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  • La Porte

    389780-2486605694687-1539008410-2552930-1412825694-n-3.jpgIl n'y a pas de Porte parce que nous sommes déjà à l'intérieur.

    Il n'y a rien à chercher parce que tout est déjà là.

    Il convient par contre d'explorer ce que la Vie propose et de cartographier l'espace.

    Je n'aime pas cette idée incluse dans l'image que toute cette "recherche" passe par des "Centres" de formation ou que l'attitude bouddhiste, Zen et autres philosophies orientales est LA voie à emprunter.

    Il n'y a pas de voie unique mais une multitude infinie de voies personnelles.

    Dès lors que nous pensons devoir adhérer à une Voie rapportée, nous ne sommes plus à l'intérieur de notre espace mais en dehors.

    J'ai lu des textes bouddhistes, j'ai lu Krishnamurti, Aurobindo, Prajnanpad, Vivekananda, Jung, Maslow, Kübler Ross, Tolle, Jean Klein, et beaucoup d'autres. Je ne suis pas pour autant devenu Krishnamurti, Aurobindo ou n'importe lequel d'entre eux. Je ne suis pas non plus bouddhiste. Aucun de ces espaces n'est le mien. 

    J'ai tenté de comprendre ces espaces par rapport à mes conditions de vie et de m'en servir. Il n'était pas question de répudier ce que je suis pour tenter de devenir quelqu'un d'autre. Il n' y a pas en moi un individu spirituel et un individu matérialiste, un individu éveillé et un individu borné. Il n'y a que moi et cet espace gigantesque que je me dois de cartographier. Personne d'autre ne peut le faire. Ca ne serait sinon que son interprétation de mon espace et non le mien.

    Il n'y a pas de Porte à pousser. Ni une bonne âme pour me dire ce qu'il y a à l'intérieur.

    Il y a dans les démarches spirituelles rapportées un risque de culpabilisation de l'individu qui se doit d'être honteux de ne pas avoir encore trouvé la porte alors que le sage bouddhiste baigne dans la félicité. La félicité de qui ? De celle de son Maître à penser ? Quel intérêt ? On est dans le même fonctionnement d'assistanat que celui prôné par les sociétés matérialistes.

     

    J'ai longtemps erré à l'intérieur de moi. Il reste encore des Terra Incognita. Je n'en viendrai peut-être jamais à bout tant cette exploration est redoutable. Mais je préfère errer que d'être guidé et pris en charge. 

    Qui serais-je si je n'avais plus aucune estime de moi ? Un fidèle récitant des mantras dans un ashram ? Ou lisant l'Evangile ?

    Bien sûr que toutes mes lectures m'ont transformé, bien sûr que tous ces individus ont laissé en moi des empreintes, bien sûr qu'ils m'ont considérablement aidé mais aucun d'entre eux ne m'a "sorti" de moi. C'est impossible. Il n'y a jamais eu de Porte à pousser. Ni dans un sens, ni dans l'autre. Je suis toujours à l'intérieur parce qu'il est impossible qu'il en soit autrement. Je sais que j'ai des moments de faiblesse et je ne les renie pas. Je ne me considère pas comme un être mauvais parce que je ne parviens pas constamment à maintenir l'observation de cet espace intérieur. Je ne veux pas de la robe du Sage. C'est la sienne, c'est son costume. Je connais mes oripeaux et je m'y sens bien. Ce sont les miens. 

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  • Jarwal et Jackmor

     

     

     

    Le lever du soleil sur les montagnes...

    Une telle douceur.

    Et Jarwal qui court dans les montagnes de Colombie.

     


     

    Tome 3

    Les hommes de Jackmor travaillaient sans relâche. La brèche dans le mur végétal s’élargissait inexorablement mais la résistance des troncs les sidérait. Ils devaient affûter les lames des haches régulièrement comme s’ils avaient cogné pendant des heures sur des roches.

    Jackmor restait en retrait et aucun de ses hommes n’osait même le regarder. Tous sentaient bien que le regard sombre de leur chef interdisait la moindre parole. Une colère immense qu’ils devinaient dans la raideur de son visage émacié, les mâchoires serrées, les muscles bandés de ses bras.

     

    Il regrettait tellement cette invulnérabilité. Même s’il décidait de sauter dans le vide, du haut du ravin, de tomber dans le flot intraitable du torrent, de se laisser couler, de heurter des milliers de roches pendant des jours et des nuits de dérive dans le courant puissant, même s’il rêvait désormais de cette libération de la mort, il ne pouvait rien y faire. Il était irrémédiablement condamné à errer sans fin dans cette enveloppe indestructible, sans plus jamais accéder à d’autres connaissances. C’est ainsi que la Création l’avait décidé. La Mort était une bénédiction puisque l’existence puisait dans cette fin à venir le désir d’éveil, le goût du savoir, l’évolution et le progrès, la transformation jusqu’à la métamorphose. Il avait choisi de se priver de la Mort et il avait quitté aussitôt le chemin de la Vie. Une erreur effroyable qu’il ne pouvait plus réparer. Cette brûlure dans son âme, comme une pénitence éternelle, une souffrance infligée dont il ne pouvait plus s’extraire. Une condamnation alors qu’il avait souhaité se libérer de la sentence de la Mort.

    Il devait retrouver Jarwal. Il était certainement le seul à pouvoir rompre cette chaîne. Et il lui était simultanément insupportable d’envisager combattre le lutin en espérant que celui-ci l’emporte. Deux désirs antagonistes qui luttaient en lui.

    Il se leva pourtant et rejoignit la troupe. Il arracha une hache des mains d’un des soldats. Tous les hommes se figèrent et reculèrent d’un même mouvement. Une telle violence diffusée, ils sentaient des odeurs âcres, comme si leur chef diffusait des relents de cadavres, que la Faucheuse virevoltait follement autour de lui et cherchait à l’envoûter.

    Jackmor arma son geste et frappa le tronc avec une violence inimaginable, des éclats de bois jaillirent, les coups s’enchaînèrent avec une vitesse stupéfiante, le fût vibrant jusqu’à la cime. Jackmor ahanait à chaque frappe, un cri de rage, comme un combat contre un ennemi bien différent que ces arbres inertes.

    Les hommes reculèrent encore de quelques pas. L’impression d’être aspirés par cette haine qui irradiait de leur chef. Certains éprouvaient une pitié qui les gênait, d’autres une simple terreur, d’autres encore la certitude que cet être incompréhensible n’était pas des leurs, qu’il venait d’ailleurs, d’une autre dimension, que la magie en était la source et qu’ils devaient se méfier de lui pour ne pas être emportés dans un monde inhumain.

    Il ne fallut pas bien longtemps pour que le tronc s’écroule.

    Jackmor n’eut aucun regard pour les hommes qui s’enfuirent à toutes jambes lorsque l’arbre bascula. Il se cala contre la falaise en résistant difficilement à l’envie de se placer dans l’axe de la chute. Sachant très bien que le choc ne suffirait pas à le libérer. Rien d’extérieur ne pouvait l’anéantir et rien, intérieurement, ne lui était offert pour pallier à cette geôle d'une vie sans fin.

    Il attaqua aussitôt le tronc suivant. Avec une rage folle.

     

    Il devait retrouver Jarwal.

     

     

    Les renforts autour du camp des Kogis s’érigèrent toute la journée. Des trous furent creusés et garnis de pieux, des lacis de branches épineuses furent assemblés autour de l’enceinte, des murailles végétales dont les pointes étaient dures comme de la pierre, aucun animal n’aurait pu les franchir sans s’y déchirer la peau, des murets de pierres plates offraient de multiples refuges et cachaient des réserves de lances, des bois durcis au feu, des machettes et des pics en fer, ceux qui servaient à l’extraction de cet or convoité. Tout ce qui pouvait servir à la lutte était rassemblé.

    Quelques Anciens furent chargés d’entraîner les hommes au combat. C’est là que Jarwal comprit que les Kogis n’avaient aucune chance. Toutes les protections, toutes les armes, tout ce travail de préparation serait vain. Pour une seule raison : Les Kogis ne portaient pas en eux la folie nécessaire à un combat. Leur maladresse était criante, ce manque d’énergie et de violence nécessaires, cette absence de haine et de convoitise, cette incapacité à voir en l’autre un ennemi à abattre, cet espoir si visible qu’il était encore envisageable d’échapper à ce ruissellement du sang, à cette offense envers la vie, cette trahison au regard de leur amour inconditionnel et constant, cette idée que certains hommes pouvaient être tués au nom des autres. C’était si éloigné de tout ce qu’ils vénéraient.

     

     

    Ils n’avaient aucune chance de survivre à un combat.

    Et lui ne possédait pas de pouvoirs suffisants pour lutter contre une armée entière avec Jackmor à leur tête.

    Il observait Kalén manipuler une lance avec application et mimer un combat illusoire lorsqu’il entendit parler en lui.

    Il écarquilla les yeux avec un sursaut de tout le corps, un choc inconnu, comme s’il cherchait à voir en lui et à dénicher l’intrus caché dans un recoin.

     

    « Le mal a toujours une faille. »

     

    Une phrase clairement énoncée, une voix inconnue, juste un murmure.

     

    « Et tes graines peuvent porter la vie au cœur du mal. » 

     

    Il reprit difficilement son souffle et écouta attentivement la voix monocorde qui répétait inlassablement son message.

    Une révélation soudaine.

    Kalén lui avait expliqué le mystère. Izel était revenu. Ou n’était jamais parti. Juste un changement de support, une autre forme de la Création.

     

    Il courut vers Kalén et l’entraîna à l’écart du groupe. Une immense euphorie en lui. Izel lui avait donné la solution.

     

    « Kalén, je sais comment il est possible de se libérer des Conquistadors.

    -Nous allons les combattre, intervint le jeune homme.

    -Même si vous êtes résolus à préserver votre liberté et que je reconnais votre courage, il ne faut pas en faire une folie Kalén. Les Conquistadors sont des hommes de guerre et vous, les Kogis, vous êtes des hommes d’amour. Il est impossible de combattre le Mal par le Mal. Il vous faudrait devenir pire encore que ces hommes et même si vous emportiez ce combat, les dégâts spirituels, les traces laissées par cette lutte, cette cassure effroyable dans votre harmonie, ton peuple en subirait les conséquences pendant très longtemps. On n’efface pas le sang même quand la terre l’a bu. Il continuera à couler en chacun de vous et il étouffera pendant des siècles votre amour de la Vie. »

     

    Kalén fut troublé par la détermination du lutin.

    « Quelle est ton idée Jarwal ? demanda-t-il.

    -C’est une parole d’Izel qui m’a donné la solution. Je vais avoir besoin de ton aide. Et de celle d’Izel aussi. »

     

    Un sourire sur le visage du jeune homme. Comme un espoir qui se dresse et nourrit la source des forces. 

     

     

    Jackmor avait créé une brèche. A lui tout seul, avec une énergie inusable, comme si sa vie en dépendait et qu’il y avait une urgence absolue. Aucun de ses hommes n’aurait pu imaginer que c’est sa mort qu’il espérait et qu’il ne supportait plus aucun délai.

     

    La troupe s’était glissée dans l’ouverture et avait repris sa progression à la tombée du jour. Un dernier campement à installer avant de fondre sur les Kogis et d’entamer le dernier combat. Jackmor ne pensait absolument plus à cet or vénéré et n’envisageait rien d’autre que sa disparition, sa libération et la quête d’une autre enveloppe terrestre, une incarnation mortelle, simplement mortelle mais disposant dès lors de l’accumulation possible des connaissances et de ce projet flamboyant de la puissance du savoir. Une exploration bien plus fascinante que cette errance désespérante de l’immortalité figée.

    Les Dieux, finalement, n’étaient pas enviables. Ils ne seraient jamais que des entités enfermées dans leur fixité acquise. Ce qu’ils savaient était constant mais en ignorant l’insatisfaction, ils se privaient de toute évolution. Le statut d’humain était bien plus passionnant. La mort était un tremplin à chaque jour.

    Il s’était trompé en choisissant l’immortalité des Dieux.

    Jarwal devait le libérer. Il était le seul à pourvoir le faire. Son pire ennemi comme un sauveur.

     

     

    Kalén et Jarwal s’étaient éloignés du village, ils avaient rejoint une falaise dans les hauteurs, une longue marche silencieuse qui avait rempli Jarwal de bonheur.

      La simplicité apaisante de ce corps en marche, il l’aimait tant. Cette absence de pensées intrusives quand l’énergie est concentrée dans la justesse du pas.

    Kalén avait montré la grotte et ils avaient escaladé quelques ressauts rocheux pour l’atteindre. Ils s’étaient glissés à l’intérieur de l’antre, s’enfonçant vers l’obscurité. Le jour tombait et la faible lumière suintant sur les parois humides les obligeait à écarquiller les yeux.

    Ils devinèrent simultanément les arabesques rapides de l’animal.

     

    Ils s’assirent côte à côte et observèrent sans un geste les volutes aériennes.

    L’animal se calma enfin et vint se suspendre au-dessus d’eux, légèrement en avant, de façon à ce qu’ils ne soient pas obligés de basculer la tête en arrière. Elle replia les ailes contre son corps et ils virent ses yeux. Deux fentes étroites irradiant des flux de soleil.

     

    « Oui, c’est tout à fait possible Jarwal. Je peux m’en occuper. »

     

    La voix était en lui.

    Izel lui parlait.

     

    «Je porterai les graines et je les lâcherai là où il convient. Tu peux compter sur moi. La Vie sera au cœur du Mal. »

     

    Jarwal sortit de la mozilla son petit sac de graines, il en posa quatre sur le sol, devant lui.

    La chauve-souris atterrit devant les deux compagnons. Elle logea les graines dans sa bouche et s’envola.  

     

    Elle sortit de la grotte et disparut.

     

    « Aie confiance en moi, mon fils. Je suis toujours là. »

     

    Kalén détourna la tête. Des larmes qu’il ne voulait pas montrer. Izel était toujours là mais pas comme le père qu’il aimait, ce père patient, attentif, respectueux.

    Les bras de son père.

    Il aurait tant aimé s’y blottir encore.  

     

    Ils rejoignirent le village, sans un mot. Jarwal devinait la tristesse de Kalén dans la lourdeur de son pas. Un silence dont le garçon avait besoin. Il souffrait de l’absence de son père et du poids immense de la survie de son peuple. Un héritage trop tôt survenu.

    Avant de rentrer dans le cercle des huttes, Jarwal arrêta le garçon par le bras.

     

    « Je sais que ton père te manque terriblement Kalén et je le comprends infiniment. Mais il est là, avec nous, auprès de nous. Je ne cherche pas à comprendre comment c’est possible. Mais tu dois ressentir avec ton âme qu’il continuera à te voir grandir et rien n’est plus important pour un père. N’arrête pas ton regard à la tristesse de ton cœur. Regarde plus loin. Izel est fier de tout ce que tu as déjà accompli. Il n’est pas venu en moi parce qu’il n’avait pas confiance en toi mais parce qu’il veut t’aider à préserver ton peuple. C’est lui qui m’a dit que je détenais la solution. »

     

    Les yeux tristes de Kalén. Et puis cette esquisse de sourire qui s’éveille, comme une déchirure dans le brouillard qui l’aveuglait.

     

    Jarwal expliqua le plan d’Izel. Kalén l’écouta attentivement.

     

    Ils rejoignirent la Nuhé. Jarwal se glissa aux côtés de Gwendoline. Il l’embrassa doucement sur le front. Elle dormait paisiblement.

     

    Demain Izel entrerait en action.

     

     

    Jackmor n’avait pas dormi de la nuit. Tout du moins, c’est l’impression qu’il en avait gardé. Un rêve étrange qui l’avait poursuivi. Un nuage noir, étrangement mobile, une menace qu’il ne savait définir, l’impression d’étouffer et d’être dévoré de l’intérieur.

    Les hommes attendaient ses ordres. Ils le suivaient des yeux quand il se levait. Ils l’avaient regardé se pencher au ras du sol et écouter ce que lui seul pouvait entendre. Il était monté sur le chemin comme s’il avait souhaité s’isoler puis il avait rejoint la troupe. Tous devinaient une tension extrême dans ce visage fermé.

    Chacun s’était occupé. Des armes à affûter, des habits à raccommoder, des projets à raconter, des histoires à inventer, ranimer le feu pour le repas chaud, repousser les frissons de la nuit, rêver d'un autre plat que ces maudits haricots rouges, des soirées de beuverie dans les tavernes des ports, ils rentreraient bientôt avec des richesses infinies.

     

    Il ne reviendrait pas sur sa décision. Il devait disparaître pour tout recommencer. Mais il ignorait pourtant si le lutin avait suffisamment de pouvoir pour le vaincre. Et cette incertitude le torturait plus que tout.    

    Bénir son pire ennemi quand il détient peut-être la libération de la mort. Il n’aurait jamais imaginé une telle issue.

  • "Donoma", le jour se lève

    OUEST FRANCE.

    samedi 26 novembre 2011

    Donoma, c'est le film événement à 150 €.

     

    Le Quimpérois Pierre-Emmanuel Le Goff a participé à cette aventure hors-norme.

    L'histoire

    En ces temps de crise, voilà de quoi regonfler les voiles. Un vent frais venu de nulle part. Ce remontant lumineux, c'est l'aventure du film Donoma réalisé avec... 150 € ! L'événement fait le buzz. Les critiques de la presse sont dithyrambiques. Et pour cause, c'est une sacrée claque flanquée à l'industrie du cinéma et au monde de l'argent roi.

    Donoma a été réalisé par un jeune réalisateur autodidacte fauché, Djinn Carrénard, né en Haïti. Pour trouver des comédiens, il a fait appel à ses amis. Ils ont joué gratuitement, répété dans un squat à Paris. « Chacun se pointait avec son casse-croûte, se déplaçait en transports en commun », raconte Djinn. Le matériel a été prêté. Une seule caméra, des micros-cravates... et roule ! « Les seuls effets spéciaux sont dans les dialogues », rigole le jeune homme.

    « Film à deux balles »

    Le Quimpérois Pierre-Emmanuel Le Goff a participé au projet. Avec sa société Commune image média, il est un des co-distributeurs. « Il y a deux ans, j'ai produit un court-métrage, Alice au pays s'émerveille. » Un film « à deux balles », déjà, avec... Emir Kusturica ! Pour trouver des financements, Pierre-Emmanuel et son acolyte, Cyril Cadars, se sont mis nus dans une vidéo, puis ont lancé cet appel sur Internet : « Habillez-nous ! » Résultat ? 42 659 € de souscriptions. « Djinn a vu ça. Et s'est senti conforté pour mener son projet. »

    Attaché autant à une éthique économique qu'à proposer une esthétique nouvelle, le jeune réalisateur a eu un coup de génie : faire de Donoma un film participatif. « Le montage a évolué en fonction des retours des spectateurs lors des projections. Les dernières touches ont été apportées juste avant la sortie le 23 novembre. »

    Luc Besson voulait le distribuer

    Restait à montrer cet ovni cinématographique. Là encore, c'est le système D... comme Donoma. Il est projeté dans des salles indépendantes, des universités, voyage dans des festivals, en France, Grèce, Canada, Corée... Vu son succès, des mastodontes, dont Luc Besson, ont proposé de le distribuer, « mais ils voulaient imposer un autre montage ». Djinn a refusé. « Il s'inscrit dans la ligne du cinéma guérilla (avec les réalisateurs indépendants Spike Lee, Jim Jarmusch, Melvin Van Peebles...), lâche Pierre-Emmanuel Le Goff. Un cinéma de l'énergie, qui refuse les processus classiques de financement, avec le risque de voir son projet récupéré et la nécessité de faire partie d'un sérail. » Donoma délivre un message nouveau : « Avec de la solidarité, de l'énergie, on arrive à soulever des montagnes. »

    Pour se faire connaître sans prendre les chemins habituels, l'équipe fait de la « promotion virale », ou comment prendre le système à son propre piège. Ils utilisent tous les recours du Web. Une communauté de 5 000 fans relaie le film sur Facebook. Un site Internet permet de faire des dons.

    David contre Goliath

    L'équipe a aussi embarqué les acteurs dans un bus et lancé le Donoma guérilla tour. Ils prennent les villes d'assaut, à la façon des Blues Brothers, avec mégaphone et distribution de flyers. Ils enchaînent les interviews (leurs messageries sont saturées). Ils investissent les salles en organisant concerts et ventes de Tee-shirt avant et après les projections. « Les exploitants n'ont jamais vu ça. On fait le grand écart entre les nouvelles technologies et les origines du cinéma, quand c'était un spectacle sous chapiteau qui débarquait dans les villes. »

    Ça ne suffit pas. Alors que Donoma est classé dans les cinq premiers films par la presse et les spectateurs, peu de salles acceptent encore de le distribuer. Deux seulement à Paris ! « C'est David contre Goliath. » Parions qu'ils vont gagner. Ah oui, au fait, Donoma, en sioux, veut dire « le jour se lève ». Il y a des aubes éclairantes, qui redonnent confiance en l'avenir.

     

    Yann-Armel HUET.

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  • NOIRCEUR DES CIMES : Une vie romancée.

    Mon frère était mort quand j'ai écrit "Noirceur des cimes. " Je venais de subir pour la troisième fois une paralysie provisoire de ma jambe gauche. Tout avait volé en éclat... Et ce que j'avais vécu, intérieurement, restait du domaine de l'indicible.

    Alors, j'ai écrit. Pour sortir de moi ce fardeau immense et cesser de regarder des ruines.

    Je réalise peu à peu tout ce que ce livre contient. Je suis immensément surpris de la force de cet inconscient. Il ne m'était pas possible encore de mettre clairement en forme les traumatismes passés. Je les ai romancés sans même en avoir conscience. Tous les personnages sont une part de mon vécu. Cette situation bloquée en altitude, ce survivant qui découvre une réalité ignorée et se demande s'il est justifié de redescendre, combien de fois je me suis posé ces questions...

     


    NOIRCEUR DES CIMES.

    Noirceur des cimes 4

     

    Il tremble. Il vient de se réveiller. Il s’était affaissé contre le pan de neige sur son côté droit. L’air glacé lance sur la peau de son visage des armées de piqûres. Il sort les bras du duvet, allume la lampe frontale et entreprend de faire chauffer de l’eau. Les mouvements déchirent le cocon fragile de tiédeurs qui l’enveloppait et les assauts du froid redoublent. Il connaît bien ce dilemme accablant qui oblige l’homme au bivouac à quitter l’immobilité dans laquelle il s’enfonce alors que le moindre geste est une douleur qui réveille l’inconfort de l’agitation. Il faut ancrer son esprit sur l’eau qui frémit, sur le courant brûlant qui va se répandre, sur les chaleurs à venir et refuser les tentations du repli sur soi. Accepter les luttes immédiates pour construire les futurs apaisements. Il a toujours vu dans cette situation délicate le parallèle à l’existence.    

    Il réalise soudainement à quel point l’acceptation de ce cheminement contient en lui-même les satisfactions essentielles. L’objectif a peu d’importance, ce n’est pas lui qu’il convient de viser car l’esprit se soumet dès lors à la menace de l’éventuelle déception, à la désillusion de l’intention manquée. Seule, la lutte a de l’importance. Car elle s’inscrit dans l’instant présent et ne comporte aucune projection mentale. Il conçoit à cette idée ne pas avoir vécu chaque pas comme un but atteint mais comme un passage et de s’être privé d’une bonne partie des bonheurs à vivre.

    C’est d’avoir rejeté l’engourdissement de l’esprit qui le réchauffe, la soupe ne sera qu’un supplément. Il admet également que l’objectif du camp de base n’est qu’un leurre et qu’il ne doit pas focaliser son attention sur cette issue totalement incertaine et se condamner dès lors à ne rien saisir. Ce qui le maintient en vie n’est pas la vision fabriquée de ce rivage habité mais la nage immédiate dans l’océan de compréhensions où il évolue.

    Tout ce qu’il perçoit le nourrit.

    Tout ce qu’il espère l’épuise.

    Il veut rejeter définitivement de son esprit l’horizon mouvant qui le trompe et se concentrer sur les paysages intérieurs.

    Le bien-être de son esprit dans le bain lumineux de l’aura ne le quitte pas malgré les tremblements de son corps. Il aimerait comprendre et réalise encore une fois, avec une force puissante, une lucidité totale qu’il ne s’agit pas d’une perception analysable par les critères habituels de la raison. S’il s’en tient à une vision réfléchie, il ne peut s’empêcher de limiter ce voyage à une hallucination nourrie par son épuisement mais simultanément lui reste le goût étrange et apaisant d’une autre version de la réalité, une porte entrouverte sur une conscience surhumaine. L’expression prétentieuse l’indispose dans un premier temps puis il accepte l’idée que dans notre état habituel nous n’exploitons pas le summum de notre potentiel. Limités par la dictature impitoyable de l’égo, nous renonçons à l’éveil de l’esprit et à la perception de l’Ame. Perdant aussitôt notre dimension réelle. Rien de surhumain dans cette conscience, juste la complète étendue des possibilités qui nous échappent. Nous ne sommes pas des humains mais des esquisses fragiles, des ébauches inabouties. Il perçoit dans cette idée toute la raison de ce passage terrestre.

    Nous devons apprendre à être ce qui est en nous.   

    L’envie puissante d’appeler Sandra le saisit. Il voudrait lui décrire l’espace dans lequel il est plongé, lui transmettre l’allégresse qui l’a envahi et ne le quitte plus. Il sent qu’il ne s’agit pas d’une prétention mais bien d’un don à émettre, d’un partage qui le tente. Pour une fois, il peut proposer à Sandra un voyage spirituel. Lui qui a toujours refusé de l’accompagner dans les mystères de l’âme, il serait cette fois un guide réel.

    Il prend la radio dans sa veste. Des chaleurs soudaines ruissellent dans son corps immobile. Aucune crainte ne se lève.

     

    « Allo, Sandra, ici, c’est Luc. A toi.»

    Grésillements…

    « Allo, Sandra, ici, c’est Luc. A toi.»

     

    Quelques secondes lui ont été nécessaires pour comprendre qu’il ne s’agissait pas d’un rêve mais bien de la voix de Luc. Envahie de frissons, elle a cherché fébrilement la radio dans la nuit, le souffle affolé, assaillie par la nausée d’un réveil brutal. Elle tremble en allumant la lampe.

    « Allo, Luc, c’est Sandra. A toi.»

    Elle a crié dans l’appareil en le serrant fermement des deux mains, les lèvres effleurant le métal froid.

    « Où es-tu ? A toi.

    -Je ne sais pas mais c’est beau. Je n’ai même pas froid. Je suis bien ici. »

    Elle ne lui connaît pas ces intonations de voix et ce débit trop lent. Elle a peur. Elle regarde rapidement le cadran de sa montre. Quatre heures cinq.

    « Comment c’est là-haut ? Quand est-ce que vous pensez arriver ? Est-ce que vous avez besoin d’aide ? A toi.»

    Un flot de questions l’assaille. Elle tente de se calmer mais cette voix étrange, détachée et presque réjouie l’inquiète. La clarté de la réception lui donne l’impression qu’il est tout près, qu’en sortant de la tente, elle pourrait le voir.

     

    « Je suis déjà arrivé. »

    Elle ne comprend rien à la réponse. Elle attend une suite mais il a relâché le bouton d’envoi sans le « à toi » d’usage. Elle sait qu’il n’est pas dans un état normal.

    « Luc, est-ce que ça va ? Et les autres ? A toi.

    -Moi, ça va. Les autres sont morts. »

    Silence.

    Si elle avait été debout, elle sait qu’elle serait tombée. Elle espère avoir mal compris.

    « Morts ?...Axel, Tanguy et Etienne sont morts ? A toi.

     -Oui, ils sont morts mais je ne suis pas seul, tu sais. Il y a du monde ici. »

    Silence. 

    « Qui est avec toi ? Que s’est-il passé ? A toi.»

    Elle ne parvient pas à y croire, des frissons glacés la révulsent, coulent dans son dos, cette voix presque inconnue la terrorise.

    « Je ne sais pas qui c’est mais ils m’ont parlé. C’était beau. Plein de lumière. »

    Elle voudrait qu’il explique ce qui est arrivé mais elle ne veut pas le torturer avec des récits insupportables, elle ne veut pas ajouter à sa détresse, ne pas l’enfoncer dans les délires qu’elle devine. Elle pense à Thomas, elle voudrait l’appeler, qu’il lance immédiatement des secours. Elle revoit Léa sur le quai de la gare.

    « Luc, il faut que tu descendes. Est-ce que tu peux le faire ? Il y a des grimpeurs ici qui peuvent monter vers toi.»

    Silence.

    Elle réalise qu’elle, non plus, n’a pas usé de l’expression habituelle annonçant la fin du message.

    « Je n’ai pas vraiment envie de descendre. »

    Silence.

    Elle sait qu’il n’a plus toute sa raison, qu’il a besoin d’aide. L’urgence de la situation l’affole, elle espérait un retour rapide en France, un dénouement heureux, une rupture sans heurts. Et il est en train de mourir. Elle cherche ses mots mais dans le tourbillon des pensées qui l’enivre aucune phrase ne lui vient.

    « Je suis bien ici. Les paysages sont magnifiques. »

    Quels paysages ? Il fait nuit, pense-t-elle. Elle serre la radio comme si elle tenait sa tête entre ses mains, elle voudrait l’arracher à sa folie, lui offrir ses regards comme des bouées salutaires, ranimer dans sa mémoire des souvenirs humains et le soustraire à l’emprise des illusions létales.

    « Luc, le jour va se lever, tu ne peux pas rester là-haut, tu vas mourir toi aussi si tu ne redescends pas. »

    Silence.

    « Et qu’est-ce que tu sais de la mort, Sandra ? Ce n’est pas ce que tu crois. En bas, je ne trouverai rien de plus beau qu’ici. »

    Elle cherche à comprendre ce qu’il a pu découvrir et l’idée surgit que la carapace est brisée, que le noyau est à l’air libre…Elle rejette cette vision d’un mouvement de tête. Elle se répète les derniers mots et la panique la saisit.

    « Luc, je ne sais pas ce que tu as vécu là-haut mais tu pourras continuer à y penser une fois redescendu. Si tu meurs, tout s’arrêtera. »

    Silence.

    « Arrête de croire, Sandra, que la mort est une fin. Pense à tout ce que tu as lu, à tout ce que tu m’as raconté. »

    Un amalgame de discussions interrompues surgit, des phrases sans réponses, des tentatives avortées de dialogues, des rejets méprisants. Qu’a-t-il pu y trouver ? Comment des mots ont-ils pu le mettre dans un tel état ?  

    « Luc, je vais prévenir des grimpeurs pour qu’ils viennent te chercher. Est-ce que tu sais un peu où tu es ? »

    Silence.

    « Oh, oui, je le sais… A l’intérieur. »

    Silence.

    « Et je n’ai pas envie d’en sortir. Je n’ai besoin de personne. »

    Elle ne sait plus quoi dire. La voix est si posée, si sereine, si fluide et si déterminée.

    « Et moi, Luc, qu’est-ce que je fais ? Je te laisse mourir sans rien faire. Comment je pourrais vivre avec ça ? C’est impossible. »

    Silence.

    « Je sais Sandra tout le mal que je t’ai fait et je te demande pardon. Tu n’as rien à te reprocher. Même si je redescendais, je ne m’imposerais plus à toi. Il faut que tu comprennes que nous ne sommes plus liés. Ne t’inquiète pas pour moi. Je vais très bien. Je te demande juste de reprendre ta liberté. De toute façon, ici, il neige encore et surtout le risque d’avalanche est énorme. Il ne faut pas que quelqu’un monte. Ce serait suicidaire. Et je ne le veux pas. A toi. »

    Elle sent finalement qu’il n’est pas fou. Il n’a même sans doute jamais été aussi lucide. Il maîtrise ses paroles et ses pensées. Il a dit « à toi. »

    « Je pensais te dire que je voulais te quitter, lance-t-elle. J’ai beaucoup réfléchi ici. »

    Silence.

    Les mots ont jailli sans qu’elle y pense, comme si la pression était devenue trop forte, comme si les paroles étaient animées d’une volonté insoumise, d’un désir irrépressible de s’échapper, qu’elles étaient cachées dans sa gorge attendant une faille pour surgir. Elle s’en veut  d’avoir été si directe. Dans un tel moment.

    « C’est très bien Sandra, j’en suis très heureux pour toi. Moi aussi, j’ai beaucoup pensé…Ou plutôt, j’ai enfin commencé à penser. Ca ne m’était jamais arrivé. Pas de cette façon. Je voulais te dire à quel point toutes tes paroles m’ont aidé. Tu m’as guidé. Je t’en remercie. A toi. »

    Elle est rassurée par sa réponse. La voix n’a pas varié. Le ton est toujours aussi doux, détaché, éthéré. Elle n’en revient pas. Elle a l’impression d’entendre un homme qu’elle ne connaît pas.

    «  Je ne sais pas Luc ce que tu as découvert mais je ne pense pas y avoir été pour grand-chose. J’ai toujours pensé que tu portais beaucoup plus que ce que tu voulais bien montrer.»

    Cette révélation le réjouit.

    « Luc, il faut que tu descendes. Pour toi. Tu ne dois pas disparaître maintenant. Je ne te poursuivrai pas. Tu seras libre. Tu ne dois pas gâcher ce que tu as découvert. Fais-le pour toi. »

    Silence.

    « Je n’ai pas envie de quitter Axel, Tanguy et Etienne. Ils sont ici. Je ne comprends pas encore ce qui est arrivé. Ni surtout pour quelles raisons. »  

    Silence.

    « Tu veux en parler ? »

    Silence.

    « Est-ce qu’il est possible que la destinée d’un être soit de favoriser l’éveil d’un autre, même au prix de sa vie ? »

    Silence.

    Jamais, il ne lui a posé une telle question. Elle se corrige immédiatement en pensant que c’est à lui qu’il se la pose. Qu’elle est simplement le réceptacle occasionnel d’un écho immense, un tonnerre assourdissant qui ne peut plus s’éteindre. Elle connaît ce tumulte intérieur, elle sait que rien n’est transmissible, que les énergies contenues sont au-delà de toute forme de communication. L’éveillé se parle en s’adressant aux autres. C’est son chemin qu’il emprunte, son esprit qu’il défriche.

    « Je ne sais pas Luc, c’est une question délicate. »

    Silence.

    « Tu les as toujours aimées ces interrogations déconcertantes. »

    Silence.

    Cette remarque la bouleverse. Elle sent dans sa voix une attention particulière. Un regard tendre et respectueux. Nulle trace de l’ironie habituelle.

    « Luc, il faut que tu descendes, tu ne peux pas abandonner, tu ne l’as jamais fait. »

    Silence.

    « Je me fiche de mes exploits passés, c’est totalement insignifiant. J’aurais aimé en prendre conscience avant, c’est tout. Mais ça n’était peut-être pas possible. »

    Elle repense à sa question précédente et devine la culpabilité qui s’y cache.  

    « Tu sais, je n’ai rien pu faire pour Axel, Tanguy et Etienne. On a été complètement dépassé. Il ne fallait pas venir ici. Ca n’était pas pour nous. »

    Elle n’ose toujours pas demander ce qui est arrivé. Elle n’est pas certaine d’ailleurs d’en supporter les détails. Le simple rappel des visages lui tord les entrailles. Morts. Ils sont morts. Elle ne parvient pas à y croire.

    « Luc, tu dois redescendre aussi pour eux. Vous ne devez pas disparaître tous les quatre. Il faut que quelqu’un entretienne les mémoires. »

    Silence.

    « Je ne veux pas de ce rôle. »

    Silence.

    La phrase est tombée comme une sentence.

    Elle sait désormais ce qui le retient en altitude. Elle comprend son erreur. Le retour dans les vallées, parmi les hommes, est un projet qu’il rejette car il le condamne à être le porteur d’un message immonde, une horreur insupportable, la source de tous les pleurs.  

    « Mais ce n’est pas ça qui me retient ici, en tout cas, ce n’est pas le plus important. Tanguy, Etienne et Axel baignent de nouveau dans l’Ame de l’Univers parce qu’ils sont morts mais moi, je vis et pourtant, on m’a donné la chance, le privilège immense de goûter à cet ultime bonheur. »

    Qui est-il devenu ? se demande-t-elle. Qu’a-t-il donc connu pour libérer désormais de telles paroles, avec une telle déconcertante facilité, ce complet détachement, comme si tout cela était parfaitement naturel ?

    « Qui t’a donné ce bonheur, Luc ? »

    Silence.

    « Je ne sais pas réellement, l’Univers, je crois. Ce n’était pas mes pensées, quelque chose s’est insinuée en moi, c’est une certitude mais je ne peux pas l’expliquer. Tu sais, je n’avais plus de corps, ni d’esprit et pourtant tout est là, en moi, ça n’en partira plus jamais. Et je voudrais tant que ça revienne. »

    Silence.

    Elle comprend que la mort ne l’inquiète pas puisqu’il y devine une plénitude similaire. Elle ne trouve aucun argument pour l’inciter à vivre.

    « C’est pour ça que tu ne veux pas descendre ?

    Silence.

    « Pour vouloir aller quelque part, répond-il d’une voix résolue, il faut qu’il y ait un projet, un objectif, un espoir. Mais tout est ici, je n’ai rien de mieux à trouver en bas. Je crains surtout qu’en descendant, tout cela disparaisse totalement. Et je m’en voudrais infiniment. »

    Silence.

    « Mais ce que tu as connu ou que tu connais encore, tu peux continuer peut-être à l’éprouver en restant vivant alors que tu ne peux pas savoir avec certitude que la mort te le proposera. »

    Silence.

    Il sait qu’elle a raison. Il n’a aucune certitude, simplement une hypothèse. La mort est-elle une fin ? Ou le complément délicieux des expériences proposées lors de ce passage terrestre ? Et pourquoi pas la suite du chemin pour devenir un humain? Il cherche une réponse dans les images du « rêve. » Il n’y trouve qu’un appel à la vie…Rien sur la mort de ses compagnons, rien sur le mystère qui s’y cache.

    « Oui, Sandra, c’est possible que tu aies raison. »

    La vie divine de l’instant présent.

    L’expression a jailli. Les sensations l’accompagnent. Une douce félicité. Il ne peut toujours pas reconnaître dans ce ressenti un vécu passé. Rien n’y ressemble. C’est au-delà de sa vie, hors de toute mémoire. Il a peur brutalement d’insérer dans ce voyage intérieur des fantasmes menteurs, de perdre la vérité qui lui était proposée en l’entachant de prolongements rassurants, de mirages idylliques, de paradis tentateurs. Il devine des pressions éducatives, les traces fossilisées de paroles religieuses. Sa mère l’emmenait à la messe. Il avait dû subir les traditions familiales jusqu’à la communion. Il sait à quel point tout cela n’était qu’une vaste supercherie, un lien social insignifiant. Dans l’ombre froide de l’église, il n’a jamais vécu la moindre rencontre, la plus petite parcelle de joie, le début d’une plénitude. Rien d’autre que des paroles incomprises récitées docilement sous le regard inquisiteur du prêtre et de l’homme sur la croix. Enfermé dans son costume du dimanche, emprisonné derrière des murs sombres et glacés, encerclé par d’autres esprits enchaînés, il ne rêvait que d’habits usés contre les roches, de montagnes lumineuses, d’amis attentifs et rieurs, de défis relevés, de sommets vaincus.

    Il sent bien qu’ici, tout est différent. On ne lui a pas parlé de la mort mais de la vie, du lien, de l’appartenance, de la communion cellulaire avec l’Univers du Vivant. Rien sur un paradis à gagner, rien sur la mort.

    Il s’est égaré dans une vision apaisante, imaginant ses trois amis baignés par l’aura lumineuse. Ultime tentative de l’égo qui perd pied. Dernier baroud d’honneur. L’image le fait sourire. Il sait qu’il doit tout abandonner.

    Tout.

     

    Elle pense soudainement aux piles pour la radio. En a-t-il encore ? Ils n’ont jamais maintenu le contact aussi longtemps. Elle n’ose rien demander. Elle a trop peur de l’entendre répondre qu’un des trois amis a disparu avec les réserves. Elle ne parvient pas non plus à couper le contact. Elle l’imagine dans sa solitude glacée et cette vision la raidit, coule en elle comme une boue invalidante.

    Elle étire ses jambes engourdies. Comment fait-il pour tenir ? L’humidité froide de la tente glisse en elle depuis si longtemps qu’elle a l’impression de moisir intérieurement. Elle ne sait même pas s’il a un abri.

    « Luc, est-ce que tu as une tente ? »

    Silence.

    « Non, je n’ai rien. Juste un réchaud et mon duvet. »

    Silence.

    Comment est-il encore vivant ? Elle repense à ce doute qui l’avait envahi. Elle craignait qu’il ne porte pas en lui une raison indéfectible pour rester en vie. Elle conçoit à quel point elle s’est trompée. Mais ce qu’il a découvert a-t-il brisé cette force intérieure ou l’a-t-elle intensifiée ?

    « Luc, il faut que tu descendes, tu ne pourras pas tenir une autre nuit. Je vais prévenir les autres grimpeurs, ils viendront te chercher. »

    Silence.

    « Je te l’ai dit, Sandra, c’est impossible de monter, il y a trop de neige. Axel est parti dans une avalanche. »

    Une avalanche. Elle imagine le corps qui disparaît dans la masse titanesque. L’avalanche que les Polonais ont entendue. Le corps d’Axel est quelque part dans le déversoir. Sous des tonnes de neige. Une immense tristesse la submerge, elle sent les larmes qui montent. Comment Luc y a-t-il échappé ? Elle ne comprend pas. Ils devaient être séparés. C’est la seule hypothèse plausible. Des flots de questions surgissent. Elle ne comprend pas.

    « Que comptes-tu faire, Luc, est-ce que tu as à manger ? »

    Silence.

    « Des soupes, quelques paquets de lyophilisés et des abricots secs. Mais j’ai pas beaucoup de gaz. J’avais partagé les réserves avec Axel. Avec le lever du jour, je verrai bien la suite. Mais il faudrait que j’attende que la neige se tasse un peu. »

    Silence.

    Elle est rassurée qu’il envisage la descente. Elle se dit que ce contact prolongé le ramène peu à peu à la réalité de sa situation et que sa raison reprend le dessus.

    « Tu as réussi à dormir ? A toi. »

    Elle ne veut plus de cette coupure silencieuse dans leur échange. Elle espère qu’il va reprendre la procédure habituelle. Elle veut retrouver l’homme déterminé qu’elle connaît, celui qui peut se sauver, qui en a les moyens. Elle veut l’arracher définitivement aux mystères qu’il a évoqués.  

    « Oui, j’ai dormi un peu. Et c’est ce que j’ai connu de plus beau depuis que je suis sur cette montagne. »

    Silence.

    Elle s’en veut, il ne fallait pas poser cette question. Elle l’a ramené vers les images qu’elle maudit, vers les gouffres qu’elle entrevoit.

    « Tu n’es pas trop fatigué ? A toi. »

    Elle a insisté sur la procédure en renforçant sa voix.

    « Je ne sais pas. Je n’y ai pas pensé en fait. Ca fait un moment que je n’ai pas bougé. J’ai l’impression d’avoir été nourri. Non, en fait, j’en suis certain. Il ne m’est jamais rien arrivé d’aussi merveilleux. »

    Silence.

    Elle sait qu’elle a échoué. Elle ne peut pas le ramener. Elle n’a plus aucune emprise sur lui. Il est ailleurs. Il a perdu ses trois amis et il parle d’instants merveilleux.

     

    « Il faut que je te laisse, Sandra, je n’ai plus que deux piles. »

    Silence.

    « Tu me rappelles dès que tu en as envie, à n’importe quelle heure, tu me dis ce que tu fais, je vais aller prévenir les grimpeurs qui sont ici », lance-t-elle rapidement. 

    Il sent dans sa voix une angoisse redoutable et il s’en veut.

    « Ne t’inquiète pas, Sandra, je vais bien et je ne veux pas que d’autres grimpeurs prennent des risques pour moi. Il y a déjà trois morts en moi, je ne veux pas en rajouter. »

    L’expression la terrifie. Elle perçoit l’immense détresse qui l’étreint, l’enserre dans un étau sombre, le cloisonne dans un cercueil. Il est enfermé dans le tombeau où gisent les souvenirs. Le survivant ne peut pas être libre, sa situation n’est pas enviable. Elle réalise avec une infinie tristesse à quel point il doit souffrir. Et elle craint que cette torture morale ne soit un précipice dans lequel il finisse par plonger.

    « A bientôt, Luc, je pense à toi. Tu n’es pas seul, s’efforce-t-elle de prononcer en détachant clairement chaque mot. A toi.

    -Non, je ne suis pas seul. Je le sais maintenant. A bientôt. »

     

    Il a coupé.

    Elle garde la radio dans ses mains comme si c’était lui qu’elle serrait. Elle réalise que ce n’est pas d’elle seule dont il parlait, ni même uniquement de Tanguy, d’Etienne et d’Axel. Ce qu’il a découvert est en lui, occupe une place gigantesque, le remplit d’une certitude inébranlable, au-delà de la raison humaine. Mais elle ne peut pas le nommer. Elle n’en a aucune image.

  • Visualisation.

    En fait, quand je vois le succès médiatique de ces ouvrages, je me dis que je devrais écrire des livres de méthodes au lieu de vouloir transcrire tout ça dans des romans...

     "Les Eveillés" sous la forme d'un guide de pratiques...Non, vraiment pas...


    Marie-Lise Labonté

     

    J’ai guéri en visualisant des images de santé

     

    http://www.cles.com/entretiens/article/j-ai-gueri-en-visualisant-des

    La science a commencé à nous dire de quelle façon fonctionne la technique de la visualisation. L’essentiel est que cette méthode permet de guérir, parfois même de maladies graves. Marie Lise Labonté en est la preuve vivante !

    Voilà des décennies que les thérapeutes savent l’importance des liens entre nos pensées, nos émotions, nos images intérieures et nos états physiques. Empiriquement, ils ont mis au point des méthodes de « pensée positive » pour nous soulager de nombreux troubles et améliorer l’efficacité des traitements médicaux. On ignorait cependant, jusque très récemment, pour quelles raisons fonctionne, par exemple, l’effet placebo, approche typiquement psychomatique : pourquoi faut-il que patient et soignant « croient » à un remède pour qu’il marche ? Mais voilà que la recherche fondamentale a fait des découvertes ahurissantes, débouchant sur l’avènement d’une discipline au nom impossible : la psycho-neuro-immuno-endocrinologie. Celle-ci montre notamment que, si vous visualisez une situation, cette image mentale provoquera en vous exactement les mêmes processus chimiques que si vous vivez cette situation pour de bon. Si vous vous imaginez que l’on vous étouffe, votre physiologie, au niveau moléculaire, sera celle d’un réel étouffement physique. À l’inverse, en visualisant un dénouement (l’action de dénouer un nœud), vous pourrez vous libérer de terribles nœuds, dans l’estomac, la gorge, le ventre, les muscles... Mais qu’importe ? L’essentiel est que cette approche permet de guérir, parfois même de maladies graves. Marie Lise Labonté en est la preuve vivante !

    « Ma voie de guérison, c’est le chemin d’une vie ». L’histoire d’une vocation, aussi : après cinq ans d’arthrite rhumatoïde, menacée de paralysie, Marie Lise Labonté se rend à Paris, où elle est soignée par Thérèse Bertherat, kinésithérapeute créatrice de l’antigymnastique. Rentrée guérie au Québec, elle ouvre un centre de soins psychosomatiques, continue à se former - notamment auprès du docteur Simonton, célèbre pionnier de la psycho-neuro-immunologie -, et développe sa propre méthode, « l’abandon des cuirasses », fondée autant sur le travail du corps que sur la visualisation et la psychothérapie. Aujourd’hui formatrice de thérapeutes et auteur à succès, elle insiste dans un nouveau livre, écrit avec le psychanalyste jungien Nicolas Bornemisca, sur l’importance des images mentales.

    Nouvelles Clés : « Se guérir grâce à ses images intérieures », proposez-vous. Quelle fut l’influence de ces images sur votre propre guérison ?

    Marie Lise Labonté : Déjà, c’est ma « vision de la vieille femme », comme je l’appelle, qui a tout déclenché. Le soir du jour où on m’a annoncé pour bientôt chaise roulante et prothèses, je me suis vue dans le futur, âgée de 47 ans, en train de mourir de l’arthrite. Et là, déclic, je me suis dit : « Non ! » Je me suis étendue sur le sol et j’ai débuté les mouvements indiqués dans le livre de Thérèse Bertherat, que j’avais parcouru sans rien faire. C’est là que mon processus de guérison a commencé. Je soufrais beaucoup, j’étais physiquement très limitée, mais j’ai ressenti un bref soulagement que je n’avais pas connu depuis des années. Le bien être ! J’ai décidé de suivre cette piste. Un mois plus tard, j’avais tout vendu, j’étais à Paris (en béquilles !) et je commençais ma thérapie. Au bout d’un an, je pouvais marcher, danser, courir.

    N.C. : Une guérison presque miraculeuse ?

    M.L.L. : J’ai vite découvert combien mes images mentales avaient participé, d’abord, à ma maladie ! En même temps qu’ils apportaient un soulagement, les mouvements faisaient émerger des souvenirs oubliés, visuels ou auditifs, des situations difficiles que j’avais vécues enfant puis occultées, même devant le psychiatre qui m’avait suivie au Québec, dans une approche très mentale, dirais-je. Ces images, je pouvais les vérifier ensuite au téléphone avec ma mère : « Mais oui, je portais cette robe bleue à l’époque ! » disait-elle par exemple. Il y avait aussi des scénarios de destruction inspirés par la souffrance physique, scénarios exutoires d’amputation ; ou encore des sensations kinesthésiques, reflets de l’enfermement de mon corps par l’arthrite. Petit à petit, ces impressions se sont transformées en ce qu’on appelle des « images de transformation » : elles n’avaient plus la même dureté, et soudain sont venues, tout naturellement, des images de guérison - dont une autre vision, celle de la « déesse », où je me voyais courir sur une plage inconnue. Là encore, ce n’était pas un rêve (je rêvais beaucoup aussi), mais une vision, différant également des images, car s’imposant avec plus de force et d’information.

    N.C. : « Tout naturellement », dites-vous. Dès qu’on libère le corps, il se met à parler ?

    M.L.L. : Le corps, comme les rêves ou les signes de jour, est une voie de communication de l’inconscient, dont il est le siège. Les symptômes, c’est l’inconscient qui parle ; et guérir, c’est ouvrir le dialogue avec le monde intérieur. Un processus naturel, en effet, mais que nous avons bloqué dans nos sociétés occidentales. Nicolas Bornemisca raconte dans le livre l’histoire de ce dialogue dans la Grèce antique, au Mexique, au Pérou ou ailleurs, et comment notre société s’y oppose... et le voit revenir.

    N.C. : Mais c’est bien le corps que vous mettez en avant, dans votre méthode ?

    M.L.L. : Je n’ai pas pu tout expliquer dans un seul livre ! Mais le dialogue avec l’inconscient n’est jamais séparé du travail sur le corps que j’ai décrit ailleurs, et par lequel il faut toujours commencer, pour relaxer, dégager la respiration, débloquer les tensions et faire venir la libération musculaire et l’abandon des cuirasses. Ce n’est que lorsque les gens le veulent, et sont prêts, que l’on peut faire remonter les images de la maladie et entamer la visualisation. On ne saute pas sur l’inconscient pour qu’il parle, on attend et on écoute, en partant des images intérieures et toujours dans un corps détendu. Par exemple, on va chercher l’image de la chimio, et les gens auront moins d’effets secondaires parce qu’ils vont agir sur la chimio en l’aidant, au lieu d’être en colère. Tout dépend du mal être de la personne, mais il est toujours important de libérer la cuirasse du bassin, la musculature du dos et cette « cuirasse du mal aimé » qu’est la région thoracique. On crée ainsi une circulation d’énergie qui permet au système parasympathique d’entrer en action, facilitant le contact avec l’hémisphère droit du cerveau.

    N.C. : La thérapie, finalement, sert à alimenter la capacité d’autoguérison ?

    M.L.L. : C’est le but. Le sens profond d’une maladie n’est pas le même pour tous. On n’est pas là en tant qu’autorité. Quand quelqu’un nomme un symbole, on lui demande toujours quel en est le sens pour lui. C’est comme pour la visualisation sportive : vous pouvez toujours visualiser la victoire, si vous avez un problème inconscient avec le succès, ça ne marchera jamais. Attention, de même, avec les imageries toutes prêtes : on se forge une imagerie grâce à un livre, mais l’inconscient n’est pas d’accord et on retombe dans le processus même de la maladie !

    N.C. : On peut visualiser à l’envers ?

    M.L.L. : A la base de nombreuses maladies, il y a un processus inconscient d’autodestruction. Souvent, quand on questionne un malade, il mentionne une petite voix qui disait : arrête sinon ça va être grave. Mais beaucoup ne veulent ni écouter ni savoir. Le plus important est d’aider la personne à développer une relation d’amour avec elle-même : loin du narcissisme, cette rencontre lui fait prendre conscience qu’elle peut s’appuyer sur son monde intérieur pour trouver les pistes de guérison.

    N.C. : Passer par le corps avait si bien marché pour vous, pourquoi aborder l’inconscient ?

    M.L.L. : Madame Bertherat ne parlait pas beaucoup de l’inconscient, mais elle portait en elle ce dialogue, même si elle tenait à rester sur le terrain physique. C’est moi qui me livrais à une autoanalyse, notant mes impressions et mes rêves, cultivant mes images de guérison. Le docteur Simonton non plus ne dialoguait pas beaucoup avec l’inconscient : « On ne sait pas pourquoi la visualisation de la guérison a autant d’effet, disait-il, mais on sait que ça marche. » Je respecte leurs démarches, mais moi, j’ai créé ma propre méthode en me fondant sur une connaissance du corps et une étude de Wilhelm Reich qui me permettaient d’aller plus profond dans le dialogue avec l’inconscient, et d’aborder les cuirasses. Quand Nicolas, qui est psychanalyste jungien, a rejoint le centre pour aider les gens à analyser leurs rêves, j’ai beaucoup appris, et j’ai réalisé que ma voie de guérison est le chemin de toute une vie !

    N.C. : Pensez-vous que le Québec soit en avance sur la France dans ce domaine ?

    M.L.L. : Plus maintenant. Il y a une recherche, un éveil. Au Québec, j’ai le sentiment que les gens sont souvent en train de faire du shopping, surfant d’une méthode à l’autre sans jamais entreprendre de véritable travail. Par contre, ce qui manque aux thérapeutes en France, c’est le travail en équipe.

    A lire de Marie Lise Labonté :

    - Se guérir grâce à nos images intérieures, éd. Albin Michel
    - Déclic, éd. de L’Homme
    - Mouvements d’éveil corporel, éd. de L’Homme

    Site officiel : www.marieliselabonte.com

    Propos recueillis par Sylvain Michelet

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  • Conscience et liberté (spiritualité)

    "Connais-toi toi-même", disait Socrate. Il s'agit bien entendu d'une introspection assidue dans un état de conscience constant et inébranlable. La première acceptation inévitable est de réaliser l'état d'ignorance dans lequel nous évoluons. C'est la clé qui permet au moins d'ouvrir la cellule. Il resterait ensuite à progresser dans un espace inconnu.

     

                                                                                                                                                                                                                                               L'immense difficulté vient du fait que pour prendre conscience de notre état, nous devons faire appel à nous-même et cela revient à dire que nous opérons une vision de notre état tout en opérant une vision de celui qui visionne. Mais si celui qui visionne est dans un état d'ignorance, comment pourrait-il juger de son ignorance ? Comment l'océan pourrait-il s'observer en restant dans un état d'océan, comment le ciel pourrait-il s'observer en restant dans un état céleste ? Il faut pouvoir s'extraire de soi. Mais comment s'extraire de soi quand on ne parvient justement pas à identifier clairement ce soi ? 

    C'est assez effroyable en fait... La conscience court après elle et elle s'éloigne simultanément devant sa propre progression étant donné qu'elle est en même temps le prédateur et la proie.Imaginez une "lionne-gazelle" qui se court après en elle-même...Comment pourrait-elle s'atteindre ? La gazelle ne peut pas succomber à la lionne étant donné qu'elle est elle-même la lionne et la lionne ne peut pas s'abattre sur la gazelle étant donné qu'elle est elle-même la gazelle. Et pourtant les deux entités unifiées courent sans cesse...

     

    Quand je dis : "Je me sens bien", cela sous entend que "Je" perçois le "Me".

    "Je" parle de "Me" tout en observant ce "Je" qui s'observe à travers "Me".

    Cette affabulation dialectique correspond pleinement à cette recherche de la conscience.

    Il faudrait pouvoir par conséquent supprimer "Me" par un travail intellectuel afin qu'il ne reste que "Je" mais dès lors ce "Je" ne peut pas avoir conscience de lui-même étant donné qu'il s'est attaché à s'extraire de lui-même...Si je ne suis plus "moi", qui est là pour en avoir conscience ? Cela revient d'ailleurs à s'imaginer mort. Alors qu'il est tout bonnement impossible de le percevoir étant donné que celui qui le tente est vivant et use de cette vie pour s'imaginer mort. De la même façon, si j'imagine être conscient alors que je suis incapable d'avoir conscience de cet état de conscience, je continue à m'imaginer vivant alors que je suis mort à moi-même.

    Il n'y a aucune liberté dans cette non-conscience. Je ne peux que réaliser mon enfermement dans cette incapacité à atteindre l'horizon ouvert de cette conscience. Il ne s'agit pas non plus d'une inconscience d'ailleurs. Celle-là est apparemment de l'ordre de l'insondable parce qu'elle est "naturellement" ingérée par une conscience poreuse. Il est pourtant possible d'y accéder à travers les rêves ou l'hypnose. La porosité fonctionne dans les deux sens.

    La non-conscience est bien plus dramatique. De l'apparemment insondable, on passe à l'éventuellement insoluble. 

     

    En même temps, si je veux parvenir à conscientiser l'état de conscience, je sais bien qu'il est impossible d'y parvenir dans un état habituel de perceptions. En ce moment, j'écris avec de la musique à fond dans les oreilles.

    "The calm blue sea."

    Et bien, il m'arrive de réaliser parfois que je n'entends absolument pas la musique et parfois même, je réalise que le morceau est fini et que je ne m'en étais pas aperçu...La raison en est très simple : je suis infiniment concentré sur mon écrit jusqu'à extraire de ma conscience cette musique. De la même façon, il m'arrive en me relisant parfois de réaliser que je ne me souviens pas du tout de ce que j'ai écrit mais que j'entends toujours la musique que j'écoutais à ce moment-là. Elle tourne en boucle comme si elle était toujours en marche.

    L'expérience de la rumeur des vagues à la plage est un exemple bien connu. Combien de fois, nous nous apercevons soudainement du grondement des vagues alors que quelques secondes avant, nous ne l'entendions pas. Ou de ce volet qui grince avec le vent, depuis des heures, et que nous n'avions pas entendu jusque-là mais qui maintenant nous agace au plus haut point.

    Cette concentration ou contention consiste à identifier les éléments innombrables qui parviennent à notre conscience. Mais alors, si je décide, par un effort immense, de vider les perceptions jusqu'à ne percevoir que le néant, est-ce que je peux parvenir à rencontrer l'unique conscience qui a conscience de ce néant ? Est-ce que le silence intérieur offre l'opportunité de cette rencontre ? S'il n'y a plus rien à percevoir et qu'il ne reste que la conscience de cette absence de perception, est-ce qu'il s'agit encore d'une perception de la conscience ou la conscience de ce qui ne perçoit plus rien ?  Est-il possible que la "lionne-gazelle" soit devenue une non-identification, comme si la course avait pris fin et que l'immobilité autorise enfin la disparition de cette dualité ? Que reste-t-il lorsqu'il n'y a plus rien ? La conscience de ce rien est-elle quelque chose ?

    La problématique posée n'est-elle pas une entrave à la conscience ? Comment pourrais-je comprendre par un raisonnement intellectuel ce qui est supposé être en dehors de l'intellect ? C'est absurde.

    Dès lors, il est sans doute impossible d'identifier la conscience par les schémas habituels.

    L'empirisme de Hume le disait déjà. "Je ne peux jamais me saisir, moi, en aucun moment, sans une perception et je ne peux rien observer que la perception. "

     

    Peut-être d'ailleurs que la mort est la seule issue à cette prise de conscience puisqu'il n'y aura plus rien d'expérimenté et qu'aucune perception ne sera reconnue. Mais il n'y aura peut-être plus rien pour en avoir conscience.

     

    C'est bien pour cela qu'il convient de chercher une issue ici-bas. Ou là-haut. C'est à dire dans les sphères éthérées de l'altitude. Quand on va au bout de l'effort et qu'on découvre qu'il y a un silence intérieur d'une qualité inégalable, il se découvre en nous une conscience de ce vide qui n'est pas une observation duale de l'individu mais une "aperception" d'une densité incroyable. Il n'y a rien et "je" le perçois sans que rien ne soit perceptible.

     

    Il faudrait que je ré-écrive "Noirceur des cimes". Je ne suis pas allé assez loin dans ce silence intérieur. Il y avait bien plus à dire.

    Ou que j'écrive une autre histoire.  

     

     

  • Ce potentiel inexploité.

    L'homme pourra parler de liberté lorsqu'il ne sera plus enfermé dans son incapacité à explorer tous les horizons qui sont en lui.


    Extase et sports de l’extrême

    par Rob Schultheis

     

    http://www.cles.com/dossiers-thematiques/psychologies/psychologie-des-profondeurs/article/extase-et-sports-de-l-extreme

    Dépasser ses limites, trancender l’espace-temps, décupler ses énergies, un rêve ? Non. Une réalité, contenue en nous.

    Comment pouvais-je rejeter la force et l’authenticité de ce qui m’était arrivé là-haut ?

    J’avais éprouvé Cela, ce vide sans nom qui fit écrire à Lewis Carroll un jour :

    Quand la vie devient un Spasme,

    Et l’Histoire un Sifflement :

    Si ce n’est une Sensation,

    Je ne sais ce que c’est.

    J’avais éprouvé Cela, et je Le voulais à nouveau. Cela, cette magie,et c’est ce qui me tourmentait, se trouvait quelque part en moi, avait toujours été là, et y perdurerait jusqu’à ma mort : assoupi, attendant d’être éveillé par un instant de panique, de danger, de désespoir total.

    Eh bien, je trouverais un moyen de l’éveiller à nouveau, de le saisir, de l’utiliser, ou, du moins, j’essaierais. Le jeu en valait la chandelle. Mon corps et mon esprit m’apparaissaient comme le Nouveau Monde en 1491 : un continent perdu aux trésors inconnus, attendant d’être exploré, cartographié, amené à la lumière. Il y avait, bien sûr, nombre de cartes potentielles - physiologique, psychologique, biochimique, théologique et anthropologique, pour n’en pommer que quelques-unes ; je les parcourrais toutes, et d’autres encore si nécessaire, jusqu’à ce que je trouve la bonne, jusqu’à ce que je trouve le chemin du retour.

    Mes premiers indices, je les cherchai au sein du territoire le plus évident, l’expérience d’autres aventuriers et athlètes de l’extrême. Si le risque et le stress avaient fait jaillir en moi une forme de satori sur le Neva, d’autres, à l’évidence, avaient dû éprouver la même expérience en des circonstances semblables ; si tel était le cas, en examinant chacune de ces expériences, je pourrais dresser une véritable étiologie des performances record et des extases induites par le stress : une grammaire de l’abracadabra.

    En l’occurrence, il existait un grand nombre de cas semblables. Par exemple, John Muir : ce grand pionnier, coureur des bois et naturaliste, escaladait en solitaire le mont Ritter dans la Sierra Nevada, lorsqu’il se retrouva bloqué sur la face d’un à-pic. Incapable de monter ou de descendre, paralysé par la terreur, "il me semblait soudain que je possédais un sens nouveau, écrivit Muir. L’autre moi, expérience accumulée, Instinct ou Ange gardien - appelez-le comme bon vous semble - apparut et prit le contrôle. Mon tremblement cessa, chaque fente, chaque fissure (dans la roche), m’apparaissait comme vue au microscope, et mes membres bougeaient avec une telle sûreté, une telle précision qu’il me semblait que je n’avais plus à intervenir. Eussé-je été muni d’ailes, ma délivrance n’eût pas été plus complète." Il atteignit le sommet avec une incroyable facilité.

    Le géologue suisse Albert von St. Gallen Heim rassembla des dizaines de comptes rendus sembla-bles dans une monographie originale de 1892, Remarques sur les chutes fatales (Notizen über dem Tod durch Absturz). Après avoir rapporté les propos de ceux qui avaient survécu à de telles chutes ou d’autres accidents, St. GalIen Heim conclut : "Il n’y avait ni anxiété, ni trace de désespoir, ni douleur ... L’activité mentale était devenue stupéfiante, cent fois plus rapide et plus intense. La relation entre les événements et leurs conséquences probables était analysée avec une clarté objective... L’individu agissait à la vitesse de l’éclair..." Athlètes et aventuriers ont rencontré ces formes d’expérience pendant des siècles, mais il fallut attendre les années 60 et 70 pour qu’un petit nombre de coureurs, de grimpeurs, de kayakistes, de surfeurs, de pilotes de deltaplane et de skieurs, notamment sur la.côte Ouest, tentât délibérément de sonder les possibilités magiques du sport. Nombre de ces athlètes chercheurs et visionnaires étaient des vétérans du LSD et des adeptes de gourous orientaux ; ils découvrirent que les états high engendrés par les hallucinogènes et la méditation pouvaient être retrouvés dans les sports extrêmes, sous une forme plus stable et plus profonde. Dans un article intitulé "Le grimpeur visionnaire", publié dans le numéro de mai 1969 de la revue Ascent, l’alpiniste californien Doug Robinson écrit : "... nous ressentons à présent chaque chose autour de nous. Chaque cristal individuel dans le granit se découpe en un puissant relief. Les formes infinies des nuages captent sans cesse notre attention. Pour la première fois, nous avons remarqué la présence de minuscules insectes sur les parois, si minuscules qu’ils en étaient presque invisibles. Alors que je m’assurais, j’en contemplai un durant un quart d’heure, surveillai ses mouvements en admirant sa brillante couleur rouge. Comment peut-on s’ennuyer alors qu’il existe tant de choses sublimes à voir et à sentir ? Cette unité avec la joie de notre environnement, cette perception pénétrante, nous donnait un sentiment de plénitude que nous n’avions pas éprouvé depuis des années."

    "Cette vision n’était pas un accident, conclut Robinson. Elle était le résultat de plusieurs jours d’ascension. On avait dû passer par toutes les difficultés techniques, la déshydratation, les efforts violents, le désert sensoriel, la fatigue, la perte progressive du moi."

    Certains skieurs découvrirent dans leur propre sport cette même forme d’extase déclenchée par le stress. Gil Harrisson, grand skieur professionnel dans les années 60, puis patrouilleur à ski, adepte de la méditation indienne et propriétaire d’un gros ranch, décrivit les sensations éprouvée lors d’une descente : "Lorsque vous entendez siffler les bosses et les portes, que le vent hurle dans votre casque protecteur, il n’y a plus de temps pour penser à quoi que ce soit - j’en oubliais même de respirer - vous vous retrouvez brusquement et de facto dans un autre monde, sans pensées, traversé de perceptions sensuelles, toute votre vision concentrée en un seul point. Puis, la porte d’arrivée, le vent qui s’arrête, et vous voilà revenu. Mais vous êtes toujours high, et vous savez que ce monde plus brillant, plus intense, est toujours là.

    Où vais-je ?

    Mais est-ce que je vais vraiment quelque part ?

    Je repense au syndrome du Livre des records , cette volonté imbécile d’être le premier, de sauter le plus haut, d’aller le plus loin, de souffrir le plus possible. Qu’est-ce que l’aventure, une des plus pures et fondamentales constantes de l’homme, est devenue dans notre âge d’ignorance ? "Si l’aventure a une finalité globale, écrit Wilfred Noyce, l’explorateur et alpiniste britannique, c’est sûrement celle-ci : nous partons parce qu’il est dans notre nature de partir, d’escalader des montagnes, de descendre des rivières, de voler vers les planètes et de plonger dans les profondeurs des océans... Lorsque l’homme n’agira plus ainsi, il ne sera plus un homme." Une phrase à méditer. (Extrait de Cimes, éd. Albin Michel.)

    La réponse du corps

    Pour une biochimie du stress et de l’extase : la bêta-endorphine.

    La réponse du corps à des situations de stress, comme celles que l’on rencontre en pratiquant les sports les plus durs, est orchestrée par un dispositif global complexe de messages chimiques entre les cellules nerveuses, de combinaisons chimiques correctes, d’appels et de réponses. Au commencement, une hormone, que les biochimistes appellent "grande HACT" (hormone adrénocoticotropique), est libérée ; en se décomposant, elle donne naissance à un large spectre de substances actives qui agissent toutes en vue de mobiliser l’esprit et le corps.

    La bêta-endorphine semble constituer le premier déclencheur dans l’équation biochimique du stress. "Elle se tient exactement au centre du réseau de contrôle, dit le biologiste Derek Smyth. Elle est capable de produire une analgésie ou même une catatonie, d’abaisser le taux de sucre dans le sang, de moduler par inhibition les neuro-transmetteurs du cerveau, et de stimuler la décharge d’une multitude d’hormones pituitaires qui, en elles-mêmes, jouent un rôle déterminant dans le co portement." L’histoire de la découverte de l’endorphine est particulièrement remarquable : un véritable travail de détective. Les neurobiologistes qui travaillaient sur l’accoutumance aux narcotiques découvrirent des sites récepteurs sur les cellules nerveuses qui s’adaptaient à des substances opiacées exogènes (c’est-à-dire en dehors du corps humain) comme l’opium, la morphine et l’héroine. Comment de tels sites, se demandèrent-ils, avaient-ils pu se développer, alors que l’homme n’utilise des opiacés que depuis trois ou quatre mille ans ? (Le pavot somnifère, Papaver somni-ferum, fut probablement utilisé pour la première fois, à des fins thérapeutiques et/ou récréatives, sur les rives orientales de la Méditerranée durant le Néolithique). Il devait exister des substances endogènes, secrétées par le corps humain lui-même, qui s’adaptaient à ces mêmes sites récepteurs, similaires en forme et en fonction aux opiacés. Elles existaient effectivement, les neuro-biologistes découvrirent ainsila bêta-endorphine et d’autres peptides semblables quoique moins puissants appelés enképhalines.

    Pour en revenir à. la réponse au stress, le rôle le plus important de la bêta-endorphine est celui d’un "destructeur" de la douleur ; des tests ont montré que son pouvoir analgésique est cent fois supérieur à celui de la morphine. D’autre part, les enképhalines, outre leurs qualités analgésiques, favorisent la modulation des substances chimiques modificatrices de l’humeur comme la sérotonine, la dopamine, la norépinéphrine (noradréaline) et l’épinéphrine (adrénaline) : elles aident en quelque sorte à rétablir et à maintenir l’équilibre émotionnel.

    De façon intéressante, la bêta-endorphine peut être divisée en deux composants chimiques "Jekyll et Hyde", l’alpha-endorphine et la gamma-endorphine. La première, euphorique et analgésique, apporte un bien-être et supprime la souffrance. La gamma-endorphine, d’après des expériences menées sur des animaux de laboratoire, induit des effets exactement opposés : irritabilité, excitabilité, sensibilité accrue à la douleur. Dans des situations de stress ou de survie, les deux composants se révèlent complémentaires : une dose d’alpha pour surmonter la douleur et la peur, et une dose de gamma pour vous maintenir en contact avec la réalité de la situation afin d’y réagir correctement.

    Mais les endorphines et les enképhalines ne constituent pas les seuls éléments de l’équation bio-chimique. La "grande HACT" contient également une sorte de "petite HACT" qui déclenche la stimulation de substances chimiques telles que l’épinéphrine (adrénaline) et la noré- pinéphrine (noradréna- line), lesquelles produisent une conscience mentale et sensorielle accrue et une rigidité musculaire. Dans le catalogue de la "grande HACT", on trouve aussi la "HSM" (hormone stimulant la mélanocyte), une substance qui a la propriété d’augmenter la vigilance et d’accélérer le processus d’apprentissage chez les animaux de laboratoire. Cette dernière peut permettre d’expliciter les histoires rapportées par tant de survivants, selon les- quelles leur vie se déroulait devant eux comme un film en accéléré ; le bio- computer du cerveau est sans doute en train de conduire une recherche rapide à travers ses banques de mémoire, en quête d’une information susceptible de le sortir d’une impasse. Mais il y a plus : lorsque le corps manque d’oxygène, comme c’est le cas après un grand effort, le taux d’oxyde de carbone s’élève ; celui-ci se décompose en acide lactique, lequel provoque, on le sait, une modification des états de conscience. Déshydratation, variations du taux de sucre dans le sang - la diversité des conséquences chimiques du stress est pratiquement illimitée.

    Qu’est-ce que tout cela signifie, au regard des performances et des expériences sportives extrêmes, ou de toute autre situation qui outrepasse les limites de l’animal humain ? On peut avancer différentes hypothèses. Il semblerait que la biochimie et les performances fussent directement reliées ; à bonne bio-chimie, bonne performance ; à mauvaise biochimie, mauvaise performance. Revenons à notre sujet. Est-il déraisonnable de suggérer que les chamanes contrôlent effectivement leur réaction biochimique au stress et peuvent fabriquer à volonté le juste mélange endocrinien ? Le Dr Raymond Prince, psychologue canadien, entrevoit une telle possibilité dans un article de 1980 intitulé "Chamanisme et endorphines : facteurs endogènes et exogènes en psychothérapie". Il y décrit un état psychophysiologique optimal dû à ce qu’il appelle "l’adresse omnipotente", un sentiment de contrôle absolu et parfait d’une situation dangereuse et, partant, de n’importe quelle situation. Prince croit que la réponse endocrinienne du corps au stress est à la racine de cette sensation. Les chamanes apprennent-ils à déclencher cette réponse en eux-mêmes et transmettent-ils ensuite celle-ci à. leurs disciples par le truchement de situations d’angoisse ritualisées, de crises soigneusement programmées ? Cette possibilité permettrait de penser ensemble des éléments aussi disparates que mon expérience sur le Neva, l’escalade du mont Kenya par M’Ikiara et les exploits gymnastiques impossibles du jeune sorcier Tenzing sur le Zatr Og.

    "Dans une situation de stress, écrit le Dr Prince, un état d’hyperconscience surgit et engendre les endorphines ou autres neu-roendocrines appropriées en quantités suffisantes pour provoquer un sentiment de tranquillité et de paix cosmique." Cet état d’esprit (et de corps) est vraisemblablement à l’origine des grandes performances ; lorsque vous vous sentez complètement relaché bien que parfaitement concentré sur la tâche à. accomplir, vos actions et vos réactions sont les plus parfaites qui soient. Et si quelqu’un pouvait se plonger dans cet état à volonté (ce que les chamanes et leurs semblables sont capables de faire), il apparaîtrait au reste de l’humanité comme un surhomme. Les êtres humains atteignent parfois cet accord parfait au moyen d’une pratique continue, et parviennent à contrôler ce qui est normalement incontrôlable. Pensez à cette splendide question que posa un jour Shirley Temple, âgée de dix ans, à son metteur en scène : "Lorsque je pleure, voulez-vous que les larmes descendent jusqu’au bas de mon visage, oû qu’elles s’arrêtent au milieu des joues ?"

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  • Agir ou réagir ?

    "Le monde des hommes a oublié les joies du silence et la paix de la solitude qui sont, dans une certaine mesure, nécessaires à la plénitude de la vie. Si tous les hommes ne sont pas appelés à devenir ermites, tous ont besoin d’assez de silence et de solitude pour permettre à la voix intérieure secrète de leur être véritable de se faire entendre, au moins de temps en temps. Et lorsque cette voix n’est pas entendue, lorsque l’homme ne peut arriver à la paix spirituelle qui vient d’une union totale avec son être vrai, sa vie est toujours malheureuse et épuisante.

    Car il ne peut vivre longtemps heureux s’il n’est en contact avec les sources de vie spirituelle cachées au fond de son âme. S’il est constamment exilé de chez lui, dans l’impossibilité de retrouver sa propre solitude spirituelle, il cesse d’être une personne. Il ne vit plus en être humain. Ce n’est même plus un animal sain. Il devient une sorte d’automate, fonctionnant sans joie parce qu’il a perdu toute spontanéité. Il n’est plus mû de l’intérieur, mais seulement de l’extérieur de lui-même. Ce n’est plus lui, ce sont les autres qui décident pour lui. Au lieu que ce soit lui qui agisse sur le monde extérieur, c’est le monde extérieur qui agit sur lui. Il avance dans la vie par une suite de collisions avec les forces du dehors. Sa vie n’est plus celle d’un être humain, mais celle d’une boule de billard sensible, d’un être sans but et sans aucune réponse vraiment valide à la réalité."

    Thomas Merton
    La vie silencieuse p 174, 175. Ed du Seuil, la vigne du carmel


     

     

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    JUSQU 'AU BOUT

    "On peut considérer les choses de deux façons : soit vous voyez la conscience comme unique mais possédant différents niveaux, comme si elle habitait dans un immeuble. Vous démarrez au rez-de- chaussée et vous essayez de gravir les étages. Le risque dans ce genre de métaphore, c’est de pouvoir à tout moment retomber aux étages inférieurs. Si par contre, vous considérez que les consciences sont multiples, vous les voyez comme possédant chacune une maison. Pour progresser, vous devez quitter la première demeure et intégrer la suivante. La distance vous séparant de la première demeure abandonnée vous protègera quelque peu du risque de faire demi-tour. Il faut en fait établir une séparation importante pour ne pas céder à la tentation. Et les tentations sont extrêmement nombreuses et perverses. Pour notre part, nous voyons quatre niveaux de conscience séparés. Le premier, c’est celui de l’homme endormi. C’est un état passif. Même si l’individu garde quelques souvenirs de ses rêves, il n’a rien contrôlé. Il s’est abandonné et ne cherche rien d’autre dans cet état que le repos. Le deuxième état, c’est celui de l’homme réveillé. A première vue, c’est un état de conscience actif, l’individu semble prendre des décisions, faire des projets, rencontrer d’autres personnes. Il s’agit en fait d’un état de sommeil agité. On dit « agité » car effectivement il connaît des moments d’activité. Mais il n’a toujours pas conscience de son moi profond, de son essence, de sa place comme participant dans une nature identique à lui-même. Il est toujours dans son moi enveloppé. Il n’existe qu’à travers sa personnalité qui n’est pas un état d’existence, ni de conscience. C’est un état d’inconscience où l’individu est actif mais jamais pensif. Tout arrive à cet homme là, ce qui fait qu’en réalité, il n’agit pas. Il réagit ! Malgré tout, il reste persuadé d’être conscient, ce qui rend extrêmement difficile toute tentative de l’attirer sur une autre voie. Le troisième état laisse entrevoir à de brefs instants des halos de clarté, la prescience que quelque chose de supérieur existe, qu’il est possible de le découvrir, qu’on se dirige vers une illumination. Mais tout cela provient de l’extérieur, c’est par exemple une musique, un paysage, une relation amoureuse, un regard d’enfant, parfois l’usage de drogues. Comme il n’y a aucune maîtrise de ces états, tout s’effondre désespérément, parfois au bout de quelques secondes. Nos conditions de vie sont beaucoup trop difficiles et abrutissantes pour permettre à l’individu de se mouvoir durablement dans ces états sublimes. Ce n’est pas l’homme lui-même qui est coupable mais ce que l’homme en général a fait de la vie. Une course effrénée. Il existe néanmoins un grand espoir lorsque l’individu a pu goûter à ce bref instant de bonheur. Si une aide extérieure peut le guider, un professeur ou un livre, à la demande bien sûr de cet individu, il est possible qu’il parvienne peu à peu à s’engager dans une voie nouvelle. C’est un travail très long. Voilà la difficulté principale. Quant au quatrième état, il existe lorsque l’individu parvient à contrôler ces états d’illumination, lorsqu’il a conscience de lui-même, hors de toutes pressions extérieures, baignant dans une paix absolue, et qu’il reçoit l’ensemble des émotions et des connaissances relatives à l’essence de l’être et à sa communion avec l’univers. Ce sont souvent des états décrits par des religieux, des mystiques, des ermites, quelques écrivains, des maîtres yogis, des sportifs parfois lorsque leurs activités impliquent un engagement dans une nature sauvage. Bien souvent, les hommes ne dépassent pas les deux premiers états, ceux qui éprouvent parfois quelques moments de clairvoyance en sont souvent effrayés et rejettent cela sur le compte de la fatigue, de l’alcool, du stress ou de toutes autres excuses réductrices. Le troisième état leur reste donc fermé. Quant au quatrième état, il ne peut être atteint qu’après avoir éprouvé durant de longues années de terribles échecs et quelques moments de sérénité et d’éblouissement, mais surtout après avoir réalisé un considérable travail sur soi."