’humain n’est plus un être de nature, qu’il est une excroissance, une mutation, un virus, un extra-terrestre en fait. En tout cas, une entité qui par le truchement de son cortex s’est extirpé de son statut de nature. Dès lors qu’il porte atteinte à la nature et donc à lui-même, c’est qu’il ne raisonne plus et si sa raison le conduit à détruire la nature, c’est qu’il n’en fait plus partie. Il est devenu un être contre-nature. »
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Hors sol et hors de raison.
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/12/2025

Il faut prendre conscience du désastre, prendre conscience que le comportement humain est "hors de raison" depuis très longtemps, beaucoup trop longtemps, que l'attitude de l'humain envers l'ensemble de la nature relève de la pathologie étant donné qu'il s'agit de porter atteinte à la vie en nous.
Les climatologues identifient le début des problèmes du dérèglement climatique à l'entrée dans l'ère industrielle, à la découverte et à l'usage des énergies fossiles. Mais, non, en fait, c'est bien avant ça. Les énergies fossiles n'ont été que la conséquence, que la continuité d'une attitude néfaste bien plus ancienne. Je ne chercherai pas à en situer l'émergence. Est-ce que c'est possible d'ailleurs ? Est-ce que ça n'est pas propre à l'humain ? Ne sommes-nous pas en tant qu'espèce "évoluée" destinés à détériorer un mécanisme naturel parfaitement conçu ?
Car si nous établissons un état des lieux en prenant comme point de départ l'an 1000, juste pour donner une date précise, il est évident et indéniable que l'humanité ne peut être considéré autrement que comme un fléau. Au point qu'aujourd'hui, elle met en péril la pérénnité de la vie sur Terre.
J'entends déjà brailler ceux qui diront que la vie ne disparaîtra pas, que c'est l'humanité qui se condamne, que la nature saura se prolonger etc... Mais faut-il donc rappeler sans cesse que l'humanité par son activité a déjà fait disparaître de la terre des espèces entières et qu'elle contribue chaque jour, à chaque heure, à chaque instant à la mort de millions d'animaux, que les océans ne fonctionnent plus normalement, que l'atmosphère est atteinte, que l'eau est polluée, que les sols sont considérablement impactés etc etc... Que la terre nous survive, oui, bien évidemment, le globe tournera toujours mais qu'en sera-t-il de la vie à sa surface ?
Tout ce qui est contraire à la nature est contraire à la raison et nous sommes déraisonnables, condamnés même par notre hégémonie à un comportement de serial killer.
En ce moment les éleveurs se battent pour préserver leurs animaux, qu'ils ne soient pas abattus sur ordre du gouvernement. Des bêtes qui sont condamnés à l'abattoir pour nourrir grassement des populations qui n'ont pourtant aucunement besoin de viande. Je n'en mange plus depuis vingt ans. Mes prises de sang sont excellentes. Je fais bien plus de sport que beaucoup d'hommes de mon âge. Alors, non, je n'arrive pas à prendre partie pour les éleveurs. Par contre, je comprends parfaitement leur détresse dès lors que c'est leur moyen de subsistance et qu'ils ne roulent pas sur l'or malgré un labeur très dur. Je comprends leur colère mais sur le fond, je ne peux pas défendre leur mode de subsistance. Qu'ils contestent le mercorur, ok, très bien, je suis solidaire de ça parce que les viandes qui viendront du Brésil seront gavés de produits interdits en France. Et qu'il est effectivement possible que l'UE "sacrifie" l'agriculture européenne pour favoriser celle de pays moins "exigeants" en échange de voitures européennes ou d'autres produits. Je n'en sais rien, je l'ai lu, je n'ai aucune preuve et je n'en cherche pas. Je n'ai confiance en rien dès lors que les décisions sont prises à des niveaux politiques qui sont bien trop éloignés de ma vie pour que je puisse m'y opposer. Van der Leyen comme tous les grands pontes de l'UE se contrfichent totalement de ce que je pense, comme ils se fichent des agriculteurs français. Nous ne sommes rien d'autre que des consommateurs. Nous n'existons qu'au regard de notre pouvoir d'achat et de notre carte d'électeur.
Par contre, pour ce qui est de la souffrance animale, des vaches, des cochons, des lapins, des poulets, des canards, des poussins broyés, des poissons d'élevage, je pourrai par exemple poster ici les vidéos du dernier abattoir visé par L214 et dans lesquelles les animaux sont tués dans des conditions effroyables. Hors de raison.
L'élevage n'est qu'un problème parmi des centaines d'autres. Nous avons porté atteinte à la vie depuis bien trop longtemps.
Nous sommes, en tant qu'espèce, hors sol et hors de raison.
Et ça ne pourra pas durer éternellement.
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Un shoot d'endorphines
- Par Thierry LEDRU
- Le 15/12/2025
Je sais bien que ça n'est pas recommandé de courir avec une sténose, trois hernies, des crampes liées à la dégénérescence des nerfs.
Marche et petit trot
18,66 km
3:01:02
9:42 /km
Dénivelé positif
703 m
Temps écoulé
3:05:04
Oui, le parcours était rude, montées, descentes, montées, descentes, dix-huit kilomètres, 700 mètres de dénivelée, trois heures à trottiner, toutes les montées en poussant avec les bâtons, en appui à chaque foulée dans les descentes. J'ai toujours mes bâtons de randonnée parce que les dégâts neurologiques font que mes chevilles se tordent facilement, trop facilement. Je cours avec des chaussures montantes qui serrent la malléole. Elles sont plus lourdes que des chaussures de trail classiques mais je n'ai pas le choix. Une entorse au fin fond d'une gorge, seul, à des kilomètres d'une route fréquentée, je n'ai pas envie de tester.
Donc, je cours. Pas vite mais je tiens le rythme qui me convient. Et là, aujourd'hui, je finissais par une montée de deux kilomètres, avec des portions bien raides, dans la caillasse.
J'avais les écouteurs dans les oreilles, comme toujours et j'ai bien senti arriver le moment du "shoot", quand les endorphines prennent la relève, qu'elles deviennent le carburant alors que les muscles sont durs.
"Les endorphines sont des neurotransmetteurs produits naturellement par le corps, agissant comme des analgésiques naturels et procurant une sensation de bien-être."
Je ne veux pas arrêter. C'est ma drogue. Je ne fume pas, je ne bois pas, je cours. Là, ce soir, je suis cassé, je marche au ralenti, j'ai mal partout, les jambes, le dos, la nuque, je sais que cette nuit, les crampes seront sans doute plus violentes que d'habitude. Mais demain, ça ira.
Et il me reste en mémoire cette dernière montée, quand j'ai ri tout seul, juste pour ce plaisir qui ne se raconte pas, la puissance, la force, les appuis, la bave aux lèvres, les souffles, les yeux exorbités pour déceler les pièges, les pierres de travers, les ornières sous les feuilles, et la poussée des bâtons, la poussée des bâtons, les abdos serrés, ne rien lâcher, tenir, tenir et boire jusqu'à la lie les flots d'endorphines. J'avais dans les oreilles les battements de mon coeur comme une rythmique qui accompagnait la musique, boum, boum, boum, le sang qui gicle et parcourt les artères, l'oxygène nécessaire, c'est tellement insignifiant de se contenter de respirer calmement, c'est tellement insuffisant, il faut pousser la machine, arracher la viande, que ça brûle, que ça soit dur, que les muscles crient misère jusqu'à ce moment libérateur du shoot préhistorique, les endorphines qui ont permis à nos ancêtres de courir plus vite que les prédateurs.
Le seul prédateur qui me concerne aujourd'hui, c'est la vieillesse mais pour l'instant, je cours plus vite qu'elle. Je n'ai aucunement envie de me préserver, de marcher à l'économie, de viser le grand âge. Je l'ai déjà écrit ici : que mon coeur lâche d'un coup au milieu d'une crue d'endorphine me comblerait de bonheur.
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Méditer dans son cercueil
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/12/2025
Un exercice que je pratique régulièrement.
Le soir. Après avoir lu.
J'éteins, je suis allongé sur le dos, je place mes bras le long du corps. Si la température n'est pas suffisante, je laisse un drap sur moi mais si je ne risque pas d'avoir froid, je retire tout. L'idéal est d'avoir le moins de contact possible avec des éléments extérieurs.
Lumière éteinte, yeux fermés.
L'objectif est de se défaire des sensations corporelles, les points de contact du dos sur le matelas, le drap sur soi s'il est en place, de suspendre totalement les mouvements, jusqu'à la moindre vibration, de ne plus penser, de respirer avec la plus petite dépense d'énergie. Et de ne pas s'endormir.
L'idée est d'être comme mort en sachant pertinemment que c'est impossible. L'idée est de tout limiter, tout rappel à la vie. Puis, lorsque ce "vide" est instauré et malgré les soubresauts infimes qui peuvent survenir, cet orteil qui vient de frotter son voisin, ce point de l'omoplate droite qui gratte, ce gargouillis dans les intestins, il est temps d'engager la suite, la visualisation d'une boule lumineuse, une boule sans matière, juste une énergie condensée, elle a la taille d'un oeuf de poule mais avec la capacité à se réduire selon le lieu où elle se trouve. Cette boule va être guidée pa la pensée, juste une pensée, une volonté, un contrôle permanent, elle va circuler dans l'intégralité du corps, visiter les moindres recoins, des pieds à la tête. L'objectif est de conscientiser à travers cette énergie chaque point du corps, chaque zone, chaque ressenti en sachant que simultanément à cette énergie diffusée par cette boule d'énergie, le reste du corps est "éteint".
Faire en sorte que la vie rayonne dans un corps mort à travers un cheminement guidé.
Je peux vous assurer que les effets sont fascinants. Il m'est arrivé à de multiples reprises de pratiquer cet exercice avec une douleur précise, un point, un noeud, une irradiation, une contracture et m'apercevoir en me réveillant le lendemain que la boule d'énergie l'avait absorbé, effacé, dilué.
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Se préparer au pire
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/12/2025
Bien évidemment que ça n'a rien de dépressif et c'est même un moyen extrêmement efficace de saisir pleinement le miracle d'être en vie.
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Se préparer au pire, praemeditatio malorum
Auteur/autrice de la publication :Ali Sanhaji
Post published:16 juin 2019
Post category:Exercices spirituels / Stoïcisme
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Les exercices spirituels des stoïciens sont une pratique mentale qui a pour but de nous aider à mieux vivre tous les jours. On les appelle des exercices car il faut s’entraîner à les faire pour récolter les fruits de leurs effets sur notre santé et notre bien-être. Un des exercices les plus célèbres chez les stoïciens est le pré-exercice des maux (praemeditatio malorum). Il consiste à se projeter dans l’avenir avec pour but d’imaginer tout ce qui peut mal se passer afin d’être préparé au cas où le mal arrive.
À première vue, on dirait un exercice de dépressif et d’hyper-anxieux. Certains diront qu’ils pensent déjà au pire naturellement, et que cela ne fait que les rendre encore plus anxieux. Mais le but de l’exercice n’est pas de déprimer davantage. Ce n’est pas juste de visualiser la situation qu’on craint, et ce n’est certainement pas de penser ensuite qu’on est condamné et impuissant.
Car la situation que l’on craint ne va peut-être pas arriver et les stoïciens diront qu’il ne faut pas souffrir du mal avant qu’il n’arrive. Et si jamais le mal arrive, le fait d’y avoir pensé permet déjà de ne pas être jeté dans l’inconnu car on aura au moins imaginé la situation au préalable, et cela permet aussi de réfléchir à l’avance à comment agir dans ces circonstances malheureuses et de ne pas être complètement sans ressources. En ayant fait l’exercice, on peut savoir ce qui est en notre contrôle et ce qui ne l’est pas, afin d’agir ce qu’il l’est et accepter ce qui ne l’est pas.
Voici ce que dit Pierre Hadot sur la pratique du praemeditatio malorum dans Qu’est-ce que la philosophie antique :
« En le pratiquant, le philosophe ne veut pas seulement amortir le choc de la réalité, mais il veut plutôt, en se pénétrant bien des principes fondamentaux du stoïcisme, restaurer en lui-même la tranquillité et la paix de l’âme. Il ne faut pas avoir peur de penser à l’avance aux événements que les autres hommes considèrent comme malheureux, il faut même y penser souvent, pour se dire, tout d’abord, que des maux futurs ne sont pas des maux, puisqu’ils ne sont pas présents, et surtout que les événements, comme la maladie, la pauvreté et la mort, que les autres hommes perçoivent comme des maux, ne sont pas des maux, puisqu’ils ne dépendent pas de nous et ne sont pas de l’ordre de la moralité.1 »
En vous projetant dans l’avenir et en déroulant toutes les conséquences que vous craignez, vous pouvez vous rendre compte que finalement même si cela arrive, vous pouvez garder votre calme et essayer de vous en sortir car il dépend de vous de réagir avec fermeté devant tout mal dans toute situation. Votre vision de vous-mêmes est que vous êtes capables d’être courageux, que vous avez la volonté de faire le meilleur possible, et que vous n’allez pas être déstabilisés aussi facilement car vous pouvez démontrer toute votre résolution face aux épreuves que les autres n’arrivent pas à surmonter. Le stoïcisme est une construction de soi, et on ne construit pas des châteaux de sable mais des forteresses et des citadelles.
1 Pierre Hadot, Qu’est-ce que la philosophie antique ? Les écoles hellénistiques, le stoïcisme.
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La nature côtée en bourse
- Par Thierry LEDRU
- Le 10/12/2025
Cet article date de 2022 et il est depuis rangé dans mes archives. De temps en temps, je relance des recherches pour voir si d'autres articles seraient sortis entre-temps. Car l'idée doit plaire sur les marchés financiers et donc, il s'agit de rester en veille...Je rappelle que les financiers ont bien réussi à instaurer les crédits-carbone, système qui a abouti à un fameux scandale. Je vous laisse chercher, tout est sur le net.
"Car c’est de notre capacité à imposer une vision anti-utilitariste de la nature que dépendra au final notre survie."
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La nature bientôt cotée en Bourse?
Face au déclin alarmant de la faune et de la flore, l’Union européenne s’est déclarée résolue à protéger et restaurer la biodiversité d’ici à 2030. Mais, au cœur de sa stratégie, se trouve un projet extrêmement inquiétant : la possible création de marchés sur la destruction de l’environnement. Une mesure qui aboutirait, ni plus ni moins, à la financiarisation de la nature.

Photonews
Carte blanche -
Par Philippe Lamberts, coprésident du Groupe des Verts/ALE au Parlement européen; Marie Toussaint, eurodéputée EELV et membre de la Commission de l’environnement; Olivier De Schutter, rapporteur spécial des Nations unies sur l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme
Publié le 8/12/2022 à 17:00 Temps de lecture: 6 min
La finance ne connaît aucune frontière. Après avoir étendu son emprise à l’ensemble du champ économique et social, elle s’apprête à conquérir un nouvel eldorado : la nature.
Sous l’impulsion notamment de la Commission européenne, la création de marchés sur la destruction de l’environnement pourrait en effet être promue à l’issue de la COP15 de la biodiversité de Montréal, qui s’est ouverte ce mercredi 7 décembre.
Dans un futur proche, donc, les entreprises pourraient avoir la possibilité d’acheter et de vendre en bourse de véritables « permis de détruire » la nature. Concrètement, au lieu d’arrêter la destruction de la nature, ces instruments financiers donneraient à leur détenteur le droit de causer des dommages à la biodiversité dans un lieu donné car ceux-ci seraient « compensés » par la conservation ou la restauration d’un écosystème de « valeur » équivalente ailleurs.
Ces futurs marchés sur la destruction de la nature reposent pourtant sur une double fiction, qui rend leur utilité plus que douteuse.
Illusion de substituabilité
La première est l’idée qu’il serait possible de « compenser » la destruction de biodiversité. Selon cette approche, une entreprise souhaitant, par exemple, construire un aéroport en Espagne à un endroit où se trouve un habitat de flamants roses pourrait en compenser la destruction en plantant des arbres en Roumanie. Or, les écosystèmes ne sont pas substituables : il ne suffit pas de recréer des milieux artificiels pour compenser la destruction de milieux naturels. La biodiversité est en effet une réalité biophysique unique et complexe. Et, à supposer même que les restaurations envisagées soient jugées équivalentes, d’autres problèmes se posent. Tout d’abord, si les dégâts causés sont immédiats et irrémédiables, les restaurations sont par essence progressives et bien souvent temporaires. On ne compte d’ailleurs plus les projets de compensation carbone (boisement, reboisement, etc.) qui sont déjà partis en fumée ces dernières années sous l’effet du changement climatique.
En outre, ces futurs marchés financiers sur la nature poseraient un véritable problème de justice : en suscitant une forte demande pour de vastes espaces naturels destinés à accueillir des projets de compensation biodiversité, ils donneraient lieu à des accaparements de terres et à des expulsions de peuples autochtones et communautés locales. Sans parler du risque de flambée des prix alimentaires mondiaux qui en résulterait, compte tenu de la concurrence accrue pour les terres arables et l’eau.
Marchandisation du vivant
La seconde fiction sur laquelle reposent ces nouveaux marchés est l’idée qu’il est possible de mettre un prix sur la nature. À l’opposé de la logique des écosystèmes, cette approche purement financière s’attache à découper la nature en différents services environnementaux indépendants (tels que la pollinisation, l’épuration des eaux, la protection contre les inondations, etc.), qui peuvent être quantifiables et monnayables. La valorisation monétaire de la nature est en effet un préalable à la compensation : pour pouvoir neutraliser les pertes en biodiversité via des actions de restauration d’une « valeur » équivalente, il est nécessaire de décomposer la nature en unités comparables et échangeables.
Dans un rapport publié en juin 2021, la Commission européenne a ainsi évalué la valeur totale des dix principaux services environnementaux en Europe à 234 milliards d’euros pour l’année 2019. Soit un montant équivalent aux revenus générés chaque mois par l’industrie pétrolière et gazière au niveau mondial. Ce qui démontre l’absurdité d’un tel exercice. En réalité, la nature n’a tout simplement pas de prix, car elle est la condition même de la vie humaine sur Terre. Ce sens commun se heurte néanmoins à l’approche néolibérale de la biodiversité défendue par la Commission, selon laquelle tout doit être mesuré en « valeur de marché ». Elle transparaît notamment très clairement dans son récent projet visant à introduire de nouveaux comptes environnementaux sur les forêts et les écosystèmes dans les statistiques de l’UE.
À ces problèmes conceptuels intrinsèques aux futurs marchés sur la destruction de l’environnement s’ajoute la réalité des faits : dans les pays où des projets de compensation biodiversité ont déjà été mis en œuvre, les résultats sont très largement négatifs. En Australie, par exemple, un rapport du Nature Conservation Council a conclu que dans 75 % des cas, les compensations donnaient lieu à des résultats « pauvres » ou « désastreux » pour la vie sauvage et les terres non cultivées, avec 25 % seulement de résultats « adéquats ». Aucune n’a donné lieu à un résultat « bon » pour la nature. Ce même constat d’échec a été observé pour des projets similaires réalisés aux États-Unis et au Canada.
À tel point qu’aujourd’hui, la compensation biodiversité est devenue très difficile à « vendre » politiquement. C’est la raison pour laquelle la Commission européenne n’y fait plus directement référence dans ses propositions législatives. Elle l’a remplacé par un nouveau terme doté d’un grand capital sympathie : les « solutions fondées sur la nature ». Une pirouette discursive qui lui permet de pousser son agenda en faveur de la financiarisation de la nature, tout en contournant la vigilance citoyenne.
Réguler, interdire, protéger
Alors qu’une sixième vague d’extinction des espèces se dessine, nous ne pouvons pourtant plus nous permettre de privilégier des dispositifs de marché voués à l’échec. La compensation « à la découpe » prônée par la Commission n’est en réalité qu’une diversion visant à maintenir le statu quo, tout en créant de nouvelles opportunités de profits pour le secteur financier. Les scientifiques nous alertent sur l’importance d’une gestion durable des terres, fondée sur le maintien d’une biodiversité dans les sols leur permettant de remplir leurs fonctions dans le stockage du carbone et dans le cycle de l’eau : au lieu de cela, les projets de « compensation » ne sont qu’une continuation de la tendance à exploiter les terres en vue d’objectifs économiques, pour en rentabiliser l’usage autant que possible, aux dépens des communautés locales.
Le déclin massif de la biodiversité appelle à protéger l’existant, plutôt que de recréer artificiellement la nature. D’où la nécessité de revenir à des politiques environnementales traditionnelles et contraignantes : plus simples et moins coûteuses, elles ont déjà prouvé par le passé leur efficacité, que ce soit l’interdiction des gaz aérosols pour stopper le trou dans la couche d’ozone, l’interdiction de l’amiante ou encore des pots catalytiques.
L’année qui vient sera donc cruciale. Car c’est de notre capacité à imposer une vision anti-utilitariste de la nature que dépendra au final notre survie.
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Octobre rose
- Par Thierry LEDRU
- Le 09/12/2025
Une autre demande de dons qui m'interpelle, tous les ans. Evidemment que c'est hypocrite, évidemment que c'est commercial, évidemment que ça ne règle pas le problème à la source.
https://reporterre.net/Bisounours-Des-malades-du-cancer-critiquent-Octobre-rose
« Bisounours ! » Des malades du cancer critiquent Octobre rose

Des membres du collectif Cancer Colère, postés devant un hôpital parisien, appelaient à politiser la campagne Octobre rose, jugée « bisounours ». Dans leur viseur, l’agro-industrie et ses pesticides cancérogènes.
Paris, reportage
Posté devant l’hôpital, il porte une casquette bleu nuit un poil trop grande, sous laquelle poussent à nouveau de fins cheveux un temps dérobés par la chimiothérapie. Les premiers éclats d’une renaissance : « Il est en rémission d’un cancer du cerveau », sourit sa mère en attrapant le tract que lui tend une dame.
En cette matinée d’octobre, le parvis de l’Institut Curie — centre hospitalier spécialisé en cancérologie du 5e arrondissement de Paris — s’est mué en forum. Cinq bénévoles du collectif Cancer Colère apostrophent les passants, d’abord un brin fuyant face à ce qu’ils imaginent être une énième prospection publicitaire.

Pour Cancer Colère, Thérèse sensibilise les passants au lien entre cancers et pesticides. © Mathieu Génon / Reporterre
« La dernière fois que j’ai mis un pied ici, c’était pour fermer le cercueil d’une de mes meilleures amies », confie Julie. Extirpant de son sac à dos un pavé de dépliants à distribuer, la militante décrit la démarche de cette opération éminemment politique : « La célèbre campagne de communication Octobre rose [contre le cancer du sein] est précieuse à bien des égards, mais regorge d’angles morts. Elle multiplie les injonctions culpabilisatrices, notamment à la féminité, et met uniquement l’accent sur les comportements individuels. Pas un mot n’est consacré aux causes structurelles du cancer. Nous devons briser ce silence. »
Pesticides : la colère monte
Destiné à sensibiliser les femmes au dépistage du cancer du sein et à récolter des fonds pour la science, Octobre rose est né en 1985 aux États-Unis sous l’impulsion de l’association American Cancer Society et d’Imperial Chemical Industries, une société britannique. Cotée en bourse jusqu’à son rachat en 2008, cette entreprise aux milliards d’euros de chiffre d’affaires fabriquait certes un médicament contre cette maladie… mais surtout des produits chimiques et des insecticides.
Quatre décennies plus tard, la campagne automnale n’a rien perdu de son aspect commercial. Bien au contraire, elle est pour certaines entreprises un alibi béton pour s’assurer une image progressiste. En communiquant à gogo sur l’émoi que suscite le cancer chez elles, des marques l’utilisent comme véritable levier marketing.
Inès est l’une des bénévoles mobilisées ce jour. Une discrète ligne de maquillage permanent, esquissée sous ses sourcils, témoigne de l’épreuve affrontée ici même « il y a deux ans tout pile ». La trentenaire se remémore les intervenants venus lui dispenser des conseils pour soigner sa peau, fortement abîmée par la chimio. Une fois terminé le cours de make-up, un coffret rempli de produits cosmétiques lui avait été offert. « Pas un seul n’était bio… Seulement des marques comme L’Oréal. Et ça ne choquait personne. »
Et ce alors que les produits toxiques contenus dans les cosmétiques jouent un rôle dans l’apparition des cancers du sein.
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La monotonie des injonctions médicamenteuses qu’elle affrontait en cette période a offert à Inès le terreau d’une colère, longtemps restée silencieuse : une obsession pour la responsabilité des pesticides et des perturbateurs endocriniens dans l’apparition de cancers.
Deux ans plus tard, le déclic lui est venu d’une vidéo. Celle dans laquelle Fleur Breteau, perchée sur un balcon de l’Assemblée nationale, hurlait aux députés de droite et d’extrême droite : « Vous êtes les alliés du cancer, et nous le ferons savoir. » La bénévole poursuit : « À ce moment-là, j’ai su que je voulais en être. »

© Mathieu Génon / Reporterre
Face à la viralité de cette séquence, intervenue le jour de l’adoption de la loi Duplomb au Parlement, Fleur Breteau est devenue le visage d’une révolte. En quelques mois, son collectif s’est structuré en une constellation d’antennes locales aux plus de 450 têtes pensantes.
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Des malades, et ex-malades, fatigués que seuls le tabagisme et l’alcoolisme soient jugés coupables alors même que les études scientifiques montrant la corrélation entre les cancers et exposition aux pesticides se multiplient. [1] Fatigués que les lobbies et les politiques continuent de cultiver la fabrique du doute pour préserver les intérêts de l’agrochimie.
6 milliards d’euros versés par l’Assurance maladie
En 2021, près de 6 milliards d’euros ont été versés par l’Assurance maladie aux sociétés privées fabriquant des médicaments contre le cancer — et bien souvent, en parallèle, des pesticides et produits chimiques. C’est le cas de Bayer qui commercialise des substances comme le Larotrectinib — une molécule utilisée dans le traitement contre le cancer de la thyroïde par exemple — et dont la filiale Monsanto produit du Round-up, contenant du glyphosate.
« Ce coût [déboursé par l’Assurance maladie] a doublé en quatre ans et augmente de 20 % chaque année, détaille le tract que Thérèse brandit aux passants. L’épidémie explose et les laboratoires imposent des prix exorbitants pour leurs anticancéreux. »
« Les laboratoires imposent des prix exorbitants pour leurs anticancéreux »
Psychologue de profession, cette bénévole a adopté une stratégie bien à elle pour convaincre les inconnus de l’écouter… Les poursuivre, où qu’ils aillent. Tout sourire, elle détaille les combats de Cancer Colère, aborde le scandale du chlordécone et ponctue ses conversations d’un appel au soutien : « Suivez-nous sur Instagram, ce sera déjà un sacré coup de pouce. » Comme Marianne et Inès, elle aussi a eu un cancer. « Du rein, précise-t-elle sans épiloguer. Je m’en suis bien sortie. »
Épandage à l’hélicoptère
Un pin’s à l’effigie du collectif accroché au gilet, Marianne, ancienne professeure d’arts plastiques, interpelle une coquette septuagénaire prête à s’engouffrer dans l’institut. « Le cancer ? Oui, je ne le connais que trop bien malheureusement », lui rétorque cette dénommée Brigitte. Fille d’un éleveur de vaches de Bourgogne, elle énumère ses proches emportés par la maladie. Son père et son grand-père ont succombé au cancer de la prostate. Son cousin céréalier, au cancer du rectum. « Je le vois encore survoler ses champs en hélicoptère pour balancer des cochonneries. L’épandage n’avait aucune limite, regrette cette infirmière retraitée. C’était hallucinant. »
Sa sœur et elle ont aussi eu un cancer du sein. « J’avais 35 ans et venais d’accoucher de mon troisième enfant, poursuit Brigitte. J’ai dû arrêter mon travail. » Une fois achevée la mastectomie, elle a dû changer à plusieurs reprises de prothèse. Traité en 1982, son cancer la poursuit encore aujourd’hui.
« Le plus difficile, c’est cet inconnu, abonde Inès. Mon oncologue m’a prévenu que les risques de récidives demeureraient toute ma vie. Comment avancer paisiblement en sachant que cette épée de Damoclès plane au-dessus de votre tête ? »

Le nombre de cancers chez les moins de 50 ans a bondi de 80 % en trente ans. © Mathieu Génon / Reporterre
À ses yeux, la campagne Octobre rose revêt en ce sens un aspect « bisounours » : « Le cancer du sein est évoqué comme un petit cancer. Non, c’est le cancer le plus meurtrier chez les femmes. » Et lorsqu’il ne tue pas, il pousse parfois les victimes au divorce, au licenciement ou à l’abandon de projets. Débarrassée depuis deux ans de la tumeur, la militante est toujours sous traitement. Des piqûres et des comprimés annihilant ses hormones, jusqu’à placer son corps en ménopause. « Résultat : j’ai dû renoncer pour l’heure à avoir un enfant », déplore-t-elle.
Un « tsunami » de cancers
« Personne ne se sent vraiment concerné par le cancer, avant d’avoir rendez-vous chez l’oncologue, poursuit Inès. Lorsque le mien m’a été diagnostiqué, un immeuble m’est tombé sur la tête. Pour moi, ça n’arrivait qu’aux autres. »
Dans une enquête publiée en mars, Le Monde dévoilait que le nombre de nouveaux cas de cancers chez les moins de 50 ans avait bondi de près de 80 % en moins de trente ans. Les tumeurs digestives et du sein sont les plus concernées par ce que certains chercheurs qualifient déjà d’« épidémie ». Un mois plus tôt, le Pr Fabrice Barlesi, directeur général de l’Institut Gustave Roussy, appelait même à se préparer à « un tsunami » de cancers chez les jeunes. « Ce n’est plus juste la faute à pas de chance », dit Marianne.

En 2022, plus de 164 000 personnes sont mortes du cancer en France. © Mathieu Génon / Reporterre
La bouille débordante d’entrain, Candice contorsionne sa poupée sous l’œil amusé d’un taxi. Il y a un an, un rétinoblastome — tumeur cancéreuse intraoculaire — a été diagnostiqué à la fillette qui soufflera en janvier sa deuxième bougie. « J’ai aperçu un reflet blanchâtre dans sa pupille, témoigne Ingrid, sa mère. Le même que l’on observe chez les chats la nuit. » Dès le lendemain, un pédiatre l’invitait à sauter dans un avion en direction de Paris pour procéder aux analyses. « Nous avons multiplié les allers-retours entre ici et La Réunion le temps du traitement. Et par bonheur, son œil a pu être sauvé. »
Enfouissant le tract de Cancer Colère dans une pochette de la poussette, Ingrid salue les bénévoles et disparaît. Comme pour bien des passants croisés ce jour-là, la polémique entourant la loi Duplomb et le rôle des pesticides dans l’émergence de cancers ne lui étaient guère familiers.
« À force de sensibilisation, ces sujets seront incorporés dans le débat public », espère Thérèse. À la nuit tombée, une autre équipe du collectif s’en ira d’ailleurs placarder les murs de la ville d’affiches appelant à briser le silence.
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