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  • "L'écologie intégrale"

     Usbek & Rica 

    20/01/2019 07:00

     

    L'« Écologie intégrale » appelle les Terriens à prendre le pouvoir

     

    Vincent Lucchese

    Delphine Batho en 2009

    Dans son manifeste politique qui prône une Écologie intégrale, Delphine Batho, à la tête du mouvement Génération écologie, redessine la politique selon un axe Terriens contre Destructeurs, appelé à remplacer le clivage Gauche / Droite.

    « L’enjeu de conserver une planète habitable pour l’humanité supplante désormais tous les autres. L’écologie est devenue une question de vie ou de mort. » Dès les premières lignes, le décor est planté. La gravité de la situation justifie toute l’orientation d’un projet radical. Dans son manifeste, Écologie intégrale(Éditions du Rocher, 2019), Delphine Batho ambitionne de réorienter l’ensemble du jeu politique au travers du prisme de l’urgence environnementale.

    Nous sommes actuellement sur une trajectoire de réchauffement climatique de 4°C voire 5°C d’ici quelques décennies, la biodiversité s’effondre et menace de nous emporter dans sa chute, les énergies fossilesterres rares et autres ressources s’épuisent sans promesses d’alternatives de qualité équivalente. Ce constat, qui fait si peu réagir nos dirigeants, fait-il de Delphine Batho une adepte des théories de l’effondrement ?

    « Le raisonnement des collapsologues est trop mécaniste »

    La députée, présidente depuis septembre 2018 de Génération écologie, connaît bien la collapsologie. Elle était témoin de la défense en décembre lors du Tribunal pour les Générations Futures d’Usbek & Rica, chargé de juger les collapsologues. « Ils ont en partie raison, nous précise Delphine Batho. Mais leur raisonnement est trop mécaniste sur les énergies fossiles. Les réserves de charbon à prix accessible sont par exemple encore gigantesques. »

    Écologie ou barbarie

    Pas d’effondrement inévitable, donc. Même si « la vérité oblige à ouvrir les yeux sur les destructions en partie irréversibles », concède-t-elle, appelant à mêler « résilience » pour s’adapter à l’inévitable et « résistance » pour éviter le pire. Celle qui fut aussi ministre de l’Ecologie prône ainsi l’instauration d’un « État-résilience », « nouvelle étape historique de la construction républicaine », écrit-elle. De la même façon que l’État-providence a mutualisé les risques sociaux, il nous faut aujourd’hui inventer la mutualisation des risques écologiques.

    La logique derrière « l’écologie intégrale » est d’opérer la même métamorphose dans tous les domaines. L’écologie, enjeu suprême, doit prévaloir pour repenser les relations sociales, l’éducation, la santé publique, l’aménagement du territoire, nos modèles économiques et industriels, etc.

    L’initiative n’est pas inédite. Les appels solennels à changer de paradigme face à l’urgence environnementale ont été lancés à la chaîne ces derniers mois par des scientifiques et par la société civile. Plusieurs mouvements politiques l’ont également mis au coeur de leur projet. « Nous sommes déjà en guerre. Contre notre environnement. [...] Cette guerre, qui peut conduire à la mort de tout et de tous, nous devons enfin l’appréhender », écrit Raphaël Glucksmann (Les enfants du vide, Allary éditions, 2018), co-fondateur du mouvement citoyen Place publique. L’écologie politique est aussi au centre du mouvement Génération.s dont le manifeste dénonce le « productivisme » et appelle à une ère « post-croissance ».

    « J’oppose l’écologie intégrale à l’écologie homéopathique des Verts et des autres partis »

    Pour Delphine Batho, tous les partis ou mouvements existants partagent pourtant une même lacune fondamentale : ils se réclament de la gauche. Une terminologie qu’elle estime surannée, voire dangereuse : capitalisme et marxisme seraient les deux facettes d’une même pièce, le productivisme. Soit précisément ce qui nous a conduit à dépasser les limites planétaire et à mettre en péril notre avenir. « J’oppose l’écologie intégrale à l’écologie homéopathique des Verts et des autres partis », tranche-t-elle. « Il faut une rupture avec le libéralisme et avec le socialisme qui posent tous deux la question du partage des richesses comme préalable. »

    Pour l’écologie intégrale, penser le respect des limites planétaires devient la question préalable qui induit, ensuite seulement, celle du partage des richesses, et de fait un objectif de réduction des inégalités. La politique ne doit donc, dans cette optique, plus se structurer autour d’un clivage gauche / droite mais par une opposition entre Terriens et Destructeurs. Là encore, les risques d’effondrement, de guerres et de catastrophes, bien réels, servent pour la députée à justifier un manichéisme radical : « On voit partout monter cette confrontation entre forces fascisantes et écologie. Nous sommes face à un choix binaire entre écologie et barbarie », nous assène-t-elle.

    Renverser les Destructeurs

    Ce nouveau clivage, inspiré des notions de « Terrestres » et « Hors-sols » définies par le philosophe Bruno Latour, pointe les ennemis du doigt. Les Destructeurs seraient aussi bien ceux qui se fourvoient dans des ambitions de « croissance verte » évitant de remettre en cause la croissance du PIB que les puissances économiques qui détruisent sciemment nos conditions d’existence ou encore les dirigeants politiques qui nourrissent activement l’hyperconsommation et se sont discrédités dans une complicité avec les lobbys industriels, corrompant les États jusqu’à les réduire à l’état de « valets des lobbys ».

    « Les gilets jaunes sont le premier mouvement social de l’anthropocène »

    « Les gilets jaunes sont en ce sens le premier mouvement social de l’anthropocène, nous dit-elle. Au-delà des revendications sociales initiales et de la violence des groupes extrêmes que je condamne, c’est un mouvement fondamentalement politique : beaucoup de Français ont compris que les règles démocratiques étaient corrompues par les intérêts privés et le poids des lobbys. »

    Le projet « révolutionnaire » de renversement des Destructeurs et de conquête du pouvoir par les Terriens doit être démocratique et non violent, précise le manifeste. Si l’on peut souscrire à la lucidité dont il fait preuve sur la gravité du moment et le besoin de réponses radicales, la stratégie clivante exposée au fil des pages laisse davantage sceptique sur les opportunités d’y faire adhérer une majorité de citoyens.

    Dans les pas de la Révolution française

    À commencer par les prochaines élections européennes, où Génération écologie doit présenter une liste, et devra se partager les maigres intentions de votes de « Terriens » avec la pléthore d’autres formations se revendiquant d’un projet écologique. Mais Delphine Batho avance confiante. Avec la certitude que le sens de l’histoire joue en sa faveur. À la manière dont Paul Hawken voit dans la multiplication des initiatives citoyennes le réveil du « système immunitaire » de la planète, la députée espère l’union des Terriens.

    « Il y a plein de signaux d’un basculement en cours dans la société : dans les choix de consommation, vers le bio, avec le succès de pétitions comme L’affaire du siècle, et les mouvements de désobéissance civile, comme Extinction Rebellion, le mouvement britannique qui arrive en france, les mouvements non violents comme Alternatiba ou ANV-COP21, l’engouement pour le développement personnel, que je n’interprète pas comme le summum de l’individualisme mais comme un besoin de redonner du sens partagé par de plus en plus de citoyens », dit-elle.

    « L’histoire n’est pas terminée. Il y a une nouvelle étape de l’histoire de l’humanité à construire »

    Une quête de sens qui doit aussi selon elle être un levier majeur de mobilisation. Pour déboulonner le puissant récit du capitalisme et de l’hyperconsommation, Delphine Batho place la révolution des Terriens qu’elle appelle de ses vœux « dans le prolongement de la Révolution française, comme une nouvelle étape du progrès humain ». L’État-résilience doit aussi redonner du sens au contrat républicain. Ainsi, selon l'élue, nous pourrons opérer un véritable « changement de civilisation », entrer dans « un nouvel âge de l’humanité » pour renouer avec la nature et prendre conscience de la « communauté de destin qui nous unit au vivant humain, animal et végétal ».

    Une manifestation de l'organisation prônant la désobéissance civile Extinction Rebellion au Royaume-Uni.
    Une manifestation de l'organisation prônant la désobéissance civile Extinction Rebellion au Royaume-Uni. (cc) Julia Hawkins

    « L’histoire n’est pas terminée. Il y a une nouvelle espérance, une nouvelle étape de l’histoire de l’humanité à construire », insiste la présidente de Génération écologie. Reste à voir si les potentiels Terriens éparpillés dans la constellation de mouvements écologistes français seront séduits par sa vision. Le manifeste ambitieux et concis, a pour lui l’avantage, ou l'inconvénient, de ne pas être encore un programme et de s’arrêter aux principes généraux.

    Désunis face au péril

    On y retrouve toutefois, au sein des principes terriens, plusieurs marqueurs de ce que d’autres appellent encore la gauche. Le rôle de l’État est ainsi fortement réaffirmé et appelé à se développer. La transformation du productivisme en « économie permacirculaire et biosourcée », qui respecte les limites planétaires et réduit les flux d’énergie et de matière, ne s’oppose pas à l’économie de marché mais entend la réguler drastiquement et faire en sorte que la destruction de la nature ne soit plus rentable, quitte à assumer les faillites de Destructeurs. Cette régulation ainsi que l’instauration d’un État-résilience passerait donc, selon le manifeste, par un État fort.

    L’écoféminisme est aussi affirmé. L’oppression de la nature répond selon cette thèse à la même logique que l’oppression des femmes et des minorités. Une occasion de rappeler l’attachement au droit à l’avortement, à la procréation médicalement assistée et à l’émancipation des femmes. Et de clarifier les différences entre les Terriens de Génération écologie et l’écologie conservatrice chrétienne qui se réclame également d’une « écologie intégrale ».

    Enfin, le respect des limites planétaires induit aussi pour Delphine Batho une réduction des inégalités, les plus riches étant les plus pollueurs et ceux qui devront donc fournir l’effort le plus conséquent.

    Autant de marqueurs qui soulignent peut-être le paradoxe le plus dommageable de ce manifeste. Si les différences avec les autres partis et mouvements sont parfois significatifs, le constat partagé d’une extrême urgence environnementale pourrait justifier une union sacrée entre forces écologistes. À défaut, la planète risque de prendre plusieurs degrés avant que les destructeurs du monde ne commencent à se sentir menacés.

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     Image à la une : Delphine Batho en 2009 (cc) Ségolène Royal

    Usbek & Rica

  • "Tantra communauté"

    Un message reçu sur le groupe "Tantra communauté" à propos de "KUNDALINI". Très heureux :


    ""J'ai lu votre livre, il m'a profondément 'remué'. C'est la première fois que je me retrouvais face au connu dans mon vécu d'homme avec le 'temoignage' d'une autre personne, de plus un homme, même si c'est un roman. Je connais et reconnais tout ce que vous décrivez dans la magie de ces communions et dans cet ambiance. Cela m'a permis de trouver la Paix d'être ainsi. J'aspire désormais à faire cette rencontre pour pouvoir me manifester pleinement auprès de celle qui saura s'abandonner et s'offrir... Un grand merci. J'aime beaucoup votre site aussi et vos écrits... 

    " Cela m'a permis de trouver la Paix d'être ainsi."

    Cette phrase a pour moi une importance considérable puisqu'elle représente le sens même de l'écriture. J'ai décrit cela sur mon blog il y a quelques jours à la suite d'un échange avec une lectrice.


    ""Pourquoi as-tu écrit ce livre ?

    -- Parce que c'était nécessaire, parce que c'est le moyen qui me permet d'approfondir ce que je porte, d'en analyser chaque élément. Ensuite, une fois que ce travail est fait et que je considère que je n'ai plus rien à y apporter, je tente de le partager en souhaitant simplement que ces mots fassent écho, qu'ils permettent à chacun et chacune de recevoir ce cheminement personnel comme une sorte d'invitation à explorer son propre espace intérieur."

     

    Je conçois parfaitement que la littérature soit un moment de plaisir, juste celui de la lecture, de l'évasion, du rêve, de pensées qui s'échappent du quotidien.

    Heureusement que cette littérature existe. Elle représente d'ailleurs une voie d'accès vers une littérature plus "engagée". Cette littérature qui brasse, "remue", bouscule. La bibliothécaire de la médiathèque où j'étais invité hier soir m'a expliqué qu'elle avait éprouvé le besoin de déposer "Kundalini" avant d'en lire la fin. 

    La première fois que j'ai connu ce trouble, c'était pour "Citadelle" de Saint-Exupéry. J'éprouvais le désir de continuer à lire mais plus encore le besoin de "souffler".

    Comme s'il était nécessaire que j'assimile intégralement ce que j'avais lu pour saisir intégralement la suite. 

    Intégralement. C'est un mot important pour moi. Celui qui symbolise l'effet intérieur de la lecture. Que l'individu soit intégralement bousculé, invité à explorer les effets de l'histoire en lui, à comprendre ce qui se révèle.

    Que tout cela puisse aboutir à un état de plénitude est un bonheur immense.

     

  • LES ÉGARÉS : réécriture

    Anita berchenko, fondatrice des éditions du 38 souhaite publier l'intégralité de mes romans.

    J'ai donc décidé de reprendre "LES ÉGARÉS ". 

    Je sais qu'il est inabouti. Je sais que lorsque je l'ai écrit, les émotions étaient trop intenses pour que je puisse simultanément ne pas perdre de vue l'écriture elle-même. 

    Je sais qu'il ne s'agit pas de mon écriture actuelle mais principalement d'une libération existentielle. 

    Je dois reprendre ce texte et le passer par le filtre assidu de la forme. Le fond est posé et ce fut si difficile par moments que les mots n'ont pas été ajustés, que les phrases sont alourdies par ce flot chaotique d'émotions réveillées.

    Ce livre est intégralement personnel. De la première à la dernière ligne. 

    Je l'ai écrit pour être en paix.

    Une thérapie solitaire.

     

    Rien de bien extraordinaire à ce sujet mais j'ai fini par comprendre en l'écrivant pour quelle raison j'aimais autant les musiques répétitives. 

    Elles ressemblent parfois à la mélodie hypnotique d'un électrocardiogramme, la nuit, quand vous veillez un proche. 

    Les quelques notes de piano au début de ce morceau. Puis les violons, comme des respirations, des souffles ténus.

    J'ai véillé mon frère, cliniquement mort, pendant des semaines. Il y a très longtemps.

    Ces musiques révèlent les empreintes fossilisées dans ma mémoire, les sons, les odeurs, les lumières, les silences, quelques mots parfois. Toutes ces nuits de veille.

    Des tristesses immenses puis des élans surpuissants d'énergie. 

    Des douceurs ineffables aussi. J'étais assis dans le fauteuil basculant, une couverture sur les jambes. J'écoutais la vie de mon frère dans son corps détruit. Cette machine qui battait la mesure. 

    Comment était-il possible qu'un coeur batte encore dans un tel chaos ?

    J'ai aimé la vie dans ces nuits de silence. J'ai aimé sa force, sa ténacité. J'espérais même pouvoir l'aider dans sa tâche. Il m'est arrivé de ne plus voir mon frère dans sa forme humaine mais uniquement cette vie insérée. 

    Il m'est arrivé même de ne plus m'éprouver vraiment, de perdre conscience de mon être et de n'être plus que ce rayonnement.

    Je sais que tout ce que j'écris prend sa source dans ces nuits silencieuses. C'est là-bas que mon esprit s'est ouvert et pendant trente ans, j'ai pensé à l'inverse que j'y avais perdu une partie de moi-même. Et parce que je ne comprenais rien de tout ça, il a fallu que moi aussi, je goûte aux affres de la douleur et de la souffrance.  Mon corps n'a pas subi trois hernies discales accidentales : je les ai fabriquées. Inconsciemment et minutieusement fabriquées.

    On devrait toujours chercher la cause des choses puis analyser intégralement leurs effets. Ne pas chercher à comprendre revient à se condamner à une double peine, puis une triple, puis une autre encore. Si nécessaire. 

    La vie ne peut pas être figée. Puisqu'elle était encore active dans le corps de mon frère alors que la médecine le condamnait à mourir dans les heures à venir, c'est que moi qui dispose de tout mon potentiel physique et cérébral, je dois comprendre, je dois chercher, je dois grandir, je dois honorer l'existence, enlacer cette vie en moi.

     

    2014 02 25 18 28 29

    "Cinq jours après l’opération de la boîte crânienne le pansement de Christian avait été retiré.

    Il avait suivi les mains de l’infirmière qui dévidait lentement le ruban sali.

    Christian n’avait toujours pas repris conscience. Juste de brèves remontées agitées. Suivies de plongées abyssales. On leur disait que c’était les effets de l’anesthésie ajoutés au traumatisme.

    Les compresses collées par des suintements gras se déroulaient comme des peaux détachées de la chair.

    Le besoin impérieux de s’appuyer contre le mur, de sentir dans son dos une masse solide.

    La peau plissée dissimulait un creux immonde, un vide effroyable, comme un trou couvert par une toile fripée. L’insignifiance de ce qu’il avait imaginé. Le cerveau à fleur de peau, une mince pellicule flétrie devant servir de carapace.

    Le chirurgien était passé. Il était très satisfait. C’était une première pour l’hôpital. Et « une belle réussite. »

    Il avait imaginé son frère découvrant dans un miroir « cette belle réussite », ce visage ravagé, ce crâne mutilé, cette cicatrice boursouflée qui dessinait d’une oreille à l’autre un liseré immense. L’empreinte ineffaçable d’un désastre consommé.

    C’est cette nuit-là qu’il avait rencontré la mort.

    Pendant son tour de veille. Il était dans le fauteuil. Ce n’était pas qu’un rêve. Impossible qu’une telle précision puisse se mêler à des sensations aussi fortes. Il n’a d’ailleurs jamais rien oublié. Rien. Et pourtant, quand elle est arrivée, il dormait. Un simple rêve aurait succombé à l’acide du temps.

    Le froid. Il l’avait senti remonter en lui comme un liquide dans la masse cristallisée d’un sucre. Impossible de l’arrêter, un envahissement inéluctable, le souffle glacé qui gagne les fibres, fige les membres, il s’était lové dans une demi conscience, cherchant à se recouvrir de la couverture, puis les frissons s’étaient immiscés dans son bassin, son périnée, le bas de sa colonne, l’impression d’une présence à ses côtés, quelque chose d’indéfinissable, comme une vapeur, une pesanteur collante sur ses yeux, l’incapacité de s’extraire du sommeil, de s’arracher à cette étreinte qui l'enserre, le froid qui se répand dans sa poitrine, l’intuition que cette vapeur étrange vise le crâne, que cette ascension sans reflux a pour objectif d’envahir son esprit, que la citadelle doit tomber sous les assauts polaires, il tremble, la peur s’installe, une étreinte autour de sa gorge, le froid qui l’encercle et ruisselle en lui, comme un fluide doucereux qui l’endort, l’entraîne, épuise ses résistances, il se sent couler comme une pierre, toujours ce froid qui l’immobilise, l’alourdit, pèse sur sa conscience, cette nuée qui s’infiltre désormais par les narines, il en sent les effluves discrètes, comme un poison langoureux, il suffirait d’ouvrir les yeux, ouvrir les yeux, c’est pourtant si simple, cette impuissance effroyable, cette horreur qui le raidit, ce dégoût et cette honte, il s’était recroquevillé, des tremblements sur les lèvres, l’impression d’une lutte perdue, la découverte répugnante de son insignifiance, toutes les faiblesses intimes qui nourrissaient des détresses invalidantes, ouvrir les yeux, c’était pourtant à la portée de n’importe qui, cette honte et ce dégoût de lui-même, cette fragilité immonde qui l’étouffait depuis si longtemps, elle était là, dans toute sa rage, elle l’étranglait, elle l’étranglait.

    L’air qui siffle dans le tuyau rétréci d'une trachée artère, une quinte de toux, le bruit qui résonne dans sa tête, le râle de la vie qui s’en va, un gargouillis hideux, quelques chapelets de bulles, une asphyxie comme une étreinte fatale, la vie qui se retranche dans les derniers bastions de son esprit agonisant, le froid qui le fossilise, il sent qu’il part, la terreur, la terreur qui l’inonde, le remplit, le pénètre, le fiel gluant qui ruisselle dans ses veines, cette semence assassine, le dégoût de sa faiblesse...

    Non, c'est impossible, insupportable, inacceptable.

    Lutter, il doit lutter, s’échapper, il concentre son énergie dans le creuset de son esprit, une boule ardente, il y puise des désirs de survie, des volontés de jaillir, de s’arracher du piège, de briser l’enceinte, il se concentre, se concentre et il ouvre les yeux en hurlant, comme deux volets repoussés par des mains puissantes, l’intrusion désirée de la lumière, il déplie les jambes, repousse furieusement la couverture, il se lève, il titube en râlant, il balance les bras pour repousser l'ennemi invisible qui s'acharne.

    Il s’approche du lit, Christian qui étouffe, la bave aux lèvres, une crise d’angoisse qui l’emporte, les yeux révulsés, la terreur, la terreur, l’horreur qui le broie, les douleurs qui le submergent, son frère qui se noie dans la boue de son désespoir, il est trempé de sueur, il lutte, il n’en peut plus, et ce cri rauque, ce cri infini, ces larmes qui jaillissent, ces sanglots qui encombrent sa trachée artère, ses mâchoires bloquées qui ne peuvent même pas s’écarter, il étouffe, il se noie …

    « Christian, respire, respire, je suis là, Christian, regarde-moi, ne pars pas, je suis là, Christian ! »

    Il sait que son frère étouffe, qu'il va mourir, que son cœur ne pourra pas tenir.

    Il se lève, il sort dans le couloir désert et il hurle.

    « Charlotte ! Charlotte !! »

    Elle arrive en courant, il la laisse passer, elle se penche au-dessus du visage défiguré.

    « Christian, écoute-moi, je vais te donner un calmant, ça va aller tout de suite. Je reviens. »

    Elle sort de la chambre.

    Il la remplace.

    « Christian, reste là, ne pars pas, tu m’entends, tu vas t’en sortir, tu vas t’en sortir, Christian ! »

    Charlotte revient. Elle a une seringue. Elle enfonce l’aiguille dans le cathéter et injecte le liquide.

    « C’est un calmant. Ça va aller, Christian. Ça va aller. »

    Elle enserre la tête qui se balance de droite à gauche, elle plonge ses yeux au cœur de sa souffrance, elle caresse ses joues, sa voix est un baume d’amour, un lien qui le retient.

    « Ça va aller, Christian, on est là, on est avec toi, on va s’occuper de toi, je t’ai donné un calmant, ça va passer. »

    Il a les jambes qui tressautent, les doigts crochés autour des barres qui encadrent le lit, un râle lugubre dans la gorge, les yeux exorbités, figés sur l’horreur intérieure, le regard lointain, vers un monde inhumain.

    Elle serre délicatement la tête immobile contre sa poitrine.

    « On va te laver un peu, Christian, tu es en nage. »

    Il pleure, il ne bouge plus, il la fixe, comme un point d’ancrage contre le courant mortel.

    « On est là, Christian, on est avec toi. »

    Ce regard halluciné. Comment pourrait-il l’oublier ? Combien de fois il a revu en lui ces yeux torturés, le reflet de l’enfer ? Dans quel chaos Christian avait-il été jeté ? Il imaginait des champs de batailles jonchés de cadavres mutilés.

    « Charlotte …

    Oui, Yoann ? »

    Il doit se libérer, expulser par les mots partagés ce venin létal, se purifier, extraire de son esprit cet envahissement barbare.

    «  Elle était là.

    -- Qui ça ? »

    Silence. Les mots comme des glaires dans sa gorge.

    «  La mort … La mort Charlotte. Je l’ai sentie. Elle était là. »

    Elle le regarde. Il est au bout du lit. Il a les mains serrées sur les montants métalliques, les avant-bras qui tremblent.

    « Je reviens, Christian. »

    Elle s’approche, elle l’enlace, le serre contre sa poitrine.

    « Je m’étais endormi. Elle était dans mon rêve mais je n’arrivais pas à sortir, je n’arrivais pas à me réveiller, c’était affreux, tu sais comme quand tu tombes et que tu n’arrives pas à ouvrir les yeux … Mais là, c’était pire. J’étouffais. Pourquoi est-ce que, moi, j’étouffais alors que c’est Christian qui partait ? J’ai l’impression que la mort voulait m’empêcher de l’entendre. Tu te rends compte, elle a essayé de le prendre et elle est venue dans mon rêve pour faire son sale boulot. Putain, je la hais !

    - C’était un rêve Yoann. Ne crois pas tout ça. Tu es juste très fatigué, tu es toujours sous tension, c’est normal que tu fasses des cauchemars. Ne t’inquiète pas, ça va aller maintenant. Christian va dormir et tu dois te reposer. Tu sais, les cauchemars de Christian, c’est un bon signe aussi même si c’est effrayant à voir. Son cerveau fonctionne, il a des réactions, une vie profonde. C’est pour ça aussi que maintenant on peut augmenter les doses de calmant. On ne pouvait pas prendre ce risque avant. Je vais chercher de l’eau et un gant, on va le laver un peu et changer ses draps, ils sont trempés. »

    La mort était là, il le sait, ça n’était pas qu’un cauchemar.

     

     

  • La confiance

    Un échange sur Facebook à propos de la promotion des livres.

     

    "Il faut laisser faire ce que l'on ne maitrise pas .;. plus on cherche à se vendre, moins cela marche .. Faire confiance . Comme te dirait un ami écrivain, "pourquoi as tu écrit ce livre ?" … le sens de ton action trouvera en face les justes personnes. Chacun de nous est une goutte d'eau mais même si tu touches 100 personnes, ce sera toujours 100 personnes sur la masse. Et il vaut mieux 100 personnes au fur et a mesure du temps, qui lisent et intégrent le contenu que 5000 qui laissent ton livre sur un rayonnage …. Fais confiance !

    --  La confiance est un état intérieur auquel j'ai longuement réfléchi... Je la vois comme une droite tracée au sol, je suis au point A, je vise le point B, chaque pas est de ma responsabilité et doit être parfaitement exécuté. C'est à dire que tout ce qui relève de mes possibilités doit être intégralement assuré, sans que rien ne soit laissé au hasard. C'est ce travail qui me permet d'atteindre le point B à partir duquel, les choses à venir ne sont plus de mon ressort. C'est à partir de là que je peux me laisser porter par la confiance. J'ai fait ce que j'avais à faire. La suite ne m'appartient pas.

    "Pourquoi as-tu écrit ce livre ? " Parce que c'était nécessaire, parce que c'est le moyen qui me permet d'approfondir ce que je porte, d'en analyser chaque élément. Ensuite, une fois que ce travail est fait et que je considère que je n'ai plus rien à y apporter, je tente de le partager en souhaitant simplement que ces mots fassent écho, qu'ils permettent à chacun et chacune de recevoir ce cheminement personnel comme une sorte d'invitation à explorer son propre espace intérieur. Par contre, il est de mon devoir de renvoyer l'ascenseur à la maison d'édition et par conséquent d’œuvrer au mieux à la promotion du livre ;) Je ne suis plus tout seul dans l'histoire. Il s'agit d'un partenariat. C'est comme ça que je vois les choses en tout cas. Et j'ai une infinie reconnaissance envers Anita Berchenko, l'éditrice. Donc, je vise le point B au-delà duquel, je pourrais me dire que j'aurai fait de mon mieux. Et qu'il me restera juste à nourrir la confiance, saisir les pensées positives, délaisser les autres."

  • Doléances des maires

    Interview de Sylvie Najotte, maire de Montigny-les-Vaucouleurs, un village perdu en Meuse.
     

    "Écoutez, à l’Association des maires de France, à l’Association des maires ruraux, cela fait des années que nous tirons la sonnette d'alarme ! Des doléances, nous n'avons cessé d'en remettre aux pouvoirs successifs, les cartons de nos contributions pourraient remplir cette pièce… L'inégalité de gestion des territoires, la bêtise du 80 km/h sur les routes, le n'importe quoi de la taxe d'habitation, les précarités sociales, tout cela a été dit. Auparavant, nous n'étions pas soutenus et peu écoutés ; maintenant, nous ne sommes même plus respectés.

    Aujourd'hui, nos concitoyens veulent passer à l'action. Très bien. Les réponses doivent être faites par ce pouvoir et on nous dit « il faut venir en relais pour expliquer notre politique ». C'est non. Ce n'est pas à moi de sauver le gouvernement. Rendez-vous compte : on ne sait toujours pas comment va être compensée la suppression partielle de la taxe d'habitation, qui est quasiment la seule ressource des petites communes. Si les maires ont un rôle à jouer, c'est de désamorcer les situations violentes, de faire baisser la tension, de calmer."

    - La mobilisation des gilets jaunes reste très forte dans la Meuse. Comment sortir de ce conflit ?
    "Oui, c'est un mouvement très suivi. La Meuse est un département pauvre comme Job et il y a une vraie sincérité dans ce mouvement. Personnellement, je trouve que c'est un mouvement extraordinaire, il pose les bonnes questions. Le réduire à un mouvement de féroces, c'est une provocation supplémentaire, même s'il faut toujours condamner les violences. Mais quand le premier ministre, la semaine dernière, intervient à la télé et ne parle que de violences, c'est une folie ! Ces gens ne lâcheront rien et n'accepteront pas les violences policières.
    Que fait ce pouvoir ? Affaiblir les communes, diminuer le nombre de conseillers municipaux, forcer aux regroupements et aux intercommunalités. Les gens n'y comprennent plus rien, on mélange tout. La commune, c'est le premier niveau de la citoyenneté, c'est là qu'on apprend la démocratie de proximité, le contrôle des élus, ce que demandent justement les gilets jaunes. L’État fait du populisme en s'attaquant aux élus, en piétinant la ruralité, en voulant diminuer le nombre de parlementaires, il crée un chaos. Et voilà même qu'il nous ressort la mesure d'un contrôle accru des chômeurs : mais c'est cela, le populisme ! "

    -- Et que diriez-vous au préfet de la Meuse, s'il venait à vous téléphoner ou à vous rencontrer ?
    "Que les gens ne comprennent plus rien à l'organisation territoriale, à la fiscalité, aux prestations sociales. Ils sont complètement perdus et savent seulement qu'ils sont les victimes de tours de bonneteau entre taxes et impôts. Macron n'a pas été élu sur son programme, il a été élu face à Marine Le Pen. Il faut reconstruire de la citoyenneté et il faut écouter les acteurs locaux. J'avais réussi à décrocher un emploi aidé de 20 heures par semaine. Nous l'avons perdu. Ce ressenti type « les petits, fermez-la » est largement partagé. Il faut arrêter de concentrer tous les moyens sur les métropoles et mailler le territoire, donc rendre solidaires les gens. Et il faut arrêter d'humilier les gens."

  • Amazon

    Même si dans le post précédent, je présente ma page auteur sur le site d'Amazon, je ne cautionne nullement les pratiques de cette entreprise.

    Seulement, je n'ai pas le choix. 

    J'ai écrit à cinq librairies du secteur pour me présenter et présenter mes romans : aucune n'a répondu. 

    J'ai contacté deux journalistes locaux. La première personne est venue à la maison après avoir lu "Les héros sont tous morts". C'était en septembre. L'article qu'elle a écrit n'est jamais paru et je n'ai plus aucune réponse à mes mails. J'ai donc contacté un deuxième journaliste qui m'a dit que ça l'intéressait. Je lui ai proposé plusieurs dates pour venir à la maison et je n'ai plus eu de réponse. 

    Il y a un moment où l'impression de devoir ramper pour être entendu devient très pénible. 

     

    Si par contre, j'envoie un mail à Amazon pour modifier ma page "auteur", ils me répondent dans la journée.

    Comment je m'en sors pour me passer d'eux ?...

    C'est impossible et je ne l'ai pas choisi. 

    Je le subis.

    Amazon, vendeur de destruction massive

     

    En 2018, le géant du commerce en ligne aurait détruit 3,2 millions de produits invendus en France, selon les estimations de la CGT. Un documentaire choc diffusé ce soir sur M6.

    Par Catherine Pacary Publié le 11 janvier 2019 à 17h06 - Mis à jour le 13 janvier 2019 à 18h03

    Temps deLecture 2 min.

    « Pour tenir ses délais de livraison, clé de son succès, Amazon stocke les produits dans ses entrepôts. Le seul problème, ce sont les invendus. » « Pour tenir ses délais de livraison, clé de son succès, Amazon stocke les produits dans ses entrepôts. Le seul problème, ce sont les invendus. » LUCAS JACKSON / REUTERS

    M6, dimanche 13 janvier à 21 heures, enquête

    Au rayon des aberrations commerciales, on connaissait déjà le gaspillage alimentaire ou encore l’obsolescence programmée, deux thèmes abordés dans Capital, le magazine d’information de M6, dimanche 13 janvier à 21 heures. Le sujet d’ouverture, en revanche, est inédit : Amazon organise la destruction massive de ses invendus. Près de 300 000 objets neufs ont été jetés en trois mois dans son entrepôt de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), le plus petit des cinq établis en France par le géant de la vente en ligne – les autres sont à Montélimar (Drôme), Orléans, Amiens et Lille. Au niveau national, cela représente 3,2 millions d’objets manufacturés neufs jetés en 2018, selon les estimations d’élus CGT.

    Des boîtes de Playmobil, vendues 36 euros sur le site, de Lego, de couches (31 euros), des machines à pop-corn, le tout dans leurs emballages d’origine, mis à la poubelle. Les chiffres sont à la démesure d’Amazon, devenue, lundi 7 janvier, l’entreprise la plus chère du monde : 300 millions de produits disponibles, 34 millions d’objets vendus par jour.

    Lire aussi  Amazon devient l’entreprise privée la plus chère au monde

    Guillaume Cahour, arrivé à Capital en septembre 2018, a mené l’enquête. Tout est parti d’un on-dit, signalé par Alma Dufour, membre des Amis de la Terre, en octobre 2018. Amazon détruirait des produits neufs… Après vérification, l’entreprise est contactée mais refuse de répondre. Deux anciens témoignent alors, dont Julie (à visage caché). « De 70 % à 80 % de ce qu’on jetait était vendable »,dit-elle.

    Il manque la preuve par l’image. Un membre de l’équipe de Capitalva donc de se faire embaucher dans l’entrepôt de Chalon-sur-Saône. Un procédé journalistique – l’infiltration – discuté. « Je m’accorde ce procédé, soit quand on est certain d’avoir affaire à quelqu’un de malhonnête, soit si l’accès direct est impossible ou si l’on sait que l’on aura une démonstration totalement biaisée si on vient en caméra ouverte, répond Guillaume Cahour. Ce qui était ici mon cas. »

    En cause, la politique de stockage

    En caméra cachée, donc, la cellule V-Return, pour Vendor Return, est localisée. Les différentes étapes de la chaîne de destruction se précisent. Amazon ne vend pas ses produits, ou peu, mais ceux de ses vendeurs. Et pour tenir ses délais de livraison, clé de son succès, elle stocke leurs produits dans ses entrepôts. Le seul problème, ce sont les invendus. « Seules deux options sont offertes aux vendeurs : récupérer la marchandise ou la détruire », complète Guillaume Cahour.

    Le système de facturation du stockage d’Amazon dissuade les vendeurs de rapatrier leurs invendus

    Amazon a, en effet, mis en place un système de facturation du stockage tel (26 euros/m3 au départ, 500 euros/m3après six mois, 1 000 euros/m3 après un an) qu’il dissuade la quasi-totalité des vendeurs, implantés à une écrasante majorité en Chine, de rapatrier leur marchandise. D’un simple clic et pour un coût dérisoire, ils ordonnent donc en masse à Amazon de la détruire. Ce qui permet à Amazon de récuser toute responsabilité dans ce gâchis.

    « Le système Amazon amplifie la surproduction, puisque son principe est de proposer une offre pléthorique, commente Guillaume Cahour.Je ne dis pas qu’acheter ou vendre sur Amazon est malEn revanche, vendeurs et acheteurs connaissent-ils les conditions ? Je pense que non. Ce reportage peut éveiller à une certaine forme de responsabilité. »

    De là à causer du tort au mastodonte ? « On a déjà lu un certain nombre d’éléments inquiétants à son sujet. Amazon aurait précipité des entreprises à la faillite, aurait pratiqué l’optimisation fiscale et la brutalité dans son management. Malgré tout, elle continue à progresser. C’est stupéfiant. »

  • "Écrivain, un métier"

    ECRIVAIN, UN METIER...

    ... Au fur et à mesure de mes déplacements dans des salons du livre ou par des mails de fans, je me suis rendu compte qu’être « écrivain » fait beaucoup fantasmer, et génère beaucoup de questions. D’innombrables personnes écrivent ou veulent le faire. Il me paraît intéressant de faire le point, à la lumière de mon expérience, puisque cela fait maintenant plus de trente ans que je suis publié avec quarante ouvrages à mon actif sous mon nom, une dizaine écrits sous pseudonymes, quelques autres en tant que « ghost writer » à mes débuts pour différentes personnalités. Sans compter plus d’une centaine d’anthologies thématiques en policier, fantastique et science-fiction ; et beaucoup de recueils de nouvelles d’auteurs les plus divers (Fredric Brown, Ross MacDonald, William Irish, Robert Bloch, Richard Matheson, etc.). Ainsi que la direction de nombreuses collections chez des éditeurs tels que Fleuve Noir, Encrage, Clancier-Guénaud ou, plus récemment, chez l’éditeur de poche Points avec « Points Crime ».

    Mais c’est sur mon activité d’auteur que je vais me pencher. Il faut savoir qu’en France, il est quasiment impossible de vivre de sa plume. Cela commence mal, me direz-vous. Oui, mais c’est la triste réalité. Bon an, mal an, on estime qu’environ 150 à 200 écrivains en vivent et n’exercent pas d’autre métier. Seuls une poignée gagnent très bien leur vie, Marc Lévy, Guillaume Musso, Amélie Nothomb, Maxime Chattam, Jean-Christophe Grangé, Franck Thilliez, etc., vous les connaissez tous. Ils signent tous des best-sellers. Ce n’est pas du tout mon cas, je n’ai jamais eu de « best-seller » à mon actif, je suis plutôt un « long-seller ». Mes livres vont continuer à se vendre sur une longue durée, voire sur plusieurs décennies, comme « Serial killers » chez Grasset dont la première édition est sortie en 1993 avec 288 pages. L’édition « définitive » est parue en juin 2014 et comporte 1 104 pages. La première édition a bénéficié d’une publication dans Le Livre de poche en 1995. En 1999, « Serial killers » a aussi été publié dans une version club dans « Le Grand livre du mois ». Il a été maintenant traduit dans une quinzaine de pays. Toutes éditions confondues, il s’est vendu à plus d’un million d’exemplaires en vingt-six ans. Mais c’est un livre que je ne céderai plus jamais à un éditeur de poche, même si je l’avais fait en 1995. A l’époque, j’avais également besoin de me faire connaître. 

    Evidemment, tous mes ouvrages ne connaissent pas un tel succès, même s’ils « marchent » bien. Ainsi « 999 ans de serial killers », à présent épuisé en grand format chez Ring, s’est vendu à près de 25 000 exemplaires et « Qui a tué le Dahlia Noir ? » a été réimprimé trois fois. Ces deux titres sont maintenant sortis en poche, début 2016, chez La Mécanique Générale. Chez Points, mes six titres, « Le Livre noir des serial killers », « Tueurs », « Profileuse », « Mes conversations avec les tueurs », « Le Livre rouge de Jack l’Eventreur » et « A chaque jour suffit son crime » se vendent tous très bien. Dans la collection, mon « best-seller » est « Le Livre noir des serial killers » qui atteint les 200 000 exemplaires et qui a été relooké avec trois couvertures différentes chez Points. Par contre, il faut savoir que l’économie pour un auteur en poche n’est pas l’atout majeur. Vous touchez 5% des droits, les autres 5% vont dans la poche de l’éditeur grand format d’origine du livre. Avec les retenues d’usage, vous touchez entre vingt et trente centimes d’euro par exemplaire vendu. Mais une sortie poche vous fait connaître et crédibilise vos ventes en grand format, car si la première sortie de l’ouvrage n’avait pas marché, aucun éditeur de poche ne l’aurait repris. Attention aussi à ne jamais publier tous vos ouvrages en poche, sinon vous vous tirez une balle dans le pied. Pour un écrivain, les ventes grand format représentent l’immense majorité de ses gains.

    Justement, parlons-en de ce sujet tabou des gains. Comme je l’ai dit, peu d’auteurs vivent de l’écriture : en France, on estime que c’est le cas pour 5 à 7% d’entre eux. Il paraît environ 250 titres différents tous les jours, qu’il s’agisse de littérature, de documents, de BD, de guides pratiques, de scolaire, de manuels, etc. Je reconnais que je fais partie de ces 5 à 7% qui en vivent à plein temps, sans avoir d’autre profession à côté. Par contre, je n’ai pas ou peu de retraite, ce qui m’oblige à travailler encore longtemps, n’ayant jamais été salarié. Mon métier d’écrivain et la spécificité de mes ouvrages font que je complète mes droits d’auteur par de très nombreuses conférences/débats/projections dans des bibliothèques municipales, centres culturels, médiathèques et des entreprises qui invitent leurs cadres et clients pour m’écouter discuter de mon travail autour des tueurs en série. Ces conférences sont rétribuées, ce qui n’est pas le cas pour celles que je fais dans des salons du livre en France et à l’étranger ; il en est de même pour les librairies où c’est presque toujours gratuit. En 2014, j’ai effectué 114 déplacements pour de telles conférences. En 2015, j’ai dépassé les cent voyages. Ces vingt-cinq dernières années, je dois approcher (ou dépasser) les deux mille conférences. C’est quelque chose que j’adore faire, j’aime le contact, répondre aux questions, même si cela représente une certaine fatigue. Lorsque vous avez répondu à des dizaines de questions pendant plusieurs heures, les voix tournent dans votre tête et il est souvent difficile (pour moi) de m’endormir. Parfois, vous êtes aussi dans des villes peu attrayantes et lorsque vous rentrez seul dans votre chambre d’hôtel en province, il y a quelquefois des « coups de blues ». Voilà pourquoi je prends toujours un grand plaisir à rencontrer les « vrais visages » des fans. Il y en a toujours au moins quelques-unes (surtout des femmes) à chacun de mes déplacements. Certaines sont même devenues des amies au fur et à mesure de ces rencontres. 

    Lorsque vous êtes publié, l’éditeur va vous verser un à-valoir, ce qui se pratique de plus en plus rarement car le secteur du livre est en crise, environ 2 à 3% de ventes en moins d’année en année. Cet à-valoir vous est versé en deux ou trois fois (à la signature du contrat, à la remise du manuscrit, à la publication de l’ouvrage) et vous le gardez, même si vos ventes ne dépassent pas cette somme. Cela peut aller de 1 000/1 500 € pour un premier roman à plusieurs centaines de milliers, voire plus, pour les écrivains les plus vendeurs. Les miens s’échelonnent entre 10 et 25 000 €. Il peut y avoir des exceptions, pour « 999 ans de serial killers », j’ai, par exemple, renoncé à demander le moindre euro d’à-valoir, en échange d’un pourcentage sur les droits plus élevé que ce qui est pratiqué habituellement. Pourquoi ? Parce que j’ai cru au projet de David Serra et, parce qu’en 2012, il démarrait Ring, sa maison d’édition et qu’il ne disposait pas d’un budget conséquent au départ. Pari gagné en ce qui me concerne. Quant aux pourcentages, ils s’échelonnent en grand format entre 5% (ce qui est inacceptable) et tourne autour de 8 à 10% en général. Après, vous pouvez avoir des formules 10/12/14, suivant le palier de vos ventes : on vous augmente votre pourcentage si vous dépassez les 10 000 exemplaires de ventes, et ainsi de suite. En ce moment, mes pourcentages vont de 12 à 16% des ventes, ce qui est très bien. Je suis loin de quelques rares auteurs de « best-sellers » dont les pourcentages dépassent les 20%, mais ils se comptent sur les doigts des deux mains. Vous avez aussi quelques écrivains, qui font partie de jurys prestigieux, publiés dans les maisons autour de Saint-Germain-des-Prés, vont toucher des à-valoir et/ou pourcentages peu en rapport avec leurs ventes effectives.

    D’autres fois, vous êtes perdant comme cela a été le cas pour moi avec Edite et son patron, Jean-Christophe Pichon, que je considérais comme un « ami ». J’ai fait quatre ouvrages pour cet « éditeur » pour lequels j’ai reçu des chèques en bois et des traites impayées. C’était toujours, « je t’envoie ça d’ici quelques semaines, c’est juré », « un investisseur va entrer dans le capital »… Jusqu’au jour en 2013 où j’ai appris qu’il avait déposé le bilan en catimini. Il n’a même pas voulu me donner d’exemplaires gratuits de mes propres ouvrages lors de cette faillite. Bref, cet « ami qui me voulait du mal » m’a coûté plusieurs années de travail pour rien et, probablement, 30 à 40 000 € de pertes au bas mot. Une expérience démoralisante. Depuis, je traîne toujours ce manque à gagner. Fort heureusement, je suis très satisfait de mes relations avec mes éditeurs actuels, qu’il s’agisse de Ring, Grasset, Points, La Martinière, et, le tout dernier, La Mécanique Générale. Pourquoi d’ailleurs, un cinquième éditeur, me direz-vous ? Je reste très attaché et fidèle aux personnes que j’ai rencontrées. Chez Points, c’est Marie Leroy qui a crû en mes livres pour les sortir en poche en 2010. Logiquement, étant chez Grasset, au sein du groupe Hachette, c’est Le Livre de poche qui aurait dû m’éditer, mais ils ont trop hésité, du coup c’est Points qui a remporté le marché. Lorsque Marie Leroy m’a annoncé qu’en 2014, elle quittait Points pour diriger tout un pan – hormis les « beaux livres » - chez La Martinière, elle m’a demandé de lui écrire « La Bible du crime ». Elle changeait juste d’étage puisque Points, Le Seuil et La Martinière font partie du même groupe avec d’autres éditeurs. 

    Mon dernier ouvrage « L'Ogre des Ardennes » paru chez Grasset le 7 novembre dernier s'est déjà vendu à un peu plus de dix mille exemplaires et, d'ici juin 2019, je vais publier trois nouveaux livres chez deux nouveaux éditeurs pour lesquels je n'ai encore jamais travaillé. Il y a aussi la préparation d'une collection de trente BD sur les tueurs en série qui va paraître chez Glénat à partir de 2020. Premier album sur Ted Bundy.

    En 2019, écrire un livre ne suffit plus, loin de là. Je dirai que cela représente maintenant 50% du travail. Il faut savoir communiquer, « se vendre ». Cela, je l’ava is compris depuis longtemps. Je m’investis beaucoup dans cet aspect des choses. J’ai toujours insisté pour choisir les titres de mes ouvrages, avoir mon mot à dire pour les couvertures, écrire les quatrièmes au dos de mes livres. La seule fois où cela n’a pas été le cas, c’est avec « Les serial killers sont parmi nous » chez Albin-Michel. Je n’aime pas la couverture, ni le titre, ni le texte d’accroche. J’avais opté pour « Serial killers made in France ». Nous devions poursuivre avec d’autres titres déjà signés, mais j’ai préféré rembourser mes à-valoirs pour récupérer mes contrats. Chez Ring, à un moment donné, les représentants ont insisté pour utiliser un fond beige crème avec « Qui a tué le Dahlia Noir ? » et je sentais que mon éditeur devenait indécis. J’ai alors beaucoup insisté pour garder ce jaune acidulé qui était notre choix de départ à David Serra et à moi-même. Et je ne peux que m’en féliciter. Pour « La Bible du crime », il y a eu des discussions au sujet de la couverture et du titre. Je trouvais que le premier projet de couverture était banal, avec un titre plébiscité par les représentants, « A chaque jour son crime », et que je détestais. J’avais choisi « Bible de sang » (pas « La Bible de sang ») ; finalement, nous avons opté d’un commun accord pour « La Bible du crime », en ces temps d’intégrismes religieux, même si j’estime que mon premier choix est plus fort. La sortie poche chez Points de « La Bible du ctime » s'est faite en 2016 sous une nouvelle appellation, « A chaque jour son crime ».

    Comme je l’ai dit, il faut savoir communiquer, « se vendre » auprès des médias, faire du « storytelling », avoir une personnalité ou un métier particulier qui fascine. J’ai (un peu) un avantage sur les autres, c’est que je suis pratiquement le seul dans mon créneau depuis que j’ai commencé il y a plusieurs décennies. Et il ne faut jamais oublier que nous vivons dans un monde où tout est très vite oublié, Internet étant passé par là. Je ne me suis jamais endormi sur mes lauriers. A côté de mes livres, j’ai beaucoup fait de reportages, documentaires et émissions pour la télévision, sorti des DVD, créé mon site Web en 2003 avant de le suspendre fin 2015 pour utiliser Facebook. Je n’oublie jamais que c’est grâce à vous, lectrices et lecteurs, fans, que mes livres remportent un certain succès. Voilà pourquoi je continuerai toujours à rester accessible, à répondre, le plus souvent, à vos demandes et sollicitations par mails ou lors de nos (trop brèves) rencontres dans des salons ou pour des conférences. Je vous suis très redevable et je ne l’oublie jamais. Merci à vous toutes et à vous tous.

    Stéphane Bourgoin

    Thierry Ledru 

    1 h · 

    "En 2019, écrire un livre ne suffit plus, loin de là. Je dirai que cela représente maintenant 50% du travail. Il faut savoir communiquer, « se vendre ». 


    Un article très intéressant sur la problématique de l'auteur. Personnellement, j'essaie de faire au mieux au regard de cette indispensable promotion. J'ai envoyé quatre exemplaires de "Kundalini" à des revues ou personnalités. Aucune réponse... J'arrête les frais. Il ne me reste que mon blog et les réseaux sociaux pour faire connaître mes écrits et je sais que sans le soutien des lecteurs et lectrices, c'est une goutte d'eau lancée dans un océan si vaste que les ondes générées par cette goutte qui tombe s'effacent en quelques minutes. Si je regarde sur Amazon les pages des auteurs cités dans cet article, je lis des commentaires de journalistes travaillant dans des grands journaux, revues, et sites divers : 200, 300, 400 commentaires sur Amazon, des pages Facebook comptant des milliers de fans...Je ne suis rien là-dedans, je n'existe même pas. Il n'y a donc que les lecteurs et lectrices qui peuvent changer cela. Un commentaire laissé sur ma page Amazon suffit à faire "remonter" le livre dans les compteurs des algorithmes et à amplifier la visibilité dans les moteurs de recherche. Les avis des lecteurs sont très importants dans la décision d'un achat et pas que dans le domaine du livre d'ailleurs. 
    Je n'aime pas vraiment lancer ce genre "d'appel", ça me met mal à l'aise. Je le fais aussi pour la maison d'édition qui me publie. Par reconnaissance. Peu de gens ont idée de la difficulté à être publié et je mesure tous les jours la chance qui est la mienne désormais en voyant mes cinq romans sur l'étagère de la bibliothèque.

     Ma page "auteur" sur Amazon

    Thierry Ledru

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    1. Kundalini: L'étreinte des âmes

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  • Black out en France

    Black out évité de justesse.
    Que ceux et celles qui étaient au courant (lol, le jeu de mots) lèvent le doigt....
    Personnellement, ça m'amuse quelque peu cette histoire. D'abord, parce que ça fait quelque temps que je m'intéresse au sujet ( cf écriture de la trilogie en cours) et deuxièmement parce que personne n'est capable d'identifier la raison de ce problème...

    On n'était pas dans une période de grand froid (chauffage électrique) ni bien entendu dans une période de canicule (climatisation).

    Non, c'est juste que les interactions entre les différents pays européens fragilisent considérablement le réseau électrique et qu'il est extrêmement difficile de mettre le doigt sur les causes de ce risque de black out (panne électrique généralisée). Juste pour dire qu'il est judicieux d'avoir un stock important de bougies et de piles chez soi....

    Bon, par contre, ça m'inquiète un peu quand même parce que je n'ai pas commencé à écrire le tome de 3 et que ça m'embêterait un peu qu'au lieu que ça soit un roman d'anticipation, ça devienne un roman historique...

     

    Réseau électriqueComment la France a frôlé le black-out national jeudi dernier

     

    Il s’en est fallu de peu, jeudi dernier. La France a frôlé la panne générale d’électricité, la faute à une sous-tension sur le réseau électrique. À tel point que RTE, le Réseau transport d’électricité a dû faire appel aux industriels qui le pouvaient pour réduire leur consommation sur le champ, à 21 h jeudi soir…

    LA VDN | 

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    La France a frôlé la panne générale d’électricité, la faute à une sous tension sur le réseau électrique. PHOTO archives MATTHIEU BOTTE LA VOIX DU NORD

    La France a frôlé la panne générale d’électricité, la faute à une sous tension sur le réseau électrique. PHOTO archives MATTHIEU BOTTE LA VOIX DU NORD - VDNPQR

       

    Le soir du 10 janvier, on aurait pu tous finir à la bougie. Il s’en est fallu de peu. C’est la Commission de régulation de l’énergie (CRE) qui en a fait part dans un communiqué. « Le 10 janvier vers 21h, la fréquence du système électrique français et européen est passée très en dessous de 50 Hz. Or, quand la fréquence s’écarte trop de ce niveau, le système électrique pourrait connaître des coupures importantes, voire un «black-out »  ».

    Sur le coup, RTE fait appel à tous les industriels qui le pouvaient pour qu’ils réduisent immédiatement leur consommation, pour faire remonter la fréquence sur le réseau. Ce qu’ils ont fait. Ils en sont aujourd’hui remerciés. « La CRE se félicite de la bonne réponse des industriels interruptibles à la sollicitation de RTE : grâce à leur réactivité, ils ont contribué à assurer la sécurité d’alimentation en électricité en France, et plus largement en Europe. »

    Reste à trouver ce qui a bien pu causer cette baisse de tension, car jeudi soir, il ne faisait pas particulièrement très froid en France. Cette forte baisse de la fréquence du système électrique s’explique lorsqu’il y a un fort déséquilibre sur le réseau, quand la demande dépasse largement l’offre, c’est-à-dire que les capacités du réseau électrique se montrent insuffisantes pour couvrir les besoins des Français, à ce moment-là. En 2017, la pointe la plus importante, dans la région, a été enregistrée le 18 janvier, avec 9 103 megawatt-heure.

    « La CRE demande à RTE de travailler avec ses homologues européens pour identifier les causes de cet événement et proposer des mesures correctives. », informe le communiqué.