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  • Paix des âmes...

    Un très beau site.

     

    http://www.blogg.org/blog-44210.html

     

    De très beaux textes.

     

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  • Le pont.

    Le pont qui enjambe le torrent, et qui permet aux pèlerins d'aller au temple vient d'être emporté par les eaux tumultueuses du torrent. De ce fait les moines, les gens se rendant au monastère doivent faire un long et périlleux détour.


    Après bien des hésitations il fut décidé de reconstruire un pont, oui mais voilà, depuis que la décision avait été prise un immense vacarme régnait au village.



    Le forgeron était adepte d'un pont métallique... au moins c'est du costaud, il ne bougera pas...


    Le charpentier lui ne pensait que bois...le bois ne rouille pas, il n'est pas aussi rigide que le métal, plus souple il résistera mieux....


    - Votre pont en métal rouillera et se brisera, que dire du bois, il finira par pourrir  et les gens passeront au travers. Non la pierre est éternelle, elle ne craint pas la rouille, le temps, c'est un pont de pierre qu'il faut...


    Au fur et à mesure des jours qui passaient les choses empirèrent et un poison insidieux et dévastateur s'écoula dans les rues du village.


    Des groupes s'étaient formés derrière chaque artisan. Tant et si bien qu'aucune solution ne fut trouvée.


    Ne sachant plus quoi faire on fit appel au moine, lui saurait ce qui est le mieux.


    Après une longue marche il arriva au village, à peine fut il arrivé que tous l'entourèrent et  lui parlèrent en même temps...


    - Alors vénérable qui a raison, quelle est la meilleure solution ?...


    Le moine sourit et s'assit. Il regarda la foule, puis les trois artisans présents...


    - Chacun de vous pense que ce qu'il fait est la meilleure des choses à faire, la seule évidente et possible. En cela vous avez un point commun, le bien de tous. Ce que je perçois c'est qu'au fond de vous, enfoui sans même que vous le sachiez il y a quelque chose de bien, chacun de vous pense et veut faire le mieux. Vous n'êtes pas si différents. Je m'adresse à cette partie de vous qui veut le meilleur, entendez cette petite voix en vous et alors vous saurez...


    Déstabilisés les trois hommes se tinrent silencieux, en se regardant, comme s'ils se découvraient pour la première fois. Ils s'aperçurent que tous les trois souhaitaient la même chose. Ils sourirent  et virent l'autre
     avec un autre regard, celui de l'amour de l'autre.


    Tout le monde rentra chez lui, apaisé.


    On ne revit plus les trois artisans dans les rues du village. Un matin, prés du torrent, trois hommes travaillaient à remettre le pont en état.


    Des bases solides furent taillées dans le roc par le tailleur de pierre, des piliers de bois prirent appui dessus. Le tout maintenu par des clés d'acier forgé, des renforts.


    Enfin le pont fut terminé et pélerins et moines pouvaient à nouveau traverser le torrent sans risque.


    Ce pont était le symbole de trois pas distincts réunis sur un même chemin, nommé amour.


    L'hiver passa et à la fonte des neiges le torrent redoubla de violence, le pont bien planté sur ses bases de roc, flanqué de ses piliers de bois résistant, renforcé par l'acier ne bougea pas d'un cm.


    Ce matin là parmi la brume humide des remous du torrent une silhouette se détachait, un homme était debout, qui souriait sa robe pourpre flottant au vent...



    Serge.

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  • Des processus.

    Les physiciens ne considèrent plus vraiment qu'il existe des particules indifférenciées mais plus justement des processus qui les englobent. Sans ces processus, elles n'existent pas réellement. C'est évidemment très sommairement résumé...

    Mais l'idée qui m'interpelle, c'est qu'il me semble que notre existence elle-même n'existe qu'à travers des processus semblables. Des processus internes et inconnus alors que nous attachons une importance considérable aux processus liés à nos conditions de vie. Notre enfance, notre attachement à une région ou un pays, à notre famille, à l'être aimé, à un travail, à une passion, à toutes les imbrications sociales, à nos traumatismes, à nos bonheurs, à nos espoirs, à nos échecs, à nos regrets...Un univers chaotique d'actes générés par des pensées chaotiques...Je vois dans ce fatras un amalgam de particules identifiées et dans l'incapacité de les observer individuellement tant leurs liens sont multiples et étroits, je finis par croire que l'existence prend forme elle-même dans ces particules. Mais les processus qui les ont animées, je les ignore, je n'en ai aucune connaissance parce que je n'ai pas assez de lucicidité, ni de persévérance. Je ne comprends rien à rien mais je m'obstine à vouloir établir une impression de maîtrise, de contrôle, de progression, de construction...C'est comme si je voulais figer des grains de pollens au milieu des bouffées d'air chaud. Les grains sont là, je les vois, je les reconnais mais je ne peux rien contre le vent qui les agite, contre ce processus vital qui les emporte au gré de ses hasards. Le pollen n'est rien sans l'agitation du vent. Il n'irait nulle part, tomberait au pied de son géniteur et finirait en germant de multiples pieds par étouffer l'arbre originel. Il faut aller plus loin. C'est pour cela que la Vie a créé les vents semeurs.

     

    Je ne suis qu'un univers de particules animé par un processus vital. Je ne domime rien. Je lui appartiens. Le libre-arbitre est un leurre rassurant. Ma liberté consiste à identifier clairement tout ce qui me compose, tout ce qui m'agite, toutes ces particules qui font mes conditions de vie mais sans jamais perdre de vue que tout cela est dérisoire au regard de l'énergie vitale. C'est le processus qui vit. Je n'en suis qu'un grain de pollen. Mon voyage lui appartient. Ma tâche est de naviguer dans ces espaces de vie avec la capacité à recevoir et à comprendre ce processus, à l'étreindre, à l'aimer, à me détacher de ce calice qui porte en lui le processus. Il ne s'agit pas de le mépriser, c'est une enveloppe qui m'a été offerte, mais c'est ce qui l'anime qui se doit d'être aimé. Pas le convoyeur mais le message.

     

     

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  • Vertiges

    VERTIGES

     

    « Il ouvre les yeux…

    Un disque ardent rayonne au-dessus des montagnes. Des cascades de bleu glacé caressent les pentes de neige endormies. Un calme d’une froideur métallique emplit l’espace. Là-haut, une veilleuse s’est allumée et répand sur les choses envoûtées une lumière féerique, une limpidité cristalline. Aucun chuchotement n’ose troubler l’immobilité des montagnes. L’air, lui-même, est suspendu à cette vapeur bleutée. Le relief a perdu son agressivité, les pointes se sont nivelées, les cassures se sont comblées. Cette sublime phosphorescence attendrit l’ensemble et éveille une harmonie totale. Une cloche de verre semble protéger de toute intrusion ce lieu sanctifié. La lune donne sa clarté comme une bénédiction.

    Il a l’impression que le disque blanc s’ouvre sur un autre monde, comme un hublot pour des spectateurs curieux…Il se sent observé…Cette idée voyage longuement dans son corps étalé, au creux de son cocon de neige. Cette atmosphère si intense résonne en lui comme dans une coque vide. Il se fond dans cette étreinte qui par moments s’adoucit de pâleurs ou se charge de mauves.

    Il ne sait pas ce qui l’a réveillé…

    Est-ce cette vibration subtile qui s’est insinuée dans son ventre, comme une onde souterraine remontée des âges glacés, ou cette mélodie de silences aigus qui a transpercé la carapace de son cerveau éteint ?

    Il est trop près de la vie de la montagne, il ressent trop profondément l’ineffable beauté qui l’entoure pour pouvoir mourir. Il le comprend brutalement sans pouvoir l’exprimer. Les idées jaillissent en lui comme un flot libéré. La vie du monde est en lui et le soutient. Tant que ses yeux restent fixés à la Terre, il ne peut pas partir…Mourir, c’est retourner ses yeux au-dedans de soi et oublier l’Univers.

    Cette phrase se grave dans son cerveau. Hypnotisé, il entreprend dans sa tête le lent processus de l’homme qui se lève. Ses genoux soudés par le froid se déplient en craquant, les coudes parviennent à se bloquer pour supporter le poids du corps, le dos, sculpté par la douleur, retrouve dans sa mémoire une posture acceptable.

    Il est debout…Du moins, ses jambes le portent. Pour le reste du corps, trop tordu, il ne s’agit pas d’une position connue.

     

    Le glacier s’étire devant lui, nonchalamment, maquillé par endroits d’embruns scintillants qui offrent à la lune leurs miroitements étoilés. Des clairières de lumière diffuse guident les présents de l’astre vers des étendues insatiables. Dans cette cérémonie amoureuse, tout n’est qu’offrande.

     

    Comme un somnambule fasciné, il chemine lentement entre les crevasses ouvertes. Il perçoit dans ses os les craquements de la glace et son sang est teinté par la nuit bleutée…Il se croyait vidé de tout mais il comprend maintenant qu’il s’est simplement retourné…Son intérieur est dehors…Il a déjà ressenti cela, autrefois, sur un sommet…Peut-être n’est-ce pas si loin d’ailleurs. Il ne parvient plus à distinguer le temps qui passe. Il est assailli de sensations inconnues. Il saisit avec une précision extrême la rotation de la Terre, les courants d’air dans l’atmosphère, les soulèvements des océans aimantés par la lune, les mouvements indicibles de la croûte terrestre…Il en est presque effrayé. Tout ce qu’il capte est si éloigné de l’humain. Pourquoi lui donne-t-on à connaître tout cela ? Qui est responsable ?

    Il ne distingue plus son corps.

    Il regarde sa main et il aperçoit dans les rides des sillons d’étoiles filantes. Il emmène cette main vers l’endroit supposé de sa joue, mais il ne reçoit aucune information connue. Il a peur de disparaître dans l’espace, et, simultanément, il comprend que c’est déjà fait.

    Il ne s’agit plus simplement d’une cellule au bout d’un doigt, travaillant aveuglément pour cette zone limitée, ignorante du corps qui la porte, il ne s’agit plus d’un individu vivant à l’intérieur d’un espace inconnu, insensible à l’immensité qui le contient. Il est entré ailleurs…Dans une dimension synergétique, dans un état d’ultime clairvoyance.

    La cellule, au bout du doigt, est intimement liée au Tout…Et dans son entité, simple et unique, le Tout est inscrit…

    Il devine alors combien il n’est pas lui. Mais bien plus. Sans savoir ce que c’est…Il est incapable de continuer sa découverte. Tout va trop loin. Il a l’impression brutalement que sa conscience est en expansion, qu’elle est inscrite dans le même élan qui porte l’Univers, qu’à l’intérieur de son crâne en fusion, un processus s’est engagé, qu’il ne contrôle rien et que ce n’est qu’un début.

    Il voudrait être sûr de ne rien oublier mais sitôt pensée, l’idée disparaît. Il en ressent une profonde injustice. Plus il tente de se concentrer, moins il comprend…Il doit s’abandonner, il le sent. Tout ce qui se passe d’ailleurs, n’est que ressenti. La raison est trop restrictive. Il faut s’en dépouiller. Ne rien vouloir. Ce serait encore trop humain. Et l’humain est si faible. Il faut autre chose. Et c’est en lui, il en est certain. Mais où ?

    Devenir la sensation pure.

    Ne pas vivre dans le monde mais vivre du monde.

    Non, la solution n’est pas en lui, il le sent, il le sait, la solution, c’est le monde…

    Etre soi, c’est se défaire de soi et entrer dans la complicité avec l’espace, avec la matière vivante qui grandit inexorablement, comme sa conscience. L’Univers est en lui, il le comprend et il s’étend avec lui, sur sa lancée.

    Il dérive dans des courants de lumière inconnue. L’étendue des révélations qui s’éveillent le bouleverse.

    Une étrange impression de chaleur se pose sur son visage. Pourtant, rien à l’horizon n’indique la venue du soleil. Il voudrait comprendre mais sitôt prononcée, cette volonté anéantit toutes ses chances de saisir. Il cesse de penser et se laisse porter par sa marche lancinante.

    Il écoute avec sa peau, et de nouveau une tiédeur le frôle.

    Des courants solaires se sont insinués dans la nuit. Eclaireurs de l’astre, ils annoncent au monde l’élévation prochaine. Des effluves bienfaisants caressent sa peau. Il est heureux.

    Il voit avec sa peau !

    Jamais il n’aurait cru cela possible. Devant cette conscience nouvelle, il cherche encore à comprendre comme s’il ne pouvait pas se défaire de cette habitude. Il sait que quelque chose a changé. Mais il ne sait pas ce que c’est. Le mot « clarté » revient sans cesse. Il pressent qu’il ne s’agit pas du soleil ou d’une lumière visible mais d’un regard sur lui-même. Une compréhension mystérieuse qui lui avait toujours échappé. A la fois, et de nouveau de façon imprécise, il devine combien il lui reste de chemin à parcourir.

    Intérieurement.

    Comme si le fait d’avoir entamé une découverte, d’avoir entrouvert une porte inconnue, lui ouvrait un horizon gigantesque, un panorama infini de consciences, toutes, à mesure de leur éloignement, plus profondes les unes que les autres. Un sentiment d’excitation le gagne, remplacé aussitôt par une inquiétude profonde. Est-il capable de voir plus loin, a-t-il les capacités d’apprendre encore ? Et apprendre quoi ? Il ne sait pas ce qu’il reste à découvrir. Il ne domine rien.

    Il n’est pas en apprentissage.

    Il est en révélation.

    Les idées l’épuisent. Tout va si vite. Il al ‘impression d’être ouvert. Et que toutes les idées existantes tombent en lui, c’est effrayant et bouleversant à la fois. Il voudrait continuer mais il ne sait pas dans quel sens diriger ses pensées…

    Diriger…

    Quel mot prétentieux ! Il en rirait s’il en avait la force. Qu’est-il donc s’il ne contrôle pas ses progrès, si tout lui arrive, si tout vient en lui mais qu’il ne soit pas capable de faire venir. Y a-t-il l’homme qu’il voit, qu’il peut toucher, sentir, et puis, caché derrière une conscience primaire et immédiate, un autre lui-même, différent, conscient d’autres consciences, connaissant d’autres connaissances, vivant une autre vie, une vie secrète, étouffée, maintenue cloîtrée comme si les révélations à dire faisaient peur. Et laquelle de ces deux vies, ou peut-être plus, est la plus réelle ? Celle du monde des vallées n’est-elle donc qu’un songe ? Celle-ci, loin de tout et surtout des hommes, est-elle encore une vie ? Ou juste une fuite ? Faut-il vivre parmi les autres quand on veut se connaître ? Ou la grande solitude est-elle la condition unique et indispensable ?

    « Alors jusqu’ici, je n’ai jamais vécu ? »

    La question est tombée. Il n’a pas pu la retenir. Dans le flot de pensées qui l’assaille, ce jugement implacable s’est imposé.

    Il essaie de se sauver en se remémorant des évènements importants qu’il aurait réellement dominés, quelque chose qu’il aurait conduit, totalement, de l’essence même de l’idée à sa conception, de sa réalisation à sa conclusion et enfin l’enseignement à en retirer. Il ne trouve rien…Les idées lui ont été données, les cheminements ont été tracés, les enseignements lui ont échappé. Rien n’est de lui. Il n’a pas agi, il a réagi...Subir, seul ce mot lui convient. Un dégoût de soi, mêlé d’une épouvantable tristesse, le submerge…Rien ne lui appartient et surtout pas lui-même. Il le sent et c’est une douleur effroyable.

    Il a été vécu. A travers l’autre, celui qui s’appelle Jonathan. Lui, le vrai, ne s’est éveillé qu’ici. Sa vie au grand jour commence.

    S’il parvient à rester à la surface. Si Jonathan ne reprend pas la place.

    Il cherche à établir une liste d’actes à accomplir pour rester maître de lui-même. Il ne trouve rien. Il est épuisé. Tout s’embrouille. Il découvre et ne peut rien retirer de cet enseignement. Il apprend sans comprendre pleinement. Tout continue à tomber en lui. Est-ce qu’il faut s’en contenter ? N’est-ce pas déjà un merveilleux chemin ? Que faut-il pour rester conscient ? Et penser que l’on est conscient, est-ce une preuve suffisante ? N’y a-t-il pas encore tromperie ? Penser que l’on pense à soi, est-ce un acte de maîtrise, une certitude d’avoir atteint un degré supérieur de conscience ? Celui qui est en moi possède-t-il un jugement impartial, totalement objectif ? Il a peur. Les mots sont effrayants. Il ne se souvient même pas les avoir appris un jour. Ils tombent en lui comme dans un gouffre béant. Le flot ne s’interrompt plus. Il sent pourtant, que cette fois, il doit se laisser porter, que cette fois, tout ce qui se passe en lui est bon à prendre. Même s’il s’agit toujours d’un état de dépendance, même si les idées ne sont pas à lui mais en lui, il convient simplement pour l’instant de les laisser éclater au grand jour, de les saisir le plus fidèlement possible, de les préserver enfin. Et peut-être un jour de les comprendre. Il doit cesser d’avoir peur…

    Mais puisque ces idées sont en lui, elles doivent bien lui appartenir ! Tombent-elles de l’Univers dans un esprit prêt à les accueillir ou remontent-elles d’une mémoire gigantesque ? Tout est-il déjà inscrit quelque part à l’intérieur ? Cette connaissance suprême, comment la conserver, l’approfondir, la développer si elle disparaît sans prévenir, s’il est impossible de la contrôler. Si tout est perdu à chaque fois, comment atteindre la félicité ? Où la mémoire range-t-elle cette béatitude, cette lucidité extrême, cette complicité avec l’Univers ? Existe-t-il quelque chose de durable ?

    Il n’a pas le temps de finir une phrase qu’une autre survient, qu’un flot de pensées absorbe le précédent, qu’une question s’impose avant le début de l’esquisse d’une réponse. Il est noyé de mots. Chaque révélation en appelle dix autres. Il croit devenir fou…Conscience, Univers, clairvoyance, harmonie, osmose, béatitude…Des mots ignorés semblent avoir pris vie en lui et s’écrivent dans un foisonnement inaltérable.

    Comme si tout avait déjà été là.

    Il descend…

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  • NOIRCEUR DES CIMES : un chemin de croix.

    9

    Elle est sortie tôt le matin pour regarder monter la première équipe des Polonais. Lech faisait partie du groupe et en le regardant partir, elle avait réalisé qu’elle n’aurait plus l’occasion de parler en français.
    Elle reconnaît maintenant, dans l’abri de sa tente, que leurs échanges restaient bien trop superficiels pour qu’ils soient compatibles avec une vie monacale. L’allusion la fait sourire. Elle est fière désormais de cette situation. Elle va écrire, réfléchir, mettre à profit ce retrait obligatoire, cette exclusion de la vie sociale, ce retranchement à l’intérieur de soi, cette exploration de territoires vierges, cette quête de l’Illumination, cette recherche de l’essentiel. Le flot d’expressions qui survient lui confirme la richesse intime de son état. Elle en est bouleversée. Le sentiment d’avoir basculé dans un nouveau paradigme, une vision décalée, un système à part, la nourrit d’une joie inexprimable, inconnue, singulière. Elle n’a aucun repère dans ce qu’elle éprouve et l’impression de « bien naître » lui revient à l’esprit. Elle est nouvellement née à un état de lucidité. Elle s’imagine s’extirpant d’une carapace humaine, accédant enfin à une nudité spirituelle, comme si l’accession du corps à la lumière du premier jour condamnait aussitôt l’esprit à l’enfermement. Ne devrions-nous pas dans notre parcours terrestre nous concentrer prioritairement à la libération de cette entité secrète emmurée par l’enveloppe insignifiante qui absorbe une bonne part des attentions de notre égo ?
    Elle lève la tête vers les pentes empruntées par les Polonais mais le plafond nuageux est descendu et ils ne sont plus visibles depuis longtemps. Elle imagine les grimpeurs écrasés par des sacs monstrueux se hissant péniblement sur des roches glissantes, s’enfonçant dans des tapis de neige fragiles.
    Le vent est tombé et elle est surprise par la vitesse à laquelle les conditions météorologiques peuvent changer. Les conditions de vie aussi d’ailleurs. Encore une fois, à cette idée, un sourire lui vient aux lèvres. Elle s’aperçoit que toutes les circonstances extérieures, tous les évènements les plus simples, deviennent désormais des occasions de nourrir quelques idées antérieures, quelques réflexions inachevées. Que son esprit semble percevoir le monde comme un tremplin à une introspection permanente. Le vivant qui nous entoure serait-il un stimulant de l’esprit et l’esprit stimulé parviendrait-il à percevoir le vivant avec plus d’acuité ? La perdition des âmes serait-elle liée à notre dispersion habituelle dans la multitude des contacts superficiels ? La vie en société étoufferait-elle le Maître intérieur, le Moi immuable pour ne laisser apparaître qu’un égo manipulateur et narcissique ? Elle pense aux ashrams et aux monastères et convient, en imaginant la paix de ces hauts lieux, qu’elle n’est sûrement pas loin de la vérité. Elle est un peu effrayée par ces pensées qui se succèdent, par la direction qui paraît s’imposer. Elle reconnaît n’avoir sans doute jamais poussée aussi loin, hors de toutes études livresques, sa propre analyse. Le vivant qui l’entoure se fond en elle, la nettoie peu à peu de ses inquiétudes temporelles, de ses habitudes communautaires, de ses dérives frivoles de citadine influencée. Elle le sent et, progressivement, elle l’accepte. Elle ne peut plus nier désormais avoir atteint une autre dimension, avoir ouvert une porte sur des horizons inconnus qui l’attirent avec la force d’un aimant puissant.
    Elle lève de nouveau les yeux et, le regard errant sur les sombres pentes chaotiques, une immense bouffée de chaleur lui monte aux joues. Sans Luc, elle ne serait pas venue ici et elle n’aurait peut-être jamais franchi ce seuil. Elle lui doit cette découverte ou en tout cas une part. Cette révélation la consterne. Elle ne pensait pas lui devoir autre chose que des moments de doute, de déprime, de colère, de honte. Elle ne pouvait même plus clairement définir les raisons de sa présence dans ce camp, à attendre quelqu’un qui ne s’intéresse pas à elle et voilà que l’explication jaillit. Elle aimerait savoir si ses propres réflexions l’ont menée à cette conclusion ou si tout cela était déjà inscrit dans un destin à vivre. Cette nouvelle idée est apparue avec une telle brutalité qu’elle lui semble avoir été donnée, murmurée à l’oreille, insérée de force dans un esprit buté.
    S’étaient-ils rencontrés pour parvenir à cela, était-ce un chemin tout tracé ou doit-elle féliciter son intellect d’avoir réussi à sublimer une situation douloureuse ? Sommes-nous responsables de nos découvertes ? Elle s’étonne de cette interrogation aux connotations mystiques mais elle ne la rejette pas. Elle veut se laisser entraîner par les horizons qui se dévoilent. Ils n’avaient rien à faire ensemble et ils s’étaient pourtant engagés dans une vie commune. Pour quelles raisons ? Etaient-ils maîtres de tout cela ? Cherchaient-ils simplement à mettre fin à leur vie de célibat, à répondre à des désirs physiques, à correspondre par cette vie de couple à l’image que les autres s’attendaient à recevoir ou devaient-ils répondre à une intention extérieure ? Son parcours universitaire n’aurait pas favorisé un tel dépouillement, elle en est certaine. Elle aurait eu besoin d’un temps infini pour absorber tous les livres lus, tous les enseignements rencontrés et parvenir peut-être à l’orée de la vieillesse à saisir dans tout cela sa propre vérité. Cette vie avec Luc l’avait placée dans l’urgence, dans une souffrance obsédante, réductrice, une fièvre continuelle, apaisée parfois par des étreintes fugaces, des sourires menteurs, des complicités inventées. Cette relation avait contribué à l’arrachement progressif des couches protectrices de l’être jusqu’à ce que le coeur pur apparaisse. Luc, inconsciemment, avait favorisé et accéléré ce déshabillage. « Il faut casser la coque pour faire sortir l’intérieur car si tu veux le noyau, tu dois briser la coquille. » Maître Eckhart l’avait écrit. Elle est heureuse de saisir pleinement ce que l’homme d’église voulait exprimer. Simultanément à ce bonheur, un doute survient. Qu’aurait-elle compris de cette situation si auparavant elle ne s’était pas nourrie de tant de livres ? Aurait-elle pu en retirer l’essentiel ? Ses études étaient-elles destinées à cela et non prioritairement à devenir universitaire ? Cet intellect, dont elle se méfie désormais, n’a-t-il pas permis, à travers tous les enseignements qu’il contient, l’élaboration salvatrice d’un prolongement inespéré ? Ses connaissances ne l’ont-elles pas sauvée d’une rupture désastreuse, d’un échec inutile, d’une fin dérisoire ? Ce qu’elle entrevoit, dans toutes les réflexions qui s’enchaînent, elle le doit à ce mental qui l’a pourtant également trompée, conduite vers des entêtements infatués, des conflits stériles, des brisures répétées. Ne risque-t-elle pas de rechuter au moindre relâchement?
    Elle se sent un peu perdue soudainement et elle craint que tout n’aille trop vite. Comme si le franchissement d’un seuil conduisait aussitôt à une nouvelle porte mais que le battant à pousser se révélait toujours plus lourd. L’impression que tout cela n’est pas qu’une errance hasardeuse mais un dessein qui lui échappe s’inscrit fortement en elle et sa petitesse dans le cadre écrasant des montagnes qui l’entourent prend une dimension bouleversante. Il n’y a pas de hasard, il n’y a que des nécessités. Elle distingue dans cette conclusion l’obligation de se laisser porter et de saisir chaque instant qui se présente. Elle comprend davantage le « lâcher prise » qui lui plaisait tant. Elle n’en avait saisi que la part intellectuelle sans avoir jamais éprouvé « physiquement, » au plus profond de ses fibres, l’absolue réalité. Nous ne pouvons rien tenter de dominer sinon l’instant présent qui nous est offert. L’enseignement essentiel tient dans cette phrase. Le reste n’existe pas.

    Elle est sortie. Sur le plateau regroupant les tentes des diverses expéditions, l’activité est intense. En marchant sans but, elle laisse ses regards dériver sur les diverses personnes qu’elle voit s’agiter et se demande si chacune d’entre elles a conscience de la vanité de cette effervescence. D’avoir accueilli pleinement cette vision de la vie immédiate insuffle en elle une paix profonde, un soulagement libérateur. Ne plus lutter, c’est se donner la possibilité de vivre…Sa liaison avec Luc ne lui apparaît plus comme une entrave mais comme un chemin. Elle s’en étonne et simultanément cela la tranquillise. Elle cherche déjà le moyen de le lui faire comprendre et se dit aussitôt qu’elle n’a pas à s’inquiéter. Il le ressentira si elle sait garder en elle ce calme qui l’habite. Elle veut rester confiante et se reprend aussitôt en reconnaissant qu’elle ne doit rien vouloir. Elle admet que ce qu’elle découvre n’a rien de superficiel ou d’aisément accessible et réclame une exigence de chaque instant. L’abandon complet des habitudes néfastes. L’hypothèse d’une ascèse spirituelle la submerge d’une onde de chaleur. Elle a l’impression physique de grandir et elle s’en amuse.
    D’un pas léger, elle s’éloigne sur le plateau en contemplant les paysages intérieurs qui l’invitent. Ne plus lutter, c’est se donner la possibilité de vivre. Le désespoir est une voie d’accès. Espérer, c’est toujours refuser ce que le présent propose, c’est se projeter follement dans un espace temporel que l’égo vénère. « Je voudrais mourir totalement désespéré, » avait écrit André Gide. Trompés par la perception erronée d’un mot mal aimé, beaucoup avait vu dans cette phrase l’aveu d’un homme déprimé alors qu’il s’agissait de la preuve d’une vie accomplie, la conclusion sereine d’un être apaisé, qui n’a aucun regret et plus aucune envie, nourri de la conscience d’avoir usé jusqu’au bout le temps présent qui lui a été proposé. La construction d’un projet ne doit pas aliéner l’individu à des suppositions multiples et incontrôlables. Elle pense à la tension extrême qui habitait Luc depuis des mois. Parviendra-t-il au moins à profiter pleinement de quelques instants ? Ou restera-t-il l’esclave de la construction mentale de cet égo qui étouffe la conscience ? Trouvera-t-il les ressources intérieures à cette béatitude qu’elle connaît alors qu’il ne dispose pas des références culturelles dont elle s’est abreuvée depuis des années ? Elle craint que son parcours ne soit qu’une errance interminable.


    Ils se sont assoupis un long moment. Les bourrasques de vent glacé ont tiré Luc de cette absence agitée où son corps alourdi par des fatigues pesantes s’était réfugié. Entre chaque rafale, il écoute avec appréhension la respiration saccadée d’Etienne qui continue à tousser malgré le sommeil profond dans lequel il est enfoui. Sa gorge semble encombrée de glaires qui l’étouffent. D’inquiétants gargouillis rythment les souffles qui s’échappent péniblement.
    Les flocons frappent la tente avec force et Luc imagine la dureté des conditions extérieures. Ils ne pourraient pas faire cinquante pas dans cette tourmente. Sans l’abri précaire de la tente, ils seraient déjà morts de froid. Il sait qu’ils doivent boire mais la lourdeur de son corps le maintient dans la chaleur protectrice de son duvet. Il lui faut de longues minutes pour réussir à sortir un bras, à regarder sa montre, à secouer doucement Axel.
    « C’est quelle heure ? demande celui-ci après quelques bougonnements.
    -Treize heures trente.
    -Putain de temps ! On sortira plus aujourd’hui.
    -Faut espérer que ça va pas mettre trop de neige, tu sais que ça donne ici.
    -Ca, pour descendre rapidement, y’a pas mieux qu’une avalanche. On sera vite rendu au camp de base.
    -Ca va toi, t’arrives encore à faire de l’humour !
    -Ouais, noir, l’humour, très noir…Fais chier. Il nous fallait juste une journée de beau et on se tirait d’ici. Tu sais que plus bas, si ça se trouve, le temps est tout à fait acceptable. A deux cents mètres près, la différence peut être énorme. Là, on est coincé pile où il faut pas.
    -Ouais, je sais.
    -Putain, t’entends la respiration d’Etienne ? Ca, si c’est pas un œdème pulmonaire, je sais pas ce que c’est…Faut qu’on descende, putain. C’est le seul moyen de le sauver.
    -Tu sais bien que si on sort, dans une heure il est mort. »
    La conscience d’un piège puissant les mure dans le silence. Plus rien à dire. Plus rien à faire. Sinon attendre. Et espérer même si c’est inutile et n’influence en rien les conditions météorologiques. Luc le sait mais il ne peut s’empêcher de laisser dériver son imagination qui entrevoit la fin de la tempête, le retour du soleil, l’essoufflement du vent, la rencontre avec une expédition montant vers le sommet et leur apportant un soutien salvateur. Quelques heures d’accalmie suffiraient. Juste quelques heures pour rentrer en vainqueur du K2. Les journaux, les sponsors, sa formation de guide, l’obligation pour son père de reconnaître son talent, ses capacités, son avenir…Tout prendrait une nouvelle dimension.
    L’idée le réchauffe quelques instants puis soudainement l’image de Tanguy le frappe. Il s’en veut aussitôt de l’avoir déjà relégué au second plan, d’avoir rejeté son souvenir dans une mémoire fugace, fragile, lointaine. Un puits d’oubli empli de peur. Celle de sa propre mort. Il le sait.


    Elle est retournée à la tente. Allongée dans son duvet, elle écrit. Elle veut garder une trace de tout ce qui vibre en elle, de cette conscience nouvelle qui a pris forme et cherche à s’étendre. Elle tente de mêler ses connaissances à ce qu’elle ressent et d’établir des liens lui permettant de solidifier les pensées fragiles qu’elle a peur de perdre. Le philosophe Pascal expliquait qu’on ne vit jamais pour le présent mais un peu pour le passé et beaucoup pour l’avenir. « Nous ne vivons jamais, nous espérons de vivre. » Elle a retrouvé ce texte dans un de ses carnets et il lui apparaît maintenant avec une clarté absolue. « Nous ne vivons jamais… » La sentence lui avait semblé exagéré, elle avait vu une tournure intellectuelle, ignorant la terrible justesse de la formule. Espérer, se projeter, imaginer, attendre ou se souvenir, regretter, se repentir, se morfondre, toutes les constructions mentales nous éloignent de la vie, de l’immédiate réalité que nous ne devrions jamais délaisser. Toutes les dispersions qui nous animent sont des obstacles au lieu d’être des chemins. Rien d’utile n’en ressort. Elle ne trouve comme explication à cet aveuglement qu’une volonté inconsciente de se détourner de l’idée de la mort. Etre impliqué dans l’instant présent incombe paradoxalement que l’individu soit également confronté à l’idée angoissante de sa fin. Le passé, au contraire, confère une identité installée et le futur comporte une projection dans la durée. Par conséquent, ces deux menteurs autorisent l’égo à se libérer d’une possible disparition immédiate. Si je suis là, il est donc possible que dans un instant, je n’y sois plus. Le passé comme le futur sont de puissants palliatifs hallucinogènes. Nous oublions de vivre l’instant présent par peur de la mort. Succombant dès lors à l’ennemi que nous redoutons et que nous cherchions à vaincre en usant de notre intellect. Abandonner tout espoir place l’individu dans l’impossibilité de se disperser dans les illusions temporelles et lui permet de saisir dès lors l’absolue splendeur de l’énergie qui vibre en nous. « Nous sommes tous résignés à la mort; c’est à la vie que nous n’arrivons pas à nous résigner. » Elle se réjouit de retrouver en elle cette citation de Graham Greene et de la comprendre enfin.
    Elle écrit avec une énergie décuplée, souffrant presque de ne pas pouvoir suivre de la main la vitesse de ses pensées.
    Elle conçoit l’alpinisme comme un désir profond de se plonger dans un présent intense, de porter à ébullition les forces concentrées, sans se soucier d’une mort acceptée. Elle imagine que tous les grimpeurs montant vers les cimes cherchent à atteindre un état de lucidité, une connivence absolue avec leur être profond, une béatitude libérée des lourdeurs quotidiennes. Luc est inscrit comme elle dans une démarche ascétique mais il n’en a peut-être jamais pris pleinement conscience. Elle devra le lui montrer, lui faire comprendre clairement les raisons essentielles de cette passion dévorante, lui prouver surtout qu’il dispose déjà des réponses qu’il espère trouver sur les sommets, qu’il n’est pas nécessaire d’éprouver ses forces sur des montagnes incertaines pour atteindre des altitudes éthérées et purificatrices. Le chemin est intérieur. Elle sait néanmoins qu’il ne servira à rien de l’inonder de paroles ésotériques, qu’il n’y percevra qu’une humiliation supplémentaire, qu’elle devra simplement lui faire part de sa propre quête, de ses découvertes, de ses révélations et opposer sa félicité à son entêtement. Elle convient d’ailleurs n’avoir jamais su s’y prendre et avoir cherché stupidement, dans des confrontations répétées, l’établissement de sa propre contenance, comme si sa supériorité intellectuelle pouvait installer en elle une réalité existentielle, comme si sa domination sur l’esprit entier de Luc pouvait favoriser l’éclosion de sa propre unité. Elle sent monter en elle une réelle empathie à l’égard de Luc, une compassion qui l’émeut. Elle s’en veut de s’être laissée emporter, d’avoir perdu durant ces années conflictuelles un temps précieux. L’idée que tout cela pourtant était nécessaire la soulage. Les mensonges de l’ego sont des douceurs redoutables et le Moi immuable ne peut s’en délivrer qu’à travers la souffrance. C’est la marque de notre petitesse. Nous n’avons pas accès naturellement à la sagesse. C’est un chemin de croix.

     
     
     

  • Thierry Vissac.

    La question qui revient souvent sur les lèvres est celle de la réalité de l'amour personnel : "Qu'est-ce qu'aimer quelqu'un ?"
    Nous avons pris l'habitude de regarder ce qui nous anime sous un angle arrangeant afin de légitimer nos penchants.

    Ainsi, quand nous parlons du couple ou même de l'amour maternel, nous sommes enclins à y trouver (ou en attendre) la pureté, l'altruisme.

    Si nous demandons à deux individus attachés l'un à l'autre s'ils s'aiment, ils répondront généralement oui, sans hésiter, mais sans pour autant être capable de commenter spontanément ce sentiment. Et si nous insistons, nous entendons souvent l'effort personnel à donner une apparence "propre" à nos relations. Pourtant, un regard un peu plus franc nous permet d'éclaircir avantageusement la notion d'amour, non pour la salir comme nous pourrions le penser, mais pour permettre au discernement de grandir et cela afin de reconnaître le Vrai qui se cache souvent derrière d'autres vérités plus pratiques et confortables.

    Le couple est une construction de l'ego. La vision de l'ego conduit à la quête pour combler le sentiment de séparation, le manque d'unité. Deux individus s'associent dans l'espoir de combler un vide. Les besoins sexuels s'ajoutent à cela - quand ils ne sont pas en fait la raison principale de cette association - parce qu'ils trouvent dans le couple officiel une opportunité de se satisfaire.

    Ainsi, personne n'aime personne. On s'associe à quelqu'un pour soi, même si une certaine idée de la morale nous amène à dire ou penser que cela est bon pour l'autre. La réalité est que le besoin personnel est le moteur unique de l'affection comme de l'acte sexuel et le fait que cela puisse satisfaire l'autre est tout à fait accessoire dans cette vision, même si cette réalité est récupérée pour se donner bonne conscience. Le couple est un arrangement personnel auquel nous avons tenté de donner une image plus spirituellement ou socialement correcte.

    Personne n'aime jamais personne est la réalité de l'ego. Mais cette réalité est insupportable et il est possible que vous ressentiez cela à la lecture de ces mots si vous n'avez jamais osé regarder les choses ainsi. L'amour que nous disons éprouver pour quelqu'un d'autre est un intérêt personnel, un besoin qui, s'il n'est plus satisfait, peut rapidement se transformer en hostilité. Il nous faut voir cela afin de pouvoir reconnaître ce qu'est véritablement l'Amour, au-delà de tout arrangement personnel et autres ego-centrismes spiritualisés. Nous avons le droit de "chercher" l'amour mais nous gagnons à ne pas se donner des réponses trop rapides et arrangeantes, des raccourcis populaires, qui nous en éloignent finalement.

    L'Amour n'est pas une émotion. L'Amour n'est pas lié à une personne et il ne lie à personne. L'Amour est la substance même de la Vie. On reconnaît "l'expérience" de l'Amour au fait qu'elle nous révèle la Nature essentielle de la Vie. L'Amour est une Communion. Il ne s'agit même pas d'un sentiment, même si nous pouvons traduire la communion par ce terme. L'objet, la situation ou l'être humain que nous croisons est le support ou la destination de l'Amour, c'est le moment où l'existence personnel se reconnaît Unique et Infinie. Il n'y a alors plus personne pour aimer une autre personne.

    Dans ce que nous appelons communément "amour", nous trouvons ce que j'appellerais plus précisément l'affection. Le support d'affection est physique, il demande un contact, il se nourrit du besoin de "câlins" ou de "bises". L'affection est frustrée quand le contact est réduit ou inexistant. L'affection est une sensation qui ne peut être rapprochée que de loin de l'Amour. Il n'y a pas de jugement à porter sur cette affection, elle est la réalité du couple, la réalité de la "petite personne" en quête.

    La Communion ne demande pas de contact, même s'ils peuvent se produire. Quelqu'un passe dans le champ de notre vision, dans un moment de notre vie et il y a reconnaissance de l'Unité, ouverture du coeur, accueil de la Présence sous une forme nouvelle, jusqu'alors inconnue et que nous célébrons intérieurement dans cette rencontre. Il n'y a pas d'intérêt personnel ou d'avenir à cette rencontre, elle est éphémère. Mais la reconnaissance, elle, est éternelle. Ce qui s'est reconnu dans cette rencontre éphémère n'est pas lié à cette rencontre. Et le prochain objet, être ou situation nous révèle, sous de nouveaux atours, une autre opportunité de reconnaître la nature essentielle de la Vie, qui est Amour.

    Cet Amour sans intérêt, "inconditionnel", est le seul qui conduise à l'action juste à l'égard de l'autre. La quête d'affection voile ce qui peut être transmis ou reçu de l'un à l'autre parce qu'il y a un manque à combler, une attente. Sans cela, le flot est libre, ininterrompu. Dans l'attente, même spirituelle, ll y a l'intervention du besoin et la perpétuation de la séparation.

    Il ne s'agit pas de cesser toute relation mais de les éclairer du regard juste. Nous ne reconnaîtrons pas l'Amour si nous nous évertuons, par peur, à vouloir le trouver là où il n'est pas. Nous ne rencontrons pas la vérité en la travestissant du mensonge.

    Nous acceptons de voir que le couple est un arrangement personnel, que le fait de recevoir ce que nous en attendons est la garantie de sa survie et que l'Amour en est généralement absent, à moins que cesse l'empire de l'ego dans cette forteresse quasi impénétrable. Nos rêves d'âme-soeur sont les résurgences de l'Appel de l'Unité qui est nié par l'acte séparateur de l'ego, par son attente, son exclusivité.

    L'intensité d'une relation n'est pas la "preuve" de l'Amour. Une passion peut nous emporter dans des extases et parfois mêmes des ouvertures passagères mais, hors de ces moments privilégiés pour la petite personne, l'attente reprend ses droits et le potentiel de Communion est le plus souvent altéré par la pression de l'attente. C'est aussi la raison pour laquelle, les "débuts" d'une relation d'affection sont souvent plus ouverts, parce que l'attente ne s'est pas encore imposée tout à fait. C'est aussi pourquoi l'ego qui ne se tempère pas, par raison, aime instinctivement changer de partenaires parce qu'il connaît le poids qui s'installe dans l'attente (qu'il crée lui-même).

    Là où est l'ego n'est pas l'Amour. Là où il y a "quelqu'un", il y a un "autre", et là où il y a "un autre", il y a une attente à combler, et là où il y a une attente à combler, il y a un ennemi potentiel et l'Amour est déjà bien loin.

    Nous pouvons donc reconnaître simplement que nous nous nourrissons de l'autre dans la relation personnelle, l'affection, (cela est également vrai d'une mère avec son enfant) mais que cette nourriture est éphémère. La Communion, l'Amour, tolère la distance physique parce qu'il a été Vu que la substance de l'Amour n'est pas contenue dans le "contact" dans "l'autre" mais qu'il peut être indifféremment reconnu à tout moment, en toute personne, quelle que soit la distance, quel que soient les intérêts ou manque d'intérêts que l'ego peut y trouver.

    L'Amour n'est pas une relation, Il est la Vie dans l'Unité.

    C'est, bien sûr, tout dire et ne rien dire.


    Auteur : Thierry Vissac, "Qu'est-ce qu'aimer ? "
    Source : http://www.istenqs.org/Aimer.htm

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