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Jarwal le lutin (tome 2)
- Par Thierry LEDRU
- Le 16/11/2011
Le travail avait cessé à la tombée du jour. Les Kogis avaient réintégré leurs huttes. Les palissades cernaient désormais le village. Un malaise immense dans le cœur de chacun, une séparation douloureuse, un cordon sectionné. Les horizons fermés cloisonnaient les âmes.
Jarwal et Gwendoline avaient été invités dans la hutte centrale, la Nuhé qui accueillait les sages et tous les individus chargés d’assurer la cohésion du peuple, celles et ceux qui participaient aux discussions les plus essentielles avant d’en référer au reste de la tribu.
Nasta avait demandé à Jarwal de s’asseoir près de lui. D’autres Mamus avaient pris place à leurs côtés. Kalén s’était assis en face de Jarwal et traduisait les paroles de Nasta. A l’écart du groupe, deux femmes âgées expliquaient par gestes à Gwendoline comment tresser une mochilla. Elles souriaient constamment pour accompagner ses efforts.
Des flammes savamment entretenues diffusaient des parfums dansants de clarté, des arabesques joueuses qui dessinaient sur les visages des reliefs apaisés.
Malgré le poids des menaces, il flottait dans l’air une étrange plénitude.
« Vous n’avez pas l’air inquiets, annonça Jarwal. J’en suis étonné.
-Pour quelles raisons nous devrions être inquiets en cet instant ? Nous avons œuvré à la protection de notre peuple, la nuit est tombée, nous sommes réunis pour parler. La peur ne nous apporterait rien. Elle ne serait qu’une projection dans un avenir qui n’existe pas mais que nous imaginerions. Et cela ne changerait rien à la réalité. »
Kalén expliqua cet échange à Nasta et écouta sa réponse.
« Nasta dit que cette peur ou cette colère que tu fais naître en toi est la même que celle qui te tourmente pour ta mémoire. Les hommes pensent qu’il y a plein de peurs, la peur du noir, la peur des ennemis, la peur d’un animal sauvage, la peur d’un orage mais ce sont toutes les mêmes peurs. La peur n’existe pas en elle-même. Elle n’est que le résultat de l’incapacité des hommes à observer leurs émotions et ensuite à comprendre que cette peur est irréelle. Cette peur n’est réelle pour eux que parce que ces hommes ne sont pas dans la réalité. Celui qui n'est pas réel ne peut pas engendrer quelque chose de réel. Ces hommes sont perdus en eux. Toi, tu es perdu en toi parce que tu as peur de t’être perdu. Et cette peur t’empêche de retrouver ta réalité alors qu’elle est toujours là. »
Jarwal regarda Nasta. Un visage impassible et pourtant une lueur particulière dans les yeux, deux filaments étroits, une vibration qui le touchait, comme une intrusion intérieure, un lien indéfinissable, l’impression que Nasta voyageait en lui.
Le sage parla de nouveau.
Kalén expliqua.
« Nasta dit qu’il est temps que tu deviennes ce que tu es et que tu cesses d’être attaché à ce que tu crois être. Il veut que tu t’assois face à lui et que tu poses tes mains sur ses genoux. »
Jarwal se leva et vint se placer devant le vieil homme. Celui-ci prit délicatement une longue pipe en bois et la garnit d’Aruaca. Il embrasa les feuilles et souffla lentement la fumée sur le visage du lutin.
Jarwal ferma les yeux, intrigué par cette pratique qui lui paraissait peu respectueuse. Il abandonna aussitôt ses réticences sachant qu’il n’en était rien.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Nasta s’était approché de son visage, presqu’à le toucher. Il fut surpris de se trouver ainsi nez à nez avec le visage ridé mais l’intensité des yeux le figèrent aussitôt et il se sentit aspiré. Ou envahi. Il ne savait pas dans quel sens les choses se passaient. Comme une vague d’océan qui montait et se retirait, comme un balancement d’arbre dans la houle du vent, un aller-retour qui l’étourdissait, un mouvement lancinant qui finit par ressembler à une alternance respiratoire…
Inspiration, expiration, inspiration, expiration…
Une nouvelle bouffée de fumée sur le visage. Les yeux fermés.
Nasta entretenait ce balancement hypnotique pour instaurer un rituel bien précis. Il devait se laisser porter, abandonner ses craintes. Il se concentra sur la pression de ses mains sur les genoux du sage. Il sentait à travers le tissu la musculature sèche du vieil homme assis en tailleur. Une chaleur qui le surprit dans la paume de ses mains comme si de ce corps âgé émanait un rayonnement solaire.
Le balancement s’accentua encore et il eut l’impression que même son corps bougeait. Il s’aperçut qu’il n’entendait plus les discussions discrètes des femmes et de Gwendoline, qu’il n’entendait plus le crépitement du bois, qu’il n’entendait plus rien d’ailleurs. Il voulut ouvrir les yeux pour se relier à l’environnement disparu et n’y parvint pas. Une lourdeur de montagnes sur ses paupières.
Il sentit pourtant les mains de Nasta se poser sur sa tête, délicatement d’abord puis enserrer progressivement son crâne dans un étau.
C’est là que tout accéléra. Une plongée verticale en lui-même, une chute infinie au cœur d’un halo flamboyant.
Un courant de particules agitées l’entraînait vers l’abîme, il se surprit à sourire et sut que son visage ne bougeait pas, qu’il n’y avait aucun mouvement apparent mais que cette joie coulait en lui comme un ferment vital, il entendit des paroles à l’intérieur de son crâne, elles ne lui parvenaient pas par le canal habituel, ses oreilles ne fonctionnaient pas, les mots étaient en lui, à l’intérieur de son sang, dans les fibres de ses muscles, les mots couraient librement dans un espace immense, il tenta de les saisir au vol mais sans succès, comme si les paroles ne lui appartenaient pas, qu’il devait se contenter de les recevoir mais sans chercher à se les approprier, qu’il devait les vivre au lieu de vouloir les enfermer, que cette connaissance ne s’emprisonnait pas, elle s’honorait, elle se bénissait mais elle n’appartenait à personne, et personne ne pouvait se l’attribuer, personne n’en était propriétaire, je ne suis pas celui qui sait, c’est la connaissance qui sait où me trouver et la connaissance ne me sert pas à me constituer, je vis sans elle, la vie est en moi, la connaissance n’est qu’un habillage mais quand je suis nu, je ne suis pas mort, les mots qui parlaient à sa place, des paroles qui résonnaient en lui sans même qu’il y pense, il devinait étrangement, dans les méandres de son esprit, un observateur appliqué et respectueux, un être plein de compassion et de douceur, pas lui, pas l’individu qu’il avait connu et qu’il recherchait, c’était autre chose, quelqu’un d’autre, une autre forme de vie, toujours cette descente interminable dans un espace circulaire, des zébrures comme des éclairs d’orage, des crépitements d’étoiles, des flammèches comme des braises de résineux dans un brasier, des parois souples et colorées, défilant dans une vitesse indescriptible, des distances infinies parcourues sans aucun effort, sans aucun geste, sans aucune volonté, un courant puissant qui l’emportait, une joie ineffable dans ce voyage, un bonheur inconnu, comme une venue au monde dont on se souviendrait, il n’était pas celui qui sait ou qui ne sait plus, il était la vie en lui et elle ne se remplissait pas d’éléments extérieurs, elle ne dépendait pas de choses rapportées, il s’était identifié à son savoir jusqu’à en oublier qu’il était la vie en lui, il volait maintenant dans un espace translucide, comme au cœur d’un Océan de lumière, aucune peur, aucun désir, aucune volonté de se projeter plus loin, il était là, non pas ce Jarwal qu’il souffrait d’avoir perdu, qu’il étouffait sous des inquiétudes inutiles mais l’être sans nom, sans rôle, sans statut, l’être qui n’a pas brisé en lui le lien avec la Vie, il sentit qu’il tombait mais sans aucun désir de se rattraper, un envol vers les profondeurs, une légèreté infinie qui accentuait la chute, comme s’il n’avait plus de corps, plus d’attaches, plus de masse, plus d’enveloppe, même pas un parfum, même pas un regard, même pas un rayon de lumière, rien de connu, rien de visible, rien de saisissable et cette disparition des choses révélait enfin l’essentiel.
Absence.
Il reconnaissait très bien le grand hêtre de la mare. C’est là qu’il venait souvent s’asseoir avec Gwendoline. Il était seul cette fois. Il s’était allongé sous la ramure et observait le lent voyage des navires de pluie à travers la verdure. Il se laissait porter par la rumeur du vent dans les altitudes. Une douce somnolence. Il ne sut pas quand il ferma les yeux. Et puis elle apparut. Sans qu’il sache si elle était dans sa tête, si c’était un rêve ou s’il était réveillé. Il avait été surpris par ses arabesques autour du tronc et puis elle s’était accrochée à une branche basse, la tête en bas. Il n’avais jamais vu de chauve-souris aussi grosse. Il aurait encore moins imaginé un tel regard. Il s’était senti transpercé, visité, envahi. Aucune violence pourtant, l’impression même que l’animal lui souriait.
« Tu vois bien qu’il était inutile d’avoir peur. Tu n’es pas ce que tu crois, tu es ce que la vie est en toi. Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va. Elle ne réclame pas de toi la perfection mais la plénitude. »
Il ouvrit les yeux. Il eut du mal à s’habituer à l’obscurité. Des résidus de feu psalmodiaient des murmures, quelques brises de lumières à demi éteintes. Il reconnut la hutte et tourna doucement la tête. Gwendoline dormait à ses côtés. Ils étaient tous les deux allongés sur une natte. Une toile de lin les couvrait. Il sentait la main de Gwendoline posée sur son avant-bras.
Une boule de larmes roula dans sa gorge et l’étouffa, comme un sanglot de nouveau-né, une première bouffée d’air.
Il était là.
Pas le Jarwal qu’il avait tant espéré retrouver mais la Vie en lui. Pas un personnage chargé de connaissances séculaires mais un être porteur de la Création, une de ses innombrables créations. Il était ce qu’il devait être et non ce qu’il avait cherché à devenir jusqu’à se perdre dans les méandres de sa prétention. Un nouveau-né vide de tout ce que l’existence apporte comme fardeaux, juste un nouveau-né.
Seule la Vie créait. Lui n’avait fait que se servir des matériaux créés par la Vie. Il n’avait rien inventé, rien découvert. Il avait usé de tout ce que la Vie offrait, il avait décelé une infime partie de tout ce qu’elle proposait, des échanges, des assemblages, des expérimentations mais rien de nouveau, juste des opportunités qu’il avait su saisir.
Il se leva difficilement, tituba jusqu’à la porte et sortit, aussi silencieusement que possible.
Il laissa couler les larmes en observant les étoiles.
La lune, cachée derrière les sommets, étendait des marées laiteuses sur les montagnes, des risées de paillettes cristallines.
Tout était là, en lui, toutes ses connaissances, toute son histoire, tous ses compagnons, ses aventures à travers les âges, toute sa mémoire était là, disponible, intacte mais il ne pleurait pas pour cette intégrité retrouvée.
Rien ne pouvait être plus beau que ce bonheur de la vie révélée.
Les paroles de la chauve-souris ne le quittaient plus. Pas un rêve mais une rencontre. Il en était persuadé sans savoir de qui il s’agissait. Pourquoi une chauve-souris ? Un animal nocturne. Il devait y avoir une explication, ça n’était pas un hasard. De l’obscurité jaillissait la lumière, l’ombre contenait la clarté. Il avait perdu la mémoire pour réaliser qu’il s’était perdu bien avant. Il avait fallu qu’il se retrouve nu comme au premier jour, vide de tout, jusqu’à son nom, jusqu’à la mémoire la plus profonde, qu’il soit privé de tout ce qui fabriquait en lui une image illusoire de la vie, pour saisir enfin que cette accumulation cachait l’essentiel. C’était là, sous ses yeux et en lui.
La Création.
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Au-delà de la grammaire
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/11/2011
Une leçon aujourd'hui sur l'analyse de la phrase et du groupe verbal.
Je propose une phrase simple et les enfants doivent chercher le COD en utilisant une question précise.
"L'enfant range ses crayons.
-L'enfant range quoi ? Ses crayons.
-L'enfant caresse son chien.
-L'enfant caresse quoi ? Son chien.
-Non, je ne suis pas d'accord. L'enfant caresse QUI ? Pourquoi Qui ?
Silence...
-Le jardinier entretient ses plantations.
-Le jardinier entretient quoi ? Ses plantations.
-Non, je ne suis pas d'accord. Le jardinier entretient QUI ? Ses plantations. Pourquoi Qui ?
Silence...
-Papa range la vaisselle.
-Papa range quoi ? la vaisselle.
-Oui, là je suis d'accord. Pourquoi ?
-Ah, oui, je sais ! parce que c'est un objet ! Et les autres, c'était vivant.
-Oui, voilà, c'est exactement ça. Développe s'il te plaît.
-Et bien, il faut dire QUI quand c'est quelque chose de vivant.
-Ah, mais alors, ça n'est pas une chose justement.
-Oui, je voulais dire quand c'est...
-Oui, alors, comment le définir ?
Silence...
-Quel est le point commun entre le chien, les plantes, un animal, un homme, un enfant, une fleur ?
-C'est quelque chose de vivant !
-Mais alors, on ne doit pas dire quelque chose ! Comment les définir ?
-Ce sont des êtres vivants ? C'est ça ? Mais une plante, c'est pas vivant comme nous !
-Ah bon, et pourquoi ? Comment définir ce qui est vivant ? Si tu penses qu'une plante n'est pas un être vivant, elle est donc dans le même état que ce crayon. C'est ça ?
-Ah, ben non, c'est pas comme un crayon.
-Alors quelles sont les différences ?
-Ben, le crayon, il n'est pas vivant.
-Oui, d'accord, mais comment définir ce qui est vivant ?
-Ça parle.
-Mais une fleur, ça ne parle pas comme nous. Mais est-ce que ça communique ? Les oiseaux, par exemple, ils chantent. Est-ce que c'est une communication ? Est-ce que les plantes communiquent à leur façon ?
-On ne peut pas le savoir.
-Pourquoi ?
-On ne les comprend pas.
-Alors, on ne peut pas limiter ce qui est vivant à ce qui communique. Il faut trouver une définition plus juste.
-Ça change. Ça meurt.
-Est-ce qu'une plante change, est-ce qu'elle meurt ?
-Ben, oui.
-Est-ce que tout ce que vous connaissez et que vous jugez comme étant vivant va changer et mourir un jour ?
-Ben, oui.
-Bon, alors cette définition-là, on peut la garder. Tout ce qui est vivant se transforme et finit par mourir. Mais si tout finit par mourir, comment expliquer que ça existe encore ? Tout ce qui est vivant aurait dû disparaître depuis le temps que ça existe.
-C'est la reproduction !
-Tout ce qui est vivant se reproduit ? Même les plantes ?
-Ben oui, elles ont des graines et les fleurs, elles ont du pollen. Et les animaux, ils font des petits.
-Et les humains aussi ?
-Ben oui, sinon, on ne serait pas là.
-Bon, alors, tout ce qui est vivant se reproduit avant de mourir. Il reste encore un élément. Vous avez parlé de transformation. Qu'est-ce qui permet aux éléments vivants de se transformer ?
-La nourriture !!
-Bien, mais est-ce que les plantes se nourrissent ?
-Ben oui, elles ont des racines.
-C'est plus compliqué que ça mais c'est vrai que les plantes se nourrissent. Donc, tout ce qui est vivant se transforme en se nourrissant, se reproduit et finit par mourir. Est-ce que les plantes, les animaux et les êtres humains répondent à ces critères ?
-Ben, oui.
-Alors, vous comprenez pourquoi j'insiste pour dire QUI et non QUOI quand on pose la question ? Est-ce que vous allez utiliser QUI pour parler d'un crayon ou de la vaisselle ?
-Ben, non, c'est pas vivant.
-Alors pourquoi est-ce qu'on n'a pas ce réflexe de considérer une plante comme un être vivant ou même certains animaux ? Lisez ce texte et dites-moi ce que vous en pensez ?
"Tu as écrasé cette chenille. Bien, c'était facile. Maintenant, refais-la. " Lanza Del Vasto.
-On ne peut pas la refaire !!
-Alors pourquoi l'avoir écrasée ?
Silence...
-Moi, je sais, c'est parce qu'on ne l'entend pas se plaindre.
-Et oui. Voilà. On en revient à ce fameux langage dont on parlait tout à l'heure. On n'entend pas la chenille nous parler. De la même façon qu'on n'entend pas les arbres se plaindre des feuilles qu'on leur arrache en passant devant la haie. Ils ne disent rien qu'on ne peut comprendre. Ce qui ne veut pas dire qu'ils ne disent rien, c'est juste qu'on n'entend rien. Mais on ne sait pas ce qui se passe en eux. On peut imaginer qu'ils souffrent en tout cas puisqu'ils sont vivants. Si on m'écrase le pied ou qu'on m'arrache les cheveux, j'aurai mal. Pourquoi ?
-Parce que tu es vivant.
-Mais on vient bien de dire que les animaux et les plantes sont eux aussi des êtres vivants. Est-ce qu'on a le droit de penser et de croire qu'ils n'ont pas mal ?
-Ben, non. Ils sont comme nous.
-Ils ne sont pas comme nous mais ils sont en tout cas des êtres vivants. Ce qui nous rapproche, c'est cette vie en nous. Quelle que soit la forme qu'elle prend. Alors, je tiens à parler d'eux avec les termes qui concernent les êtres vivants. Donc, je dis QUI et pas QUOI. Et que pensez-vous de la Terre en général alors ? Si je dis : Certains hommes abîment la Terre. Est-ce que je dois dire : Certains hommes abîment quoi ? La Terre. Ou bien est-ce que je dois dire : Certains hommes abîment qui ? La Terre ?
-Qui !!
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Kilian Jornet.
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/11/2011
L'hébergeur du blog ne prend pas les vidéos autres que youtube et dailymotion, désolé.
http://www.canalplus.fr/c-sport/pid2708-c-interieur-sport.html?vid=542193
A regarder absolument ! Fascinant ...Et une approche "spirituelle" qui me plaît infiniment.
Pour vous donner une idée du personnage.
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L'instinct et l'inconscient.
- Par Thierry LEDRU
- Le 13/11/2011
En montant au sommet du jour, je repensais à cette expérience, il y a deux hivers déjà. Une coulée de neige qui m'avait embarqué en ski hors piste. Je m'étais retrouvé tête en bas, brassé par le flot, coupé de la vision du ciel, recouvert par la masse, une impression de vitesse et surtout une force immense qui m'emportait.
Une fulgurance dans mes réactions.
Aucune pensée visible.
Juste l'instinct de survie.
Rester à la surface, se remettre à l'endroit, les pieds dans la pente, brasser avec les bras pour rester à la surface.
Je n'avais aucune expérience dans le domaine et pourtant j'ai choisi les bonnes options sans, bien entendu, avoir eu le temps d'y réfléchir.
D'où vient cette "présence," cette lucidité alors qu'aucun raisonnement ne peut la soutenir ?
S'il y a eu des pensées, elles n'ont laissé aucune empreinte. Le laps de temps entre ces éventuelles pensées et les actes nécessaires n'est pas quantifiable. Il n'y a aucune observation de pensées comme cela est possible dans la vie quotidienne. Et pourtant, il est difficilement envisageable que ces actes soient issus de simples réflexes. Il en serait ainsi si j'avais posé ma main sur quelque chose de brûlant par exemple. Mais, là, j'étais embarqué dans une situation dont je n'avais aucune connaissance préalable, ni aucune conscience inscrite.
Aucune conscience...
Mais peut-être un inconscient...Un inconscient apte à provoquer les réflexes corporels sans même que l'intellect, le raisonnement, les pensées rationnelles ne soient mis en application.
Ou alors, il faudrait concevoir que le corps lui-même dispose d'une auto-capacité à se réguler et à agir.
Là, je n'en sais rien.
Mais je sais par contre que notre inconscient occupe une place gigantesque dans notre existence et que nous en ignorons l'essentiel, de part sa structure, son fonctionnement, son identité même. Puisque tout cela relève de l'inconscient.
L'inconscient aurait donc, dans ce type de situation, un rôle prépondérant et le corps serait un récepteur extrêmement performant. Bien au-delà de ce que notre conscience et nos connaissances de nous-mêmes laissent envisager.
Maintenant, il reste à comprendre la source de cette performance.
Etant donné que je n'avais aucune expérience antérieure me permettant d'user de connaissances acquises et que j'ai pourtant opté pour les bonnes solutions, la question est évidente : d'où vient cette "connaissance" ? Comment peut-elle se mettre en action avec une telle fulgurance ?
La seule réponse qui me vient est étrange et me travaille depuis un moment : Une mémoire antérieure. Des acquis à l'échelle de l'humanité. Des expériences vécues par des individus depuis longtemps disparus et dont les résidus inconscients se seraient transmis. On rejoint d'ailleurs l'idée des champs morphogénétiques de Rupert Sheldrake.
Je sais que notre cerveau reptilien contient des données auxquelles je n'ai pas accès de façon consciente.
Sauf peut-être là. Parce que la vie est en jeu.
Peut-être alors devrions-nous vivre alors dans un état de survie provoquée. Je n'envie évidemment pas les êtres humains confrontés à la guerre ou mourrant de faim, d'épidémie et de tous les maux contre lesquels ils n'ont guère de pouvoir de résistance. Je les plains infiniment.
Mais, moi, dans cette vie privilégiée, je dispose peut-être de l'opportunité d'apprendre à user consciemment de mon inconscient. Ou tout du moins de tenter de l'explorer. Je connais déjà, quelque peu, à ma simple mesure, les états de conscience modifiée à travers l'épuisement. J'en connais les horizons infinis. Je ne vais pas pour autant me lancer des défis propices à mettre ma vie en danger.
Je n'oublierai jamais l'expérience du canyoning avec Léo et Nathalie. Elle me suffit...Ni celle de l'avalanche, ou de l'ascension de la Tête de Lion, ou de la pointe des Nantillons, ni celle du Peigne... Ni tout le reste. Il aurait suffi de pas grand-chose pour que tout s'arrête, définitivement.
C'est inscrit en moi maintenant.
Mais j'aimerais par contre trouver le moyen d'explorer paisiblement cet inconscient et d'en extirper les connaissances millénaires.
Il faut que je relise Carl Gustav Jung...
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L'instinct.
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/11/2011
Une réflexion qui m’est venue après une séance d’escalade.
J’étais entre deux mouvements, à l’arrêt sur deux prises de mains, les pieds posés sur des réglettes et je devais anticiper le geste suivant, deviner les positions à venir. Il fallait que j’anticipe, que j’inscrive en moi cette série de mouvements pour atteindre le prochain point de protection. Je sentais les muscles de mes avant-bras qui durcissaient, je n’avais pas beaucoup de temps pour me décider, le point de protection était juste dessous moi, je ne risquais rien, je savais parfaitement ce que je devais faire et puis, là, le doute s’est insinué, l’idée que ça ne passerait pas, l’appréhension a pris le pas sur les gestes que j’avais imaginés, les pensées ont commencé à s’emballer, je me suis lancé avant que ça ne soit trop tard mais avec cette impression très nette que cette appréhension s’était matérialisée, comme un fardeau que je tirais derrière moi, un poids mort que je devais hisser. J’ai vite jugé que c’était impossible.
Je ne suis pas passé. Je suis redescendu.
Aujourd’hui, je jouais au tennis. Je m’appliquais sur mon revers, j’anticipais la force de la balle, sa trajectoire, le placement…
Et puis j’ai réussi un revers parfait. Enfin, parfait pour moi…:)
Sauf que ma princesse m’a renvoyé une balle encore plus forte et alors que je devais anticiper sur cette balle, sa force, son rebond, la préparation de mon geste, je me suis aperçu au moment où je la frappais que mon esprit était toujours attaché à ce revers « parfait » que je venais de réussir.
J’ai totalement raté mon coup droit.
Et la balle est restée dans le filet.
En fin d’après-midi, j’ai eu besoin d’aller en ville en voiture. Il était évident que je devais anticiper ma conduite en fonction des autres automobilistes, il n’était pas question de rester inerte, intellectuellement, et de conduire en état de songe, de rêverie, d’absence. Sauf que je repensais à cette séance d’escalade et à ce passage que je n’avais pas franchi, à ce fardeau de pensées que j’avais fabriqué et qui avait ruiné tout mon travail sur l’anticipation des gestes, la préparation mentale des mouvements. J’ai le niveau pour le faire mais je n’ai pas eu la maîtrise. Je conduisais donc sans y penser, uniquement guidé par l’expérience.
C’est là qu’une voiture m’a coupé la priorité, dans un rond point, au centre ville. J’ai immédiatement réagi et je l’ai évitée, je suis sorti de mes pensées en une fraction de secondes, plus vite que la moindre de mes pensées d’ailleurs. J’ai choisi la bonne solution, sans même y réfléchir.
C’est stupéfiant tout ça…
Cette activité cérébrale est hallucinante et nous entraîne d’ailleurs, parfois, dans un état hallucinatoire. Car finalement, pendant cette séance d’escalade, il n’y avait aucune raison que cette appréhension survienne, c’est moi qui l’ai initiée ; au tennis, il était absurde que je reste ancré sur le coup passé alors que celui à jouer arrivait et que je devais le préparer ; en voiture, il était dangereux que je me laisse absorber par mes pensées alors que je devais rester vigilant.
Mais j’ai quand même parfaitement réagi… Et c’est ça qui m’intéresse.
Je sais bien que le capharnaüm des pensées est quasi permanent, que la gestion des émotions est un travail sans fin, que la possession réelle de l’instant présent est une épreuve à mener, que la peur de l’avenir est paralysante, que les souvenirs sont des blocs de ciment qui freinent, je sais bien tout cela, ça fait assez longtemps que j’observe ce chaos…
Mais il reste une autre interrogation. D’où vient cette capacité fulgurante qui m’a permis d’éviter cette voiture ? Pourquoi est-ce que je ne parviens pas à l’utiliser dans d’autres circonstances ? Pourquoi cette lucidité, cette maîtrise absolue, cette gestion de l’émotion, ce saisissement de l’instant, ne restent-ils pas constamment accessibles ?
Le risque, le danger, l’éventualité de la mort.
Une évidence.
L’instinct.
Il est pourtant impossible de vivre dans cet état de risque permanent. Ceux qui en sont les victimes survivent dans des pays dévorés par les guerres des hommes. Leur sort n’est pas enviable.
Alors comment s’y prendre ? Comment parvenir à user pleinement de ce potentiel extraordinaire qui sommeille en nous ?
Je ne vois qu’une solution et elle représente un défi immense : l’observation constante de ce qui vibre en nous, de tous les mouvements de pensées, de toutes les émotions, de toutes les peurs, joies, tristesses, bonheurs, de nos errances dans un temps imaginé, de nos angoisses inexpliquées. Et de se défaire de ce fatras lorsqu’il n’a aucune raison d’être.
Bien évidemment, il n’est pas question de supprimer les bonheurs. Les recevoir fait partie de l’existence. Mais il convient de ne pas chercher à les faire durer au-delà de l’instant. Les gens qui restent figés dans un amour perdu, comme un ancien bonheur qu’ils entretiennent, jusqu’à se priver de ceux qui leur tendent les bras et qu’ils ne peuvent voir…
Bien évidemment, il n’est pas question d’espérer éviter les douleurs. Mais il conviendra, là aussi, de ne pas les entretenir, dans une névrose morbide. Les gens qui restent figés dans un amour brisé, comme une explication rabâchée à leur rôle adoré de victime, jusqu’à se priver des bonheurs qui leur tendent les bras et qu’ils ne veulent pas voir.
Bien évidemment que certains souvenirs garderont une place privilégiée.
Bien évidemment que certaines inquiétudes finiront toujours par trouver une brèche.
Mais rien ne doit nous empêcher d’observer tout cela afin de se libérer du superflu. Et une fois que la place sera nettoyée, que le vide installé dispensera sa plénitude, peut-être parviendrons-nous à saisir ce que nous sommes et qui est si profondément enfoui sous les gravats de nos ruines mentales.
Je réalise d’ailleurs à quel point la marche en montagne, une marche longue, soutenue, dans un espace immense où nos prétentions humaines se noient et s’effacent, cette marche qui liquéfie tous nos ancrages, qui les fond comme neige au soleil, cette marche contient tout ce qui est propice à cet état d’épuration mentale.
Le raid à vélo a cet avantage supplémentaire de la distance et de la durée. Partir rouler pendant huit jours, sur 600 ou 700 kilomètres est indéniablement une « rupture. » Tout comme la voiture qui m’a coupé la priorité a produit une rupture dans le flux des pensées. Je préfère éminemment la rupture intentionnelle, une rupture qui se prolonge, dans laquelle on s’enfonce délicieusement.
C’est là, dans ces profondeurs inexplorées, que se cache l’instinct. Et je suis persuadé que les aventuriers, les alpinistes, les marins, les explorateurs au long cours cherchent avant tout à parcourir ces étendues intérieures et que l’espace offert par la planète n’est qu’un outil et pas une fin. Un merveilleux outil que je vénère chaque jour.
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L'énergie de la musique.
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/11/2011
Il y a des musiques qui ont pour moi une force incroyable. Celle-là en fait partie. Dix jours que je l'écoute en boucle quand j'écris.
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La Vie qui écrit en moi.
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/11/2011
Voilà les idées que je cherche à transcrire dans le tome 3 de Jarwal...
Ca me prend un certain temps pour l'adapter à des enfants mais je ne lâche rien... Je laisse les choses s'installer, doucement. "Laisse la vie te vivre, elle sait où elle va. "
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La souffrance comme une issue. La dernière clé.
Le moi est une intuition, une connaissance directe, immédiate, sans le passage par le raisonnement. Il se construit bien entendu, du premier jour au dernier. Il n’est pas figé, fixe, constant. Il évolue, en bien ou en mal. Cette intuition est fondamentalement « expérimentale. » Toutes les situations, tous les évènements, des plus anodins aux plus traumatisants concourent à cette intuition et à sa progression dans le temps. Mais je vois une distinction profonde entre cette « existence » perçue par ce moi et la « vie » perçue par bien autre chose. L’existence est constituée par tout ce que le moi accumule. La vie n’a pas besoin d’accumuler quoique ce soit. Elle est. Constante et immuable.
Est-ce que le moi peut réellement la saisir, est-ce que le moi, dans le chaos de ses pensées, dans le fatras incommensurable de son existence peut réellement percevoir cette conscience du soi et de la vie. Le Soi. Qu’en est-il ? Le moi est une entité individuelle modelée par d’autres entités individuelles, par d’innombrables imbrications dans lequel le moi s’identifie. On peut clairement se demander si la notion de Soi et la conscience de la vie lui sont accessibles. Que peut-il saisir dans son fonctionnement, sinon, une idée mentalisée ? La vision d’un Tout et l’appartenance du Soi à ce Tout sont-ils de pures hallucinations d’un mental qui se gargarise d’un cheminement spirituel, comme un piédestal à sa magnificence ? Il serait bien plus profitable et honnête que ce soit le Soi qui conçoive le moi, que ce soit lui qui observe les agitations frénétiques de ce petit individu mais dans cette soumission de l’individu à son identification, c’est le moi qui part à la recherche d’un Soi dont il a entendu parler et qui comblerait son désir de séduction. Car celui-là qui est au cœur de son Soi est beau et sage…Vaste mystification. Que peut saisir une entité centrée sur elle-même quand elle se dit être en quête du Tout. La fourmi a t-elle conscience de la forêt dans laquelle elle travaille, de la planète sur laquelle elle existe, de l’Univers ? Possédons-nous une conscience plus élaborée que celle de la fourmi ? Oui, bien évidemment ou alors c’est que la fourmi cache bien son jeu… Bien, et alors ? Dès lors que le moi part à la recherche d’un Graal qui dépasse son entendement, que peut-il trouver d’autre qu’une entité à sa dimension, c'est-à-dire bien autre chose que le Soi ?
Alors, il nous faut chercher sur le chemin des religions…Mais les religions sont issues du mental. Aucune religion ne peut être un tremplin. Elles ne sont qu’une boucle qui ramène le moi vers lui-même. Puisqu’il en est l’instigateur. De toute façon, tant que le raisonnement, la linguistique, la dialectique, la logique, la rhétorique entrent en action, c’est le moi qui cherche ce qui ne lui est pas accessible. Dès lors qu’il y a un observateur et une quête, l’objet observé, l’individu reste dans un cheminement mentalisé et par conséquent le moi…
Il a conscience de sa recherche et s’en glorifie et imagine dès lors être sur la voie. C’est juste celle qui le ramène à lui-même. Mais par des chemins enluminés de métaphysique, ce qui donne un aspect valorisant à la quête…Vaste mystification. La métaphysique est lucide quand elle est capable de juger de son insuffisance. C’est le moi qui se regarde par des fenêtres plus larges. Mais il n’y a pas de nouvel horizon. Pas celui du Soi.
Faut-il donc passer par un autre canal que le moi pour saisir le Soi ? Mais s’il n’y a plus de moi, il n’y a plus de conscience, de vigilance, il n’y a plus rien qui puisse saisir puisque tout a disparu… Ca serait considérer que seul le mental a la capacité de saisir… Je ne pense pas que ça soit le cas. Là, il s’agit juste d’un formatage. On a appris à penser pour saisir.
« Je pense donc je suis. » Sacrée catastrophe que cette affirmation. « Je pense donc je fuis. » Je fuis la possibilité d’entrer dans une dimension qui m’échappe dès lors que je pense. Ca ne nous donne pas de piste quant à la quête de ce Soi. Pour l’instant, il reste insaisissable.
Mais n’est-ce pas justement la solution à l’énigme ? Puisque le moi ne peut pas saisir un Soi, autre qu’une enveloppe grossie de son propre moi, puisque le Soi ne peut pas être conscience de lui-même puisque cela reviendrait à concevoir un Soi détaché du Tout, c'est-à-dire immanquablement une individualité, ce qui serait antinomique dans l’idée du Tout, il n’est dès lors pas possible de saisir le Soi par le moi. Tout simplement. Le Soi aperçu par le moi est nécessairement une entité séparée du Tout et par conséquent autre chose que le Soi.
Le Soi est Conscience et non conscience. Il ne peut pas être conscientisé car il faudrait qu’il s’individualise et qu’il s’identifie à l’observateur. Le ciel ne peut pas voir le ciel. Il faudrait qu’il prenne de la hauteur !! L’Univers ne peut pas s’observer. Le Soi ne peut pas se connaître. Ni par lui-même puisqu’il ne serait plus le Soi mais une entité séparée du Soi, ni par le moi qui ne peut pas connaître ce qui le contient. Bon, ça semble à peu près se tenir tout ce charabia.
Mais alors qu’en est-il des expériences mystiques ? Des révélations qui font basculer parfois en quelques instants, des individus « basiques » à des êtres éveillés ? Qu’ont-ils aperçu, ressenti, perçu, « compris » (pas de façon rationnelle bien entendu…), que leur est-il arrivé ? Est-ce que le moi peut basculer dans une dimension qui ne serait pas le Soi mais un « simple » état de conscience modifiée ? Comment considérer que ces gens puissent évoluer dans un monde mentalisé en ayant eu accès à une vision unifiée de la vie ? Comment gérer ce genre d’antagonismes ? Comment passer du haut en bas, de l’intériorité mentalisée à l’universalité dés-identifiée ? Les voyageurs des NDE ? Les guérisons « spontanées » et inexpliquées ? Que s’est-il passé ? Le moi, dans ces expériences extrêmes, n’a rien à voir. Il est bien trop futile et insignifiant pour s’engager dans des voies aussi radicales. Ecoutons les paroles des « expérimentateurs »…C’est stupéfiant. Tellement éloigné de notre vision mécaniste et rigoriste de la vie. Le Tout s’est-il laissé découvrir, le Soi s’est-il révélé ?
Mais alors, tout ce que j’ai écrit au-dessus ne tient pas. Tout ça ne serait donc bel et bien que du charabia métaphysique. C’est sans doute qu’il faut chercher ailleurs. Et se passer même du langage.
La souffrance devient-elle la clé pour ouvrir l’enceinte ? Lorsque plus rien ne permet au geôlier de prendre conscience qu’il fabrique lui-même la prison qu’il s’obstine à ignorer, la souffrance réelle, physique, psychologique, existentielle, ne devient-elle pas l’ultime accès à la liberté ? Cette rupture, totale, incompréhensible, imprévisible, comme si parvenu à une altitude inconnue, le mental n’avait plus d’oxygène, que les pensées et les résistances ne pouvaient plus prendre forme, n’avaient plus de nourriture, une perte d’identification. La douleur a tout rongé, jusqu’à la dernière image, les rôles les plus essentiels, ni mari, ni père, rien, il ne reste rien que cette douleur insoutenable jusqu’à ce qu’elle disparaisse à son tour parce que le receveur abandonne la lutte.
Cette rupture, ce vide. Cette absence de tout, plus rien, aucune sensation, plus de corps, plus de peur, aucune pensée, le néant sans rien pour le voir, rien…
Comment expliquer qu’il n’y a rien. Ni même rien pour s’en rendre compte. Toute la difficulté pour l’exprimer vient du fait qu’il n’en reste rien. Puisqu’il n’y a plus rien pour s’en souvenir, pour que ça se grave. Rien ne s’est gravé dans ce rien.
Et puis cette phrase, soudaine, au milieu d’auras bleutées. « Tu n’es pas au fil des âges un amalgame agité de verbes d’actions conjugués à tous les temps humains mais simplement le verbe être nourri par la vie divine de l’instant présent. »
Ca n’était pas moi. Ca venait d’ailleurs. C’était trop long pour que je l’élabore moi-même dans cet état d’hébétude. Qu’est-ce que c’était ? « Qui » était-ce ? Des nuits entières à me poser cette question, des mois, des années, des heures à y penser en marchant, sur mon vélo, assis dehors, sous les étoiles, à tenter de retrouver dans ce vide environnant une source, un point de départ, un noyau de clarté, un point lumineux d’où aurait jailli cette fulgurance. Dans ce vide intersidéral que la douleur avait engendré, dans cette incapacité à être moi, à penser même, comment une telle complexité pouvait-elle se concevoir ?
Il existerait donc un autre émetteur ?...Et je pourrais recevoir ces émissions inconnues ?...Le Soi ? Ce vide était-ce cela « la vacuité ? »S'éveiller à la vacuité est-ce voir que personne ne souffre ici, qu’il y a une sensation mais personne pour en prendre livraison. La douleur porte-t-elle un enseignement salvateur ? Pointe-t-elle vers ce qui est au-delà de la douleur ?
« Les quatre nobles vérités qui sont à l'origine du bouddhisme sont: la vérité de la souffrance ou de l'insatisfaction inhérente, la vérité de l'origine de la souffrance engendrée par le désir et l'attachement, la vérité de la possibilité de la cessation de la souffrance par le détachement, entre autres, et finalement la vérité du chemin menant à la cessation de la souffrance, qui est la voie médiane du noble sentier octuple. »
Je ne sais pas ce qu’est ce sentier octuple. Je comprends par contre cet attachement à la douleur, comme à tout le reste. Toutes les identifications qui s’opposent au Soi, qui le couvrent comme autant de salissures. La douleur est un purificateur forcené. Elle brise la coquille et libère le noyau. Mais ce noyau n’est pas une entité individuelle. Il est le flux vital. L’énergie créatrice. Et dans l’amour inconditionnel, ineffable, incommensurable de l’énergie, il n’y a pas de mal, pas de douleur, pas de traumatisme puisqu’il n’y a plus de moi et que le moi entretient tout ce à quoi il est identifié. N’être plus rien efface jusqu’au mal tout comme il efface le bien. Il n’y a que ce qui est. Et ce qui est ne porte pas les fardeaux mentalisés du moi. Bien et Mal ne sont que des rumeurs. La douleur comme la libération du Tout en moi. Comment pourrais-je y voir du Mal ? Ce Bien dans lequel je m’imaginais exister et qui m’avait brisé. Bien et Mal, juste deux termes qui n’ont aucune réalité dans le flux vital. Cette absence de lucidité qui entretenait ces rumeurs. Et en venir à honorer la douleur lorsque le moi est éteint. Il y a autre chose. Une autre réalité, sans doute la seule. Lorsque le rêve éveillé est brisé et que toutes les rumeurs s’éteignent dans la lumière de la Conscience. Pas « ma » conscience mais l’Autre. Celle qui libère et unifie.
JARWAL.
TOME 3
Le travail avait cessé dans le village à la tombée du jour. Les Kogis avaient réintégré leurs huttes. Les palissades cernaient désormais le village. Un malaise immense dans le cœur de chacun, une séparation douloureuse, un cordon sectionné. Les horizons fermés cloisonnaient les âmes.
Jarwal et Gwendoline avaient été invités dans la hutte centrale, la Nuhé qui accueillait les sages et tous les individus chargés d’assurer la cohésion du peuple, celles et ceux qui participaient aux discussions les plus essentielles avant d’en référer au reste de la tribu.
Nasta avait demandé à Jarwal de s’asseoir près de lui. D’autres mamus avaient pris place à leurs côtés. Kalén s’était assis en face de Jarwal et traduisait les paroles de Nasta. A l’écart du groupe, deux femmes âgées expliquaient par gestes à Gwendoline comment tresser une mochilla. Elles souriaient constamment pour accompagner ses efforts.
Des flammes savamment entretenues diffusaient des parfums dansants de clarté, des arabesques joueuses qui dessinaient sur les visages des reliefs apaisés.
Malgré le poids des menaces, il flottait dans l’air une étrange plénitude.
« Vous n’avez pas l’air inquiets, annonça Jarwal. J’en suis étonné.
-Pour quelles raisons nous devrions être inquiets en cet instant ? Nous avons œuvré à la protection de notre peuple, la nuit est tombée, nous sommes réunis pour parler. La peur ne nous apporterait rien. Elle ne serait qu’une projection dans un avenir qui n’existe pas mais que nous imaginerions. Et cela ne changerait rien à la réalité. »
Kalén expliqua cet échange à Nasta et écouta sa réponse.
« Nasta dit que cette peur ou cette colère que tu fais naître en toi est la même que celle qui te tourmente pour ta mémoire. Les hommes pensent qu’il y a plein de peurs, la peur du noir, la peur des ennemis, la peur d’un animal sauvage, la peur d’un orage mais ce sont toutes les mêmes peurs. La peur n’existe pas en elle-même. Elle n’est que le résultat de l’incapacité des hommes à observer leurs émotions et ensuite à croire que cette peur est réelle. Elle n’est réelle que parce que ces hommes ne sont pas dans la réalité. Ils sont perdus en eux. Toi, tu es perdu en toi parce que tu as peur de t’être perdu. Et cette peur t’empêche de retrouver ta réalité alors qu’elle est toujours là. »
Jarwal regarda Nasta. Un visage impassible et pourtant une lueur particulière dans les yeux, deux filaments étroits, une vibration qui le touchait, comme une intrusion intérieure, un lien indéfinissable, l’impression que Nasta voyageait en lui.
Le sage parla de nouveau.
Kalén expliqua.
« Nasta dit qu’il est temps que tu deviennes ce que tu es et que tu cesses d’être attaché à ce que tu crois être. Il veut que tu t’assois face à lui et que tu poses tes mains sur ses genoux. »
Jarwal se leva et vint se placer devant le vieil homme. Celui-ci prit délicatement une longue pipe en bois et la garnit d’Aruaca. Il embrasa les feuilles et souffla lentement la fumée sur le visage du lutin.
Jarwal ferma les yeux, intrigué par cette pratique qui lui paraissait peu respectueuse. Il abandonna aussitôt ses réticences sachant qu’il n’en était rien.
Lorsqu’il ouvrit les yeux, Nasta s’était approché de son visage, presqu’à le toucher. Il fut surpris de se trouver ainsi nez à nez avec le visage ridé mais l’intensité des yeux le figèrent aussitôt et il se sentit aspiré. Ou envahi. Il ne savait pas dans quel sens les choses se passaient. Comme une vague d’océan qui montait et se retirait, comme un balancement d’arbre dans la houle du vent, un aller-retour qui l’étourdissait, un mouvement lancinant qui finit par ressembler à une alternance respiratoire…
Inspiration, expiration, inspiration, expiration…
Une nouvelle bouffée de fumée sur le visage. Les yeux fermés.
Nasta entretenait ce balancement hypnotique pour instaurer un rituel bien précis. Il devait se laisser porter, abandonner ses craintes. Il se concentra sur la pression de ses mains sur les genoux du sage. Il sentait à travers le tissu la musculature sèche du vieil homme assis en tailleur. Une chaleur qui le surprit dans la paume de ses mains comme si le vieil homme dégageait un rayonnement solaire.
Le balancement s’accentua encore et il eut l’impression que même son corps bougeait. Il s’aperçut qu’il n’entendait plus les discussions discrètes des femmes et de Gwendoline, qu’il n’entendait plus le crépitement du bois, qu’il n’entendait plus rien d’ailleurs. Il voulut ouvrir les yeux pour se relier à l’environnement disparu et n’y parvint pas. Une lourdeur de montagnes sur ses paupières.
Il sentit pourtant les mains de Nasta se poser sur sa tête, délicatement d’abord puis enserrer progressivement son crâne dans un étau.
C'est là que tout accéléra...
Une vitesse stupéfiante, comme un plongeon en lui-même, une chute infinie au coeur d'un halo flamboyant.
Suite lorsque la Vie viendra écrire en moi.
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Krishnamurti et la Réalité.
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/11/2011
Revue 3ème Millénaire
http://www.revue3emillenaire.com/blog/?p=3476
Cet article, préparé et traduit de l’anglais par Robert Linssen, constitue une synthèse de conférences de Krishnamurti entre 1928 et 1935. A cette époque, on pouvait encore entendre Krishnamurti dire des choses comme « il y a une Réalité éternelle et vivante, appelez-la Dieu, immortalité, éternité… » ; par la suite il continua à affiner son langage pour le restant de sa longue vie, s’éloignant de plus en plus des affirmations qui pour nombreux de ses auditeurs n’étaient que croyances…
(Revue Être Libre. No 1. Janvier 1936)
Je ne désire pas ajouter aux nombreux systèmes existants de nouvelles théories, de nouvelles formules, ou de savantes explications.
Toutes les formules « toutes faites », les « explications », les « théories » ne sont que des moyens habiles pour vous évader de vos propres conflits.
La plupart des esprits désirent imiter, suivre, copier parce qu’ils ne savent plus penser fondamentalement par eux-mêmes.
Pour la plupart la douleur, le conflit est si intense, qu’ils préfèrent plutôt s’évader dans les religions, les systèmes, les théories, ces cristallisations de la pensée humaine.
Pour moi, la solution réelle de vos problèmes, se trouve dans la profondeur de votre Intelligence, qui doit fonctionner simplement, librement, spontanément.
Par cette Intelligence, je n’entends pas la capacité de spéculations ni de ruses intellectuelles.
L’Intelligence Véritable n’est pas non plus la connaissance livresque.
Vous pouvez avoir beaucoup étudié, et encore restes stupide.
Vous pouvez lire de nombreuses philosophies, et ne pas connaître encore l’Extase, la béatitude de la pensée créatrice, qui ne peuvent exister seulement que lorsque l’esprit et le cœur, se libèrent eux-mêmes à travers le conflit, par une constante lucidité, de toutes les stupidités du passé.
L’expression de l’Intelligence véritable dans l’Action est l’Immortalité, c’est l’apothéose du bonheur, la béatitude de vivre complètement dans l’Éternel Présent.
Vous avez d’innombrables idées concernant la plénitude de la Vie, et l’immortalité.
Mais pour moi, cette Immortalité, cette grande richesse de la Vie, ne peut être comprise et vécue, que lorsque l’esprit est pleinement libéré de toutes ses limitations, des stupidités du passé, du milieu actuel, des anomalies acquises ou héritées. Dans cette flamme d’intense lucidité, surgira l’extase de la Vie, dans cette conscience suprême est la Vérité.
Je vous en prie, tout ceci n’est pas une nouvelle théorie, je ne suis pas un théoricien. Je ne m’impose à personne, je n’essaye de convaincre personne de mon message, mais parce que les hommes sont enfermés dans la prison de la misère, dans les cages de la souffrance, je voudrais éveiller en eux, le désir de détruire eux-mêmes ces cages.
Je veux créer en chaque être, une attitude nouvelle d’esprit. Je ne désire pas de disciples, parce que la signification totale de ce que je dis est contraire à toutes ces choses.
Ce n’est que lorsque l’esprit est dépouillé de toutes les illusions de l’ignorance, et de toutes disciplines intérieures ou extérieures, qu’il est capable de discerner le Présent Infini.
La Plénitude de la Vie est en toutes choses, il ne faut rien acquérir, tout est là, ELLE EST.
Mais si vous voulez comprendre ce que j’ai à dire, ne me traduisez pas je vous en prie en termes de parti, de secte, de groupe, de disciple, de partisan de religion.
L’Éternel Présent est une chose que l’on ne peut pas expliquer. Vous ne pouvez pas raisonner un tel sujet. Cela doit être expérimenté, Cela doit être vécu. Cela requiert une grande persistance et un éveil constant.
Mais nos vies sont si superficielles, avec les inanités de la « civilisation » moderne, nos vies sont si chaotiques, déraisonnables, pleines de souffrances, et les hommes ne sont plus que des machines à imiter.
Je dis que lorsqu’il y a discernement véritable, point n’est besoin de disciplines intérieures ou extérieures. Vous êtes la plupart emprisonnés dans l’habitude de la discipline.
Tout d’abord vous conservez une image mentale de ce qui est bien, de ce qui est vrai, et de ce que votre caractère devrait être. Vous essayez de faire concorder vos actions avec cette image mentale.
Vous agissez simplement en vous conformant à une image mentale que vous possédez. Tant que vous avez une idée préconçue de ce qui est vrai vous agirez conformément à cette idée. La plupart d’entre vous êtes inconscients du fait que vous agissez conformément à un modèle.
Mais lorsque vous devenez conscients du fait que vous agissez d’une telle façon, vous n’essayez plus de copier ou d’imiter, mais c’est votre propre action qui vous révèle ce qui est vrai.
Notre entraînement physique, notre éducation morale et religieuse tendent à nous mouler conformément à un modèle.
Être libéré de la discipline est extrêmement difficile, du fait que dès l’enfance nous avons été l’esclave de la discipline et de la domination.
Depuis l’enfance, la plupart d’entre nous, avons été entraînés à nous adapter à un modèle social, religieux ou économique, et la plupart de nous sommes inconscients de ce fait.
La discipline est devenue une habitude, et vous êtes inconscients de cette habitude.
Lorsque vous verrez que vous êtes en train de vous discipliner conformément à un modèle, votre action sera engendrée par le discernement.
Si en agissant ainsi vous êtes conscients de l’imitation, votre action sera spontanée.
J’aimerais donc vous expliquer que la Vérité, la plénitude et la richesse de la Vie, ne peut être réalisée par personne au moyen de l’imitation, ou d’une forme quelconque de l’autorité.
La plupart d’entre nous sentons occasionnellement qu’il existe une vraie vie, un Éternel quelque chose, mais les moments où nous sentons cela sont si rares, que cet Éternel quelque chose recule de plus en plus vers l’arrière-plan, et nous apparaît de moins en moins réel.
Or pour moi, il y a une Réalité éternelle et vivante, appelez-la Dieu, immortalité, éternité ou autrement si vous le voulez.
Je tiens qu’il y a une Vie éternelle qui est la Source et le But, le commencement et la fin, encore qu’elle n’ait ni commencement ni fin, ni But, ni Apogée.
Cette Vie éternelle ne cherche pas dans son expression un résultat, un accomplissement. Elle n’a ni apogée ni but, car Elle est éternellement en Mouvement.
La Vérité réside dans le processus, et non dans la réalisation.
Il y a quelque chose d’intensément vivant, de créateur qui ne peut être décrit, parce que la Réalité échappe à toutes descriptions.
Vous ne pouvez pas connaître l’Amour Véritable par la description d’un autre, pour connaître l’Amour Réel, il faut que vous l’ayez éprouvé vous-même.
L’Amour a perdu son extase créatrice.
Il ne devient plus qu’une série de conflits qui visent la possession.
La grande tendresse de l’Amour, sa grande profondeur, sa qualité d’Éternité, sa sublimité, son extase immense et profonde sont détruites par le désir de posséder, d’obtenir.
Sans cet Amour, l’homme ressemble à un désert de sable sec, à une rivière en été, lorsqu’elle n’a plus d’eau pour abreuver ses rives.
Et pourtant peu savent aimer véritablement, car pour aimer réellement, vous devez être au-dessus de la corruption de l’Amour.
Mais nul ne peut vous décrire la Plénitude, méfiez-vous de l’homme qui essaye de décrire cette Réalité vivante.
Cette réalisation de la Vérité, de l’Éternel, n’est pas dans le mouvement du temps, lequel n’est qu’une habitude de l’esprit.
Mais si l’esprit comprend cette Plénitude de la Vie, et s’il est libre de la division du temps en passé, présent et futur, alors survient la réalisation de cette Réalité Vivante, Éternellement Présente.
Et encore, parce que nous avons divisé l’action en passé, présent et futur, parce que pour nous l’Action n’est pas complète en elle-même, mais est plutôt quelque chose qui est mis en mouvement par des mobiles, par la peur, par des guides, par la récompense et la punition, nos esprits sont incapables de comprendre la totalité dans sa continuité.
Ainsi on s’évade continuellement de l’Éternel Présent.
Ce n’est que lorsque l’esprit et le cœur sont libres de la division du Temps que l’Action véritable peut surgir.
Quand l’Action est engendrée par la Plénitude et non par la division du temps, elle est harmonieuse et est libérée des entraves de la société, des classes, des races, des religions et du désir d’acquérir.
Pour exposer la chose différemment, l’Action doit devenir vraiment individuelle.
Par action individuelle, j’entends l’action qui est engendrée par la compréhension complète, par la compréhension de l’individu, et non pas celle qui est imposée par d’autres.
L’Immortalité ne peut être comprise que dans la plénitude de notre Action individuelle, et non comme fragment d’une structure, non comme partie d’une machine sociale, politique et religieuse.
Vous devez donc éprouver l’individualité véritable avant de pouvoir comprendre Ce qui est vrai.
Tant que vous n’agissez pas de cette Source Éternelle, il doit y avoir conflit, il doit y avoir divisions et des luttes continuelles.
Chacun de nous connaît la lutte, la douleur, le conflit et le manque d’harmonie.
Ce sont là des éléments qui en grande partie constituent notre vie, et consciemment ou inconsciemment, nous essayons de leur échapper.
Peu de personnes sont conscientes de la cause profonde de leur souffrance, alors elles éprouvent le désir de fuir cette souffrance, et ce désir de fuite a créé et vitalisé nos systèmes moraux, sociaux et religieux.
Parce que nous ne sommes pas « véritablement » responsables de nos propres actes, nous créons des systèmes et des autorités pour qu’ils nous donnent des réconforts et des abris.
Cette incapacité d’affronter l’expérience dans sa plénitude crée le conflit et le désir que l’on a de s’évader.
DE LA SÉCURITÉ
Si vous considérez intelligemment vos pensées et les actes qui en découlent, vous verrez que là où se trouve le désir de fuite, il doit y avoir la recherche de la sécurité; et toutes vos actions soft basées sur le désir de sécurité.
Graduellement, cette demande de la sécurité détruit l’Intelligence véritable.
L’esprit à travers l’expérience accumule diverses sortes de systèmes d’autoprotections du « Je », de sécurités de « Je », et ces choses sont de nature à empêcher totalement l’esprit dans son processus de réajustement constant à l’Éternel Mouvement de la Vie.
L’ardent désir de sécurité, se manifeste entre autres, par la volonté d’avoir un compte substantiel en banque, une bonne position, par le désir d’être considéré comme « quelqu’un » dans la ville que l’on habite, par la lutte que l’on affronte pour obtenir des titres, des grades, et tant d’autres stupidités qui n’ont aucun sens Réel.
Ensuite, quelques-uns d’entre vous, ne sont plus satisfaits par la sécurité physique, et cherchent une sécurité d’une forme plus subtile.
C’est encore de la sécurité, mais simplement un peu moins évidente, et vous l’appelez spiritualité.
Mais je ne vois pas de différence entre les deux.
Lorsque vous êtes rassasiés de sécurité physique, ou lorsque vous ne pouvez pas l’obtenir, vous vous tournez vers la sécurité spirituelle.
Et lorsque vous vous tournez vers cette sécurité, vous vitalisez ces choses que vous appelez « religions » et « croyances spirituelles » organisées.
Parce que vous cherchez la sécurité, née de votre propre insuffisance, de votre propre vide, vous établissez une forme de religion, un système de pensée philosophique dans lequel vous êtes pris, et dont vous devenez l’esclave.
Notre inertie, notre manque de compréhension nous remettent désarmés dans les mains de « spécialistes » et de « profiteurs ».
Notre désir de sécurité, notre désir de perpétuation, d’immortalité personnelle, nous incite à rechercher des autorités qui puissent nous « promettre » cette « immortalité », et ainsi ont surgi les structures religieuse, les croyances organisées, les dogmes, le sacerdoce.
Ainsi les prêtres à travers le monde, se sont transformés peu à peu en exploiteurs.
Je dis que lorsqu’un homme est « emprisonné » dans une croyance quelconque, il ne peut connaître la Plénitude de la Vie.
Un homme qui vit pleinement, agit de cette Source dans laquelle il n’y a pas de réactions, mais seulement l’Action ; mais l’homme qui est à la recherche de la sécurité, de l’évasion, doit s’accrocher à une croyance parce que c’est d’elle, qu’il tirera son support continuel et l’encouragement à son manque de compréhension.
Mais vous n’aborderez jamais la Vie, tant que vous serez retenus dans un moule.
La Vie passera à côté de vous parce que vous avez déjà limité votre esprit par votre propre choix.
Ce n’est que lorsque vous aborderez les expériences sans barrières, que vous trouverez une joie continuelle.
Si vous avez l’Intelligence véritable, et l’intensité qu’il faut pour détruire les barrières qui vous enchaînent, vous connaîtrez par vous-même l’accomplissement de la Vie.
Mais la plupart des individus essayent de s’enfuir, ils se sont transformés en machines à habitudes.
Afin d’éviter le conflit vous créez des croyances religieuses, vous adorez une image d’une imitation que vous appelez Dieu, ou vous essayez d’oublier votre inaptitude à affronter la lutte en vous perdant vous-mêmes dans le travail, ou dans les marais d’une activité superficielle.
De cette pauvreté intérieure surgit le désir de sécurité, et pour avoir la sécurité, il doit exister une personne, une idée, une croyance, une tradition pour vous donner l’assurance de la sécurité.
Ainsi dans notre tentative de trouver la sécurité, nous érigeons une autorité…
DE L’AUTORITÉ…
Nous sommes esclaves de l’autorité que nous avons nous-mêmes créés.
Nous cherchons la sécurité au moyen de guides spirituels ou de prêtres, ou encore, nous cherchons l’autorité dans la puissance de la tradition sociale, économique ou politique.
C’est nous-mêmes, individuellement, qui avons établi ces autorités, elles n’ont pas surgi à la Vie spontanément.
Pendant des siècles, nous n’avons cessé de les établir, et nos esprits ont été mutilés, pervertis par leur influence.
Ce culte de l’autorité est pour moi la racine suprême de l’exploitation.
L’esprit est tenu en esclavage par le milieu qu’il a lui-même créé par son insatiable désir, il en résulte une peur incessante.
Partout où existe cette peur, on trouve la discipline, la contrainte exercée par des hommes sur d’autres hommes, la domination et la recherche du pouvoir que l’esprit glorifie comme une vertu divine.
Si vous réfléchissez réellement à tout cela, vous verrez que là où il y a Intelligence Véritable, il ne peut y avoir poursuite du pouvoir.
Toute vie est modelée par une peur incessante, inconsciente et par des conflits, donc par la coercition, par l’imposition de décrets et de liens que certains considèrent comme vertueux et précieux, et d’autres nocifs et funestes.
Ce sont là les freins que vous avez institués dans votre désir de vous perpétuer ; vous avez créé des autorités, et votre vie est modelée, par des obligations, de formes et de degrés divers.
L’individu qui est perpétuellement conditionné par le milieu, modelé par des règles, des lois, des principes de morale, devient de moins en moins intelligent au plus on l’écrase.
Ces freins imposés à l’individu, et qu’il appelle son milieu environnant ont pour promoteurs les charlatans et les exploiteurs de la religion, de la morale publique, de la vie politique et économique.
L’exploiteur est l’individu qui, consciemment ou inconsciemment, se sert de vous, et vous lui cédez, consciemment ou non, parce que vous ne comprenez pas vous devenez l’exploité économiquement, socialement, politiquement, religieusement — et il devient votre exploiteur.
De cette manière la vie devient une école, un cadre, un moule en acier dans lequel l’individu est battu jusqu’à en épouser la forme.
L’individu devient une simple machine, un rouage sans pensée, rigidement limité.
La vie devient une lutte, une série .de combats continuels.
Aussi a-t-on inventé cette idée fausse que la Vie est une série de leçons à apprendre, d’expériences à acquérir pour se prémunir, à l’effet de mieux pouvoir aborder la vie du lendemain — mais, avec des idées préconçues.
La vie devient une simple école, et non quelque chose dont on doit jouir, et que l’on doit vivre extatiquement, pleinement, sans peur.
Le milieu extérieur étreint l’individu, le broie dans un cadre d’objets en série, d’idées religieuses, et comme il se sent écrasé par l’extérieur il cherche à s’échapper dans un monde qu’il appelle le monde intérieur.
Naturellement quand l’esprit est dévié, perverti, moulé par le milieu extérieur, et qu’il se livre au dehors à des luttes incessantes, il espère en une tranquillité, en un bonheur, en un monde différent, et il se construit alors un romantique havre d’évasion dans lequel il cherche une compensation aux échecs et aux souffrances de l’extérieur.
Si vous devenez réellement conscient de tout ce qui précède, vous commencerez à comprendre la vraie signification du monde extérieur et du monde intérieur.
A ce moment-là existe une perception immédiate, spontanée, la Vie se trouve libérée, et l’esprit devient Intelligence véritable, il peut fonctionner d’une façon créatrice, naturelle, sans cette constante bataille.
Ainsi, l’Intelligence reconnaît les obstacles, il n’y a pas d’adaptation, seule surgit la compréhension spontanée, qui est un mode de vie naturel, simple, extatique.
L’Intelligence Véritable ne dépend ni de l’extérieur, ni de l’intérieur.
Dans cette lucidité, il n’y a pas de désir, mais la perception claire, simple, spontanée de Ce qui est vrai.
Alors surgit la Plénitude, cette richesse infinie, cette réalisation de l’Éternité qui est Dieu.
C’est une réalité, une Vérité immense et vivante, et pour la comprendre il faut une complète simplicité, une grande clarté de pensée.
Ce qui est simple est infiniment subtil. Ce qui est simple est extrêmement délicat.
Il y a une grande subtilité, une délicatesse infinie, un équilibre délicat qui n’est ni le contentement de soi, ni cet incessant effort engendré par le désir de réussir, d’accomplir.
Dans cet équilibre délicat réside la simplicité, qui n’est pas une simplicité qui consiste à n’avoir que peu de vêtements ou de possessions.
Ce n’est pas de cette simplicité là que je parle — qui n’est qu’un aspect grossier de la Vraie Simplicité — mais de celle qui est engendrée par cette délicatesse de pensée dans laquelle n’existe ni satisfaction, ni stagnation, mais simplement l’extase suprême de vivre pleinement le Présent Infini.
Dans cette extase se trouve le mouvement vivant de la vérité, qui est une Vie sans cesse créatrice.