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  • NOIRCEUR DES CIMES : Mourir à soi

    Noirceur des cimes 4
     
    Etre là. Il sait que c’est sa seule chance. Le reste n’est que l’intrusion de la mort qui veille. Non. Il se corrige. La mort n’a aucune réalité. Elle n’en a pas car il est vivant. Là et maintenant. Et la mort est sans volonté, l’idée elle-même n’est qu’une invasion anarchique autorisée par un esprit volage. C’est lui qui créé l’idée de sa mort. Pour Axel, Tanguy et Etienne, la mort est une réalité mais pour lui, à l’instant, elle ne représente rien sauf s’il laisse ses pensées établir la domination de la peur. Il se demande immédiatement si les pensées n’entretiennent pas elles-mêmes cette peur mais il ne comprend pas les raisons de cette trahison. Il n’entrevoit comme explication que l’incomplétude des hommes, la tyrannie des conditionnements acceptés, par faiblesse, par lâcheté, par impotence. Nous sommes des invalides de l’esprit. La conclusion le révolte. Il ne veut plus baigner dans ces miasmes fangeux. Son chemin de croix est une délivrance. Si pour les gens communs sa situation est un cauchemar, il sait désormais que le cauchemar n’est pas là, que la vie des vallées est une bauge excrémentielle. Et qu’il n’en fait plus partie. Il saisit alors à quel point la vie protégée des hommes est une oppression, que l’humanité en arrachant les individus à la précarité des jours a privé chaque être de la quête intérieure, que la tranquillité quotidienne est un poison soporifique, une privation spirituelle et que l’apologie des sens est une arme de destruction massive au service des superviseurs cachés qui manipulent les foules extasiées. Il découvre, là, dans un désert minéral, toute l’ignominie des existences bafouées, toutes les dérives répétées par des milliards d’individus décérébrés, esclaves fidèles des plaisirs sensuels, des futilités érigées en objectifs planétaires, vassaux consentants de leurs maîtres extérieurs, sous les regards scrutateurs des suzerains déifiés, des pourvoyeurs de rêves, les fabricants de mirages, les manufacturiers d’idéaux, les gardiens des geôles spirituelles, les décorateurs de vitrines religieuses, les gourous cravatés des marchés financiers. C’est une immense colère qui l’envahit, nourrie par la lucidité, ciselée par la vision macroscopique qui l’élève au-dessus de la mêlée fangeuse, libérée des miasmes pestilentiels des esprits gangrenés. Encore une fois, il se demande s’il est raisonnable de descendre.
    Il s’assoit dans la neige et réalise à ce moment qu’il s’est engagé sans y penser dans le manteau instable, qu’il n’a même pas cherché à établir un itinéraire sécurisé, que ses pensées l’ont arraché à la nécessité de se préserver. Et c’est aussitôt un tourbillon effréné qui l’emporte, une clairvoyance ultime qui l’inscrit dans la réalité. Nous ne nous appartenons pas, nous errons dans des univers anarchiques de pensées incontrôlées, toutes mêlées dans un cloaque agité de luttes internes. Education modélisée, histoire personnelle, conditionnements sociétaux, enseignements forcenés, culture aseptisée, médiatisation légiférée, nivellement organisé, objectifs imposés, adoration fanatique des idoles, épuration mentale des masses, embrigadement des enfants incrédules, rebelles pourchassés, enfermés, humiliés, contamination des peuples primitifs, glorification assidue des égos, célébration des apparences, panégyrique exalté des profits, mondialisation armée, planétarisation des idées, il ne veut plus parler de liberté. Pourquoi est-il là d’ailleurs ? Il aimerait le comprendre, dans sa plus parfaite vérité, hors des subterfuges futiles, hors des considérations narcissiques. Et il redoute aussitôt n’avoir en fait aucune autre raison…Il est enfermé dans des schémas de pensées intégrées dans son esprit, infiltrées par des années de soumission passive, enluminées par des activités négligeables mais socialement reconnues. Il ne parvient même pas à retrouver une seule période de sa vie durant laquelle il aurait essayé de progresser d’un point de vue spirituel, d’analyser clairement toutes les influences qui l’ont formaté. Sa colère étouffe le dégoût de lui-même.
    Il entame une diagonale en visant une longue arête faite de brisures, de brèches, de névés et de chaos rocheux. Elle lui semble praticable et de toute façon plus sûre que ces pentes mouvantes, collées par des miracles fragiles. Le froid ne le lâche plus. Il ne parvient plus à s’en libérer. Il a dépassé le point ultime à partir duquel son organisme se détériore, sans relâche, sans rémission possible. Il connaît chacun des symptômes. Il se déplace plus lentement, comme si les courants intérieurs faiblissaient et ne permettaient plus la même vivacité, comme si les énergies coulant dans ses muscles se solidifiaient inexorablement et le condamnait à une prochaine fossilisation. Il imagine un court instant son corps dur comme la pierre, ancré à la montagne, serti dans un écrin granitique.
    Il s’arrête sur un îlot rocheux. Il enlève son sac. Difficilement. Les gestes les plus simples deviennent pénibles. Les tensions musculaires engorgent les fibres de toxines corrosives. Il sort le thermos de thé et le paquet d’abricots secs. Sans l’abri du sac, la sueur gèle aussitôt dans son dos.
    C’est la peur qui mène le monde. L’idée l’a frappé alors qu’il portait le gobelet à ses lèvres. Et c’est parce qu’il est libéré de la peur que son esprit est aussi vif. La peur. Quelle peur ? La peur de quoi ? Il suit le parcours de l’eau tiède dans son ventre vide et l’évidence s’impose. La peur de mourir. Toutes les dérives de l’humanité sont justifiées par cette angoisse primale. L’homme n’a rien pu faire contre cette issue. Le groupe humain a accumulé les progrès, s’est arraché par des efforts millénaires à sa condition précaire et de proie nue est devenu prédateur cuirassé. Mais il n’a rien pu faire contre la mort sinon tenter de l’oublier sous des subterfuges multipliés. Et cette amnésie fabriquée, alimentée, glorifiée, mondialisée est le point d’achoppement qui condamne l’humanité à une éternelle errance. La futilité guide nos pas. Et elle nous prive de la liberté. Nous sommes enfermés dans l’enceinte de notre peur. Ce refus de la lucidité, de la confrontation, de la vigilance, de la clairvoyance, cette frénésie quotidienne, ces priorités fabriquées, nos exigences matérielles, nos quêtes amoureuses, nos loisirs infantiles, tout est fait pour ne pas penser, tout est fait pour oublier, tout est fait pour maintenir en état les murs décorés de nos geôles, inventer sans cesse de nouvelles calligraphies adorées. Il se demande si finalement l’alpinisme n’est pas un bagne comme les autres, si la passion qui le dévore n’est pas aussi pernicieuse que toutes les autres dérives. Elle ne l’a jamais amené vers les territoires intérieurs. C’est la mort de Tanguy, d’Etienne et d’Axel qui a brisé les murs.
    C’est la mort qui lui a permis de venir au monde. Et toutes les questions que sa présence a éveillées.
    Vieillir n’est rien quand sur le chemin il s’agit de naître. Voilà la liberté. Il s’agit de l’acquérir. Elle ne nous est pas donnée à la naissance. Notre accession à la vie est un enfermement et sans la vigilance et la quête spirituelle nous ne sommes que des décorateurs mais nullement des architectes d’intérieur. L’insignifiance de nos priorités est un boulet que nous tirons, avec plus ou moins d’énergie, mais sans jamais nous attaquer à la chaîne. Elle n’est pourtant pas indestructible. La détermination et la constance, la clairvoyance et l’humilité sont des limes redoutablement efficaces. Il sait désormais ce qui lui reste à faire. Il va couper les passerelles qui relient son égo à son âme. Luc n’est rien, celui-là peut mourir, c’est un fantôme sans matière réelle, un ectoplasme trompeur. C’est l’esprit qu’il convient de libérer. Il réalise à quel point le savoir et la compréhension sont deux choses différentes. C’est la compréhension qui lui est proposée, le savoir n’est qu’une illusion entretenant l’hallucination collective, du vide jeté dans du néant, de la dispersion agitant le tourbillon des jours, un garnissage narcissique. Sandra n’est pas sur une voie lumineuse, elle est aveuglée par les néons multiples que l’humanité a allumé pour se rassurer dans les noirceurs qui l’effrayaient, pour éclairer faussement son parcours trompeur, l’entraîner vers des horizons séduisants, des chimères mirifiques, des labyrinthes infinis qui accroissent inlassablement son égarement. Il fallait accepter les luttes intérieures, ne pas refuser les combats. Il admet pourtant que la culture de Sandra ait pu lui dévoiler quelques horizons éblouissants à travers les brumes et que c’est lui qui n’en a pas voulu. Il cherche à retrouver dans sa mémoire appesantie par l’immense fatigue des paroles salvatrices. Elle en connaît tant et il s’est tellement enfermé dans ses croyances. Il a honte soudainement de son entêtement, de cette obstination maintenue, de cet obscurantisme insipide. Il se voit désormais comme un adepte de l’Inquisition, un bourreau aux oreilles obstruées, un tortionnaire infatué, destructeur des idées révélatrices, consolidateur infatigable des murailles carcérales. Il voudrait s’excuser, là, immédiatement et témoigner à Sandra de son affection, de sa reconnaissance pour cette énergie qu’elle a déployée pour lui pendant des jours et des nuits, de ce désir qu’elle avait de l’arracher aux miasmes léthargiques. S’excuser de tout le mal qu’il lui a fait. Il se promet de l’appeler quand il s’arrêtera pour la nuit. La prochaine nuit…L’échéance le terrorise et le fait se lever.
    Descendre, descendre, il ne veut plus s’arrêter. Le repos, c’est la mort.

    Rochers verglacés, vires étroites, névés fragiles, couloirs encombrés de blocs tremblants, il serpente consciencieusement, lentement aussi, ne relâchant pas son étreinte sur l’attention vitale. Il devine pourtant dans son esprit ankylosé des sentiers qui se dessinent, des itinéraires rayonnants qui l’appellent. Il sent s’installer de nouveau une distanciation entre la part de son esprit qui assure sa survie et celle qui lui parle de la vie. Les raideurs de son corps éreinté n’influent pas sur ses libertés intérieures.
    Il n’y a de prisons que celles que l’on accepte et pire encore celles que l’on se fabrique.
    A cette distinction entre son mental appliqué à ne pas commettre d’erreurs et cet esprit qui s’aventure dans les territoires flamboyants de l’accomplissement personnel vient s’ajouter l’entité capable d’observer ce phénomène étrange. Il s’aperçoit alors des limitations qu’il avait lui-même fabriquées et l’extraordinaire euphorie d’accéder enfin à la liberté le bouleverse.

    Il repense à l’itinéraire qu’il a suivi depuis la disparition d’Axel. Il sent qu’il doit continuer à tirer vers l’est pour tenter de retrouver la descente originelle. Il ne sait pas ce qu’il va rencontrer plus bas et il ne croit pas qu’il lui soit possible d’atteindre la base de la montagne par une nouvelle voie. Tous les parcours ont été tentés et il n’a jamais entendu parler d’un autre trajet. L’inquiétude le taraude lorsqu’il laisse s’installer en lui l’image d’un obstacle insurmontable, la nécessité de remonter les pentes, de chercher pendant des heures un itinéraire praticable.
    Il lève les yeux et s’aperçoit que la lumière s’est intensifiée. Les rayonnements solaires sont de plus en plus diffusés dans la masse fragilisée des nuages. C’est comme une épaisseur qui s’évapore, une marée qui se retire. Les brumes spectrales succombent graduellement sous l’ardeur de la lumière qui coule depuis la haute atmosphère. Il devine dans l’image des similitudes personnelles. Les conditions extérieures et ses luttes physiques ne sont que les reflets de sa décantation spirituelle. Ce monde est un miroir. Une étrange connivence l’envahit, comme une reconnaissance envers un ami qui vous soutient. Il ne voit plus dans cet univers minéral un adversaire inflexible mais un maître exigeant.
    Les coups qu’il reçoit sont les gestes affinés d’un ciseleur adroit qui taille dans la masse brute de l’être pour atteindre le diamant caché, l’âme ignorée, le cœur spirituel. L’image l’a surpris comme un coup de tonnerre. Se pourrait-il que tout cela soit issu d’une volonté extérieure ? Est-il entre les mains d’une entité supérieure, un architecte consciencieux qui aurait décidé de sculpter le bloc informe qu’il était jusque là ? L’idée le dérange. Il ne serait donc pas libre. Il ne serait qu’une marionnette sur une scène épique, un pantin manipulé, un acteur dans une pièce tragique. Sa liberté se limiterait à sa capacité à répondre aux exigences du metteur en scène, à jouer son rôle comme si sa vie en dépendait. Et c’est justement le cas. Il est en sursis. Qu’il vienne à décevoir le concepteur de l’histoire et il pourrait être exclu du spectacle. Ce parcours terrestre ne serait dès lors qu’un théâtre intraitable, une arène sanglante où les combattants resteraient à la merci de l’empereur. Dans le scénario présent, il serait le seul rescapé.
    Dieu.
    Il n’a pas trouvé d’autre nom. Il n’a aucune connaissance dans le domaine sinon les quelques copeaux dérisoires des enseignements émétiques du catéchisme. Ses parents n’avaient eux-mêmes aucune conviction, rien à transmettre mais des soucis de reconnaissance sociale. Dans les petites vallées savoyardes, la participation à la vie religieuse cimente la communauté. Il s’en était retiré.
    Et c’est un vide immense qui s’ouvre désormais sous son esprit démuni.
    Il songe à Sandra. Ses études lui proposaient au moins des pistes de réflexions, des prolongements raisonnés, des comparaisons entre diverses versions. Il ne possédait aucune base sur laquelle fonder un début de construction, rien que du sable instable, le sol mouvant de ses ignorances. C’est sur le corps immense de la montagne qu’il a pu bâtir le socle favorable à son émancipation. Cette enceinte minérale a permis d’enclencher en lui le cisaillement de la chaîne qui limitait son envol. L’incarcération l’a privé de ses repères et simultanément elle a brisé le carcan de ses certitudes. Plongé dans un instant sans avenir il a découvert la force de la vie immédiate et cette énergie libérée lui a permis de se prolonger. Il lui reste à préserver cette dimension épurée, l’espace illimité du moment présent, la clarté indescriptible de la présence à soi. Même si le destin a une emprise réelle sur son parcours, il possède au moins la liberté de l’exploiter totalement, d’en saisir la quintessence, de ne rien manquer, d’engager son esprit dans cette soumission constructive. Est-il son propre maître ? A quel niveau se situe la liberté ? Il ne parvient pas à dénouer l’écheveau compliqué de ses interrogations puis il réalise que la liberté prend déjà forme dans les questionnements répétés, que ces doutes l’arrachent à l’insignifiance des jours frivoles, à l’étourdissement des actes futiles, à toutes les dérives qui comblent de leur fadeur anxiolytique les abîmes existentiels. Les prisons que l’on accepte…Nos conditionnements, l’éducation reçue, les traditions, l’Histoire familiale, la culture endoctrinée…Toutes les prisons. Et celles que l’on se fabrique…Sa passion pour la haute montagne, cet enfermement dans cet espace étroit dès lors que les objectifs ne sont pas accompagnés par la quête spirituelle, dès lors que l’obsession n’est qu’une limitation au lieu d’être un envol. Il a manqué l’essentiel, il s’est laissé aveugler, il s’est perdu en route…Et les sanctions sont tombées, il ne pouvait en être autrement et il est le seul responsable.
    Il aimerait s’arrêter pour appeler Sandra. Il a entendu la radio biper dans son sac mais il n’a pas eu la force de répondre. Il sait qu’une cassure dans sa descente obstinée favoriserait l’intrusion sournoise des somnolences mortifères. Sa clairvoyance et l’effervescence de son esprit sont des déferlements émancipateurs et les seules chaleurs qui lui restent. Son corps est engagé dans un délabrement inéluctable mais son esprit, débarrassé des pesanteurs ancestrales, y puise la lucidité qui lui avait toujours échappé.
    Mourir à soi-même pour renaître.
    L’expression s’est imposée. Il l’accueille avec un sourire intérieur.
    Il repense à Sandra et à sa capacité à vivre chaque instant de la journée comme un accomplissement personnel, à trouver dans chacun de ses actes des raisons à son bonheur. Elle lui avait expliqué qu’il ne dépendait que de lui de considérer la vie quotidienne comme la possibilité de progresser au lieu de souffrir à la répudier, comme l’opportunité d’appliquer des serments de clairvoyance, d’expériences appliquées, de présence perpétuelle. Rien n’était pénible dès lors que l’esprit s’engageait totalement dans l’exploitation de l’instant, qu’il s’impliquait sans relâchement à extraire de chaque situation la conscience épurée de celui qui vit. Aller chercher du pain lui permettait de marcher sur le trottoir en visualisant intérieurement son allure, à ressentir les fibres musculaires, les flux d’oxygène, la douceur de la lumière, à percevoir les horizons lointains au-dessus des toits, les visages multiples des gens affairés, d’écouter les voix, les bruits de la ville, d’absorber chaque ressenti et d’en constituer une collection inestimable, un trésor personnel qu’elle entretenait amoureusement. Elle était passionnée par la vie mais ce flamboiement ne la consumait pas. Il nourrissait son illumination. Il n’avait jamais su percevoir ce bonheur. La vie quotidienne l’emplissait d’un profond dégoût. Ou plutôt il avait constitué lui-même ce vomi infâme. Il était son propre virus, sa propre maladie. Il avait gâché tant de choses…L’humanité elle-même n’était pas cette tumeur maligne rongeant l’Univers du vivant. Là aussi, il s’était trompé. Il n’en avait perçu qu’une vision, celle qui le confortait dans son aversion, celle qui répondait à l’identification factuelle sur laquelle il s’était construit, celle qui l’avait enfermé dans ses propres dérives. Il s’était cru le rebelle quand il n’était que son propre geôlier. L’humanité n’était responsable de rien. Elle n’était que l’amalgame tentaculaire et anarchique des individus égarés, le miroir gigantesque des dérives solitaires. En limitant ses regards aux représentations multiples du Mal, il s’était fourvoyé dans une impasse, luttant constamment contre des murailles infranchissables en ignorant que des brèches étaient déjà constituées, que des individus obstinés, emplis de compassion, de solidarité, de respect, d’attention, de lucidité avaient déjà franchi les premières lignes et avançaient dans les territoires de l’âme en répandant sur leur passage un message d’amour qui convainquait immanquablement certains combattants à déposer les armes. L’égo, lui-même, entretenait les différentes factions, les mercenaires, les armées officielles, manipulant ces groupes soumis et trouvant dans cette perversion immonde sa propre identification. Ces luttes internes étouffaient sous des monceaux de cadavres l’âme épuisée par tant de massacres, tant de folie, tant de génocides. Seul, un regard chaleureux vers le Bien lui permettait de ne pas sombrer définitivement, de ne pas mourir sous les coups répétés.

    Il avait enfin laissé la lumière s’infiltrer et les noirceurs des cimes avaient servi d’étincelle.


     
     
     

  • Se libérer du connu.

    Se libérer du connu

     

    Ce titre d'un ouvrage de Krishnamurti m'a amené encore une fois à m'interroger sur les religions et l'emprise qu'elles exercent sur l'individu.

    Existe t-il une voie d'Eveil passant par les religions ou sont-elles une entrave à l'élévation spirituelle qu'elles annoncent?

    Pour Krishnamurti, les enseignements prodigués par Jésus ou Bouddha ont été interprétés puis dogmatisés par ceux-là mêmes qui voulaient transmettre l'enseignement et qui n'avaient sans doute pas atteint le même degré de spiritualité que ces Maîtres. Les messages éducatifs se sont alors transformés en doctrines et sont devenus aliénants, conditionnant pour l'homme au lieu de l'aider à progresser vers lui-même. Les enseignements spirituels expliquent pourtant que l'être humain doit renoncer à l'attachement et à l'identification, se libérer de l'égo pour atteindre une connaissance supérieure ne se trouvant pas dans les livres, une vérité qui est au-delà des mots et du savoir acquis, de la tradition, de la transmission elle-même. La connaissance de soi est une clé pour l'ouverture de l'être et elle peut se produire par l'attention, une lucidité de chaque instant. Les religions en oeuvrant pour elles-mêmes ne détournaient-elles pas les hommes de la voie réelle de l'Eveil ?

    Comment cette démarche personnelle pourrait-elle prendre forme dès lors que l'individu situe sa démarche dans une doctrine qu'il n'a pas éprouvée intrinsèquement mais dont il a eu connaissance par un savoir transmis par les livres et les religieux ? Des Textes anciens peuvent-ils conduire à la connaissance de soi ou bien sont-ils un alourdissement de l'âme qui va s'évertuer à suivre des pratiques et des préceptes comme autant de balises ? Où est l'individu dans cet imbroglio émotionnel, liturgique, dogmatique ? N'y a-t-il pas davantage de risque de se perdre en "croyant" s'ouvrir à un état de plénitude ? Les Maîtres l'ont vécu parce qu'ils avaient oeuvré toute leur vie à cette élévation. Se peut-il que les religions dispensent cette connaissance de soi à travers de simples écritures alors que les Maîtres ont effectué un travail personnel gigantesque avant d'éprouver un changement de conscience ?

    L'impression qu'on travaille à l'envers... Les religions, si elles ont quelque chose d'essentiel à dire, ne sont accessibles qu'à l'individu ayant déjà oeuvré pour l'élévation du niveau de sa conscience. Entamer une démarche spirituelle en adhérant précocement à une religion revient à mon sens à s'enfermer définitivement et à se priver de toute ascension. Comme un fardeau dont on se charge en pensant qu'il va nous alléger.

    Je pense aujourd'hui que l'embrigadement dont les religions se nourrissent, que ce fonctionnement ritualisé, cette adhésion mirifique à des histoires détournées sont devenus des freins gigantesques. Elles ont perdu le Mystère en l'enfermant dans un coffre adoré.

    Se libérer du connu, c'est donc également se libérer des religions.

    Il est préférable de s'engager sur le chemin vierge de notre existence, de se réjouir des rencontres, de se sustenter prudemment, par petites bouchées de toutes les nourritures spirituelles proposées, que d'adhérer éperdument à un concept.

    On ne prend pas le risque d'une errance. On réunit patiemment les pièces de notre propre puzzle. Comme un être divin qu'on inviterait timidement au lieu de se glorifier des fausses certitudes d'une rencontre organisée.

    Mon souhait le plus profond est d'émouvoir Dieu, l'Un. Tout autant qu'il me bouleverse. Puisque la Vie diffusée par cette Unité ruisselant de toutes parts me fait pleurer de bonheur, je veux offrir à cette énergie créatrice l'hommage qui viendra de mon coeur, de mon âme et non des Textes sacrés. Je préfère rester libre et ne rien découvrir que d'aliéner mon âme dans l'attente d'une libération post-mortem.

    Il ne m'intéresse pas de croire en Dieu. Il m'intéresse de le connaître. Les religions ne sont pas une voie de connaissance mais de croyances. Ca ne me suffit pas.

    "Je crois en Dieu" est une phrase pleine de doutes. "Je crois que demain il pleuvra." On est dans le même registre.

    Dieu me connaît. Il me reste à le connaître. Il m'a déjà séduit. Je veux en faire de même. A travers mes propres hommages.

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  • La spiritualité.

    Ce monde que nous croyons connaître.

    La spiritualité est une découverte constante au coeur de la réalité. "L'homme n'est que l'ombre de l'Homme qui est l'ombre de Dieu." Et parce que la spiritualité exige de la part de l'individu une découverte et une élaboration totale, depuis la source, de la voie qui l'élève, il est actif et non "utilisé"...

    L'absence de repères établis autorise l'individu à oeuvrer pour lui-même, non dans une voie reconnue et balisée, mais dans l'élaboration obstinée de ses propres horizons. "Voilà où je veux aller." Et non "je voudrais aller là où vous êtes." La spiritualité est un chemin solitaire. Les rencontres sont des apports et non des soumissions, elles enrichissent celui qui y perçoit le diamant qui lui convient et non celui que les instances dirigeantes lui ordonnent d'honorer.

    La foi n'est pas là. Ce monde religieux n'est pas le monde spirituel. La spiritualité n'a pas de fil conducteur, elle n'a pas de Bible, aucun texte Sacré, elle ne réclame aucune fidélité, elle accepte les errances, les changements de voie, les recherches multiples, elle reconnaît que l'individu est une unité existentielle et qu'il possède ce droit essentiel du choix.

    Le fonctionnement vis à vis de Dieu me semble être le même. Nous nous engorgeons de données liturgiques sans les comprendre autrement que par auto-persuasion, par goût de l'appropriation partagée, comme une nouvelle technologie ou une nourriture exotique. Nous en apprenons l'usage mais nous ne comprenons rien de son origine, de sa réalité, du mystère qui l'habite. Et croyant (justement) que ces religions nous élèvent, nous ignorons respectueusement que nous les servons. La tristesse inhérente à cette absence d'élévation malgré ce don de soi que nous maintenons à travers des pratiques ou des lectures, cette désillusion prolongée ne font que renforcer l'adhésion forcenée dans l'attente impatiente d'un "signe", d'un bonheur, d'une révélation, d'une protection accordée... On entre dans l'addiction. La lucidité est exclue.

    L’homme moderne est ainsi un être qui “ne sait rien” au sujet du fonctionnement du monde, de l’économie, de ce qui fait son quotidien, de son corps, de sa vie. Ou, en tout cas, si information il y a, elle lui arrive depuis un extérieur spectaculaire envers lequel il reste passif et éloigné. En d’autres termes, nous sommes chaque jour plus informés des choses dont nous ne savons rien. La tristesse comme symptôme de l’impuissance est alors la conséquence de cette déréalisation du monde. » Miguel Benasayag

    « Notre société est constituée d’utilisateurs, de consommateurs qui, le plus souvent, ignorent tout de la façon dont fonctionnent les appareils et mécanismes qui les entourent et qui constituent le monde dans lequel ils vivent. Ainsi, tout en croyant être utilisateurs, nous finissons par devenir nous mêmes “utiles” au service des différentes techniques. Cela vaut bien sûr en ce qui concerne les techniques plus ou moins sophistiquées qui composent le paysage quotidien, mais notre ignorance s’étend également aux domaines économique, politique, etc.

  • Lutter contre le vent.

    Je me souviens que lorsque je roulais en vélo en Bretagne, je me retrouvais souvent face au vent et le vent en Bretagne, c'est un phénomène puissant...Alors, je rentrais dans une lutte redoutable, je m'imaginais le découper, le repousser, chercher à entrer dans sa masse invisible et le détourner de mon corps, je combattais de toutes mes forces, obstinément...Et je finissais toujours par m'épuiser...

    J'ai découvert un jour que je pouvais au contraire me fondre en lui, glisser dans ses arabesques, jouer avec lui comme un avec un partenaire exigeant...Cette attitude me comblait de bonheur sans que je comprenne vraiment pourquoi. Je ne luttais plus, j'essayais d'être en osmose. C'était devenu un jeu...

    En écrivant "Les Eveillés" et en analysant mon parcours de vie, j'ai réalisé que mes errances et mes douleurs relevaient davantage d'une lutte constante contre les tempêtes de l'existence que des conséquences réelles de ces tempêtes. Je m'appropriais ces difficultés et je m'identifiais à elles. Je n'étais jamais dans l'acceptation des choses mais dans un combat, spirituel, intellectuel et physique...J'y ai laissé une énergie considérable sans jamais trouver la sérénité de l'osmose. J'aurais dû me souvenir de ces expériences à vélo mais je préférais l'image du combattant infatigable. Mon égo me tenait.

    Respecter la vie, c'est accepter ce qui est, donner à ce qui est l'image du vent qui souffle. Soit j'adapte mon allure et je me réjouis de l'instant, quelques soient les difficultés pour progresser, soit j'entre dans une lutte déraisonnée en croyant être le plus fort, en pensant que ma raison me sauve alors que c'est mon égo qui me domine. En ne me perdant pas dans une lutte sans issue, je préserve mon énergie pour la concentrer sur l'acte le plus adapté, je ne m'égare pas dans des tentatives et des intentions inaccessibles mais je reste à mon niveau, dans un état de plénitude favorable à une acceptation inconditionnelle de ce qui est. Dès lors, je glisse sans à coups et sans heurts dans la masse invisible de la vie.

    "L'enfer est là parce que tu veux en sortir."

    Karl Renz.

    Il en est de même avec nos pensées. Ce ne sont pas nos pensées qui nous font souffrir mais notre attachement à nos pensées, comme si elles étaient nous-mêmes alors qu'elles ne sont qu'une version de la réalité qui est en nous. L'attachement à nos pensées vient de ce que nous les tenons pour vraies sans les avoir examinées avec la distance indispensable. Etre celui qui observe ce qu'il pense et dès lors se détacher de la pensée et ne pas la laisser nous saisir ou ne pas s'identifier à elle.

    Nous vivons les pensées comme des croyances auxquelles nous adhérons sans les avoir autopsiées avec la raison nécessaire à l'éveil. Nous sommes "endormis" par les litanies de pensées tourbillonnantes, anesthésiantes ou énergisantes. Elle ne sont que des hallucinogènes et nous sommes des toxicomanes à l'attachement et à notre "sommeil."
    L'enfer, c'est nous.



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  • Un entretien

    Avec Richard KELLER, écrivain.

    Très intéressant dans son parcours et la passion qui l'anime.

    http://www.savoie-litterature.com/?p=98

     

    Un témoignage utile pour les auteurs en quête d'éditeur...

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  • Corps et conscience. (spiritualité/conscience)

    Ai-je un corps ou suis-je mon corps ?

    Si je parviens à répondre à la question, il aura bien fallu que j’aille chercher la réponse en moi, c'est-à-dire dans l’antre qui contient ma conscience. Je ne peux concevoir que cette conscience, ou cette raison, soit une entité extérieure que je vais saisir dans mon environnement pour m’en servir. Ma conscience est incarnée. Ma réflexion est inséparable de mon corps, elle y est enracinée comme dans une terre. Mon corps est par conséquent un support, une enveloppe mais il est aussi un « filtre » par lequel toutes les expériences viennent à mon cerveau. Si je peux penser à mon corps, c’est bien parce que je le ressens, je le perçois, j’en reçois également une image. Par contre, il est évident que cette image évolue avec le temps et l’accumulation des expériences. Ce corps n’est pas figé et la conscience que j’en ai fluctue.

    Si ces changements surviennent, c’est également que je ne suis pas seulement ce corps, comme une pierre est une pierre, mais que je dispose d’une capacité consciente à « m’extraire » de ce corps pour l’identifier. Ma conscience est par conséquent indépendante de ce corps, elle ne lui est pas seulement inhérente, elle n’est pas intrinsèquement englobée, elle a un pouvoir d’auto réflexion. Elle reçoit les informations reçues par le corps, elle les analyse mais elle a en plus la capacité à conscientiser ce processus. J’ai conscience de ma conscience. Ma conscience n’est pas qu’un récepteur comme peut l’être un ordinateur en état de marche, elle a également le pouvoir d’observer l’expérience et l’expérimentateur… D’avoir conscience de lui, indépendamment du corps. Dans cette situation là, le corps n’est plus le support de l’identité mais l’objet étudié qui permet à la conscience de prendre forme. Je ne suis pas mon corps, j’ai un corps qui me sert d’objet d’expérience afin d’offrir à ma conscience un piédestal.

    Ca n’est pas pour autant que ce corps est méprisable et doive être considéré comme un fardeau dont il faut que la conscience se libère. Ca serait absurde, comme une lobotomie sensorielle. A quoi me servirait-il d’analyser ma conscience auto réflexive s’il n’y a aucune expérience à laquelle je puisse me référer ?

    Il n'y a pas de conscience sans corps.
    "Corps et conscience font un". Pour Spinoza, l'esprit et le corps ne constituent qu'une seule et même substance, une imbrication constante entre le champ d’expérience de la pensée (l'esprit) et le champ sensoriel (le corps).

    Pour des philosophes matérialistes comme Diderot ou Nietzsche, la conscience est une simple extension de l'organisme. Les neurologues aujourd'hui déterminent ce que je pense et ce que je ressens qu’en fonction de notre corps. Il semblerait par conséquent que je ne sois qu'un corps qui « raisonne ».

    Ma conscience pense "je suis", mais sans pouvoir se passer du récepteur corporel. On pourrait donc valider la phrase et dire "je suis un corps".



    Pour Descartes, la conscience, bien qu'étroitement unie au corps, est radicalement distincte de lui. « Je ne suis pas mon corps. »
    "La conscience est abstraite". Lorsque je pense "je suis", ma conscience se saisit elle-même comme conscience, en faisant abstraction de mon corps. La conscience du corps n’est qu’une option secondaire. Le corps n'est donc qu'un des objets parmi d'autres qui peuvent occuper la conscience. Descartes est intransigeant et ne veut pas être assimilé à un corps qui souffre et qui lui échappe…
    Lorsque je pense, je n'ai pas conscience de mon corps et je n’en ai même pas besoin. Ma conscience et mon corps sont donc distincts et pour Descartes on doit dire "j'ai un corps". Le dualisme cartésien se sert du dualisme chrétien. Il n’y a qu’à lire Schopenhauer pour juger des dégâts…Mesdames, cachez-vous, ne tourmentez pas les consciences supérieures des mâles… Beurk…




    Bon, la conscience est donc incarnée, la conscience et le corps ne font qu'un. Je m’en tiens à cette idée.
    Il serait illusoire d'imaginer que la conscience puisse être abstraite, totalement coupée du corps. La psychanalyse essaie bien d’ailleurs de réconcilier la conscience et le corps, le moi (ou le surmoi) et l'inconscient, afin de permettre à l'individu de vivre dans la plénitude. Il n’y a aucun « ennemi » en soi, il n’y a que des entités ignorées, par éducation, conditionnement ou traumatismes.

    Le zazen travaille également dans cette voie. La maîtrise du corps favorise le développement de la conscience. Il n’est pas question de s’extraire du corps mais de l’éprouver pleinement, en totale conscience, avec amour et cette expérimentation génère un état de conscience sublimé.

    On peut s’interroger maintenant sur les états de conscience modifiée déclenchés par des situations particulières.
    Les NDE ou d’autres situations moins extrêmes.

     

    De quoi est constituée cette conscience... Elle me semble très liée à la mémoire. Par exemple, je sais très bien que la neige, le glaçon dans mon verre, les nuages, la pluie, la vapeur au-dessus de la casserole sont des états différents d'un même élément. Mais je ne peux le savoir qu'en ayant expérimenté diverses situations cognitives ou sensorielles. Les conclusions sont insérées dans ma mémoire et lorsque je suis confronté à une nouvelle situation, la conscience que j'en ai est générée par le rappel à cette mémoire. Pourtant cette conscience n'est pas qu'une mémoire étant donné qu'il a bien fallu la première fois que j'use uniquement de ma raison pour valider les expériences. On peut donc considérer que la conscience est liée à la mémoire mais qu'elle peut aussi fonctionner sans elle. Il faudra simplement multiplier les situations pour que les acquis soient stables. La conscience a donc besoin d'une "énergie" pour rappeler les acquis. Le corps est bien souvent utilisé comme filtre mais pas nécessairement. Mais qu'en est-il de cette "énergie" qui servirait d'agitateur à la conscience ? Dans un de mes romans, un guide de haute montagne est amputé d'une jambe. Pour l'écrire j'ai passé deux journées dans une clinique spécialisée en prothèse et rééducation et j'ai discuté avec des soignants et des soignés. "Le membre fantôme" est un phénomène étrange puisque la personne amputée a des sensations très précises, jusqu'à la douleur, avec des envies irrépressibles de se gratter les orteils, le mollet...Il reste une "conscience" de l'élément perdu et ça dure parfois jusqu'à la mort malgré les médicaments...La mémoire ne s'efface pas et la conscience reste totale. Un autre témoignage transmis par un kiné faisait état des rêves de personnes tétraplégiques et qui racontaient leurs cavalcades pendant la nuit. Des années après leur accident, elles gardaient en elle une perception très précise de la marche...Elles en avaient encore totalement conscience. D'où vient dès lors l'automatisme du bébé quand on lui fait le test de la "marche"? Il n'y a pas de mémoire là...D'où vient cette "conscience"? Un geste instinctif...Oui, mais c'est quoi l'instinct ? Où le range-t-on par rapport à la conscience ?

     

    Site "philosophie et spiritualité."
    Un extrait da la leçon "corps et conscience".

    « Deepak Chopra oppose deux images du corps, celle de la sculpture et celle de la rivière. Nous avons tendance à penser la réalité du corps à partir du concept de chose. Nous y voyons une sculpture faite avec de la matière, ou à la rigueur – mais c’est la même idée – un automate fait avec beaucoup de petites choses, des pièces qui en font une machine. Mais comme ce corps, c’est aussi un corps vivant, et remarquablement structuré par une sorte de technicien intérieur, on a imaginé qu’il fallait nécessairement lui adjoindre une âme-vitale : « on a d’abord désigné ce technicien sous le nom d’âme, puis il semble avoir été déchu au rang de fantôme que l’on imagine enfermé dans la machine ». Il y a une faille dans ce raisonnement, car « le corps ressemble bien plus à une rivière qu’à un objet figé dans l’espace ». Et c’est à la physique nouvelle que nous devons ce changement de regard sur les soi-disant objets matériels. Le corps est dans un flux permanent. « Quatre-vingt-dix-huit pour cent des atomes de l’organisme étaient absents un an auparavant. Le squelette qui semble si solide n’était pas le même trois mois plus tôt…La peau se renouvelle tous les mois. La paroi de l’estomac change tous les quatre jours et les cellules superficielles qui sont au contact des aliments sont renouvelées toutes les cinq minutes… C’est comme si l’on vivait dans un immeuble dont les briques seraient systématiquement remplacées chaque année. Si l’on conserve le même plan, il semble alors qu’il s’agisse du même immeuble. Mais en réalité, il est différent ». Le corps ne reste pas le même, il est perpétuellement dans le flux du changement. Or, malgré cette instabilité d’une rivière en mouvement, le corps ne s’effondre jamais comme une simple pile de briques, une intelligence maintient son intégrité, se charge de coordonner la transformation du flux, ce qui permet de dire, vu de l’extérieur (celui qui se regarde dans la glace), que le corps reste le même. « Pour ce qui est de la permanence, le corps est solide et stable comme une sculpture figée. Pour ce qui est du changement, il est mobile et fluctuant comme une rivière ». Seulement, du point de vue du paradigme de la physique classique, c’est là un paradoxe insoutenable, car il est impossible de considérer en même temps ces deux points de vue. Ce serait considérer un même phénomène à la fois comme de l’ordre des choses (corpuscules) ou de l’ordre d’un flux (l’onde). De là suit que, parce que le concept d’objet solide est surtout intelligible du point de vue de la vigilance quotidienne, parce qu’il est en accord avec une vision linéaire de la causalité, qu’il est plus facile à l’esprit de penser le corps comme une sculpture figée, que comme un flux vivant. Il est plus simple de se représenter le changement comme une causalité linéaire, une cause engendrant un effet, dans une séquence qui lie les objets entre eux, comme les boules de billard de Newton. Mais en restant dans ce modèle, on oublie justement ce qui est étonnant dans le corps physique, la beauté du renouvellement constant du corps, du renouvellement qui se produit à chaque instant.
    Pour éviter de faire le saut vers une représentation quantique du corps, il reste encore un repli stratégique : celui qui consiste à dire que c’est au cerveau, machine complexe entre toutes, que revient la production de cette intelligence du corps. Cependant, comme l’explique longuement Chopra, si le cerveau est lui-même une machine, extrêmement complexe et perfectionnée, expliquer les phénomènes psychologiques par la présence du cerveau, c’est un peu comme dire que les véhicules sont responsables des accidents de la route, et non leur conducteur. L’intelligence ne se réduit pas aux mécanismes dont elle se sert pour opérer, y compris les mécanismes neurochimiques impliqués dans les échanges synaptiques. Le savoir que nous possédons aujourd’hui sur le cerveau nous permet de beaucoup mieux appréhender le fossé que l’on posait autrefois entre la pensée et la matière. Ainsi, « Les neurotransmetteurs sont les coureurs qui vont et viennent à partir du cerveau, transmettant à chacun de nos organes, émotions, désirs, souvenirs, intuitions et rêves. Aucun événement n’est confiné dans le cerveau seul. De même, ce ne sont pas uniquement des phénomènes mentaux puisqu’ils peuvent être codés sous forme de message chimique… Penser, c’est réaliser une chimie cérébrale qui engendre une cascade de réactions dans tout l’organisme». Ces découvertes ont une importance capitale : « L’entrée en scène des neurotransmetteurs favorise plus que jamais la mobilité et la fluidité de l’interaction entre esprit et matière – qui se rapproche encore plus du modèle de la rivière ». Pour comprendre la transformation subtile de la pensée en matière, il faut cesser de les opposer strictement, il faut se représenter le corps comme doué d’une intelligence propre, et se représenter le mental comme une intelligence consciente s’auto transformant dans le corps en processus matériels. Les conséquences de cette vision sont immenses, elles nous contraignent en effet à penser notamment la médecine comme une médecine corps-esprit et plus comme une simple médecine du corps-objet.

    * *
    *
    C’est une erreur de raisonner sur le corps, comme sur l’esprit à partir d’une hypothèse substantialiste, c’est une erreur de chercher des relations de causalité mécanique entre l’esprit et lui-même, entre le corps et lui-même et entre l’esprit et le corps. Le corps physique est bien plus qu’un automate bien rodé. La pensée est plus qu’une sorte de fantôme dans la machine du corps. L’Intelligence elle-même transcende à la fois le mental pensant et la structure matérielle du corps.
    Pour la première fois, il devient possible de tirer parti des découvertes de la physique nouvelle pour redessiner l’image que nous avons du corps, tout en respectant scrupuleusement ce que l’expérience vécue du corps propre a d’original. La subjectivité n’est pas confinée dans un royaume coupé du domaine objectif décrit par la science. Nous sommes à l’aube d’une complète révision de la compréhension classique à la fois de la conscience et du corps. La métaphysique de la représentation et ses différentes doctrines, est insuffisante pour comprendre l'incarnation.
    Cela implique des questions nouvelles : en quoi le paradigme mécaniste est-il nécessairement limité et doit-il être dépassé ? Qu’est-ce que cette Intelligence qui transcende à la fois le mental pensant et la structure matérielle du corps ? Y a-t-il dans la conscience une puissance non-mentale qui ne serait pas liée au corps, mais directement liée à l’Intelligence ? De quoi le corps-physique est-il donc capable, si il est non pas seulement une machine, mais aussi l’intelligence qui conduit la machine ? "

     

    Dans "l'Ayurveda", il me semble, l'homme n'est pas une entité duale, corps-esprit ( Descartes) mais une entité tripartite "corps-esprit-âme".
    L'esprit serait à nos yeux d'Occidentaux le siège de l'intellect et des pensées alors que l'âme tiendrait le rôle de cette Intelligence citée dans le texte précédent. Cette âme serait reliée à l'Energie vitale...Le corps serait l'enveloppe créée autour de cette âme pour qu'elle ait un point d'ancrage dans le champ d'expériences matérielles. Nous sommes avant tout une Energie, le corps n'est qu'une construction secondaire mais tout de même indispensable et il convient de le développer par les pratiques liées au souffle et à la posture (yoga).


  • Conscience de soi. (spiritualité/conscience)

     



    La conscience :

    1. Ai-je un corps ou suis-je mon corps ?
    2. Comment comprendre la notion de vie intérieure ?
    3. Comment sait-on que quelqu'un est conscient de ce qu'il fait ?
    4. Dans quelle mesure peut-on affirmer que la conscience n'est pas une donnée mais une tâche ?
    5. Doit-on apprendre à devenir soi-même ?
    6. En quel sens peut-on dire d'un homme qu'il est plus conscient qu'un autre ?
    7. Est-ce dans la solitude que l'on prend conscience de soi ?
    8. Est-ce que l'attention est la caractéristique essentielle de la conscience ?
    9. Est-il légitime de faire prévaloir les exigences de la conscience sur celles de l'Etat ?
    10. Est-il vrai de dire que "l'observation directe de soi est loin de suffire pour apprendre à se connaître " ?
    11. Est-on fondé à affirmer l'existence d'une conscience collective ?
    12. Etre conscient de soi est-ce être maître de soi ?
    13. Etre maître de soi, est-ce une visée illusoire ?
    14. Faut-il apprendre à percevoir ?
    15. Faut-il éprouver pour comprendre ?
    16. La connaissance de soi peut-elle être sincère ?
    17. La connaissance des lois de l'inconscient nous console-t-elle du désordre de notre conscience ?
    18. La conscience de devoir mourir peut-elle susciter chez l'homme d'autres sentiments que la peur ?
    19. La conscience de soi est-elle une connaissance ?
    20. La conscience de soi suppose-t-elle autrui ?
    21. La conscience d'être libre peut-elle être une illusion ?
    22. La conscience du temps se réduit-elle à la conscience de la fuite du temps ?
    23. La conscience est-elle source de liberté ou de contrainte ?
    24. La conscience est-elle source d'illusions ?
    25. La conscience immédiate de soi est-elle connaissance de soi ?
    26. La conscience me fait-elle connaître que je suis libre ?
    27. La conscience morale n'est-elle que le résultat de l'éducation ?
    28. La conscience ne s'exprime-t-elle que dans la négation ?
    29. La conscience peut-elle errer ?
    30. La conscience peut-elle être objective ?
    31. La conscience que nous avons de notre liberté vient-elle de ce que l'avenir nous paraît indéterminé ?
    32. La duplicité de la conscience rend-elle inutile l'hypothèse de l'inconscient ?
    33. Le moi est-il ce qui se cache ou ce qui se manifeste ?
    34. Le moi s'identifie-t-il à la conscience ?
    35. Le point de vue de la conscience immédiate et celui de la science sont-ils incompatibles ?
    36. Le progrès de la science fait-il celui de la conscience ?
    37. Le souci de soi recommande-t-il seulement d'être heureux?
    38. L'expression "être soi-même" a-t-elle un sens ?
    39. L'indignation morale dispense-t-elle de l'analyse ?
    40. Peut-on considérer le corps comme le malheur de la conscience ?
    41. Peut-on dire que toute conscience est une conscience morale ?
    42. Peut-on dire qu'on change avec le temps ?
    43. Peut-on dire que « la conscience est l'ennemie secrète des sciences humaines » ?
    44. Peut-on échapper aux exigences de la conscience ?
    45. Peut-on ne pas être soi-même?
    46. Peut-on penser sans être conscient ?
    47. Peut-on se connaître soi-même?
    48. Peut-on se mentir à soi-même ?
    49. Peut-on, au moment où il s'accomplit, avoir conscience de la dimension historique d'un événement ?
    50. Pourquoi l'homme peut-il parfois désirer l'inconscience ?
    51. Pourquoi refuse-t-on la conscience à l'animal ?
    52. Pourquoi un sentiment est-il plus difficile à décrire qu'un objet physique ?
    53. Que faut-il entendre par "être conscient" ?
    54. Que pensez-vous de l'expression : "C'est plus fort que moi" ?
    55. Que peut-on savoir de soi ?
    56. Quel sens peut-on donner à l'expression : c'est plus fort que moi ?
    57. Quelle origine assignez-vous à la mauvaise conscience ?
    58. Quelle origine assignez-vous à la bonne conscience ?
    59. Quelle relation la conscience entretient-elle avec ses objets ?
    60. Quels sont les obstacles à la prise de conscience de la réalité ?
    61. Qu'est-ce que prendre conscience ?
    62. Qu'est-ce que rester soi-même ?
    63. Si la connaissance de soi est utopique, devons-nous pour autant y renoncer ?
    64. Sommes-nous conscients ou avons-nous à nous rendre conscients ?
    65. Suffit-il d'avoir bonne conscience pour être innocent ?
    66. Suffit-il d'être conscient de ses actes pour en être responsable ?
    67. Suffit-il d'être différent des autres pour être soi-même ?
    68. Suis-je ce que j'ai conscience d'être ?
    69. Suis-je dans mon corps "comme un pilote dans son navire" ?
    70. Suis-je le mieux placé pour savoir ce que je suis ?
    71. Suis-je responsable de ce dont je n'ai pas conscience ?
    72. Sur quoi ma conscience morale fonde-t-elle sa légitimité ?
    73. Toute conscience de soi est-elle une illusion sur soi ?

    La suite vous appartient.

  • L'ego encapsulé.

    L'ego encapsulé.

    Le philosophe et théologien Alan Watts a développé cette expression pour mettre en avant le fait que nous fonctionnons sur le modèle d'un moi individuel, séparé, dans une dimension de dualité, "moi" et le monde extérieur.

    Alan Wilson Watts (6 janvier 1915 – 16 novembre 1973) est l'un des pères de la contre-culture en Amérique. Philosophe, écrivain, conférencier et expert en religion comparée, il est l'auteur de vingt-cinq livres et de nombreux articles traitant de sujets comme l'identité individuelle, la véritable nature des choses, la conscience et la recherche du bonheur. Dans ses ouvrages, il s'appuie sur la connaissance scientifique et sur l'enseignement des religions et des philosophies d'Orient et d'Occident (bouddhisme Zen, taoïsme, christianisme, hindouisme). Par ailleurs, il était intéressé par les nouvelles tendances apparaissant en Occident à son époque, et se fit l'apôtre d'un certain changement des mentalités quant à la société, la nature, les styles de vie et l'esthétique. Alan Watts était un autodidacte réputé et son interprétation des philosophies asiatiques l'a rendu populaire.

    Il est un des personnages des "Clochards célestes" de Kerouac.

    Toutes nos expériences sont établies sur ce paradigme et les interprétations que nous en tirons ne peuvent sortir de ce mode de pensée.

    "Le mode de pensée analytique ayant pour support les mots, nous a donné l'habitude, pour définir quelque chose, d'énoncer ce qui la distingue et la rend "caractéristique", bref ce qui définit son identité. Si bien que l'on s'accoutume à penser qu'une identité est une question de séparation, par exemple que mon identité réside en la manière particulière dont je diffère des autres, soulignant la différence comme étant l'essentiel.

    Dans ces conditions, le monde m'apparaît comme une chose avec laquelle je dois ETABLIR une relation, et non comme une chose avec laquelle J'AI une relation."

    "[De la même façon, nous nous concevons] scindés en deux parties: un centre bien délimité d'attention, "je", et un vaste et complexe organisme, "Moi", dont la connaissance que nous en avons oscille entre des sentiments confus et la technicité abstraite des notions biologiques. L'homme façonné par la culture occidentale est étranger à lui-même, ainsi qu'au milieu naturel dont fait partie son organisme."