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  • L'agriculture du non-agir

    Masanobu Fukuoka et l'agriculuture du non-agir

    Masanobu Fukuoka est un  des pionniers de l'agriculture "du long terme" (sustainable). Il aime dire de lui qu'il n'a aucune connaissance hormis celle contenue dans ses livres, dont La révolution d'un seul brin de paille (Chez Trédaniel - Editions de la Maisnie, 1983) et The Natural Way of Farming, démontrant ainsi qu'il ne manque pas de sagesse.. Sa méthode d'agriculture ne nécessite pas de labour, pas de fertilisants ni de pesticides, pas de désherbage ni d'élagage ainsi que très peu de travail! Il accomplit tout cela (y compris des rendements élevés) grâce à une extrème précaution dans la détermination de la période de semis tout comme dans le choix des combinaisons de plantes (polyculture). En résumé, il a élevé l'art du travail avec la nature à un très haut degré de raffinement..

    Il décrit comment on peut appliquer ses méthodes d'agriculture naturelle aux zones désertiques de la planète, et ceci sur la base de son expérience en Afrique en 1985.


    • Biographie

    Microbiologiste de formation, il s'est spécialisé en phytopathologie, avant de commencer à douter des progrès apportés par l'agriculture scientifique. Il abandonne alors son poste de chercheur et part cultiver sa ferme familiale sur l'île de Shikoku. Dès lors, il consacre sa vie à développer une agriculture plus conforme à ses convictions, qu'il qualifiera d'agriculture naturelle. Ses recherches, inspirées de ses racines culturelles zen, taoïste, shinto, bouddhisme, vont dans le sens d'une unification spirituelle entre l'Homme et la Nature. A partir des années 1980, ses travaux rencontrent progressivement une reconnaissance mondiale, et il multiplie les conférences et rencontres internationales. Sa ferme devient un lieu d'échange sur ses pratiques pour des experts et curieux venus du monde entier.

     

    Il est l'auteur de la Révolution d'un seul brin de paille qui raconte et théorise son expérience en agriculture naturelle. Sa pratique inspire en grande partie la permaculture de Bill Mollison et David Holmgren, malgré des différences philosophiques notables, l'agriculture naturelle étant basée sur le non-agir et le refus du savoir scientifique et rationnel.


    En laissant faire la nature, et en limitant au maximum les interventions humaines nécessaires, il réalise que le rendement de sa production de riz est meilleur qu'en agriculture classique. Même sans apport extérieur, sa méthode d'agriculture a pour principal effet d'enrichir le sol plutôt que de l'épuiser.


    Selon lui, l'esprit de discrimination, qui frappe l'ensemble de nos sociétés, a touché aussi l'agriculture productiviste moderne, et en explique les dérives. L'esprit de non-discrimination permet à l'homme attaché à la nature de la percevoir comme un tout non différentiable. Le sūtra du cœur, qu'il cite, essence du bouddhisme zen, résume l'esprit et la pratique de cet ancien chercheur en pathologies des plantes. Sa référence à Dieu sera plus marquée dans son dernier livre. Son premier ouvrage offre un éclairage simple et clair sur l'évolution de l'agriculture japonaise et mondiale.

    En 1988 il a reçu le Ramon Magsaysay Award, souvent considéré comme équivalent au prix Nobel en Asie pour ses travaux et services rendus « à l'Humanité ».

    Beaucoup de travail a été fait pour adapter la méthode Fukuoka aux conditions de l'agriculture européenne, entre autres les recherches des français Marc Bonfils et Claude Bourguignon, du travail de Emilia Hazelip, qui au cours de nombreux stages en France, en Espagne, et aux États-Unis, ont repris les fondamentaux du travail de Fukuoka.

     

    • Les quatre principes de l'agriculture naturelle (permaculture) de Masanobu Fukuoka /extrait de La révolution d'un seul brin de paille

    1- NE PAS CULTIVER, c'est-à-dire ne pas labourer ou retourner la terre. Pendant des siècles les agriculteurs ont tenu pour établi que la charrue était essentielle pour faire venir des récoltes. Cependant, ne pas cultiver est le fondement de l'agriculture sauvage. La terre se cultive elle-même, naturellement, par la pénétration des racines des plantes et l'activité des microorganismes, des petits animaux et des vers de terre.

     

    2- PAS DE FERTILISANT CHIMIQUE OU DE COMPOST PREPARE. [Pour fertiliser, M. Fukuoka fait pousser une légumineuse en couverture du sol, le trèfle blanc, remet la paille battue sur les champs et ajoute un peu de fumier de volaille (à la suite de la construction d'une route entre son poulailler et ses champs, ses volailles ne pouvaient plus se balader dans ses cultures. Il a été contraint à cet apport.] Les hommes brutalisent la nature et malgré leurs efforts ils ne peuvent pas guérir les blessures qu'ils causent. Leurs pratiques agricoles insouciantes vident le sol de ses aliments essentiels et l'épuisement annuel de la terre en est la conséquence. Laissé à lui-même, le sol entretient naturellement sa fertilité, en accord avec le cycle ordonné de la vie des plantes et des animaux.


    3- NE PAS DESHERBER, NI MECANIQUEMENT, NI AUX HERBICIDES. Les mauvaises herbes jouent leur rôle dans la construction de la fertilité du sol et dans l'équilibre de la communauté biologique. C'est un principe fondamental que les mauvaises herbes doivent être contrôlées, non éliminées.


    4- PAS DE DEPENDANCE ENVERS LES PRODUITS CHIMIQUES. [Mr Fukuoka fait pousser ses récoltes de céréales sans produit chimique d'aucune sorte. Sur quelques arbres du verger il a occasionellement recours à une émulsion d'huile de machine pour contrôler la cochenille (insect scales). Il n'utilise pas de poison persistant ou à large spectre, et n'a pas de « programme » pesticide] Depuis le temps que les plantes faibles se sont développées, conséquence de pratiques contre nature telles que le labour et la fertilisation, la maladie et le déséquilibre des insectes sont devenus un grand problème en agriculture. La nature, laissée seule, est en parfait équilibre. Les insectes nuisibles et les maladies des plantes sont toujours présents, mais n'atteignent pas, dans la nature, une importance qui nécessite l'utilisation de poisons chimiques. L'approche intelligente du contrôle des maladies et des insectes est de faire pousser des récoltes vigoureuses dans un environnement sain.


    • Pratique de l'agriculture naturelle...

    « Mes champs sont peut-être les seuls au Japon à ne pas avoir été labourés depuis plus de vingt ans, et la qualité du sol s'améliore à chaque saison. J'estime que la couche supérieure riche en humus, s'est enrichie sur une profondeur de plus de douze centimètres durant ces années. Ce résultat est en grande partie dû au fait de retourner au sol tout ce qui a poussé dans le champ sauf le grain.» M. Fukuoka


    • Culture

    Quand le sol est cultivé on change I'environnement naturel au point de le rendre méconnaissable. Les répercussions de tels actes ont donné des cauchemars à des générations innombrables d'agriculteurs. Par exemple quand on soumet à la charrue un territoire naturel, de très solides mauvaises herbes telles que le chiendent et I'oseille arrivent parfois à dominer la végétation. Quand ces mauvaises herbes s'installent, I'agriculteur est confronté à une tâche presque impossible, le désherbage annuel. Très souvent la terre est abandonnée.
    Quand on est confronté à de tels problèmes, la seule solution de bon sens est de cesser en premier lieu les pratiques contre-nature qui ont amené cette situation. L'agriculteur a aussi la responsabilité de réparer les dommages qu'il a causé. La culture du sol devrait être arrêtée. Si des mesures douces comme de répandre de la paille et de semer du trèfle sont pratiquées, au lieu d'utiliser des machines et des produits chimiques fabriqués par I'homme pour faire une guerre d'anéantissement, I'environnement reviendra alors à son équilibre naturel et même les mauvaises herbes génantes pourront être controlées.

     

    • Fertilisant

    Il m'arrive de demander en causant avec des experts de la fertilité du sol : « Si un champ est laissé à lui-même, la fertilité du sol augmentera-t-elle ou s'épuisera-t-elle? ». D'ordinaire ils hésitent et disent quelque chose comme : « Bien, voyons. Elle s'épuisera... » Non, ce n'est pas le cas si I'on se souvient que si I'on cultive le riz pendant longtemps dans le même champ sans engrais, la récolte se stabilise alors autour de 24 quintaux à I'hectare. La terre ne s'enrichit ni ne s'épuise.
    Ces spécialistes de réfèrent à un champ cultivé et inondé (culture du riz - MD). Si la nature est livrée à elle-même la fertilité augmente. Les débris organiques animaux et végétaux s'accumulent et sont décomposés par les bactéries et les champignons à la surface du sol. Avec I'écoulement de I'eau de pluie les substances nutritives sont entraînées profondément dans le sol pour devenir nourriture des microorganismes, des vers de terre et autres petits animaux. Les racines des plantes atteignent les couches du sol plus profondes et ramènent les substances nutritives à la surface. Si vous voulez avoir une idée de Ia fertilité naturelle de la terre, allez un jour vous promener sur le versant sauvage de la montagne et regardez les arbres géants qui poussent sans engrais et sans être cultivés. La fertilité de la nature dépasse ce que I'on peut imaginer. C'est ainsi.

     

    Rasez la couverture forestière naturelle et plantez des pins rouges du Japon, ou des cèdres, pendant quelques générations et le sol s'épuisera et s'ouvrira à I'érosion. Par ailleurs, prenez une montagne improductive à sol pauvre d'argile rouge et plantez-la en pins ou en cèdres avec une couverture du sol en trèfle et en luzerne. Comme I'engrais vert [note 1] allège et enrichit le sol, mauvaises herbes et buissons poussent sous les arbres, et un cycle fertile de régénération commence. Il y a des cas où le sol s'est enrichi sur une profondeur de dix centimètres en moins de dix ans.

     

    Pour faire pousser les récoltes également, on peut arrêter d'utiliser des fertilisants préparés. Dans la plupart des cas une couverture permanente d'engrais vert et le retour de toute la paille et de la balle sur le sol seront suffisants. Pour fournir de I'engrais animal qui aide à décomposer la paille, j'avais I'habitude de laisser les canards aller en liberté dans les champs. Si on les y laisse aller quand ils sont canetons, pendant que les plantes sont encore toutes petites, les canards vont grandir en même temps que le riz. Dix canards vont pourvoir à tout le fumier nécessaire sur un are et aideront aussi à contrôler les mauvaises herbes.

    J'ai fait cela de nombreuses années jusqu'à ce que la construction d'une route nationale vienne empêcher les canards de traverser pour aller aux champs et revenir à la basse-cour. Maintenant j'utilise un peu de crottes de poule pour aider à décomposer la paille. Sur d'autres terres, canards ou autre petit bétail sont encore possibles.


    Ajouter trop d'engrais peut causer des problèmes. Une année, juste après le repiquage du riz, je louai un demi hectare en champs fraîchement plantés de riz pour une période d'un an. Je vidai toute I'eau des rizières et procédai sans fertilisant chimique, répandant simplement une petite quantité de crottes de poule. Quatre champs poussèrent normalement. Mais dans le cinquième, quoi que j'y fisse, les plants de riz poussèrent trop épais et furent attaqués par la brunissure (blast disease). Quand je questionnai le propriétaire à ce sujet, il dit qu'il avait utilisé ce champ tout I'hiver comme dépôt de fumier de poules.

    En utilisant de la paille, de I'engrais vert et un peu de fumier de volaille, vous pouvez obtenir de hauts rendements sans ajouter de compost ni de fertilisant du commerce. Depuis plusieurs dizaines d'années maintenant, je reste tranquille à observer la démarche de la nature pour faire pousser et fertiliser. Et tout en observant, je fais de magnifiques récoltes de Iégumes, d'agrumes, de riz et de céréales d'hiver, cadeau pour ainsi dire de la fertilité naturelle de la terre.


    • Venir à bout des mauvaises herbes

    Voici quelques points clef à se rappeler dans la manière d'agir avec les mauvaises herbes.
    Dès qu'on arrête de cultiver, la quantité de mauvaises herbes décroît nettement. Les variétés de mauvaises herbes dans un champ donné vont de même changer.

     

    Si I'on sème pendant que la moisson précédente mûrit encore, ces semences germeront avant les mauvaises herbes. Les mauvaises herbes d'hiver ne Ièvent qu'après la moisson du riz, mais à cette époque-là, les céréales d'hiver ont déjà pris une tête d'avance. Les mauvaises herbes d'été ne Ièvent qu'après la moisson de I'orge et de I'avoine, mais le riz est déjà en train de croitre avec vigueur. En calculant les semailles de sorte qu'il n'y ait pas d'intervalle entre la succession des cultures on donne aux graines semées un sérieux avantage sur les mauvaises herbes. Si I'on recouvre entièrement le champ de paille juste après la moisson, on coupe court momentanément à la germination des mauvaises herbes. Le trèfle blanc semé avec les semences, en couverture du sol, aide aussi à garder les mauvaises herbes sous contrôle.

     

    L'habituelle voie d'action sur les mauvaises herbes est de cultiver le sol. Mais lorsque vous le cultivez, les graines enfouies profondément dans le sol qui n'auraient jamais germé autrement, sont remontées à la surface et vous leur donnez une chance de germer. De plus, dans ces conditions, vous donnez I'avantage aux variétés à germination et croîssance rapides. Ainsi pourriez-vous dire que I'agriculteur qui essaye de contrôler les mauvaises herbes par la culture du sol, sème littéralement les graines de sa propre infortune.


    • Contrôle des « maladies »

    Il faut dire qu'il y a encore des personnes qui pensent que si elles n'utilisent pas de produits chimiques leurs arbres fruitiers et leurs champs de céréales vont dépérir sous leurs yeux. En réalité c'est en utilisant ces produits chimiques que les gens ont préparé à leur insu les conditions par lesquelles cette peur non fondée peut devenir réalité.

     

    Récemment des pins rouges du Japon ont souffert de sérieux ravages dûs à une irruption d'hylobie de l'écorce (charançon du pin = pine bark weevils). Les forestiers utilisent maintenant des hélicoptères pour essayer d'arrêter les ravages par des pulvérisations aériennes. Je ne nie pas que ce soit efficace à court terme, mais je sais qu'il doit y avoir un autre moyen.

    Les chancres de I'hylobie, selon les dernières recherches, ne sont pas une infestation directe mais continuent I'action de parasites médiats. Les parasites procréent à I'intérieur du tronc, bloquent le transport de I'eau et des éléments nutritifs, et causent éventuellement le dépérissement et la mort du pin.

    La cause profonde, naturellement, n'est pas encore clairement discernée.

     

    Les parasites se nourrissent d'un champignon qui se trouve à I'intérieur du tronc de I'arbre. Pourquoi ce champignon s'est-il mis à proliférer ainsi à I'intérieur de I'arbre? Est-ce que le champignon a commencé à se multiplier après que le parasite eût déjà fait son apparition ? Ou bien est-ce que le parasite a paru parce que le champignon était déjà Ià ? Cela se résume par la question : qui vint le premier : le champignon ou le parasite ? Qui plus est, il y a un autre microbe dont on sait très peu de chose, qui accompagne toujours le champignon, et un virus toxique pour le champignon. Les effets s'enchaînant en tous sens, la seule chose dont on soit absolument sûr est que les pins dépérissent en nombre inhabituel.

     

    On ne peut pas savoir quelle est la cause véritable du chancre du pin, ni les conséquences profondes du « remède ». Si I'on intervient à I'aveuglette cela ne peut que semer les graines de la prochaine grande catastrophe. Non, je ne peux pas me réjouir, sachant que les ravages directs de I'hylobie ont été résolus par des vaporisations de produits chimiques. Utiliser des produits chimiques agricoles est la manière la plus absurde de traiter des problèmes tels que ceux-là, et ne conduira qu'à de plus graves problèmes dans I'avenir.

     

    Les quatre principes de I'agriculture sauvage - (ne pas cultiver, pas d'engrais chimiques ni de compost préparé, pas de désherbage par labour ni herbicide et pas de dépendance chimique)- obéissent à I'ordre naturel et conduisent au réapprovisionnement de la richesse naturelle. Tous mes tâtonnements ont suivi cette ligne d'idée. C'est le coeur de ma méthode pour faire pousser Iégumes, céréales et agrumes.

    • Agriculture au milieu des mauvaises herbes

    Une grande variété d'espèces de mauvaises herbes poussent avec le grain et le trèfle blanc dans ces champs. La paille de riz répandue sur le champ I'automne dernier est déjà décomposée en riche humus. La moisson atteindra environ 59 quintaux à I'hectare .

     

    Hier, quand le Professeur Kawase, qui fait autorité sur les herbes de pâturage, et le Professeur Hiroe, qui fait des recherches sur les plantes anciennes, virent la fine couche d'engrais vert dans mes champs, ils appelèrent cela une magnifique oeuvre d'art. Un agriculteur local qui s'était attendu à voir mes champs complètement recouverts de mauvaises herbes fut surpris de voir I'orge poussant si vigoureusement parmi les nombreuses autres plantes. Des experts techniques sont également venus ici, ont vu les mauvaises herbes, vu le cresson et le trèfle qui poussent partout, et sont partis en hochant la tête d'étonnement .

    Il y a vingt ans, quand j'encourageais I'utilisation d'une couverture du sol permanente dans les vergers, il n'y avait pas un brin d'herbe visible dans les champs ou les vergers dans tout le pays. En voyant des vergers comme les miens les gens arrivèrent comprendre que les arbres fruitiers pouvaient très bien pousser parmi toutes sortes d'herbes. Aujourd'hui les vergers couverts d'herbes sont communs au Japon et ceux qui ne le sont pas sont devenus rares.

     

    C'est la même chose pour les champs de céréales. Riz, orge et avoine peuvent pousser avec succès tandis que les champs sont couverts de trèfle et de mauvaises herbes tout au long de I'année. Revoyons plus en détail le programme annuel des semailles et moissons de ces champs. Début octobre, avant la moisson, on sème à la volée du trèfle blanc et des céréales d'hiver de variété à croîssance rapide parmi les tiges du riz finissant de mûrir [note 2]. Le trèfle et I'orge, ou I'avoine, Ièvent et poussent de deux centimètres et demi à cinq centimètres pendant le temps qu'il faut au riz pour être prêt à moissoner. Pendant la moisson du riz, les semences levées sont foulées par les pieds des moissonneurs, mais récupèrent en un rien de temps. Quand le battage est accompli la paille de riz est répandue sur le champ.

     

    • Seed bomb

    « En un jour il est possible de faire assez de boulettes d'argile pour ensemencer environ deux hectares. Je trouve que là où les boulettes sont couvertes de paille, les semences germent bien et ne pourissent pas même les années de pluie


     

    Quand le riz est semé en automne et laissé découvert, les semences sont souvent mangées par les souris et les oiseaux ou bien elles pourrissent au sol et c'est pourquoi j'enferme les semences de riz dans de petites boulettes d'argile avant de semer. La semence est étalée sur un plateau ou une panière que I'on secoue dans un mouvement de va-et-vient circulaire. On la saupoudre d'argile finement pulvérisée et on ajoute de temps en temps une fine buée d'eau. Cela forme de petites boulettes d'environ un centimètre de diamètre. Il y a un autre procédé pour faire les boulettes.

     

    - On fait d'abord tremper dans I'eau pendant plusieurs heures la semence de riz décortiqué. On la retire et on la mélange à de I'argile humecté tout en foulant des pieds ou des mains. Puis on presse I'argile à travers un tamis en grillage de cage à poule pour le séparer en petites mottes. On doit laisser sècher les mottes un jour ou deux, ou jusqu'à ce qu'on puisse aisément les rouler en boulettes entre les paumes. Idéalement il y a une graine par boulette. En un jour il est possible de faire assez de boulettes pour ensemencer environ deux hectares.

     

    Selon les conditions j'enferme quelquefois les semences des autres céréales et des Iégumes dans des boulettes avant de semer. De mi-novembre à mi-décembre c'est le bon moment pour semer à la volée des boulettes contenant la semence de riz parmi les jeunes plants d'orge ou d'avoine, mais on peut aussi les semer à la volée au printemps . On étend sur le champ une fine couche de fumier de volaille pour aider à décomposer la paille et les semailles de I'année sont terminées.

     

    En mai les céréales d'hiver sont moissonnées. Après le battage toute la paille est répandue sur le champ.

    On fait alors entrer I'eau qu'on laisse stagner pendant une semaine à dix jours. Ceci provoque un affaiblissement des mauvaises herbes et du trèfle et permet au riz de lever à travers la paille. Durant juin et juillet la pluie suffit ; en août on fait passer de I'eau courante à travers le champ une fois par semaine sans la laisser stagner. Maintenant la moisson d'automne approche. Tel est le cycle annuel de culture du riz/céréales d'hiver par la méthode naturelle. Les semailles et la moisson suivent de si près le modèle de la nature qu'on peut considérer qu'elles suivent leur processus naturel plutôt qu'une technique agricole.
    Cela ne prend qu'une heure ou deux à un agriculteur de faire les semailles et de répandre la paille sur un are. A I'exception de la moisson on peut faire pousser seul les céréales d'hiver, et pour le riz deux ou trois personne suffisent en n'utilisant que les outils japonnais traditionnels. Il n'y a pas méthode plus facile, plus simple, pour faire pousser le grain. Elle comporte à peine plus que semer à la volée et répandre la paille, mais il m'a fallu plus de trente ans pour atteindre cette simplicité.

     

    Cette manière de travailler la terre s'est développée conformément aux conditions naturelles des îles japonaises mais j'ai le sentiment que la méthode naturelle du travail de la terre pourrait aussi être appliquée dans d'autres régions et pour d'autres cultures indigènes. Dans les régions où I'eau n'est pas aisément disponible on pourrait faire pousser le riz des montagnes, par exemple, ou d'autres grains tels que le sarrasin, le sorgho ou le millet. Au lieu du trèfle blanc une autre variété de trèfle, la luzerne, la vesce ou le lupin peuvent se révéler meilleures couvertures du champ. L'agriculture sauvage prend une forme distincte, conformément aux conditions particulières de la région où elle est appliquée.

    Pendant la transition vers cette sorte d'agriculture, un peu de désherbage, de compostage ou d'élagage peuvent être nécessaires au début mais ces mesures seront graduellement réduites chaque année. Finalement ce n'est pas la technique de culture qui est le facteur le plus important, mais plutôt I'état d'esprit de I'agriculteur.

    • Agriculture avec de la paille

    On pourrait considérer que répandre de la paille est plutôt sans importance alors que c'est le fondement de ma méthode pour faire pousser le riz et les céréales d'hiver. C'est en relation avec tout, avec la fertilité, la germination, les mauvaises herbes, la protection contre les moineaux, I'irrigation. Concrétement et théoriquement, I'utilisation de la paille en agriculture est un point crucial. Il me semble que c'est quelque chose que je ne peux pas faire comprendre aux gens.

     

    • Répandre la paille non-hachée

    Le Centre d'Essai d'Okayama est en train d'expérimenter I'ensemencement direct du riz dans quatre vingt pour cent de ses champs expérimentaux. Quand je leur suggérai d'étendre la paille non-hachée, ils pensèrent apparemment que cela ne pouvait pas être bien, et firent les expériences après I'avoir hachée dans un hachoir mécanique. Quand j'allai voir I'essai il y a quelques années, je vis que les champs avaient été divisés en ceux utilisant la paille non-hachée, hachée et pas de paille du tout. C'est exactement ce que je fis pendant longtemps et comme la non hachée marche mieux, c'est la non-hachée que j'utilise. M. Fujii, un enseignant du Collège d'Agriculture de Yasuki dans la Préfecture de Shimane, voulait essayer I'ensemencement direct et vint visiter ma ferme. Je lui suggérai de répandre de la paille non-hachée sur son champ. Il revint I'année suivante et rapporta que I'essai avait raté. Après avoir écouté attentivement son récit, je m'aperçus qu'il avait posé la paille de manière rectiligne et ordonnée comme le mulch d'un jardin japonais. Si vous faites ainsi, les semences ne germeront pas bien du tout. Les pousses du riz auront du mal à passer au travers de la paille d'orge ou d'avoine si on la répand de façon trop ordonnée. Il vaut mieux la jeter à la ronde en passant, comme si les tiges étaient tombées naturellement.

     

    La paille de riz fait un bon mulch aux céréales d'hiver, et la paille de céréales d'hiver est encore meilleure pour le riz. Je veux que cela soit bien compris. Il y a plusieurs maladies du riz qui infesteront la récolte si on applique de la paille de riz fraîche. Toutefois ces maladies du riz n'affecteront pas les céréales d'hiver, et si la paille de riz est étendue en automne, elle sera tout à fait décomposée quand le riz germera au printemps suivant. La paille de riz fraîche est saine pour les autres céréales, de même que la paille de sarrazin, et la paille des autres espèces de céréales peut être utilisée pour le riz et le sarrazin. En général la paille fraiche des céréales d'hiver telles que le froment, I'avoine et I'orge ne doit pas être employée comme mulch pour d'autres céréales d'hiver parce que cela pourrait provoquer des dégats par maladie .
    La totalité de la paille et de la balle restant après avoir battu doit retourner sur le champ.

    • La paille enrichit la terre.

    Eparpiller la paille maintient la structure du sol et enrichit la terre au point que le fertilisant préparé devient inutile. Ceci est lié bien entendu à la non-culture. Mes champs sont peut-être les seuls au Japon à ne pas avoir été labourés depuis plus de vingt ans, et la qualité du sol s'améliore à chaque saison. J'estime que la couche supérieure riche en humus, s'est enrichie sur une profondeur de plus de douze centimètres durant ces années. Ce résultat est en grande partie dû au fait de retourner au sol tout ce qui a poussé dans le champ sauf le grain.

    • Pas besoin de préparer de compost.

    II n'est pas nécessaire de préparer de compost. Je ne dirai pas que vous n'avez pas besoin de compost - seulement qu'il n'est pas nécessaire de travailler dur à le faire. Si on laisse la paille étendue à la surface du champ au printemp ou en automne et qu'on la recouvre d'une mince couche de fumier de poule ou de crottes de canard, en six mois elle se décomposera complètement. Pour faire du compost par la méthode habituelle, I'agriculteur travaille comme un fou sous le soleil brûlant, hachant la paille, ajoutant de I'eau et de la chaux, retournant le tas et le tractant jusqu'au champ. Il se donne toute cette peine parce qu'il pense que c'est une « meilleure voie ». Je préférerais voir les gens éparpiller de la paille, de la balle ou des copeaux sur leurs champs .

     

    En voyageant sur la ligne de Tokaïdo à I'ouest du Japon, j'ai remarqué qu'on coupe la paille plus grossièrement que lorsque j'ai commencé à parler de la répandre non coupée. I1 faut que je rende justice aux agriculteurs. Mais les experts d'aujourd'hui continuent à dire qu'il est préférable de n'utiliser que tant de tonnes de paille à I'hectare. Pourquoi ne disent-ils pas de remettre toute la paille dans le champ ? En regardant par la fenêtre du train, on peut voir des agriculteurs qui ont coupé et répandu environ la moitié de la paille et laissent pourrir le reste à I'écart sous la pluie.
    Si tous les agriculteurs du Japon se mettaient d'accord et commençaient à remettre toute la paille sur leurs champs, le résultat serait qu'une énorme quantité de compost reviendrait à la terre.

    • Germination

    Pendant des centaines d'années les agriculteurs ont mis grand soin à la préparation de semis de riz pour faire pousser du plant sain et fort. Ils nettoyaient les petits semis comme s'ils avaient été I'autel des ancètres. La terre était cultivée, du sable et les cendres de balle de riz brûlée étaient répandus tout autour, et une prière était offerte pour que les plants réussissent.

    Il n'est donc pas étonnant que les villageois des environs aient pensé que je n'avais plus ma tête de jeter la semence à la volée tandis que les céréales d'hiver étaient encore sur pied, avec des mauvaises herbes et des morceaux de paille en décomposition éparpillés partout.

     

    Naturellement les semences germent bien quand elles sont semées directement sur un champ bien retourné, mais s'il pleut il devient boueux, on ne peut pas y entrer et y marcher et les semailles doivent être différées. La méthode sans culture a la sécurité sur ce point, mais par ailleurs elle a I'inconvénient des petits animaux tels que taupes, grillons, souris et limaces qui aiment manger les semences. Les boulettes d'argile enfermant les semences résolvent ce problème.


    Pour semer les céréales d'hiver la méthode habituelle est de semer la semence et de la recouvrir de terre. Si la semence est mise trop profondément, elle pourrira. J'ai autrefois laissé tomber la semence dans de petits trous dans le sol, ou dans des sillons sans les recouvrir de terre, mais j'ai expérimenté beaucoup d'échecs avec les deux méthodes. Depuis peu je suis devenu paresseux et au lieu de faire des sillons ou de faire des trous dans la terre, j'enveloppe les semences dans des boulettes d'argile et je les lance directement sur le champ. La germination est meilleure à la surface où elle est exposée à I'oxygène. J'ai trouvé que Ià où les boulettes sont couvertes de paille, les semences germent bien et ne pourrissent pas, même les années de forte pluie.


    • La paille aide à tenir tête aux mauvaises herbes et aux moineaux

    Idéalement, un hectare produit environ quatre tonnes de paille d'avoine. Si la totalité de la paille est étendue sur le champ, la surface sera entièrement recouverte. Même une mauvaise herbe génante comme le chiendent, problème le plus difficile dans la méthode d'ensemencement direct sans culture, peut être maintenue sous contrôle.


    Les moineaux m'ont causé de fréquents maux de tête. L'ensemencement direct ne peut pas réussir sans moyen sûr pour venir à bout des oiseaux et il y a beaucoup d'endroits où I'ensemencement direct a été lent à se répandre pour cette seule raison. Certains d'entre vous peuvent avoir le même problème aves les moineaux et vous comprendrez ce que je veux dire. Je me souviens du temps où ces oiseaux me suivaient et dévoraient toutes les graines que j'avais semées avant même que j'aie pu finir I'autre côté du champ. J'ai essayé les épouvantails à moineaux et les filets, des boîtes de conserve cliquetant sur des ficelles, mais rien n'a vraiment bien marché. Ou s'il arrivait qu'une de ces méthodes réussît, son efficacité ne durait qu'un an ou deux.

     

    Mon expérience a montré qu'en semant quand la récolte est encore sur pied de telle sorte que la semence soit cachée par les herbes et le trèfle et en répandant un mulch de paille de riz, d'avoine ou d'orge dès que la récolte mûre à été moissonnée, le problème des moineaux peut être résolu avec beaucoup d'efficacité.
    J'ai fait quantité de fautes en expérimentant au cours des ans, j'ai fait I'expérience d'erreurs de toutes sortes. J'en connais probablement plus sur ce qui peut aller mal dans la croissance des récoltes agricoles que personne d'autre au Japon. Quand j'ai réussi pour la première fois à faire pousser du riz et des céréales d'hiver par la méthode de la non-culture, je me suis senti aussi heureux que Christophe Colomb a dû I'être quand il découvrit l'Amérique .

     

    • Fabrication de seeds bombs

    Composition :

    * un mix de graines
    *1/3 de lombricompost
    * 2/3 d'argile

     

    Etape 1 : mélangez le 2/3 - 1/3 d'argile et de lombricompost

    Etape 2 : Ajoutez y votre mélange de graines

    Etape 3 : Versez de l'eau pour humidifier jusqu'à obtenir une pâte compacte et mélanger

    Etape 4 : Malaxez pour former de petites boules

    Etape 5 : C'est prêt, allez semer !

     



    Sources:

    http://forum.permacultureweb.fr/

    www.citerre.org/fukuokamct.htm

    http://www.neomansland.info/2010/03/green-guerrilla-2-fabriquer-des-bombes-de-graines/

    wikipédia

     

    Posté par JSS

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  • La solitude en soi

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    Il n'y a que par le retrait ou la solitude qu'on atteint cette vérité au centre de soi-même. Il faut repousser tout ce qui détourne, tout ce qui corrompt, alourdit, avec une obstination constante et une vigilance sans relâche. Inutile de lutter contre le monde qui environne et agresse. La solution n'est pas de se retirer du monde mais de rester en soi. C'est comme vouloir fermer une fenêtre qu'on aurait ouverte. La solution, c'est de ne pas l'ouvrir. Le monde n'y est pour rien. C'est moi qui ait décidé d'ouvrir la fenêtre.

    Il faut écrire sur le monde finalement. Parce que c'est le seul moyen de maintenir la fenêtre close. Rien n'empêchera de regarder à travers la vitre mais aucune ouverture ne permettra au monde de venir à l'intérieur. Les mots agiront comme des nettoyeurs sur la vitre, ils permettront de préserver la clarté, cette vue macroscopique qui ne sera jamais une perdition de l'observateur à travers l'objet observé mais une perception lucide de l'observateur observant. Ce qui importe, c'est ce détachement constant, comme une double vue. L'observateur n'est pas inséré dans l'objet de l'observation parce qu'il reste lui-même l'observé. Je suis celui qui perçoit sa perception. Au lieu de me fondre dans la masse observée jusqu'à y disparaître, j'en reste détachée parce que jamais ne se perd, dans ce travail à travers la vitre, la présence de celui qui observe.

    Je veux écrire pour entendre le silence lorsque les mots n'ont plus rien à dire du monde. Ce silence qui contient la seule réalité. L'absence de tout bouleversement, de tout mouvement, de tout dérangement. J'écris pour ne pas être désintégré par les formes ingérées. La violence du monde est un désintrégateur, son chaos est un désordre existentiel.

    Ecrire pour rester ancré dans mes fibres, ne pas m'évaporer dans l'atmosphère humaine, rester condensé dans l'esprit qui vibre à l'intérieur et ne pas fusionner avec les particules agitées qui m'environnent.

    La solitude procurée par les mots est un sauvetage.

    Je veux entendre le vent dans mes lignes, la dérive des nuages, le soulèvement des océans aimantés par la lune, entendre le murmure de la mémoire de l'eau qui cascatelle dans les torrents, écouter son histoire millénaire, je veux écouter le craquement des écorces gorgées par le ruissellement obstiné de la sève, le grincement des pierres sous le gel, écouter dans les avalanches floconneuses qui débordent des nuages le ressac des marées, percevoir dans les scintillements d'étoiles l'extension de l'Univers, regarder dans les cieux lactescents des galaxies qui se forment, deviner dans le silence de la nuit des montagnes la lente rotation de la Terre.

     

    La Vie est une pensée qui a pris forme. Je n'entendrai jamais ses murmures si j'ouvre la fenêtre et laisse entrer le chaos humain.

    Il faut atteindre cette conscience du vide en soi pour entendre battre la pulsion infime de cette Vie. Rien, aucun bruit, aucun geste, même pas une pensée, aucun objectif, aucune attente, aucun désir, aucun regret, aucune tristesse, aucune espérance.

    Rien.

    C'est là qu'est le Tout.

    Je veux écrire pour tendre ce vide en moi vers l'horizon de la pensée originelle. Elle est là, dans le silence des montagnes, au milieu des océans, dans les déserts, les forêts tropicales, elle est là où le chaos humain n'a pas d'emprise. L'espace se réduit. Les animaux le sentent, les plantes le savent, même les nuages en parlent. La pensée de la Vie vibre toujours en eux.

    Les humains ont laissé leurs pensées humaines investir l'espace et ces pensées rebelles se combattent. Jusqu'à en oublier la pensée créatrice. Le vacarme en eux est à l'image du chaos. Si j'ouvre la fenêtre, je me condamne. Je dois essuyer parfois la buée de toutes ces pensées condensées sur la vitre à travers laquelle j'observe l'extérieur. Ce sont les pensées humaines qui se sont insérées en moi et qui me voilent la réalité. Le combat est permanent, les buées de plus en plus épaisses. Je sens parfois leurs étreintes, elles m'asphyxient, elles m'étouffent, elles ruissellent en moi comme des poisons. Il faut que je remonte en altitude, les buées sont trop lourdes, elles ne survivent pas à la lumière céleste.

    J'ai peur des villes et de leurs airs viciés. De ce chaos d'âmes embuées.

    Ce monde n'est pas pour moi.

    Je sais pourtant qu'il est d'une fragilité absolue. Que les hommes s'éteignent et dix mille ans en viendront à bout. Il ne restera rien. Aucune route, aucune construction, aucune trace, tout disparaîtra. La pensée créatrice restaurera l'harmonie. Sans les pensées des hommes comme interférences, le travail sera d'une facilité déconcertante.

    Je connais quelques sommets du haut desquels aucune trace humaine n'apparaît. Il faut s'asseoir au moins une fois dans sa vie pour saisir cette paix. Et parvenir simultanément à oublier que d'être là est parfois un outrage.

    Je suis un outrage si je nourris le chaos humain. 

    J'écris aussi pour dire à quel point j'en suis désolé. Tenter au moins de clamer mon innocence et de calmer ma détresse. Je n'ai rien demandé, rien voulu, rien décidé. Peut- être qu'un jour la Vie entendra mes hommages et me laissera entrer dans son silence. Juste la paix de la Création. 

     

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  • LES ÉGARÉS (roman) 8

     

    11

    Cette absurde nécessité d’user du mental pour se défaire de son emprise.

    Elle se souvient si bien de cette nuit d’inquiétude.

    L’ascension avait pris fin, une nouvelle fois, retour sur la terre, dans le quotidien pesant, l’oubli de soi dans l’impossibilité d’oublier quoique ce soit.

    Dépressurisation spirituelle.

    Jusqu’à la nausée. Pourquoi devoir quitter ces espaces lumineux, cette énergie euphorisante, cette acuité phénoménale, cette flamboyance de l’esprit ? La chute la déprimait plus que tout et elle en venait à attendre anxieusement le prochain décollage. Douloureuse alternance.

    Elle avait cherché une méthode pour apaiser ses angoisses mais devant l’inutilité de ses efforts les crises s’étaient amplifiées. Elle avait senti à quel point elle ne disposait d’aucune maîtrise. Vouloir se raisonner revenait à amplifier l’anarchie de son mental. Les idées s’entretuaient les unes les autres, ressuscitaient, luttaient sans vergogne, s’entrechoquaient, se superposaient, se mêlaient, accroissant les sensations de tournis et d’impuissance. Elle avait fini par comprendre que la volonté de contrôle contenait elle-même les désillusions et les effondrements. Ne plus rien vouloir, ne rien attendre, ne rien espérer conduisait finalement à une béatitude qu’elle n’aurait jamais imaginée. L’humilité. Briser l’ego et naître à soi.

    « Puisque je ne maîtrise rien, je n’ai rien à souhaiter et si je ne souhaite rien, que je ne suis plus dans l’espérance, je ne peux pas être déçu par les évènements qui surviennent ou par l’absence de toute évolution, de tout changement. Chaque instant est un changement et une continuité, un prolongement et une cassure, une surprise et une routine. C’est juste le regard que je lui porte qui l’étiquette mais si cette observation est dénuée de toute interprétation, l’évènement, quel qu’il soit reste ce qu’il est.  »

    Elle était dehors, assise sur la terrasse. Elle avait senti lâcher en elle une résistance ancienne, elle avait entendu tomber dans l’océan de ses prétentions la chaîne rouillée de ses certitudes, comme un ancrage qui rompait ses amarres, le courant de l’existence qui reprenait ses droits. Il ne lui restait qu’à être dans l’acceptation inconditionnelle.

    Le bonheur ne prenait son envol qu’à partir du moment où l’être ne cherchait justement pas à s’envoler. L’intention comme l’aspiration n’étaient que des entraves. Cette élévation euphorique ne lui appartenait pas plus que les effondrements. Elle n’en était pas responsable mais il dépendait d’elle d’en souffrir ou pas. Juste un regard lucide.

    Sourire intérieur. Bouffées de chaleur. Elle avait levé les yeux. Toujours cette impression d’être conseillée.

    De ne pas être seule.

    Au-delà des étoiles, le fond du ciel rayonnait d’une étrange pâleur laiteuse, des reflets de veilleuse lointaine.

    Elle était retournée se coucher avec une envie irrépressible d’aimer Yoann, de tout son corps, de toute son âme, comme s’il était impossible de garder en elle cette énergie sublime, qu’elle devait en jouir, la libérer, la consumer, jusqu’à la dernière particule. Elle s’était allongée contre le corps chaud, elle l’avait caressé, tendrement, il dormait, profondément recroquevillé dans le nid du sommeil, elle avait murmuré à son oreille, glissé sa langue sur le lobe, ses doigts dessinant sur sa peau nue des arabesques soyeuses, il avait gémi, doucement, il s’était étiré, elle avait enveloppé la verge dans ses mains en coquille, le cœur bondissant, l’esprit enflammé, la pointe de sa langue avait tracé un chemin sinueux jusqu’au membre ranimé, elle l’avait piqueté de baisers mouillés, cette chaleur dans son ventre, cette certitude bienheureuse d’avoir libéré en elle une énergie étouffée, elle devinait l’envol pétillant des étincelles, myriades d’étoiles filantes, elle l’avait chevauché, la tête fébrile du sexe érigé avait délicatement entrouvert les lèvres luisantes, comme un vaisseau ardent la tige gonflée de désirs avait tracé dans son calice impatient des sillages constellés de pollens vivaces, des semences de bonheur, elle avait senti ruisseler en elle la sève épaisse des embrasements, des magmas flamboyants qui délivraient dans les fibres des explosions singulières, des remontées insatiables de flux incandescents, des palpitations d’univers, l’espace en elle l’avait absorbée, elle avait perdu pied, envahie de visions inconnues, des folies sublimes qui la bouleversaient.

    Elle s’était abandonnée à l’inconscience, elle avait accéléré les mouvements ondulatoires, accentué les pressions, exacerbé les contacts, plongé la langue dans sa bouche ouverte, malaxé ses épaules, mordillé sa poitrine, tordu les draps, sans pouvoir clairement identifier la source des gémissements lascifs qu’elle percevait dans le brouillard phosphorescent de son esprit.

    Explosion.

    Cataclysme.

    Son corps comme un épicentre adorant les séismes, électrisé, secoué de spasmes, tensions musculaires, abandon, relâchement ultime, partir dans le flux du plaisir, inconscience, inconscience, n’être qu’une vibration tellurique, le noyau embrasé d’un cœur d’étoile.

    Recommencer.

    Recommencer.

    Recommencer.

    Jusqu’à l’épuisement.

    Puis cet effondrement douloureux, cette descente vertigineuse, ce retour incontrôlable, cette lourdeur si éloignée, si étrange, si cruelle.

    Laisse la vie te vivre.

    Elle avait psalmodié le précepte jusqu’à ce que le sommeil l’emporte.

  • De la servitude moderne...Extraits...

    de la servitude moderne
    http://www.delaservitudemoderne.org/francais1.html




    Chapitre I : Épigraphe

    « Mon optimisme est basé sur la certitude que cette civilisation va s’effondrer.
    Mon pessimisme sur tout ce qu’elle fait pour nous entraîner dans sa chute. »




    la terre

     



     Chapitre II : La servitude moderne

    "Quelle époque terrible que celle où des idiots dirigent des aveugles."

    William Shakespeare



    foule

     


        La servitude moderne est une servitude volontaire, consentie par la foule des esclaves qui rampent à la surface de la Terre. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises qui les asservissent toujours un peu plus. Ils courent eux-mêmes derrière un travail toujours plus aliénant, que l’on consent généreusement à leur donner, s’ils sont suffisamment sages. Ils choisissent eux-mêmes les maitres qu’ils devront servir. Pour que cette tragédie mêlée d’absurdité ait pu se mettre en place, il a fallu tout d’abord ôter aux membres de cette classe toute conscience de son exploitation et de son aliénation. Voila bien l’étrange modernité de notre époque. Contrairement aux esclaves de l’Antiquité, aux serfs du Moyen-âge ou aux ouvriers des premières révolutions industrielles, nous sommes aujourd’hui devant une classe totalement asservie mais qui ne le sait pas ou plutôt qui ne veut pas le savoir. Ils ignorent par conséquent la révolte qui devrait être la seule réaction légitime des exploités. Ils acceptent sans discuter la vie pitoyable que l’on a construite pour eux. Le renoncement et la résignation sont la source de leur malheur. 

        Voilà le mauvais rêve des esclaves modernes qui n’aspirent finalement qu’à se laisser aller dans la danse macabre du système de l’aliénation.

        L’oppression se modernise en étendant partout les formes de mystification qui permettent d’occulter notre condition d’esclave.
        Montrer la réalité telle qu’elle est vraiment et non telle qu’elle est présentée par le pouvoir constitue la subversion la plus authentique.
        Seule la vérité est révolutionnaire.



     Chapitre III : L’aménagement du territoire et l’habitat

    « L’urbanisme est cette prise de possession de l’environnement naturel et humain par le capitalisme qui, se développant logiquement en domination absolue, peut et doit maintenant refaire la totalité de l’espace comme son propre décor. »

    La Société du Spectacle, Guy Debord.

     

    immeubles


        À mesure qu’ils construisent leur monde par la force de leur travail aliéné, le décor de ce monde devient la prison dans laquelle il leur faudra vivre. Un monde sordide, sans saveur ni odeur, qui porte en lui la misère du mode de production dominant.
        Ce décor est en perpétuel construction. Rien n’y est stable. La réfection permanente de l’espace qui nous entoure trouve sa justification dans l’amnésie généralisée et l’insécurité dans lesquelles doivent vivre ses habitants. Il s’agit de tout refaire à l’image du système : le monde devient tous les jours un peu plus sale et bruyant, comme une usine.
        Chaque parcelle de ce monde est la propriété d’un État ou d’un particulier. Ce vol social qu’est l’appropriation exclusive du sol se trouve matérialisé dans l’omniprésence des murs, des barreaux, des clôtures, des barrières et des frontières… ils sont la trace visible de cette séparation qui envahit tout.
        Mais parallèlement, l’unification de l’espace selon les intérêts de la culture marchande est le grand objectif de notre triste époque. Le monde doit devenir une immense autoroute, rationnalisée à l’extrême, pour faciliter le transport des marchandises. Tout obstacle, naturel ou humain doit être détruit.
        L’habitat dans lequel s’entasse cette masse servile est à l’image de leur vie : il ressemble à des cages, à des prisons, à des cavernes. Mais contrairement aux esclaves ou aux prisonniers, l’exploité des temps modernes doit payer sa cage.


    « Car ce n’est pas l’homme mais le monde qui est devenu un anormal. »
    Antonin Artaud


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     Chapitre IV : La marchandise

    « Une marchandise paraît au premier coup d'œil quelque chose de trivial et qui se comprend de soi-même. Notre analyse a montré au contraire que c'est une chose très complexe, pleine de subtilité métaphysique et d'arguties théologiques. »
    Le Capital, Karl Marx


    publicité marchandise 


        Et c’est dans ce logis étroit et lugubre qu’il entasse les nouvelles marchandises qui devraient, selon les messages publicitaires omniprésents, lui apporter le bonheur et la plénitude. Mais plus il accumule des marchandises et plus la possibilité d’accéder un jour au bonheur s’éloigne de lui.

    « A quoi sert à un homme de tout posséder s’il perd son âme. »
                        Marc 8 ; 36

        La marchandise, idéologique par essence, dépossède de son travail celui qui la produit et dépossède de sa vie celui qui la consomme. Dans le système économique dominant, ce n’est plus la demande qui conditionne l’offre mais l’offre qui détermine la demande. C’est ainsi que de manière périodique, de nouveaux besoins sont créés qui sont vite considérés comme des besoins vitaux par l’immense majorité de la population : ce fut d’abord la radio, puis la voiture, la télévision, l’ordinateur et maintenant le téléphone portable.
        Toutes ces marchandises, distribuées massivement en un lapse de temps très limité, modifient en profondeur les relations humaines : elles servent d’une part à isoler les hommes un peu plus de leur semblable et d’autre part à diffuser les messages dominants du système. Les choses qu’on possède finissent par nous posséder.



     Chapitre V : L’alimentation

    « Ce qui est une nourriture pour l’un est un poison pour l’autre. »
    Paracelse

     
    nourriture

       
        Mais c’est encore lorsqu’il s’alimente que l’esclave moderne illustre le mieux l’état de décrépitude dans lequel il se trouve. Disposant d’un temps toujours plus limité pour préparer la nourriture qu’il ingurgite, il en est réduit à consommer à la va-vite ce que l’industrie agro-chimique produit. Il erre dans les supermarchés à la recherche des ersatz que la société de la fausse abondance consent à lui donner. Là encore, il n’a plus que l’illusion du choix. L’abondance des produits alimentaires ne dissimule que leur dégradation et leur falsification. Il ne s’agit bien notoirement que d’organismes génétiquement modifiés, d’un mélange de colorants et de conservateurs, de pesticides, d’hormones et autres inventions de la modernité. Le plaisir immédiat est la règle du mode d’alimentation dominant, de même qu’il est la règle de toutes les formes de consommation. Et les conséquences sont là qui illustrent cette manière de s’alimenter.
        Mais c’est face au dénuement du plus grand nombre que l’homme occidental se réjouit de sa position et de sa consommation frénétique. Pourtant, la misère est partout où règne la société totalitaire marchande. Le manque est le revers de la médaille de la fausse abondance. Et dans un système qui érige l’inégalité comme critère de progrès, même si la production agro-chimique est suffisante pour nourrir la totalité de la population mondiale, la faim ne devra jamais disparaitre.

    « Ils se sont persuadés que l’homme, espèce pécheresse entre toutes, domine la création. Toutes les autres créatures n’auraient été créées que pour lui procurer de la nourriture, des fourrures, pour être martyrisées, exterminées. »
    Isaac Bashevis Singer

        L’autre conséquence de la fausse abondance alimentaire est la généralisation des usines concentrationnaires et l’extermination massive et barbare des espèces qui servent à nourrir les esclaves. Là se trouve l’essence même du mode de production dominant. La vie et l’humanité ne résistent pas face au désir de profit de quelques uns.


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    Chapitre VI : La destruction de l’environnement

    « C’est une triste chose de songer que la nature parle et que le genre humain ne l’écoute pas. »
    Victor Hugo


    puits de petrole en feu 


        Le pillage des ressources de la planète, l’abondante production d’énergie ou de marchandises, les rejets et autres déchets de la consommation ostentatoire hypothèquent gravement les chances de survie de notre Terre et des espèces qui la peuplent. Mais pour laisser libre court au capitalisme sauvage, la croissance ne doit jamais s’arrêter. Il faut produire, produire et reproduire encore.

        Et ce sont les mêmes pollueurs qui se présentent aujourd’hui comme les sauveurs potentiels de la planète. Ces imbéciles du show business subventionnés par les firmes multinationales essayent de nous convaincre qu’un simple changement de nos habitudes de vie suffirait à sauver la planète du désastre. Et pendant qu’ils nous culpabilisent, ils continuent à polluer sans cesse notre environnement et notre esprit. Ces pauvres thèses pseudo-écologiques sont reprises en cœur par tous les politiciens véreux à cours de slogan publicitaire. Mais ils se gardent bien de proposer un changement radical dans le système de production. Il s’agit comme toujours de changer quelques détails pour que tout puisse rester comme avant.




     Chapitre VII : Le travail

    Travail, du latin Tri Palium trois pieux, instrument de torture.


    horloge 


        Mais pour entrer dans la ronde de la consommation frénétique, il faut de l’argent et pour avoir de l’argent, il faut travailler, c'est-à-dire se vendre. Le système dominant a fait du travail sa  principale valeur. Et les esclaves doivent travailler toujours plus pour payer à crédit leur vie misérable. Ils s’épuisent dans le travail, perdent la plus grande part de leur force vitale et subissent les pires humiliations. Ils passent toute leur vie à une activité fatigante et ennuyeuse pour le profit de quelques uns.

        L’invention du chômage moderne est là pour les effrayer et les faire remercier sans cesse le pouvoir de se montrer généreux avec eux. Que pourraient-ils bien faire sans cette torture qu’est le travail ? Et ce sont ces activités aliénantes que l’on présente comme une libération. Quelle déchéance et quelle misère !

        Toujours pressés par le chronomètre ou par le fouet, chaque geste des esclaves est calculé afin d’augmenter la productivité. L’organisation scientifique du travail constitue l’essence même de la dépossession des travailleurs, à la fois du fruit de leur travail mais aussi du temps qu’ils passent à la production automatique des marchandises ou des services. Le rôle du travailleur se confond avec celui d’une machine dans les usines, avec celui d’un ordinateur dans les bureaux. Le temps payé ne revient plus.

        Ainsi, chaque travailleur est assigné à une tache répétitive, qu’elle soit intellectuelle ou physique. Il est spécialiste dans son domaine de production. Cette spécialisation se retrouve à l’échelle de la planète dans le cadre de la division internationale du travail. On conçoit en occident, on produit en Asie et l’on meurt en Afrique.




     Chapitre VIII : La colonisation de tous les secteurs de la vie


    « C’est l’homme tout entier qui est conditionné au comportement productif par l’organisation du travail, et hors de l’usine il garde la même peau et la même tête. »

    Christophe Dejours


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        L’esclave moderne aurait pu se contenter de sa servitude au travail, mais à mesure que le système de production colonise tous les secteurs de la vie, le dominé perd son temps dans les loisirs, les divertissements et les vacances organisées. Aucun moment de son quotidien n’échappe à l’emprise du système. Chaque instant de sa vie a été envahi. C’est un esclave à temps plein.


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     Chapitre IX : La médecine marchande

    « La médecine fait mourir plus longtemps. »
    Plutarque


    laboratoire 


        La dégradation généralisée de son environnement, de l’air qu’il respire et de la nourriture qu’il consomme ; le stress de ses conditions de travail et de l’ensemble de sa vie sociale, sont à l’origine des nouvelles maladies de l’esclave moderne.
    Il est malade de sa condition servile et aucune médecine ne pourra jamais remédier à ce mal. Seule la libération la plus complète de la condition dans laquelle il se trouve enfermé peut permettre à l’esclave moderne de se libérer de ses souffrances.

        La médecine occidentale ne connaît qu’un remède face aux maux dont souffrent les esclaves modernes : la mutilation. C’est à base de chirurgie, d’antibiotique ou de chimiothérapie que l’on traite les patients de la médecine marchande. On s’attaque aux conséquences du mal sans jamais en chercher la cause. Cela se comprend autant que cela s’explique : cette recherche nous conduirait inévitablement vers une condamnation sans appel de l’organisation sociale dans son ensemble.

        De même qu’il a transformé tous les détails de notre monde en simple marchandise, le système présent a fait de notre corps une marchandise, un objet d’étude et d’expérience livré aux apprentis sorciers de la médecine marchande et de la biologie moléculaire. Et les maîtres du monde sont déjà prêts à breveter le vivant.
    Le séquençage complet de l’ADN du génome humain est le point de départ d’une nouvelle stratégie mise en place par le pouvoir. Le décodage génétique n’a d’autres buts que d’amplifier considérablement les formes de domination et de contrôle.

        Notre corps lui-aussi, après tant d’autres choses, nous a échappé.



     Chapitre X : L’obéissance comme seconde nature

    « À force d’obéir, on obtient des réflexes de soumission. »

    Anonyme


    rat de laboratoire 


        Le meilleur de sa vie lui échappe mais il continue car il a l’habitude d’obéir depuis toujours. L’obéissance est devenue sa seconde nature. Il obéit sans savoir pourquoi, simplement parce qu’il sait qu’il doit obéir. Obéir, produire et consommer, voilà le triptyque qui domine sa vie. Il obéit à ses parents, à ses professeurs, à ses patrons, à ses propriétaires, à ses marchands. Il obéit à la loi et aux forces de l’ordre. Il obéit à tous les pouvoirs car il ne sait rien faire d’autre. La désobéissance l’effraie plus que tout car la désobéissance, c’est le risque, l’aventure, le changement. Mais de même que l’enfant panique lorsqu’il perd de vue ses parents, l’esclave moderne est perdu sans le pouvoir qui l’a créé. Alors ils continuent d’obéir.

        C’est la peur qui a fait de nous des esclaves et qui nous maintient dans cette condition. Nous nous courbons devant les maîtres du monde, nous acceptons cette vie d’humiliation et de misère par crainte.
        Nous disposons pourtant de la force du nombre face à cette minorité qui gouverne. Leur force à eux, ils ne la retirent pas de leur police mais bien de notre consentement. Nous justifions notre lâcheté devant l’affrontement légitime contre les forces qui nous oppriment par un discours plein d’humanisme moralisateur. Le refus de la violence révolutionnaire est ancré dans les esprits de ceux qui s’opposent au système au nom des valeurs que ce système nous a lui-même enseignés.
        Mais le pouvoir, lui, n’hésite jamais à utiliser la violence quand il s’agit de conserver son hégémonie.




     Chapitre XI : La répression et la surveillance

    « Sous un gouvernement qui emprisonne injustement, la place de l’homme juste est aussi en prison. »
    La désobéissance civile, Henry David Thoreau


     foule 1984


        Pourtant, il y a encore des individus qui échappent au contrôle des consciences. Mais ils sont sous surveillance. Toute forme de rébellion ou de résistance est de fait assimilée à une activité déviante ou terroriste. La liberté n’existe que pour ceux qui défendent les impératifs marchands. L’opposition réelle au système dominant est désormais totalement clandestine. Pour ces opposants, la répression est la règle en usage. Et le silence de la majorité des esclaves face à cette répression trouve sa justification dans l’aspiration médiatique et politique à nier le conflit qui existe dans la société réelle.

       

     Chapitre XII : L’argent

    « Et ce que l’on faisait autrefois pour l’amour de Dieu, on le fait maintenant pour l’amour de l’argent, c’est-à-dire pour l’amour de ce qui donne maintenant le sentiment de puissance le plus élevé et la bonne conscience.»

    Aurore, Nietzsche


    billet 


        Comme tous les êtres opprimés de l’Histoire, l’esclave moderne a besoin de sa mystique et de son dieu pour anesthésier le mal qui le tourmente et la souffrance qui l’accable. Mais ce nouveau dieu, auquel il a livré son âme, n’est rien d’autre que le néant. Un bout de papier, un numéro qui n’a de sens que parce que tout le monde a décidé de lui en donner. C’est pour ce nouveau dieu qu’il étudie, qu’il travaille, qu’il se bat et qu’il se vend. C’est pour ce nouveau dieu qu’il a abandonné toute valeur et qu’il est prêt à faire n’importe quoi. Il croit qu’en possédant beaucoup d’argent, il se libérera des contraintes dans lesquels il se trouve enfermé. Comme si la possession allait de paire avec la liberté. La libération est une ascèse qui provient de la maitrise de soi. Elle est un désir et une volonté en actes. Elle est dans l’être et non dans l’avoir. Mais encore faut-il être résolu à ne plus servir, à ne plus obéir. Encore faut-il être capable de rompre avec une habitude que personne, semble-t-il, n’ose remettre en cause.


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     Chapitre XIII : Pas d’alternative à l’organisation sociale dominante

    Acta est fabula
    La pièce est jouée


    horloge 


        Or l’esclave moderne est persuadé qu’il n’existe pas d’alternative à l’organisation du monde présent. Il s’est résigné à cette vie car il pense qu’il ne peut y en avoir d’autres. Et c’est bien là que se trouve la force de la domination présente : entretenir l’illusion que ce système qui a colonisé toute la surface de la Terre est la fin de l’Histoire. Il a fait croire à la classe dominée que s’adapter à son idéologie revient à s’adapter au monde tel qu’il est et tel qu’il a toujours été. Rêver d’un autre monde est devenu un crime condamné unanimement par tous les médias et tous les pouvoirs. Le criminel est en réalité celui qui contribue, consciemment ou non, à la démence de l’organisation sociale dominante. Il n’est pas de folie plus grande que celle du système présent. 



     Chapitre XIV : L’image

    « Sinon, qu’il te soit fait connaitre, o roi, que tes dieux ne sont pas ceux que nous servons, et l’image d’or que tu as dressé, nous ne l’adorerons pas. »

    Ancien Testament, Daniel 3 :18


     panneaux


        Devant la désolation du monde réel, il s’agit pour le système de coloniser l’ensemble de la conscience des esclaves. C’est ainsi que dans le système dominant, les forces de répression  sont précédées par la dissuasion qui, dès la plus petite enfance, accomplit son œuvre de formation des esclaves. Ils doivent oublier leur condition servile, leur prison et leur vie misérable. Il suffit de voir cette foule hypnotique connectée devant tous les écrans qui accompagnent leur vie quotidienne. Ils trompent leur insatisfaction permanente dans le reflet manipulé d’une vie rêvée, faite d’argent, de gloire et d’aventure. Mais leurs rêves sont tout aussi affligeants que leur vie misérable. 

        Il existe des images pour tous et partout, elles portent en elle le message idéologique de la société moderne et servent d’instrument d’unification et de propagande. Elles croissent à mesure que l’homme est dépossédé de son monde et de sa vie. C’est l’enfant qui est la cible première de ces images car il s’agit d’étouffer la liberté dans son berceau. Il faut les rendre stupides et leur ôter toute forme de réflexion et de critique. Tout cela se fait bien entendu avec la complicité déconcertante de leurs parents qui ne cherchent même plus à résister face à la force de  frappe cumulée de tous les moyens modernes de communication. Ils achètent eux-mêmes toutes les marchandises nécessaires à l’asservissement de leur progéniture. Ils se dépossèdent de l’éducation de leurs enfants et la livrent en bloc au système de l’abrutissement et de la médiocrité.

        Il y a des images pour tous les âges et pour toutes les classes sociales. Et les esclaves modernes confondent ces images avec la culture et parfois même avec l’art. On fait appel aux instincts les plus sordides pour écouler les stocks de marchandises. Et c’est encore la femme, doublement esclave dans la société présente, qui en paye le prix fort. Elle en est réduite à être un simple objet de consommation. La révolte elle-même est devenue une image que l’on vend pour mieux en détruire le potentiel subversif. L’image est toujours aujourd’hui la forme de communication la plus simple et la plus efficace. On construit des modèles, on abrutit les masses, on leur ment, on crée des frustrations. On diffuse l’idéologie marchande par l’image car il s’agit encore et toujours du même objectif : vendre, des modes de vie ou des produits, des comportements ou des marchandises, peu importe mais il faut vendre.



     Chapitre XV : Les divertissements

    « La télévision ne rend idiots que ceux    
    qui la regardent, pas ceux qui la font. »

    Patrick Poivre d’Arvor


    public télévision 


        Ces pauvres hommes se divertissent, mais ce divertissement n’est là que pour faire diversion face au véritable mal qui les accable. Ils ont laissé faire de leur vie n’importe quoi et ils feignent d’en être fiers. Ils essayent de montrer leur satisfaction mais personne n’est dupe. Ils n’arrivent même plus à se tromper eux-mêmes lorsqu’ils se retrouvent face au reflet glacé du miroir. Ainsi ils perdent leur temps devant des imbéciles sensés les faire rire ou les faire chanter, les faire rêver ou les faire pleurer.
        On mime à travers le sport médiatique les succès et les échecs, les forces et les victoires que les esclaves modernes ont cessé de vivre dans leur propre quotidien. Leur insatisfaction les incite à vivre par procuration devant leur poste de télévision. Tandis que les empereurs de la Rome antique achetaient la soumission du peuple avec du pain et les jeux du cirque, aujourd’hui c’est avec les divertissements et la consommation du vide que l’on achète le silence des esclaves.


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     Chapitre XVI : Le langage

     « On croit que l'on maîtrise les mots, mais ce sont les mots qui nous maîtrisent. »

    Alain Rey


     bouche vendetta


        La domination sur les consciences passe essentiellement par l’utilisation viciée du langage par la classe économiquement et socialement dominante. Étant détenteur de l’ensemble des moyens de communication, le pouvoir diffuse l’idéologie marchande par la définition figée, partielle et partiale qu’il donne des mots.
        Les mots sont présentés comme neutres et leur définition comme allant de soi. Mais sous le contrôle du pouvoir, le langage désigne toujours autre chose que la vie réelle.
        C’est avant tout un langage de la résignation et de l’impuissance, le langage de l’acceptation passive des choses telles qu’elles sont et telles qu’elles doivent demeurer. Les mots travaillent pour le compte de l’organisation dominante de la vie et le fait même d’utiliser le langage du pouvoir nous condamne à l’impuissance.
        Le problème du langage est au centre du combat pour l’émancipation humaine. Il n’est pas une forme de domination qui se surajoute aux autres, il est le cœur même du projet d’asservissement du système totalitaire marchand.

        C’est par la réappropriation du langage et donc de la communication réelle entre les personnes que la possibilité d’un changement radical émerge de nouveau. C’est en cela que le projet révolutionnaire rejoint le projet poétique. Dans l’effervescence populaire, la parole est prise et réinventée par des groupes étendus. La spontanéité créatrice s’empare de chacun et nous rassemble tous.
       


     Chapitre XVII : L’illusion du vote et de la démocratie parlementaire

    « Voter, c’est abdiquer. »
    Élisée Reclus

     
    parlement


        Pourtant, les esclaves modernes se pensent toujours citoyens. Ils croient voter et décider librement qui doit conduire leurs affaires. Comme s’ils avaient encore le choix. Ils n’en ont conservé que l’illusion. Croyez-vous encore qu’il existe une différence fondamentale quant au choix de société dans laquelle nous voulons vivre entre le PS et l’UMP en France, entre les démocrates et les républicains aux États-Unis, entre les travaillistes et les conservateurs au Royaume-Uni ? Il n’existe pas d’opposition car les partis politiques dominants sont d’accord sur l’essentiel qui est la conservation de la présente société marchande. Il n’existe pas de partis politiques susceptibles d’accéder au pouvoir qui remette en cause le dogme du marché. Et ce sont ces partis qui avec la complicité médiatique monopolise l’apparence.  Ils se chamaillent sur des points de détails pourvu que tout reste en place. Ils se disputent pour savoir qui occupera les places que leur offre le parlementarisme marchand. Ces pauvres chamailleries sont relayées par tous les médias dans le but d’occulter un véritable débat sur le choix de société dans laquelle nous souhaitons vivre. L’apparence et la futilité dominent sur la profondeur de l’affrontement des idées. Tout cela ne ressemble en rien, de près ou de loin à une démocratie.
        La démocratie réelle se définit d’abord et avant tout par la participation massive des citoyens à la gestion des affaires de la cité. Elle est directe et participative. Elle trouve son expression la plus authentique dans l’assemblée populaire et le dialogue permanent sur l’organisation de la vie en commun. La forme représentative et parlementaire qui usurpe le nom de démocratie limite le pouvoir des citoyens au simple droit de vote, c'est-à-dire au néant, tant il est vrai que le choix entre gris clair et gris foncé n’est pas un choix véritable. Les sièges parlementaires sont occupés dans leur immense majorité par la classe économiquement dominante, qu’elle soit de droite ou de la prétendue gauche social-démocrate.
        Le pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire. Il est tyrannique par nature, qu’il soit exercé par un roi, un dictateur ou un président élu. La seule différence dans le cas de la « démocratie » parlementaire, c’est que les esclaves ont l’illusion de choisir eux-mêmes le maitre qu’ils devront servir. Le vote a fait d’eux les complices de la tyrannie qui les opprime. Ils ne sont pas esclaves parce qu’il existe des maitres mais il existe des maitres parce qu’ils ont choisi de demeurer esclaves.



     Chapitre XVIII : Le système totalitaire marchand

    « La nature n’a créé ni maîtres ni esclaves,
    Je ne veux ni donner ni recevoir de lois. »
    Denis Diderot


     satelite


        Le système dominant se définit donc par l’omniprésence de son idéologie marchande. Elle occupe à la fois tout l’espace et tous les secteurs de la vie. Elle ne dit rien de plus que : « Produisez, vendez, consommez, accumulez ! » Elle a réduit l’ensemble des rapports humains à des  rapports marchands et considère notre planète comme une simple marchandise. Le devoir qu’elle nous impose est le travail servile. Le seul droit qu’elle reconnait est le droit à la propriété privée. Le seul dieu qu’elle arbore est l’argent.
        Le monopole de l’apparence est total. Seuls paraissent les hommes et les discours favorables à l’idéologie dominante. La critique de ce monde est noyée dans le flot médiatique qui détermine ce qui est bien et ce qui est mal, ce que l’on peut voir et ce que l’on ne peut pas voir.

        Omniprésence de l’idéologie, culte de l’argent, monopole de l’apparence, parti unique sous couvert du pluralisme parlementaire, absence d’une opposition visible, répression sous toutes ses formes, volonté de transformer l’homme et le monde. Voila le visage réel du totalitarisme moderne que l’on appelle « démocratie libérale » mais qu’il faut maintenant appeler par son nom véritable : le système totalitaire marchand.

        L’homme, la société et l’ensemble de notre planète sont au service de cette idéologie. Le système totalitaire marchand a donc réalisé ce qu’aucun totalitarisme n’avait pu faire avant lui : unifier le monde à son image. Aujourd’hui, il n’y a plus d’exil possible.



    Chapitre XIX : Perspectives


     le pouvoir n'est pas à conquérir, il est à detruire


        A mesure que l’oppression s’étend à tous les secteurs de la vie, la révolte prend l’allure d’une guerre sociale. Les émeutes renaissent et annoncent la révolution à venir.

        La destruction de la société totalitaire marchande n’est pas une affaire d’opinion. Elle est une nécessité absolue dans un monde que l’on sait condamné. Puisque le pouvoir est partout, c’est partout et tout le temps qu’il faut le combattre.

        La réinvention du langage, le bouleversement permanent de la vie quotidienne, la désobéissance et la résistance sont les maîtres mots de la révolte contre l’ordre établi. Mais pour que de cette révolte naisse une révolution, il faut rassembler les subjectivités dans un front commun.

        C’est à l’unité de toutes les forces révolutionnaires qu’il faut œuvrer. Cela ne peut se faire qu’à partir de la conscience de nos échecs passés : ni le réformisme stérile, ni la bureaucratie totalitaire ne peuvent être une solution à notre insatisfaction. Il s’agit d’inventer de nouvelles formes d’organisation et de lutte.

        L’autogestion dans les entreprises et la démocratie directe à l’échelle des communes constituent les bases de cette nouvelle organisation qui doit être antihiérarchique dans la forme comme dans le contenu.

        Le pouvoir n’est pas à conquérir, il est à détruire.




    Chapitre XX : Épilogue
     
    « O Gentilshommes, la vie est courte… Si nous vivons, nous vivons pour marcher sur la tête des rois. »

    William Shakespeare



    lance pierre contre police

    émeutes coktail molotov

    explosion parlement



    Jean-François Brient

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  • Intermittents du spectacle...

    C'est l'impression que j'en ai quand je regarde la façon dont se déroule l'existence.Je suis un intermittent du spectacle.

    Des rôles à tenir quasiment en permanence et puis, parfois, des périodes de paix intérieure.

    Mari, père, instituteur, montagnard, "écrivain...,", endetté pour une maison qui appartient encore à la banque...Mes enfants hériteront de murs que j'aurai payés trois fois au regard des intérêts versés. Totalement absurde. Il aurait mieux valu que j'achète cinq vélos et qu'on parte sur les routes du monde. Un regret...

    Spectateur du monde aussi et là, c'est une scène dont j'aimerais parfois ne plus entrevoir la moindre noirceur. 500 milliards alloués aux banques européennes aujourd'hui...Du dégoût.

    Comment se libérer de cette pression constante de ces rôles et de ce spectacle alors qu'il s'agit pourtant de "choix" personnels ?

    Je sais que la réalité de ces "choix" est particulièrement illusoire. Il me reste à les assumer au mieux. Ils m'apportent de réels bonheurs en alternance avec les difficultés qui s'y greffent.

    Pour ce qui est du spectacle du monde, il me reste à décider de ma participation, de ma situation passive de voyeur ou de mon retrait.

    Le problème vient du fait que mes rôles m'enchaînent. Les choses qu'on croit posséder finissent par nous posséder. Les choix qu'on croit avoir pris sont des décisions imposées.

    J'oeuvre par conséquent à user de cette vie faussée en ajustant mes actes à ces fameux choix. J'ai vu passer dans mes classes plus de mille enfants. Je leur ai donné beaucoup d'énergie. Je ne sais pas ce qu'il en restera et il est inutile que je m'en inquiète. Sur le moment, j'ai fait ce que je jugeais bon et utile. J'ai au moins cette satisfaction-là.

    J'aime autant que je le peux les gens que j'aime. J'accompagne au mieux nos trois enfants. Je vis auprès de ma princesse avec le même bonheur qu'au premier jour. Ces rôles-là sont les plus beaux de mon existence.

    J'écris parce que c'est le moyen le plus efficace dont je dispose pour prendre le recul nécessaire à l'observation de ces rôles. Ceux que j'ai tenus, ceux d'aujourd'hui et si possible en prévision des rôles futurs en espérant que je n'y succomberai pas avec le même aveuglement.

    Il s'agit d'identifier les maîtres du spectacle. Les metteurs en scène sont multiples mais pas tous connus. Il est de leur intérêt de ne pas se montrer au grand jour. Il est préférable de laisser les intermittents du spectacle jouir de la chance qu'ils pensent détenir en ayant été "choisis" pour tenir un rôle. C'est gratifiant d'avoir un rôle, c'est ce qu'on apprend depuis l'école maternelle.

    Esclavage moderne auquel voudraient participer tous les peuples opprimés, déshérités, affamés, maltraités. L'image d'un progrès salvateur et d'une vie épanouie, protégée, assurée.

    Je ne meurs pas de faim, je peux me faire soigner, j'ai un abri solide, je ne suis pas en danger de mort.

    Beaucoup ne disposent même pas de ça. Comment pourrait-on les juger ? Indécence absolue.

     

    Je sais pourtant, au coeur de cette vie protégée, que le bonheur n'est pas encore là. Après avoir observé le spectacle, ce dégoût qui me monte à l'âme, que dois-je en faire ?

    M'investir pour tenter d'en changer le processus ? Me retirer en abandonnant la masse ? Quelle est cette prétention qui me laisse à penser que j'ai un quelconque pouvoir ? Quelle est cette lâcheté qui me laisse à penser que je ne peux rien faire ? Ou est l'équilibre ? Existe-t-il ?

    J'essaie désormais de quitter la scène autant que possible, de sortir de la salle elle-même. Etre spectateur est aussi avilissant que de tenir un rôle. Le même jeu de marionnettes. Le metteur en scène lui-même est la marionnette de ses conditionnements mais il a su en tirer un certain pouvoir. Je lui laisse la place sans aucune hésitation. Le dégoût de ce rôle me protège au moins du dégoût de moi-même.

    Je suis manipulé mais je ne manipule personne.

    Quoique... Les enfants qui passent dans ma classe reçoivent nécessairement des données qui les préparent à ces rôles. Les "connaissances" qu'ils absorbent avec plus ou moins de facilité les mèneront à faire des "choix"...Mais qui fera ces choix ? Des individus conscients et lucides ou des individus dirigés, conduits, influencés au fil des expériences ?...Liberté...Quelle liberté ?

    La seule qui soit réelle consiste à cartographier l'espace qui nous enferme. L'espace social, familial, professionnel, passionnel, historique, économique, intellectuel, médiatique...

    L'homme n'agit pas, il est agi. Il faut juste agir pour parvenir à cette conscience-là. Et là encore, il ne s'agira que d'une réaction, pas d'un acte. Mais cette réaction-là a au moins le mérite d'être menée par l'individu lui-même. 

    Juste la possibilité d'atténuer la sensation de dégoût.

    "L'existence précède l'essence" disait-il. J'y ai cru longtemps. Mais la "nausée" a fini par être la plus forte. Le spectacle du monde est redoutablement toxique.

    Il arrivera un jour où je ne le regarderai plus. Je chercherai en marchant sur la terre à exister par mon essence. Peut-être serais-je déshumanisé alors et que c'est là que se trouve l'humain. Pour l'instant, je ne sais où il se cache.

     

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  • Marinaleda, alternative au capitalisme.

    Marinaleda : un modèle d’auto-gestion unique en Europe

    Andrea DUFFOUR


    Depuis l’alerte google Alternatives au capitalisme j’ai récemment découvert l’existence de MARINALEDA, une commune de 2645 habitants en Andalousie « où Marx vivrait s’il était encore en vie, avec zéro chômage, zéro policier et des habitations à 15 euros par mois » (1). Une alternative au capitalisme réalisée à moins de 2000 km de chez nous et qui fonctionne depuis plus de 30 ans sans que je n’en aie jamais entendu parler ? A la première occasion, c’est donc sac à dos, train, bus et autostop que j’irai pour vérifier si cette belle utopie existe vraiment…

    Comme c’est Pâques, je tombe en pleine Semana Santa. Au village voisin on m’avertit : « Leur maire est un fou, quand nous autres, Espagnols, faisons des processions religieuses, eux ils font la fête pendant 5 jours »

    J’apprends que la fête de la paix qui tombe durant la Semaine Sainte y est effectivement une tradition depuis plusieurs années et beaucoup de jeunes de Sevilla, Granada ou Madrid ont rejoint les villageois. Des lectures, des films ou une conférence, en solidarité avec la Palestine, ainsi qu un appel au boycott des produits israéliens ouvrent les soirées de concerts et de fête. Pour les nuits, l’immense complexe poly-sportif reste ouvert pour loger les visiteurs de l’extérieur. Une première auberge est en construction.

    En tant que membre de l’association de solidarité Suisse-Cuba, je m’étais déplacée pour voir s’il existait effectivement une expérience socialiste un peu similaire à la révolution cubaine ici en Europe et j’en ai eu pour mon compte.

    Le droit à la terre et au travail

    A Marinaleda aussi, il a fallu d’abord passer par une réforme agraire. « La lutte révolutionnaire du peuple cubain a été une lumière pour tous les peuples du monde et nous avons une grande admiration pour ses acquis », m’explique Juan Manuel Sanchez Gordillo, maire communiste, réélu depuis 31 ans. Il était le plus jeune édile d’Espagne en 1979. En 1986, après 12 ans de luttes et d’occupations où les femmes ont joué le rôle principal, ce village a réussi à obtenir 1200 ha de terre d’un grand latifundiaire, terre qui a aussitôt été redistribuée et transformée en coopérative agricole de laquelle vit aujourd’hui presque tout le village. « La terre n’appartient à personne, la terre ne s’achète pas, la terre appartient à tous ! ».

    A la ferme de la coopérative, EL HUMOSO, les associés travaillent 6.5h par jour, du lundi au samedi, ce qui donne des semaines de 39 h. Tout le monde a le même salaire, indépendant de la fonction. 400 personnes du village les rejoignent pendant les mois de novembre à janvier (olives), et 500 en avril (habas, haricots de Lima).

    La récolte (huile d’olive extra vierge, artichauts, poivrons, etc.,) est mise artisanalement en boite ou en bocal dans la petite fabrique HUMAR MARINALEDA au milieu du village où travaillent env. 60 femmes et 4-5 hommes en bavardant dans une ambiance décontractée. Le tout est vendu principalement en Espagne. Une partie de l’huile d’olive part pour l’Italie qui change l’étiquette et la revend sous un autre nom. « Nous avons la meilleure qualité, mais malheureusement, c’est eux qui ont les canaux pour la commercialisation » m’explique un travailleur de la ferme. Avis donc aux magasins alternatifs de chez nous pour leur proposer un marché direct…

    Les bénéfices de la coopérative ne sont pas distribués, mais réinvestis pour créer du travail. Ça a l’air si simple, mais c’est pour cela que le village est connu pour ne pas souffrir du chômage. En discutant avec la population, j’ai pourtant appris qu’à certaines époques de l’année, il n’y a pas assez de travail dans l’agriculture pour tous, mais que les salaires sont tout de même versés. Comme à Cuba, l’habitation, le travail, la culture, l’éducation et la santé sont considérées comme un droit. Une place à la crèche avec tous les repas compris coûte 12 euros par mois. A nouveau, ça rappelle Cuba où l’éducation est gratuite, depuis la crèche jusqu’à l’université.

    Les maisons auto-construites

    Plus de 350 maisons ont déjà été construites par les habitants eux-mêmes. Il n’y a pas de discrimination et l’unique condition pour une attribution est de ne pas déjà disposer d’un logement. La municipalité met à disposition gratuitement la terre et les conseils d’un architecte, Sevilla fait un prêt des matériaux. Les maisons ont 90m2, deux salles d’eau et une cour individuelle de 100m2 où on peut planter ses légumes, faire ses barbecues, mettre son garage ou agrandir en cas de besoin. Comme dans certaines régions à Cuba, un groupe de futurs voisins construisent ensemble pendant une année une rangée de maisons mitoyennes sans savoir encore laquelle sera la leur. Une fois le logement attribué, les finitions, l’emplacement des portes, les ouvertures peuvent être individualisées par chaque famille. Le loyer se décide en réunion du collectif. Il a été arrêté fixé à moins de 16 euros par mois. Les constructeurs deviennent ainsi propriétaires de leur maison, mais elle ne pourra jamais être revendue. (En dehors de l’auto-construction, j’ai rencontré une famille qui loue à 24 euros par mois ainsi que la seule ouvrière de la fabrique Humar Marinaleda qui vient de l’extérieur et qui paye, elle, 300 euros pour son logement. Les personnes qui souhaitent vivre à Marinaleda doivent y passer deux ans d’accoutumance avant une décision définitive).

    Le coiffeur, qui fait plutôt partie de la minorité de l’opposition, est propriétaire de sa maison et se plaint de devoir travailler quand même. A ma question, pourquoi il ne vend pas sa maison à une des nombreuses familles espagnoles qui aimeraient venir rejoindre ce village, il dit qu’il y a tout de même aussi des avantages de rester ici. (L’opposition serait financée par le PSOE, Partido socialisto obrero espagnol, selon certaines sources).

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    MARINALEDA - http://www.npa2009.org

    Ce samedi de Pâques, les intéressé-e-s sont invités à la mairie pour une petite conférence. Le maire nous explique son point de vue sur différents points avant de répondre à nos questions. En voici quelques extraits ou résumés :

    S’organiser

    « Il faut lutter unis. Au niveau international, nous sommes connectés avec Via campesina, puis nous nous sommes organisés syndicalement et politiquement », nous communique le maire. Esperanza, 30 ans, éducatrice de profession, conseillère sociale bénévole de la municipalité, m’avait déjà expliqué ceci la veille au « syndicat », bar et lieu de rencontres municipal : « Ici, nous avons fait les changements depuis le bas, avec le SAT, syndicat de travailleurs d’Andalousie, anciennement SOC, syndicat fondé en 76, juste après Franco, et avec la CUT, collectif unitaire de travailleurs, parti anticapitaliste ».

    Pas de gendarme

    « Nous n’avons pas de gendarmes ici - ça serait un gaspillage inutile » Les gens n’ont pas envie de vandaliser leur propre village. « Nous n’avons pas de curé non plus –gracias à Dios ! » plaisante le maire. La liberté de pratiquer sa religion est pourtant garantie et une petite procession religieuse timide défile discrètement, sans spectateurs, dans le village en évitant la place de fête.

    Le capitalisme

    « La crise ? Le système capitaliste a toujours été un échec, la crise ne date pas d’aujourd’hui. L’avantage de la crise : le mythe du marché est tombé (...) Les réalités sont toujours les mêmes : quelque 2% détiennent 50% de la terre (…). Ceux qui veulent réformer le capitalisme veulent tout changer pour que rien ne change ! Dans le capitalisme, on a des syndicats de régime et non pas des syndicats de classe, il y a beaucoup d’instruments d’aliénation, pas de liberté d’expression, seulement la liberté d’acquisition (...) A Marinaleda, nous serons les premiers quand il s’agit de lutter et les derniers à l’heure des bénéfices. »

    Démocratie

    « Nous pratiquons une démocratie participative, on décide de tout, des impôts aux dépenses publiques, dans des grandes assemblées. Beaucoup de têtes donnent beaucoup d’idées. Nos gens savent aussi qu’on peut travailler pour d’autres valeurs qu’uniquement pour de l’argent. Quand nous avons besoin ou envie, nous organisons un dimanche rouge : par exemple certainement dimanche après cette fête, il y aura assez de jeunes volontaires qui viendront nettoyer la place ou préparer un petit déjeuner pour les enfants et tout ceci pour le plaisir d’être ensemble et d’avoir un village propre (…). La démocratie doit être économique et sociale, pas seulement politique. Quant à la démocratie politique, la majorité 50%+1 ne sert à rien. Pour une vraie démocratie, il faut au moins 80-90% d’adhérents à une idée. D’ailleurs, toutes nos charges politiques sont tous sans rémunération ».

    Luttes futures et amendes…

    Le maire appelle à participer à la grève générale annoncée par le SA pour ce 14 avril, en solidarité avec les sans terres en Andalousie qui ne bénéficient pas encore de leur droit à la terre et aussi pour nos revendications à nous. Il préconise aussi la nécessité de nationaliser les banques, l’énergie, les transports, etc. Nous devons 20-30 millions de pesetas d’amendes pour nos luttes différentes…

    La culture, les fêtes

    « Nous faisons beaucoup de fêtes avec des repas communs gratuits, et il y a toujours assez de volontaires pour organiser tout cela. La joie et la fête doivent être un droit, gratuites et pour tous. Ce n’est pas la mayonnaise des médias qui vont nous dicter ce qui doit nous plaire, nous avons une culture à nous. »

    Expérience sociale unique en Europe

    Avec un sol qui n’est plus une marchandise, mais devenu un droit pour celui qui veut le cultiver ou l’habiter, une habitation pour 15 euros par mois, du sport ou la culture gratuits ou presque (piscine municipale 3 euros pour la saison), un sens communautaire de bien-être, je pense pouvoir dire que Marinaleda est une expérience unique en Europe.
    Chaque samedi d’ailleurs, le maire répond également aux questions des villageois présent-e-s à la maison communale sur la chaîne de la TV locale. Cela nous rappelle l’émission « Alô présidente » de Hugo Chavez, un autre leader pour lequel Gordillo a exprimé son admiration.

    La désinformation

    Apaga la TV, enciende tu mente - Eteins la TV, allume ton cerveau, ce premier mural m’avait frappé, il se trouve jusqu’en face de la TV locale… A ma question en lien avec la désinformation, Juan Miguel Sanchez Gordillo me fait part de son plan d’écrire un livre sur « Los prensatenientes » – la demi-douzaine de transnationales qui possèdent les médias dans le monde. « Pendant que la gauche écrit des pamphlets que personne ne lit, la droite économique, la grande bourgeoisie, installe chez toi plein de canaux de télévision racontant tous les mêmes valeurs et propageant la même propagande mensongère. (…) Au niveau de l’information, l’éducation est très importante » et, en ce qui concerne le programme national de l’éducation, cela ne lui convient pas. Jean Manuel Sanchez Gordillo me confie donc qu’il compte venir bientôt en Suisse pour étudier notre système d’éducation qui est organisé au niveau cantonal... Probablement il pense que nous sommes une vraie démocratie avec des programmes scolaires indépendants du pouvoir…

    Des expériences alternatives au capitalisme qui font peur

    Par rapport aux médias, la question que je me pose à nouveau est la suivante : Pourquoi l’expérience de Marinaleda est si mal connue en Espagne ainsi qu’auprès de nos édiles ? Pourquoi Cuba, cas d’école au niveau mondial en ce qui concerne la désinformation, mérite un budget annuel de 83 millions de dollars de la part des Etats-Unis, consacrés uniquement au financement de la désinformation et des agressions contre ce petit pays ?

    Y aurait-il des alternatives au capitalisme qui fonctionnent depuis longtemps et qui font si peur à certains ?

    Andrea Duffour
    Association Suisse-Cuba
    http://www.cuba-si.ch

    Pour plus d’information : http://www.marinaleda.com

    (1) Nouveau Parti Anticapitaliste, http://www.npa2009.org, article du 10.1.2010

    URL de cet article 10424
    http://www.legrandsoir.info/Marinaleda-un-modele-d-auto-gestion-unique-en-Europe.html

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  • Médecine de l'âme.

     

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    Une discussion sur un blog que j'aime beaucoup.

    medecine de l'âme:

    http://medecinedelame-leblog.fr/

     


    *Thierry

    Ce que je trouve un peu désolant, c’est que tous les jours, nous sommes des survivants, tous les jours, nous sommes dans cette situation de « miraculés », mais nous prenons tous ces jours qui défilent comme des évidences, comme des dus, des propriétés, des choses éternelles. C’est absurde. Tous les jours, nous sommes ces survivants et tous les jours, à chaque instant, cette vie en nous se doit d’être bénie, honorée, pleinement absorbée. Il faut vivre comme des affamés et non comme des repus apathiques. Ne pas attendre cet instant de rupture dans notre endormissement mais rogner chaque instant, non pas seulement dans les actes, mais dans la dimension spirituelle.

     *Pierre

    Merci pour votre commentaire, je partage assez ces idées qui décrivent bien nos tendances. Je suis sensible aussi à ce côté pratique que vous proposez, empli de gratitude d’une part, et de décision pleine et entière de se mettre au travail d’autre part. Qu’entendez-vous par « rogner chaque instant, non pas seulement dans les actes, mais dans la dimension spirituelle.

    *Thierry

    Henry David Thoreau disait qu’il s’agit de « vivre profondément et sucer toute la moelle de la vie ». Bien plus encore que de rogner l’os, il faut explorer jusqu’aux fibres qui constituent l’os, percevoir l’énergie qui crée la structure. C’est cela « l’Illumination ». Etre capable d’expérimenter la réalité telle qu’elle est, sans interférence, sans distorsion, sans apport personnel, dans une complète acceptation, sans projection, sans peur, sans attente, sans espoir, c’est un état d’illumination. Cela revient à déposer ses charges, ses fardeaux, son passé et toutes les identifications qui s’y sont greffées. Il s’agit des fardeaux d’ordre mental. Ils peuvent bien entendu avoir des répercussions sur le physique. Cette conscience temporelle dont nous disposons peut se retourner contre notre plénitude. Elle installe une charge émotionnelle, majoritairement inconsciente. Pour entrer dans cette acceptation libératrice il est indispensable d’établir la liste de ces fardeaux, de les identifier et de prendre conscience qu’ils ne sont pas ce que nous sommes. Ils sont l’image que nous avons donnée de la vie mais ils ne sont pas la vie. Les pensées commentent la vie et si nous n’y prêtons pas attention, nous finissons par considérer que ce commentaire est la vie elle-même. La vie n’est rien d’autre que l’énergie qui vibre en chacun de nous. Elle ne doit pas être salie, alourdie, morcelée par cette vision temporelle à laquelle nous nous attachons. Les pensées que nous avons établi comme l’étendard de notre puissance est un mal qui nous ronge. L’égo y prend forme et se détache dès lors de la conscience de la vie. L’individu se couvre d’oripeaux comme autant de titres suprêmes. Ca n’est que souffrance et dans la reconnaissance que nous y puisons nous créons des murailles carcérales. L’illumination consiste à briser ce carcan. L’individu n’en a pas toujours la force, il manque de lucidité, d’observation, il est perdu dans le florilège d’imbrications sociales, familiales, amoureuses, professionnelles. Il se fie à son mental nourri inlassablement par les hordes de pensées.

    Survient alors, parfois, le drame. L’évènement qui fait voler en éclat les certitudes, les attachements, les conditionnements. La douleur physique se lie à la souffrance morale. Les repères sont abolis, les références sont bannies. L’individu sombre dans une détresse sans fond, il en appelle à l’aide, il cherche des solutions extérieures, condamne, maudit, répudie, nie, rejette, conspue, insulte le sort qui s’acharne sur lui alors qu’il est lui-même le bourreau, le virus, le mal incarné. Il a construit consciencieusement les murs de sa geôle et jure qu’il n’est pour rien. Dieu, lui-même, peut devenir l’ennemi juré alors qu’il avait jusque là été totalement ignoré. Tout est bon pour nourrir la révolte.

    S’installe alors peu à peu l’épuisement. Le dégoût de tout devant tant de douleur. Ca n’est qu’une autre forme de pensée, une autre déviance, une résistance derrière laquelle se cache l’attente d’une délivrance, un espoir qui se tait, qui n’ose pas se dire. Une superstition qu’il ne faut pas dévoiler. La colère puis le dégoût, des alternances hallucinantes, des pensées qui s’entrechoquent, des rémissions suivies d’effondrements, rien ne change, aucune évolution spirituelle, juste le délabrement continu des citadelles. Cette impression désespérante, destructrice de tout perdre, de voir s’étendre jour après jour l’étendue des ruines.

    Il ne reste que l’illumination. Elle est la seule issue. Car lorsqu’il ne reste rien de l’individu conditionné, lorsque tout a été ravagé jusqu’aux fondations, lorsque le mental n’est plus qu’un mourant qui implore la sentence, lorsque le corps n’a plus aucune résistance, qu’il goûte avec délectation quelques secondes d’absence, cette petite mort pendant laquelle les terminaisons nerveuses s’éteignent, comme par magie, comme si le cerveau lui-même n’en pouvait plus, c’est là que les pensées ne sont plus rien, que le silence intérieur dévoile des horizons ignorés.

    Révélation. Illumination.

    Je ne suis pas ma douleur, je ne suis rien de ce que je veux sauver. Je ne suis rien de ce que j’ai été.

    Je suis la vie en moi. Je suis l’énergie, la beauté de l’ineffable.

     *Hélène :


    Merci, c’est très beau et très bien écrit …
    J’ai l’impression d’avoir déjà entrevu ce type de descente aux enfers …
    Ce qui m’a permis de, finalement, surnager, est ce socle de valeurs éternelles, indissociables, tout en haut, du divin. En ce sens, pour répondre à l’auteur de l’article, pour moi ce « rapport conscient au divin » a une grande importance dans une pratique quotidienne de valeurs humaines. Mais cette illumination, pour reprendre vos termes Thierry, je l’ai ressentie plus comme un présent que comme le résultat d’un effort de ma part. Je me suis tournée dans la bonne direction certainement, sincèrement probablement, mais c’est tout. La suite, je l’ai reçue comme un cadeau. Même si je reste persuadée que ce petit effort, il fallait tout de même le faire.

     

    *Thierry.


    Pour ma part, le « choc », je l’ai reçue sans en être l’instigateur. C’est à une médium magnétiseuse que je dois une guérison, jugée comme « miraculeuse » par le corps médical. Trois hernies discales (deux déjà opérées), paralysie totale de la jambe gauche, une opération envisagée mais qui comportait comme probabilité le fauteuil roulant. Je l’ai refusée. J’ai eu la « chance » alors de croiser la route d’Hélène. Une séance de quatre heures, un « au-delà » dont j’ignorais l’existence, la rupture totale de toute résistance. Trois mois après je reprenais le ski et la haute montagne. Une incompréhension absolue et puis un long cheminement intérieur qui m’a mené vers cette absorption complète de la Vie, non pas d’un point de vue intellectuel mais dans un domaine spirituel, c’est à dire à mon sens, une compréhension qui va bien au-delà du mental. Le « rapport conscient au Divin » que vous évoquez.

     

    *Hélène


    Expérience intéressante !
    Ca me fait réfléchir un peu plus à cette idée de causalité, qui me travaille depuis l’article en question sur ce blog … Quand il s’agit de guérison inexpliquée, ou de guérison explicable d’ailleurs, quels sont les chemins causaux qui ont été empruntés et, si on remonte ces causes, de cause en cause, dans quelle mesure l’impact d’une « cause des causes » s’est révélé déterminant de manière directe ?

     

    *Pierre :

    Oui, c’est un exercice que je trouve passionnant, remonter la trame de la causalité !
    Dans un but de compréhension, de ce qui nous entoure, comme de nous-mêmes.
    Dans un but d’accomplissement, en mettant en œuvre les causes appropriées pour les effets recherchés.
    Par rapport à une cause des causes, et à son impact plus ou moins direct dans notre vie de tous les jours : je ne pense pas que Dieu, ou une Source, le divin, ou autre appellation de cette entité qui serait une Cause Première, agisse directement dans la chute d’un objet qu’on lâche et qui tombe et se brise … En revanche nous sommes dans le réseau de cette trame causale qui fonctionne très bien, avec ses lois, et tous les jours nous l’expérimentons dans tous les domaines de notre vie … cette trame causale pourrait être en elle-même le fruit de cette cause initiale, qui la permet, la pense, la perpétue et la maintient en place. Histoire de causalités primaire et secondaire, ou de Cause Première et de causes secondaires.

     

    *Thierry :

    Pour ma part, j’ai écrit, écrit, écrit pendant des mois afin d’essayer d’éclairer ce cheminement et de remonter à « la » cause initiale. Le problème, ou la nécessité, c’est qu’il a fallu que je sépare ce que mon mental apportait comme réponse (et qui en soi n’en est pas une) et essayer d’envisager ou d’identifier ce que mon âme avait choisi comme chemin. Prajnanpad disait que le mental créait une multitude de problèmes et s’efforçait ensuite de les résoudre. Juste un fonctionnement qui lui donne un rôle adoré, même s’il s’agit d’une accumulation de tourments jusqu’à la destruction. Il s’agit pour lui de rester le Maître. Mais il est l’ouvrier et pas l’architecte. Et il est très rapidement dépassé par les actes anarchiques qu’il occasionne. Il faut le faire taire tout en usant de sa maîtrise dans le domaine du langage. Il faut se « dé-penser ». C’est là que l’activité physique dans l’effort long est un épurateur formidable. Ca n’est pas la performance qui importe mais l’ouverture spirituelle que l’effort long procure. La vie, prioritairement, ne se commente pas, elle s’éprouve. Et c’est dans cette mise au silence du mental que la lucidité s’éveille.
    La connaissance de soi consiste à se libérer du connu, comme le disait Krishnamurti. Le mental est cet espace connu dans lequel nous errons.

    Je vois dans l’expression de Krishnamurti la nécessité d’affronter « une pulsion de mort » qui consiste à survivre dans les conditionnements auxquels nous nous sommes identifiés. Celui-là est « mort » qui n’existe que dans l’hébétude et la futilité.

    « La pulsion de vie » impose au contraire de s’extraire de cette routine érigée en réussite parce qu’elle annihile en les analysant les inquiétudes et les tourments. Bien entendu, on ne voit souvent l’étreinte consciente des traumatismes que comme une auto flagellation, un goût pervers pour la souffrance, une exacerbation narcissique de l’égo qui se complait dans le malheur ressassé. S’il ne s’agit effectivement que d’une exploitation malsaine du statut de victime afin d’amener vers soi la compassion, la plainte et l’identification à ce rôle adoré, il n’y a dans cette dérive qu’un enfoncement néfaste dans le bourbier des douleurs irrésolues.

    La pulsion de vie n’est pas cela. Elle demande à explorer l’inconnu en nous, cet inconnu qui nous terrorise et que nous ne voulons pas affronter parce qu’il porte tous les stigmates des coups reçus, les souffrances enkystées, les malheurs fossilisés. En nous accrochant désespérément à nos habitudes, à nos croyances, à nos chimères, nos sempiternelles répétitions, en vissant nos yeux aux veilleuses qui repoussent les noirceurs, nous restons figés dans la pulsion de mort. Rien n’est possible et nous irons ainsi jusqu’à la mort réelle. Hallucinés de certitudes et de mensonges maintenus. Bien sûr que l’existence nous aura paru aussi douce que possible, tant que nous serons parvenus à résister aux assauts de l’inconscient. Encore faudra-t-il que notre enveloppe corporelle parvienne à échapper aux somatisations de toutes sortes…Ca n’est pas gagné…Cette pulsion de mort n’est par conséquent qu’une errance enluminée. Il n’y a aucun éveil mais un cinéma hollywoodien. C’est le mental le metteur en scène.

    C’est le chaos des étoiles qui créé la splendeur de l’Univers. La pulsion de vie qui détruit les dogmes personnifiés nous pousse vers le chaos en nous-mêmes. C’est un chemin de clarté et une épreuve. Il ne s’agit pas de dolorisme mais une quête de lucidité. Rien n’empêchera d’admirer le cosmos dans les nuits calmes.

    Refuser la pulsion de mort, celle qui maintient l’individu dans le carcan de ses traumatismes, par peur, par déni, par accoutumance, c’est refuser de se nourrir de l’élan vital qui veut que la vie soit une évolution verticale et non l’extension horizontale de l’individu.

    De toute façon, il suffit de regarder autour de nous, nos proches, quelques connaissances, pour réaliser que si ce travail n’est pas entamé, consciemment, maintenu, préservé, encouragé, les dégâts collatéraux finissent la plupart du temps par jaillir comme si l’âme étouffée gangrenait l’enveloppe qui la porte. Je l’ai vécu. J’en suis sorti. La médecine ne l’explique pas. Nous sommes nombreux dans ce cas.

    La connaissance de soi peut se présenter comme une tentative de l’individu à ramener l’inconscient à la conscience ou à ouvrir le conscient à l’inconscient. De nombreuses pratiques sont envisageables. L’écriture m’a servi de support. La haute montagne est un écrin.
    Ca n’était donc plus « LA » cause qui m’importait mais l’intention qui s’y trouve.
    Lorsque j’ai faim, je sais que la cause de cette sensation est la dissolutiond es éléments nutritifs dans mon organisme. Il faut donc que j’apporte de nouveaux éléments. Mais c’est l’intention qui importe. Continuer à fonctionner organiquement.
    Dans le domaine spirituel, les tourments du mental ont une cause. Mais l’essentiel du travail associé à la résolution de cette énigme n’est pas d’identifier simplement ces causes mais de comprendre l’intention de l’âme derrière tout ce fatras. Où doit-elle aller ? Quel est son chemin de vie ? Et ça n’est pas le mental qui peut répondre à cette interrogation. Il n’est pas l’architecte.

    *Pierre.


    Concernant l’idée de la causalité, pour moi la recherche d’une cause n’est effectivement pas un but en soi. Elle doit s’intégrer de manière naturelle dans une démarche de médecine de l’âme. L’analogie avec la médecine du corps fonctionne très bien. On ne fait pas des découvertes sur les causes des maladies, juste pour les découvrir, l’idée est de comprendre pour mieux cerner les conditions d’une bonne santé comme celles de l’émergence de telles maladies, et dans ce dernier cas pour les traiter. Je l’ai développé, à mon niveau bien entendu, dans un article tout récent en mai sur le blog. En ce sens je vous rejoins assez quand vous dites : « Mais l’essentiel du travail associé à la résolution de cette énigme n’est pas d’identifier simplement ces causes mais de comprendre l’intention de l’âme derrière tout ce fatras » : l’identification d’une cause n’a pas de valeur en soi si c’est juste pour cocher une case et l’archiver. Il faut que ce soit suivi d’une décision qui traite justement la cause. Ou qui utilise cette compréhension d’une relation cause-effet pour un autre traitement. Je pense en revanche que l’identification d’une cause ne se fait pas « comme ça » mais qu’elle est le fruit d’un travail de connaissance sur soi acharné. D’une démarche de recherche et d’identification des dysfonctionnements voire des maladies de notre âme qui font que justement, pour reprendre notre discussion précédente, on n’est pas altruiste à 100%, voire, dans certains cas, sous des dehors pseudo-altruistes ce n’est que l’amour de soi même que nous mettons en pratique.
    « Où doit-elle aller ? Quel est son chemin de vie ? Et ça n’est pas le mental qui peut répondre à cette interrogation. Il n’est pas l’architecte. » : je vous rejoins, toute cette démarche de reste indissociable d’une idée précise de la finalité de notre création.

     

    *Thierry

    Je vous rejoins totalement dans ce principe de causalité mais pour avoir pu en juger de par mon parcours, dans le domaine de la médecine, la causalité reste au niveau organique et ne prend pas suffisamment en compte, à mes yeux, la part spirituelle de l’individu. Comme si la mécanique n’avait pas de conducteur, ni même de concepteur, ce qui est encore plus grave…Yvan Amar écrivait : « Si un médecin me guérit de mon mal, il ne doit pas oublier d’évoquer ce que mal cherchait à me faire comprendre, sinon il me prive d’une avancée spirituelle en limitant mon individu à une mécanique. »
    On peut estimer que cela ne relève pas du médecin. Mais alors, dans ce cas-là, si le médecin doit rester un « mécanicien », l’éducation spirituelle doit être mise en avant afin que l’individu cherche en lui-même l’intention de cette douleur. Le corps est un révélateur des maux de l’âme, pour moi. C’est ainsi que j’ai vécu mon parcours en tout cas.
    On peut d’ailleurs étendre cette attitude « mécaniste » à bien d’autres domaines que celui de la médecine. Cette fameuse causalité apparaît dans l’esprit occidental comme une finitude alors qu’elle n’en est que le seuil. C’est l’horizon qu’elle propose qui devrait être exploré.
    Qu’en est-il par exemple de l’affectivité ? On peut, assez facilement, identifier les causes d’une émotion (ou alors c’est que le travail spirituel à entamer est immense ) mais ce qui importe à mon sens, c’est bien davantage le travail de conscientisation qu’elle propose. Si je m’arrête à la causalité de l’affectivité, je ne suis pas un explorateur mais un scribe…
    La conscience est-elle soumise à l’affectivité ? Si je suis heureux ou triste, ma conscience en subit-elle les effets ou est-ce uniquement ma perception de l’existence à travers mon affectivité ? Lorsque nous alternons entre les moments euphoriques et les moments de détresse, est-ce que notre conscience est touchée ou reste-t-elle dans une dimension parallèle ou même englobante ? A-t-elle la capacité à identifier les causes de ces fluctuations et à les analyser ou est-elle saisie elle-même par les effets épisodiques de nos conditions de vie ?

    Prendre conscience, c’est se donner les moyens d’observer tout en ayant conscience d’être l’observateur. Un détachement qui permet de ne pas être totalement saisi par les émotions générées par cette observation mais de rester lucide. Il ne s’agit pas non plus de rester inerte mais d’être capable de cerner les raisons profondes des émotions. Etre emporté par une bouffée de bonheur ou de colère n’implique pas nécessairement une perte de contrôle tant que l’individu parvient à observer cette émotion exacerbée en lui-même. La perte de contrôle survient dès lors que les émotions ne sont plus regardées par cette conscience macroscopique et que le mental se soumet à ce flot de perceptions. Il suffit de penser à la peur pour en prendre conscience…Si j’observe ma peur, je m’offre un point de contrôle. C’est la conscience qui dépasse l’affectivité, qui la surplombe ou l’englobe. Je vais pouvoir me servir de cette peur pour exploiter les poussées d’adrénaline, je vais même pouvoir l’entretenir parce qu’elle m’offre des capacités physiques insoupçonnées. Sans l’adrénaline, les hommes préhistoriques auraient succombé aux prédateurs. La peur est un carburant, une source de forces, une énergie redoutablement efficace. Mais elle l’est encore plus lorsque la conscience reste le chef d’orchestre.
    Un homme préhistorique poursuivi par un prédateur connaissait parfaitement les causes de sa terreur mais en l’observant intérieurement, il se donnait les moyens d’user de cette énergie au lieu de succomber à une stupéfaction fatale…On court vite quand on se sert de sa peur.
    Il ne s’agit pas de rejeter l’affectivité mais de prendre conscience du potentiel qu’elle propose. Lorsque j’écris avec une musique que j’aime, il m’arrive de voir les mots débouler en cascades, des flots d’émotions surpuissants, une osmose avec ce que je porte, c’est une affectivité que j’entretiens, je ne cherche pas à l’effacer, je la laisse m’emporter et en même temps, je l’observe, je la nourris, je l’honore et la vénère, j’ai pleinement conscience de sa présence, du « jeu » que j’instaure et des règles à suivre. Cette affectivité ne dépend pas de moi à la source mais la conscience que j’en ai sait l’entretenir. De la même façon, un sportif saura avec l’expérience faire monter l’adrénaline, la tension, le stress, avant une épreuve mais en apprenant à l’observer et à en avoir pleinement conscience, il parviendra à l’entretenir, à s’en servir, alors que si l’absence de conscience l’emporte, cette adrénaline l’enverra au décor. Le fil du rasoir est très affûté. Il faut l’effleurer, jouer avec la lame avec délicatesse sans appuyer comme une brute.

    On pourrait à travers cette description assimiler la conscience avec la raison. Et c’est là que je me heurte à une problématique qui me tracasse.

    Je ne vois pas la raison comme une entité observant l’observateur mais comme une entité œuvrant à la neutralité. La raison est déterminée à ne pas laisser les émotions se développer. Elle est davantage éducative, formative, un conditionnement qui agit comme un étouffoir. Elle va chercher à convaincre l’individu que sa peur est injustifiée ou que ce bonheur ne durera pas. Elle n’existe que dans le maintien du contrôle. Elle est le piédestal du « raisonnable ». Je ne la vois que comme une incapacité à recevoir les émotions en toute conscience. Cette conscience qui est au contraire de la raison capable d’assumer pleinement les élans émotionnels, à s’en servir pour la création artistique par exemple. Si je m’interdisais d’être bouleversé par une musique, je n’ouvrirais pas en moi les horizons littéraires et si je laissais de la même façon, les émotions m’emporter, je ne parviendrais pas à écrire une seule phrase. La conscience devient dès lors le trait d’union entre la raison qui me sert de transcripteur des émotions pendant que ma conscience observe l’ensemble. C’est en cela que je vois la conscience comme englobante. Elle est le placenta qui permet le lien.
    Les causes sont du domaine de la raison. L’Eveil va plus loin et se sert de la Conscience.
    C’est sans doute dans cette osmose qu’apparaît l’individu unifié.

    *Pierre

     

    Cher Thierry
    Je ne pourrais pas répondre de manière aussi détaillée, j’ai vu de nombreux autres développements sur votre blog d’ailleurs. Juste quelques commentaires rapides :
    - tout à fait d’accord pour la causalité à étudier dans le domaine de la part spirituelle de l’individu : c’est l’un des points essentiels que j’essaie de développer, à savoir la connaissance de la trame causale qui gère notre esprit, notre âme. Étudions-la avec autant de sérieux qu’on étudie la causalité dans la science matérielle et on arrivera à des résultats !
    - je suis médecin, et je peux vous dire que pour moi toute guérison, même si elle n’est pas le fruit d’un antibiotique, d’une chirurgie, même si elle est apparemment « surnaturelle », suit une loi causale propre qui débouche sur la guérison, dans votre cas de ces problèmes rachidien. Ce qui n’enlève rien à la force de l’expérience vécue, mais c’est ainsi. Un effet particulier provient d’une cause particulière. Même si cela fait appel à cette dimension spirituelle de l’individu.
    - d’accord pour ne pas s’arrêter à la causalité de l’affectivité : une fois trouvée, ou qu’une hypothèse est posée, tout dépend de ce qu’on en fait. Cette part de connaissance, de compréhension, cette « prise de conscience » dont vous parlez est pour moi aussi essentielle. et elle est indissociable d’une pratique.
    - la raison est un potentiel qui s’éduque, je ne parle pas seulement de la raison au sens du QI et des capacités intellectuelles strictement – qui est reste très utile, d’autant plus utile qu’elle est développée – mais aussi de cette part de la raison qui devient capable de s’intéresser aux vérités spirituelles, à l’existence de l’âme et à son devenir, à la bonne gestion de nos émotions justement, pour qu’elles concourent à notre perfectionnement et non à notre avilissement. En lien avec la foi, la conscience, etc.

    *Luc :

    @Pierre
    « Étudions la avec autant de sérieux qu’on étudie la causalité dans la science matérielle et on arrivera à des résultats ! » : message très motivant. Si on accordait à ces question quelques % du temps et de l’intérêt que l’on consacre à ce qui est dévolu au bien être éphémère, on irait loin. Il faudrait équilibrer. Enfin de mon point de vue.

    *Thierry

    Cher Pierre. J’avais bien compris que vous êtes médecin et c’est bien par rapport à ce statut et la richesse de votre blog dans votre démarche spirituelle que j’ai choisi d’intervenir. Un parcours qui me ravit au regard de mon vécu avec le milieu médical…
    Vous avez écrit :  » …cette part de la raison qui devient capable de s’intéresser aux vérités spirituelles, à l’existence de l’âme et à son devenir… »
    Et là, je ne parviens pas à « croire » ^^ que la raison puisse explorer certains espaces inconnus…

    « Du jour au lendemain. »

    Un film avec Benoit Poolvoerde.
    Totalement désespérant…L’histoire d’un homme qui « du jour au lendemain » va voir sa vie passer d’un long marasme quotidien, avec une rupture sentimentale, une situation professionnelle humiliante et de multiples désagréments quotidiens à un bonheur parfait, sans aucune explication, sans avoir changé quoique ce soit en lui, une transformation totalement irrationnelle. Et cette absence d’explication va rendre pour lui ce bonheur totalement insupportable, il ne va pas s’y retrouver, l’image à laquelle il est attachée, dans laquelle il se reconnaît s’est effacée, les autres, ses proches, ne le voient plus de la même façon, tout ce qu’il vit est empli d’un bonheur immédiat, sans qu’il élabore le moindre projet, sans qu’il intervienne le moins du monde dans cette accumulation de situations positives. On sent alors, au fil des jours, que cette situation l’angoisse, qu’il semble attendre, guetter sans cesse l’instant où tout va s’arrêter, que ça ne peut pas continuer ainsi alors que rien ne l’explique…Cette disparition de ce qu’il était va le conduire à la folie…Alors que sa femme est revenue à ses côtés et qu’elle attend un bébé, il est interné en hôpital psychiatrique. C’est un homme inapte au bonheur et qui sombre.
    Le médecin explique à sa femme que seul un évènement déclencheur pourrait le ramener à la vie.
    C’est la cafetière qui va s’en charger, cette cafetière, qui au lieu de dysfonctionner chaque matin s’était mise à faire normalement du café, de façon irrationnelle, alors qu’il n’avait nullement cherché à la réparer, cet engin anodin va de nouveau s’emballer. Ce retour à une vie passée, celle qu’il voulait retrouver, celle qui correspond à ce rôle de « perdant », va le sortir de sa torpeur et le ramener à la vie…Mais quelle vie ?…Celle d’un homme qui n’a pas su saisir ce que la vie réelle lui proposait, celle d’un homme qui préfère rester enfermé dans ses conditionnements, sa « raison », son histoire…Il préfère être ce qu’il a toujours été que d’accepter cette irrationalité, ces phénomènes inexpliqués, qui n’ont aucune « logique » pour lui…

    « Mais qu’est-ce que vous avez tous avec votre amour? »

    Tout le problème est là. Cet homme ne peut pas être aimé, pas de façon aussi universelle, la vie ne peut pas être aussi belle, pas avec son histoire… »Se libérer du connu. » Voilà ce qui aurait pu le sauver.
    Et c’est là que ce film passe, à mes yeux, de la comédie, ou satire sociale à une vision désespérante de l’humain.

    Cet enfermement « rationnel » est avant tout éducatif et social. L’identification de cet homme à son histoire, une histoire qu’il a lui-même fabriquée par une attitude constamment négative, va l’emporter sur le changement « irrationnel » qui lui est proposé par la vie elle-même. Il ne s’agit pas de « chance », de « destin », mais de l’opportunité d’appréhender la vie d’une autre façon. Mais la peur va être la plus forte, la peur de ne plus exister dans un rôle, la peur de ce changement considérable d’existence. Celui qui ne change pas est avant tout un être qui a peur, ça n’est pas une question d’incapacité mais d’interdiction. C’est en cela que le conditionnement est une enceinte, un carcan, une geôle adorée. Se plaindre de cet enfermement est plus rassurant que d’en sortir…C’est effrayant…

    J’ai longtemps eu peur, après la rémission inexpliquée de mes trois dernières hernies discales, que le mal me retombe dessus. Ca n’était pas rationnel, les médecins n’y comprenaient rien, moi non plus. Je savais bien que j’avais vécu une situation incompréhensible, que j’avais basculé à un moment dans une dimension inconnue mais cette absence d’explication était une torture. J’avais peur. Ca ne pouvait pas durer cette rémission, ça allait me retomber dessus sans prévenir, revenir aussi brutalement que ça avait disparu. Ce bonheur n’était pas pour moi…L’identification…Je devais me libérer du connu, de ce passé morbide, de cette détresse à laquelle je m’étais attaché parce qu’elle m’offrait un rôle en « or »…La victime, le malheureux, le supplicié…C’est là que j’ai compris que je devais écrire, aller chercher au plus profond de mes traumatismes les plus anciens la source de cette inaptitude à être heureux…Comprendre aussi que le seul instant réel, c’est celui dans lequel j’existe, que je n’avais aucune réalité dans ce passé assassin, que je n’étais rien dans cet avenir incertain, mais que le fait de me lever librement de ma chaise, sans tituber, sans canne, de pouvoir marcher, puis courir, puis skier était la seule réalité, la seule vie réelle.
    J’ai enfin appris à vivre. Ca m’aura pris quarante-deux ans. Six ans que je vis pleinement, librement. Libre de moi-même, de l’autre, celui qui est mort lorsque je suis né.
    Et ça n’est pas à la raison que je dois tout ça. C’est à elle par contre que je devais l’épaisseur de ma geôle.

    *Pierre

    Cher Thierry me voici de retour … J’aime vous lire dans la mesure où je vois encore beaucoup de points communs avec ce que je pense … Le rapport entre spiritualité et rationalité est des plus intéressants. Et des plus surs, quand on voit la nuée de pseudo-spiritualités et divers mouvements qui surfent sur la vague de recherche de vérité des hommes et qui au final les trompent et profitent d’eux … Si un peu de raison était présente, le risque de se faire berner par des mirages conceptuels et contes féériques serait moins important …
    En réalité, quand je lis votre histoire, votre analyse de vous-mêmes par vous-mêmes (vos émotions, pensées, parcours, vie intérieure), la description fine et détaillée de votre processus de pensée, la manière dont il a évolué, la critique ciblée de votre vie « d’avant », les conclusions très hiérarchisées que vous avancez : et bien j’y vois une part énorme de … raison ! Dans la mesure où tout ce processus, même s’il est nourri par votre vie spirituelle intérieure, par des expériences qui sont inexplicables rationnellement, par votre foi, par votre amour inextinguible pour une transcendance, ou autre domaine de pensée ou de conscience qui ne soit pas traditionnellement attribué à la raison, et dont on a aussi absolument besoin : si vous le vivez et le partagez, et bien c’est parce que votre raison l’accepte, accepte qu’il y a des choses qu’elle ne peut pas comprendre, accepte la logique de croire en quelque chose que l’on ne voit pas mais parce qu’elle valide les effets qu’elle a perçus au travers de nombreuses expériences et de votre état actuel … Alors que d’autres personnes, vous leur racontez votre expérience, leur faites part de l’idée d’une part spirituelle en l’homme, vous leur donnez vos conclusions et l’idée que vous vous faites du divin, pour eux, et même s’ils ont des capacités intellectuelles très élevées, peuvent très bien rire doucement et vous dire que tout ceci n’a ni queue ni tête, n’est pas « rationnel » … Ils sont effectivement peut être emmurés par leur « raison-QI » ou leur manque de « raison disons spirituelle » dans la geôle dont vous parlez … Donc la raison-QI stérile qui emmure, non. Celle qui s’allie à l’intelligence-QI habituelle pour ouvrir l’esprit en restant garante d’une progression sure, acceptant ce qui dépasse sa compréhension parce qu’elle a senti et constaté les effets de quelque chose qui la dépasse et qu’elle va essayer de comprendre, oui. Développer cette attitude pour moi s’apparente, à l’inverse de m’enfoncer dans ma geôle, à justement ne pas rester figé, ne pas abdiquer ma raison face aux questions spirituelles : réfléchir, chercher, ne pas avoir l’esprit fermé et borné, accepter de me remettre en question, avoir un avis objectif sur des parcours spirituels que j’estime dangereux pour la santé de mon âme …
    J’avais mis en lien dans mon article sur la causalité un post intéressant concernant cette idée d’un entendement spirituel, c’est peut être ce mot qui est le mieux choisi, plus que « raison spirituelle » :
    http://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/lentendement-spirituel-et-le-systeme-causal/, blog passionnant par ailleurs.
    Bonne soirée

    Thierry

    Merci Pierre pour ce lien, je vais aller voir ça de près.
    Si tout ce que j’ai connu et ce que je vis a bien un rapport avec la raison, au-delà du travail de mise en forme écrite, et bien j’en serais le premier ravi car cela signifie que c’est accessible à n’importe qui et qu’il ne s’agit pas d’une rupture incompréhensible et limitée à « une mystique sauvage ». Effectivement, je rencontre des individus qui rejettent furieusement tout ce cheminement spirituel et qui ne voit dans mes propos qu’un délire mystico-religieux-affabulatoire. Je m’y suis habitué depuis le temps…Si ma raison accepte ce cheminement, je pense que c’est justement parce qu’elle a repris sa juste place et qu’elle n’est plus ce costume de capitaine de vaisseau dont elle s’était affublée et qui est trop grand pour elle.
    Tu n’es pas Je.
    Qui es-Tu, toi, qui m’étouffes sous tes certitudes
    entassées comme autant de fêlures ?
    Tu as établi ta prétention au royaume des altitudes,
    miasmes enluminés d’infinies convenances,
    soumissions passives, perverses accoutumances.
    Qui es-Tu pour vouloir ainsi me perdre alors que Je t’héberge ?
    Tu as voulu te nourrir des amitiés soudoyées,
    honorer les vénérations, les reconnaissances
    Te gaver sans répit des amours galvaudés.
    Tu as cru prendre forme, pâte malléable
    abandonnée langoureusement aux caresses versatiles
    Tu réclamais ta pitance, le cœur éteint
    et l’égo malhabile, prêt à t’humilier pour calmer Ta faim,
    l’euphorie anarchique Te servait de remède et
    Tu refusais d’écouter en ton sein
    vibrer une âme éteinte qui tendait vers sa fin.
    Mais la Vie a trouvé la faille et t’a mené vers le tombeau
    nulle crainte pour elle tu n’étais qu’un vaisseau
    Tu pouvais bien sombrer dans les abysses lointaines
    elle était l’Océan, Tu te croyais capitaine,
    au creux des montagnes mouvantes Tu as eu peur enfin,
    Tes pensées se sont tues et Je suis revenu.
    De mon corps paralytique ont jailli des lumières,
    des étreintes amoureuses ruisselant de semence,
    palpitations d’univers comme autant de naissances,
    J’ai compris les douleurs car Tu n’étais plus là,
    dressé à la barre d’un navire perdu Tu n’avais pas le choix,
    Ta solitude morbide t’emplissait de morve,
    il fallait que Tu craches toutes tes nuisances,
    pour échapper enfin aux avides noirceurs.

    Je ne t’en veux pas, Tu sais,
    Tu as fait ce que Tu croyais juste,
    le courant était bien trop fort pour Toi,
    Je te tends la main,
    il n’y a plus rien à fuir, ni peur à nourrir,
    Tu as rejoint ton âme et Tu t’y sens bien,
    laisse -toi porter la Vie sait ce dont elle a besoin,
    l’Océan n’existe que là où Je me trouve,
    cesse de regarder les horizons lointains,
    ils ne sont que chimères et Je te le prouve.

    Je suis là maintenant, Tu es mort pour ton bien.

    *Pierre

    Très beau poème, Thierry. Vraiment. Merci !

    *Thierry

    J’ai lu votre lien Pierre et c’est effectivement très parlant. Merci. Une idée qui me vient d’ailleurs ou une expression à laquelle je dois réfléchir : l’écosystème spirituel. J’y reviendrai.

     

    *Pierre

    Excellente idée ! Sujet passionnant.

     

    *Thierry

    Le fond de mon prochain roman…

     

  • Ostad Elahi

     

    http://www.e-ostadelahi.fr/eoe-fr/la-pensee-dostad-elahi-en-7-points/ 

    La pensée d’Ostad Elahi en 7 points

    Par Emmanuel Comte, le 7 sept. 2008, dans la catégorie Articles - Imprimer ce document Imprimer - English version

    La pensée d’Ostad Elahi se présente comme l’élaboration à la fois systématique et pratique d’une spiritualité naturelle. « Naturelle » peut s’entendre en deux sens : au sens d’une spiritualité qui correspond à la nature véritable de l’être humain, à ses dispositions et à ses besoins profonds, mais aussi d’une spiritualité moderne, adaptée à l’esprit et aux mœurs des femmes et des hommes de notre époque, par différence avec la spiritualité classique incarnée par la plupart des grands saints ou mystiques du passé, et qui privilégiait systématiquement l’émotionnel aux dépens du rationnel.

     

    Parce qu’elle tente de préciser le sens même de la spiritualité en revenant pour cela à ce qui constitue ses fondements, la pensée d’Ostad Elahi fournit également une réponse à la question : Pourquoi l’homme ne peut-il se passer du spirituel ? C’est le premier aspect qu’il faut examiner, pour mieux saisir la manière dont Ostad Elahi parvient à situer la spiritualité dans le cadre de l’existence humaine.

    [Cet article est téléchargeable ici dans sa version complète au format PDF]

    Introduction : quelle place pour la spiritualité ?

    Cette question, posée de la sorte, n’a plus aucune évidence aujourd’hui. Non pas que le problème du spirituel ait disparu de notre horizon : l’éclatement et la redéfinition des cadres religieux de l’existence humaine, la prolifération des courants spiritualistes ou sectaires dans les marges des grandes religions monothéistes, l’émergence d’une spiritualité « sur mesure » où chacun trouve ce qui lui convient sur fond de désarroi, la recherche inquiète des « valeurs » ou du « sens », tous ces phénomènes montrent bien que le sentiment d’insatisfaction et de manque qui poussait les hommes d’autrefois vers les formes traditionnelles de la religion n’a jamais cessé de tarauder l’humanité, quitte à s’exprimer sous des formes détournées ou dévoyées. Cependant, ni l’usage du terme « spirituel », ni même la référence à des principes ou à des dogmes religieux, ne suffisent par eux-mêmes à définir une démarche spirituelle ; a fortiori, rien ne garantit qu’une ligne de conduite qui s’appuierait sur de tels dogmes et principes serait bénéfique à celui qui la mettrait en œuvre. De ce point de vue, le terme de « spiritualité » continue à désigner à peu près tout et son contraire. Il est donc vital de préciser ce que l’on est en droit d’attendre de la spiritualité, et la fonction qu’il faut lui reconnaître dans nos vies.

    Or un des intérêts de la réflexion menée par Ostad Elahi est justement qu’elle permet de définir la forme, ou si l’on préfère la place et la fonction de la spiritualité, avant d’avoir à en préciser le contenu. L’exemple même de sa vie, tout comme le point de vue développé à travers ses écrits, témoignent de ce que, contrairement à une conception courante, la vie spirituelle ne saurait être pensée comme une alternative à la vie matérielle. La vie spirituelle n’est pas quelque chose qui doit être mené à l’écart de la vie matérielle, que ce soit en renonçant radicalement au monde, ou en s’en retirant périodiquement pour se « ressourcer ». L’orientation qui conduisait certains mystiques du passé à renoncer complètement aux avantages de leur position et aux biens de ce monde pour mener une vie solitaire et retirée, était fondamentalement juste : elle témoignait, quoique sur un mode extrême, du fait que quelque chose manque irrémédiablement dans la simple existence sociale des animaux-humains que nous sommes. Cependant, cet exemple risque aujourd’hui d’alimenter une idée fausse, selon laquelle il conviendrait de définir la démarche spirituelle dans une relation de séparation avec la vie « normale ».

    C’est parce qu’on se figure que le spirituel est un domaine séparé qu’on lui associe parfois l’idée que la spiritualité relève d’une forme de connaissance ésotérique, réservée aux seuls initiés, ou encore qu’elle réclame le développement de facultés d’un genre spécial. Bien des dérives trouvent là leur explication : obéissance aveugle aux maîtres, goût pour les phénomènes paranormaux et les états de conscience « altérés », etc. L’attirance pour l’occulte répond sans doute chez l’homme à une pulsion profonde, mais elle nourrit des formes ostentatoires ou dévoyées de la spiritualité. Quant à l’idée selon laquelle la spiritualité serait un luxe, une espèce de supplément d’âme ou d’accompagnement thérapeutique destiné à alléger le poids d’existences trop rudes, elle traduit une conception encore très mondaine et finalement très matérielle – pour ne pas dire matérialiste – du spirituel : on y cherche une tranquillité et une sécurité psychiques relatives, susceptible de remédier aux maux de la vie moderne, comme l’alimentation « bio » sur un autre terrain.

    Mais si la spiritualité naturelle peut finalement conduire à une forme de tranquillité et de sérénité, elle n’en fait pas le but premier ni la motivation principale de sa démarche. La spiritualité, selon Ostad Elahi, n’est pas une technique de bien-être que l’homme pourrait choisir d’utiliser ou non, ou pour laquelle il existerait des substituts durablement efficaces. La spiritualité vise en réalité tout autre chose, que le mot de perfection parvient mieux à évoquer.

    En redéfinissant le sens de la spiritualité, Ostad Elahi la replace au cœur de l’affaire : elle n’est pas quelque chose qui viendrait « en plus », comme un luxe ou un soulagement, elle n’est pas quelque chose qui se pratiquerait « à côté », en retrait du monde ; elle est au centre, ou plutôt elle est partout, accompagnant chaque instant de l’existence. D’une certaine façon, nous n’avons pas le choix. On peut négliger ce qui concerne la dimension spirituelle de notre être ; on ne peut jamais s’y soustraire intégralement.

    Ce n’est pas là une pétition de principe. Pour Ostad Elahi, la place de la spiritualité dans l’existence humaine peut se justifier par sa fonction et ses conditions de mise en œuvre. Si la spiritualité doit occuper une place centrale, c’est qu’elle n’est rien d’autre finalement que la science expérimentale par laquelle l’être humain, en menant une existence gouvernée par des principes justes et une raison saine, peut parvenir à transformer son être et à le parfaire pour ainsi dire substantiellement. Or c’est là, comme on va le voir, une finalité qui est naturelle à tout être humain, car elle coïncide en fait avec l’idée d’un bonheur parfait et sans mélange, auquel chacun aspire. Mais les conditions extérieures du plus grand bonheur ne suffiraient pas à nous rendre heureux si nous demeurions nous-mêmes l’être inquiet et imparfait, que nous sommes dans le cours ordinaire de nos vies. Pour atteindre un bonheur infini, il faut développer en soi les facultés qui nous permettront de le goûter vraiment, c’est-à-dire d’en comprendre et d’en ressentir pleinement les effets : autrement dit, pour jouir du bonheur parfait, il est nécessaire de se parfaire soi-même. Quels que soient les objectifs qu’on se fixe dans la vie à plus ou moins long terme, c’est bien à cette question que chacun est finalement renvoyé lorsqu’il prend la peine de réfléchir sur sa condition et le sens de son existence : non pas « Que vais-je devenir ? », Mais plus profondément, « Que puis-je faire de moi ? », « Quels potentiels suis-je capable de développer ? ». Et d’abord, qui est ce « moi » ?

    Résumons. Qu’une vie humaine digne de ce mot ne se réduise pas à l’affairement de nos existences ordinaires, c’est ce que traduit le besoin de se référer à une forme de transcendance. Peu importe ici le terme : Dieu, Sens, etc. Ce besoin traditionnellement pris en charge par les religions se manifeste aujourd’hui de diverses manières. Mais le point important est que cette dimension de transcendance n’implique nullement que la spiritualité soit un domaine réservé ou séparé. Elle est au contraire l’axe générateur de toute existence humaine, dès lors que l’être humain se ressaisit lui-même comme un être perfectible, capable de transformer sa propre substance, de s’arracher à tout ce qui le détourne de sa vocation véritable.

    Le premier point qu’il faut examiner est donc le concept de perfection, ou plutôt de perfectionnement. Tous les autres en découlent. Une fois reconnu que le mouvement de perfectionnement est l’axe générateur de l’existence, il faut se demander ce qui se perfectionne ainsi, et selon quel processus. Autrement dit, il faut s’interroger sur ce qui constitue la nature véritable de l’homme, son essence, son « moi » réel. Il faut ensuite se demander quelle forme prend en pratique le perfectionnement, et quel peut-être son rapport avec ce qu’on entend d’ordinaire par l’éthique : Ostad Elahi envisage justement le perfectionnement comme une pratique, ou un travail. Il faut enfin se demander quelle forme prend le parcours du perfectionnement, et la fonction qu’y remplit la vie terrestre, rapportée à une scène plus vaste où elle prend son sens.

    7 points permettent de résumer, dans leurs grandes lignes, ces différents aspects de la pensée d’Ostad Elahi.

    1. Le perfectionnement
    2. L’homme est un être bidimensionnel
    3. La spiritualité comme médecine de l’âme et la perfection
    4. Les fondements de l’éthique : l’éducation de la pensée et le respect des droits
    5. L’entendement spirituel et le système causal
    6. Mondes, intermondes, vies successives
    7. La place du divin : la relation à la source


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