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Alain Bougrain Dubourg
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/04/2023
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Une personne que j'estime grandement.
Interview dans "La minute nature", une chaîne vidéo à connaître, tout autant que la revue "La salamandre"
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TERRE SANS HOMMES (1)
- Par Thierry LEDRU
- Le 24/04/2023
- 0 commentaire
Le tome 4 de la tétralogie.
J'y travaille toutes les nuits depuis un mois.
Et j'en rêve déjà. La nuit dernière, j'ai vu une aurore boréale.
TERRE SANS HOMMES
« Il y a sur cette terre des gens qui s’entretuent ; c’est pas gai, je sais.
Il y a aussi des gens qui s’entrevivent. J’irai les rejoindre.
Jacques Prévert
CHAPITRE 1
Longyaerbyen
Svalbard
Nous étions encore quatre-vingt-dix-sept après le départ du dernier bateau pour le continent. Huit semaines plus tard, nous ne sommes plus que trois. Et nous allons mourir. Astrid et Ivar sont au bout. Leurs cordes vocales ne fonctionnent plus, la toux sèche les a détruites. Comme il en a été pour tous ceux qui sont morts ici et comme il en sera désormais sur le continent. Les derniers habitants à avoir quitté Longyaerbyen sont sans doute arrivés à Tromsø ou ailleurs, peu importe, les effets seront les mêmes. Ils vont contaminer tous ceux qui s'approcheront. Peut-être même que le virus est dans l’air et qu’il ne sert à rien de s’isoler, de porter un masque, de se laver les mains. Nous avons suivi tout le protocole du covid quand nous avons vu arriver l’épidémie et pourtant, rien ne l’a empêché de progresser et de contaminer tous ceux qui sont restés. Comme si l’île toute entière était atteinte, comme si l’atmosphère était empoisonnée, la terre, l’eau, la glace, la neige, les plantes, la nourriture, les rayons du soleil, les étoiles et le vide.
Le seul moyen de ne pas être atteint, c’est d’être déjà mort.
Hier, j'ai commencé à tousser. Je connais la suite : de la fièvre, de plus en plus forte, des douleurs articulaires et musculaires, à ne plus pouvoir dormir, l'épuisement, une toux sèche, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, avec des crises qui peuvent durer cinq minutes, jusqu'à ne plus pouvoir respirer, des vomissements épuisants, tout le monde a fini par cracher du sang, perte de la voix, l'impression d'avoir du plomb fondu dans la gorge, jusqu'à ne plus vouloir vivre. Dans leurs derniers jours, les mourants ne parlent plus, c’est trop douloureux. Ils ont un teint violacé par manque d’oxygène. Ils se noient dans leurs glaires.
J'ai vu mourir tellement de gens. Heureusement, tous les enfants avaient quitté l'île avec leurs parents. Je n'aurais pas supporté de voir un enfant mourir de cette façon.
Johannes s'est pendu et pourtant c'était une force de la nature. Jamais, je n'aurais imaginé qu'il en arriverait là. Henrik, son frère s'est fini avec son fusil de chasse. Solveig, la boulangère, s'est empoisonnée, cocktail de médicaments et d’alcool. Je ne les compte plus de toute façon ceux qui ont accéléré le processus.
Moi, je vais aller me noyer. J'ai envie de voyager. Les courants sont forts ici. Mais j'attends la mort d'Astrid et Ivar. Ils partiront avant moi. Je veux les accompagner jusqu’à la fin. Pour la plupart des contaminés, la dégringolade n'a pas pris plus de dix jours, quatre à cinq jours pour les cas les plus rapides. Mais les dernières heures comptent triple. Le dernier jour est une éternité, la dernière heure est une torture, la dernière seconde une délivrance. Les jeunes étaient plus rapidement atteints, on l’a bien vu. D’ailleurs, je suis toujours là. Astrid a fait une simulation il y a quelques jours. Elle a établi un parallèle avec la grippe espagnole (dont l’origine est américaine d’ailleurs). En 1919, on comptait cinquante millions de morts pour un milliard cinq cents millions d’humains. Vu la population actuelle de la planète, les victimes pourraient donc atteindre deux cent cinquante millions. Sauf que l’épidémie de choléra et celle du Hum et les attentats, les guerres entre pays ou les guerres civiles ont déjà effacé une grosse partie de l’humanité. C’est pas plus mal. Plus le nombre de contacts sera limité, plus l’épidémie sera contenue. L’idéal serait donc qu’aucun habitant contaminé du Svalbard ne rejoigne le continent, qu’ils meurent en route, que le bateau s’échoue ou qu’il coule. Mais je pense qu’il ne faut pas compter sur une aussi belle issue. Certains sont arrivés, c’est inévitable.
Si quelqu'un trouve ce cahier, qu'il sache que l'épidémie est partie d'ici.
Une mutation de la grippe espagnole.
Un mélange détonnant avec le covid, une association diabolique. À moins qu'elle soit divine et qu'il s'agisse d'un plan mûrement réfléchi.
On a déconné. Tous, depuis trop longtemps. Ça ne pouvait plus durer.
Le réchauffement climatique a dégelé le sol, là où étaient enterrés les victimes de la grippe espagnole de 1919, des trous pas assez profonds, la terre était trop dure. Les corps ont été mis à jour par un glissement de terrain. Le pergélisol fond, depuis bien longtemps, on le sait, tout le monde le sait et tout le monde s'en désintéresse, parce qu'on n'y peut rien, parce que ça nous dépasse, tout se ramollit, même notre volonté. Anton a découvert les restes. C’est peut-être lui le premier contaminé. Et comme l’incubation dure quelques jours, avant que les symptômes apparaissent, il a eu le temps de partager sa trouvaille. Anton n’est pas mort le premier. Il était costaud. On ne sait pas depuis combien de temps les corps étaient à l’air libre.
Ivar m’a raconté que la première étude génétique du virus avait pu être fait sur des victimes inuits dont les corps avait été conservés dans le pergélisol. Bien des années après le décès. Et c’est ce qui s’est passé ici. Mais on ne l’a pas compris parce qu’on était tous préoccupés par les évènements internationaux. On s’est même cru en sécurité. Pas de Hum, pas de choléra, pas de visiteurs, pas d’attentats, on vivait dans notre bulle polaire. Et c’est le réchauffement du climat qui nous aura tués.
On a déconné, depuis bien trop longtemps. J’ai commencé à noter les températures il y a vingt-deux ans exactement. Tous les jours de l’année. Ça n’intéressait pas grand-monde. Ici, tout le monde vient faire de l’argent. À part les jeunes de l’université. J’aimais bien discuter avec ceux et celles qui s’intéressent vraiment à la région. Et ils aimaient bien toutes mes histoires du pays.
Et ils sont tous morts ou ils sont partis et ils mourront chez eux.
On est au bout de l’histoire. De notre histoire. Celle de la planète va continuer. Et je lui souhaite le meilleur pour la suite.
Ce soir, il y a encore eu une aurore boréale. Depuis l’éruption solaire qui a anéanti le réseau électrique de la planète, les aurores sont quotidiennes et je ne m’en lasse pas. Je les regretterai, à moins qu’une fois mort, mon âme aille danser avec les particules.
Je vous souhaite une mort la plus douce possible. Pas la mienne en tout cas.
Markus Solberg
https://www.lemessager.fr/59115/article/2023-04-24/des-aurores-boreales-apercues-partout-en-france-jusque-dans-les-alpes
MIS EN LIGNE LE 24/04/2023 À 15:23
Des aurores boréales ont été aperçues dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 avril. Cette fois, les Nordistes n’ont pas été les seuls à en profiter, le phénomène a été visible jusque dans le sud de la France !
Des aurores boréales visibles à l’oeil nu ont pu être observées partout en France dans la nuit du dimanche 23 au lundi 24 avril. - Webcam Les 2 Alpes
Cette nuit, il fallait lever les yeux au ciel ! Certains chanceux ont pu observer des aurores boréales, et pas seulement dans le nord de la France, comme en février dernier, mais aussi jusqu’au Sud.
Les aurores boréales apparaissent très rarement en France. Elles se forment en réaction à des éruptions solaires, en l’occurrence « les matières dégagées ont mis un jour et demi à arriver dans l’atmosphère et à des latitudes plus basses que d’habitude », expliquent auprès de nos confrères de France 3 Auvergne-Rhône-Alpes deux prévisionnistes en météo de l’espace au CNRS.
Le spectacle offert par ce phénomène a été capturé par de nombreux amateurs de photographie, ainsi que par les webcams des stations de ski, comme celle des Deux-Alpes
Ces jolies couleurs ont également été capturées plus au sud, au-dessus du lac de Serre Ponçon.
Dans le nord de la France, là où le ciel était davantage dégagé, le spectacle était encore plus impressionnant.
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Le mur de l'autoroute A69
- Par Thierry LEDRU
- Le 23/04/2023
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Inutile d'ajouter quoi que ce soit, c'est clair.
Depuis le temps que les industriels bétonnent, il est temps que ça s'arrête.
Si on est parti de la Savoie, c'est justement en raison de cette urbanisation totalement dingue, des routes et donc de plus en plus de circulation, des lotissements, des zones commerciales, des zones industrielles, et donc de plus en plus de monde et donc de plus en plus de routes et de plus en plus de circulation.
On a vu des forêts disparaître, des zones humides asséchées et remplacées par des lotissements et des zones économiques.
On habitait à 600 mètres d'altitude et on voyait ce "monde" marchand grimper, grimper, s'étendre, s'étendre. Un cauchemar.
On ne peut pas continuer comme ça. Et pourtant les gouvernements font tout pour que ça continue. En racontant que c'est pour le bien de la population.
Il ne s'agit pas de s'opposer systématiquement à tous travaux d'envergure mais que ceux qui sont engagés le soient pour des raisons indiscutables et qu'il s'agisse de nouvelles autoroutes ou du train Lyon-Turin, ils ne font pas partie des chantiers indispensables. Mais leurs impacts sont par contre considérables.
Les tunnels du Lyon-Turin, une catastrophe pour les sources d’eau
Fontaines de village qui cessent de couler, craintes pour l’approvisionnement en eau potable et perturbations irréversibles des sources de montagne… les conséquences hydrogéologiques de la construction du tunnel ferroviaire Lyon-Turin inquiètent habitants et défenseurs de l’environnement.
Villarodin-Bourget (Savoie), reportage
À une dizaine de kilomètres de la frontière italienne, le village de Villarodin-Bourget est l’un des plus touchés par la construction du tunnel Lyon-Turin, un projet débuté dans les années 1990, qui vise à relier la région Auvergne-Rhône-Alpes à sa voisine italienne via une ligne ferroviaire à grande vitesse passant par la vallée de la Maurienne. Un projet dont la section transfrontalière, qui comprend un tunnel de 57,5 kilomètres, est financée à 40 % par l’Union européenne pour un coût total de 8,6 milliards d’euros, la France et l’Italie se partageant les 60 % restants. Le projet est présenté comme écologique, car il est censé réduire d’environ 3 millions de tonnes d’équivalent CO2 par an les émissions de gaz à effet de serre, en transférant un million de camions de la route vers le rail. Mais il fait également polémique : il a été épinglé à deux reprises par la Cour des comptes et fait face à une forte opposition côté italien. Trente ans après le début du projet, moins de 20 % des galeries sont creusées, 30 kilomètres pour l’instant sur 160, dont quatre sous la commune de Villarodin-Bourget.
Le village de Villarodin-Bourget se situe dans la vallée de la Haute-Maurienne, en Savoie, où coule l’Arc. Le chantier de Telt est visible en rive droite.
Dans ce village savoyard, le chantier de Telt (Tunnel Euralpin Lyon-Turin), le promoteur public chargé des travaux du tunnel euralpin, a redessiné les berges de l’Arc, le fleuve qui serpente au fond de la vallée. Des pistes ont été tracées pour permettre l’accès des engins de travaux et creuser un tunnel de reconnaissance dont l’entrée se situe sur la rive droite. Les travaux liés à cette galerie de quatre kilomètres sont terminés depuis 2007, mais leurs conséquences sur les sources en eau alimentent toujours les conversations des habitants. « Le tunnel a été creusé seulement cinquante mètres sous les habitations, explique Philippe Delhomme, maire adjoint de la commune de 2008 à 2020. Dès le début des travaux, en 2002, les fontaines du village ont arrêté de couler. C’est un phénomène connu lorsqu’on creuse la montagne car le chemin de l’eau, qui s’infiltre naturellement le long de certaines fissures, est dévié. Les sources sont donc captées par le tunnel, qui devient le nouveau lieu d’écoulement. Cela a forcément ému la population car l’eau est une ressource vitale. »
« Le tarissement des sources était envisagé »
Une inquiétude qui a conduit le maire de l’époque, Henri Ratel, à alerter le préfet de la Savoie : « Nous sommes dans l’obligation de vous faire part d’une situation préoccupante concernant l’assèchement du bassin versant adret de notre commune pour les travaux de percement de la galerie de reconnaissance du projet Lyon Turin Ferroviaire (LTF) », écrivait-il dans une lettre datée de mars 2003, demandant que l’eau potable captée par le tunnel soit intégrée dans le réseau communal. Une alerte anticipée par le promoteur, qui a réagi rapidement : « Le tarissement des sources était envisagé, affirme Xavier Darmendrail, directeur territorial de Telt. À Villarodin-Bourget, il était même évident que des sources seraient affectées puisque la descenderie est creusée cinquante mètres seulement sous le village. Des mesures de compensation ont rapidement été mises en place, payées par LTF, le précédent promoteur : les fontaines ont été branchées sur le réseau d’eau potable et une aide financière a été apportée à la commune pour rénover ses canalisations. Il a été choisi d’attendre la fin du chantier pour évaluer le nombre de sources concernées avant de mettre en place une mesure compensatoire durable, chose faite une fois la galerie terminée en 2007. »
Sur la rive gauche de l’Arc, des couches de déblais ont été déposées, aujourd’hui recouverts de végétation. Ils sont issus de l’excavation pour la réalisation du tunnel de reconnaissance de Villarodin-Bourget. Telt prévoit de réutiliser la moitié de ces déchets pour produire des granulats et de béton.
La solution « durable » ? Capter l’eau d’un torrent à 2.000 m d’altitude, et construire une conduite de cinq kilomètres ainsi qu’un réservoir souterrain, pour alimenter le village. Au total, ces mesures compensatoires ont coûté 1,2 million d’euros, selon Xavier Darmendrail, qui vante ces nouvelles installations : « Nous avons augmenté la capacité d’eau potable de la commune de trois litres par seconde et amélioré le réseau. » Un pansement loin de satisfaire Philippe Delhomme, également coprésident de l’association de défense de l’environnement Vivre et Agir en Maurienne (VAM) : « La source captée est en lisière de la Vanoise, l’un des parcs nationaux les plus protégés de France ! Selon nous, il aurait été moins dommageable pour l’environnement de pomper l’eau captée par le tunnel. »
Mais l’affaire des fontaines de Villarodin-Bourget n’est que la partie visible de l’iceberg. En réalité, dans la commune, dix points d’eau sont abîmés par le creusement du tunnel, dont quatre complètement asséchés, selon le rapport de Telt sur les points d’eau et leurs risques d’impact (2017). « Cette étude dit recenser cinquante-et-un points d’eau au niveau du village, précise Philippe Delhomme, mais il n’y aucune donnée pour vingt-deux d’entre eux. Comment peut-on donc affirmer qu’il n’y a que dix points concernés ? » VAM dénonce d’ailleurs une communication ambiguë du promoteur à ce sujet. Dans une brochure distribuée à la population en 2018, Telt affirme que « les contrôles (…) à proximité du chantier (…) n’ont révélé aucune baisse de débit de ces sources. Jusqu’à présent, une seule source d’eau a été tarie par les travaux, rétablie le lendemain en complément des mesures compensatoires pour la collectivité et les personnes concernées ». Interrogé par Reporterre à ce propos, Xavier Darmendrail se défend en affirmant que « les points d’eau taris étaient alimentés par la même source ». Jouerait-on sur les mots ?
Extrait de la brochure « Telt répond à vos questions ».
« On a parfois l’impression de se battre contre un moulin »
« On minimise les conséquences pour faire taire la population », s’insurge Philippe Delhomme. Pourtant, Villarodin-Bourget n’est pas la seule commune dont les sources d’eau sont détériorées par les travaux. Le rapport de 2017 montre que Saint-Martin-de-la-Porte et Saint-André sont également concernés : deux points d’eau sont taris et un présente un fort risque de tarissement. Mais ce n’est pas tout. Un rapport rapport européen plus ancien, daté de 2006, révèle que « LTF a estimé que les tunnels principaux, les descenderies, etc. recevront un flux cumulé d’eaux souterraines (…) comparable à l’alimentation en eau nécessaire à une ville d’environ un million d’habitants. (…) Cela influencera le stockage et le mouvement des eaux souterraines et probablement aussi d’autres éléments du cycle hydrologique. (…) De telles variations peuvent affecter l’environnement en général ou certaines utilisations de l’eau, par exemple : les alimentations desservant les propriétés privées, villages et villes, l’agriculture et l’irrigation, la production d’hydroélectricité. » À plusieurs reprises, les militants de VAM ont tenté de tirer la sonnette d’alarme en réunion publique. « La première fois, nous avons pu présenter nos arguments, appuyés de documents, raconte Philippe Delhomme. Ensuite, on nous a fermé la porte des réunions. Lors de mon mandat d’élu, nous avons déposé plusieurs recours contre Telt mais aucun n’a abouti… On a parfois l’impression de se battre contre un moulin. »
Extrait du rapport sur les points d’eau et leurs risques d’impact de 2017.
C’est donc l’équilibre des eaux souterraines et l’écosystème de toute une vallée qui pourrait être perturbés si le tunnel est construit. « Et c’est irréversible ! » s’inquiète Philippe Delhomme. Ces sacrifices valent-ils la peine ? Non, pour les opposants, « d’autant qu’il existe déjà une ligne ferroviaire, adaptée au fret européen, qui n’est pas exploitée au maximum de ses capacités. Les promoteurs de la nouvelle ligne reprochent à la ligne actuelle son dénivelé (elle présente des pentes de 3 %), qui nécessite une dépense d’énergie importante pour le transport de marchandises, mais elle est suffisante pour le fret actuel. Par ailleurs, si l’État français et l’Europe voulaient vraiment développer le transport de marchandises sur le rail, ils commenceraient par faire appliquer cette politique en plaine. On nous parle de millions de tonnes d’émissions de CO2 évitées grâce au Lyon-Turin… mais ce rapport coût/bénéfices ne tient pas compte des perturbations sur l’eau. En attendant, on dépense de l’argent public pour un grand projet inutile ».
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Thomas Pesquet chez les Kogis
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/04/2023
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L’association Tchendukua
Thomas Pesquet : “Ce que font les Kogis résonne de plus en plus pour nous”
Thomas Pesquet : “Ce que font les Kogis résonne de plus en plus pour nous”
11 janvier 2021
© Jean-Michel Turpin – Adenium TV France
En 2018, Thomas Pesquet partait à la rencontre des Kogis avec l’émission “Rendez-vous en Terre Inconnue”, animée par Frédéric Lopez. Pour Tchendukua, le spationaute a accepté de revenir sur les moments exceptionnels qu’il a partagés avec ses hôtes.
Qu’avez-vous gardé de votre rencontre avec les Kogis ?
Je pense que c’est, avant tout, une manière vraiment différente d’appréhender le monde. Parce qu’on a beau voyager, on fonctionne un peu tous sur le même modèle, même s’il y a des variantes. Mais là, c’est vraiment différent. C’est une culture en harmonie avec la nature, ils vivent sur un rythme complètement différent du nôtre. Même si on sait que ça existe, c’est autre chose de le vivre à leurs côtés. Ça devient plus réel, ce n’est pas quelque chose de lointain qu’on a vu à la télé. Moi maintenant, je sais que ça existe vraiment, je sais qu’il y a une autre manière de voir le monde.
Que pensez-vous du dialogue entre les Kogis et la science « moderne », dont vous être l’un des représentants ?
Je trouve que c’est un enrichissement. Je pense que la même question se pose avec la médecine traditionnelle chinoise, par exemple. Parce que ça permet de voir les choses différemment. De voir les problèmes sur le temps long, de voir les choses qui sont liées plutôt que traiter les problèmes individuels, comme on a tendance à le faire. Les Kogis ont une harmonie entre toutes les composantes de leur vie, et avec la nature, que nous avons complètement perdue. Sur la nourriture par exemple : nous, on va l’acheter dans un supermarché. Eux, ils trouveraient ça dingue : « Pourquoi elle est dans du plastique ? Qui l’a faite ? Vous ne connaissez pas la personne qui a préparé votre repas, comment pouvez-vous être sûrs que c’est bon ? »…
Je pense que ça peut être vraiment bénéfique pour nous, surtout en ce moment avec les problèmes d’environnement, de prendre du recul et de se dire : voilà, on va essayer de penser les choses de manière plus globale, essayer de trouver les interactions là où elles existent, même si on n’y a jamais prêté attention avant.
Les Kogis et les peuples autochtones sont parfois considérés comme archaïques, primitifs… Qu’est-ce que cela vous inspire ?
On peut se dire que ne pas avoir la technique qu’on a nous, c’est une manière de vivre primitive… Mais de la même manière que je ne pense pas qu’on puisse dire que c’est celui qui a la plus grande télé à écran plat qui est le plus évolué, je pense que la finesse d’une société et des individus n’est pas liée à la technique qu’ils emploient. Ce n’est pas dans cette dimension-là que ça se joue. Moi, ce que j’ai vu, c’est que bien qu’ils n’aient pas vraiment de culture écrite, il y a une énorme richesse de société kogi. Ils sont tout le temps en train de parler, de se parler, du matin au soir. Ils échangent énormément. Il y a un côté communautaire que nous avons complètement perdu. C’est comme si le groupe était l’entité vivante, et que chacun avait son rôle à l’intérieur. Cette manière qu’ils ont de tous communiquer ensemble, ça aussi ça m’a frappé, parce que nous, on n’a pas du tout ça dans notre société. On prend le métro le matin, il y a 500 personnes dedans, on n’adresse pas la parole à une seule. Pour eux c’est complètement impensable, cette manière de fonctionner.
Avez-vous un message à leur transmettre aujourd’hui ?
Mon message serait : « Toutes ces choses que vous faites depuis des centaines d’années, ça résonne de plus en plus pour nous. Peut-être qu’en fait on n’avait pas si raison que ça sur tout, comme on l’a toujours pensé… ». Et puis : « parlez-nous un peu plus, ça nous intéresse ! » C’est un des messages qu’on leur a apportés et qu’il faut continuer à leur donner.
Y a-t-il un moment qui vous a particulièrement marqué lors de votre séjour chez les Kogis ?
Il y en a beaucoup ! La première rencontre, déjà. J’arrivais là sans aucun travail préparatoire, parce que c’est le principe de l’émission, de découvrir… La première discussion était un peu surréaliste parce que les Kogis nous ont dit : « finalement vous êtes comme nous, on va pouvoir discuter… » Effectivement, on se rend compte qu’on est chacun des êtres humains, mais le dire comme ça, ça ne viendrait jamais à l’esprit dans une rencontre de la vie de tous les jours. Dire : « finalement, on se ressemble, on fonctionne pareil donc on va arriver à communiquer ». C’était un moment fort.
Après, il y a eu la découverte de leurs chefs spirituels, les Mamos, qui maintiennent la société ensemble. Ce sont les guides spirituels mais pas seulement, ils ont aussi beaucoup de pouvoir temporel, ou du moins de conseils, ils donnent les directions dans lesquelles il faut aller. Découvrir ces fonctionnements-là, c’était marquant.
Et chaque jour, il y avait des moments de découvertes. Par exemple, Antonio (Kogi rencontré lors de l’émission) n’avait jamais vu la mer, et surtout il ne s’était baigné dans la mer, pour lui c’était quelque chose de complètement irréel…
Un moment qui m’a fait beaucoup réfléchir, c’est quand ils nous ont parlé de leur conception du monde, qu’ils nous ont dit que le haut des montagnes était lié à la mer, etc. Et oui, la fonte des glaciers alimente les cours d’eau, etc., tout ça, on le sait maintenant scientifiquement, mais eux le savent depuis toujours… Et on les prenait pour des rigolos, à l’époque. De voir cette convergence de ce qu’eux disent depuis toujours avec ce que l’on découvre depuis 10, 20 ou 30 ans, c’était quand même une claque. Ca fait prendre du recul par rapport à notre société qu’on a tendance à estimer supérieure, parce qu’elle marche bien économiquement, ou à peu près, et techniquement… Je pense que c’est important, de temps en temps, d’avoir cette piqûre de rappel.
J’aimerais bien y retourner… Peut-être un jour !”
Propos recueillis par Pauline Thiériot
Grâce à l’appel à dons lancé lors de la diffusion de l’émission, plus de 215 000 € ont été collectés pour permettre la restitution de terres ancestrales aux Kogis. A ce jour, 82 hectares ont déjà été restitués, et de nouveaux achats sont prévus dans les mois à venir. Un grand merci à Thomas Pesquet, Frédéric Lopez, l’équipe de l’émission, et aux 3 700 donateurs !
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Petit rappel sur les commentaires
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/04/2023
- 0 commentaire
Il est inutile de proposer des commentaires sur des articles ou sur mon livre d'or s'ils contiennent des liens publicitaires qui n'ont aucun rapport avec l'article ou avec mes romans et même s'ils sont dithyrambiques.
Je les supprime.
Mon blog n'est pas et ne sera jamais un panneau publicitaire.
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LE DÉSERT DES BARBARES (6) : l'être et l'avoir
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/04/2023
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Théo et Laure avaient rejoint les crêtes par l'Aup du seuil puis ils s'étaient engagés sur le sentier menant au col de Bellefont. Théo connaissait parfaitement l'itinéraire. Il avait parcouru l'intégralité de la traversée Chambéry-Grenoble à cinq reprises. Il comptait cinq heures pour atteindre le sommet de la dent de Crolles en trottinant et Laure se réjouissait de cette belle échappée.
Lorsque la clarté naissante révéla le fonds de la vallée, ils distinguèrent les bancs de brume couvrant l'immensité. Comme une mer blanche à l'étale. Une horizontalité parfaite. La beauté du spectacle cachait la certitude du drame. Le silence d'un cimetière. Pas un souffle de vent, pas un bruit humain.
Laure revoyait le vol du rapace et l'évidence de sa joie. Elle cherchait à en comprendre le message. Il restait de sa dernière nuit une sensation étrange et elle tentait d'en retrouver la source. Une image, un rêve, une pensée ? Elle n'avait aucune certitude, juste un ressenti bienheureux. Elle reliait le vol du rapace à cette impression inexpliquée. Sans se départir de l'idée qu'il y avait autre chose, une raison cachée. Trottiner en montagne avec Théo pourrait suffire mais là encore, elle convenait que la source de son ressenti venait d'ailleurs, un territoire inexploré. C'était l'image la plus juste. Un territoire inexploré. Un antre secret dont elle devait trouver l'entrée.
Depuis plusieurs jours, elle avait l'impression que sa mémoire contenait davantage d'images, l'accident, la voiture, la lumière. Il s'était passé autre chose, un événement qu'elle devait retrouver, un souvenir essentiel et elle cherchait le moyen de rétablir le film, de dérouler à l'envers les images perdues. Un mélange de frustration et de désir, l'alternance entre le dépit d'avoir égaré un morceau de l'histoire et la joie d'imaginer que c'était là, en elle, qu'elle le retrouverait nécessairement, une lumière, un voyage inachevé, un horizon aperçu, une rencontre. Il ne s'agissait pas de Figueras. De lui, elle s'en souvenait parfaitement. Peut-être qu'il n'y avait personne, peut-être qu'elle s'égarait à vouloir identifier ce qui lui manquait et que son imagination l'égarait.
De l'autre côté de la vallée, derrière la chaîne de montagnes de Belledonne, elle vit la clarté étendre son voile, elle adorait ces levers de soleil par-dessus les sommets, cet envahissement des cieux, la lumière coulant sur les pentes argentées et révélant les reliefs, les piliers, les faces, les pierriers, les derniers résineux à la frontière avec l'étage nival, les plus téméraires, les plus résistants, elle aimait la puissance de ces paysages, elle y avait toujours trouvé la raison de son existence, les fondations, les élans vitaux, l'effacement des troubles les plus intenses.
Théo était apparu et l'amour avait empli l'unique zone délaissée de son cœur.
Au milieu d'un monde dévasté.
Devait-elle pour autant s'interdire d'être heureuse par empathie pour ses prochains, pour tous les humains, pour tous ceux qui pleuraient leurs morts, pour tous ceux qui tentaient de survivre ? Cette absorption du malheur universel atténuerait-elle les effets du désastre ? Évidemment pas. Elle le savait intimement et n'avait pas encore osé l'admettre, comme ceinturée par la honte de se réjouir de son propre bonheur, une culpabilité tenace. Le syndrome du survivant, elle en avait lu quelque chose sans pouvoir en établir une connaissance présente.
C'est là qu'elle se souvint des paroles de Figueras, de l'importance de la paix intérieure et de la capacité à se réjouir de la vie en soi et autour de soi, quelles que soient les épreuves. Les Kogis ne priaient pas pour demander à être protégés, épargnés, soulagés, pardonnés, absous, ils ne réclamaient rien, ils ne se plaignaient pas. Ils honoraient la création et la remerciaient du bonheur de vivre en son sein. Ils priaient comme un enfant vient se blottir contre sa mère, juste pour le bonheur intense de la paix.
Le liseré flamboyant de l'astre se dessina enfin, un arrondi ardent qui enflamma les pentes. La boule incandescente s'éleva lentement et les rayons embrasèrent la ligne de crêtes où ils progressaient.
Théo, concentré jusque-là sur l'itinéraire et l'horaire à tenir, s'arrêta quelques secondes. Il se retourna vers Laure. Elle souriait, le visage baigné par les rayons. Il revint vers elle.
« Merci de m'avoir permis de vivre ça, dit-elle, merci de m'avoir accueillie. J'ai conscience de la chance immense que j'ai eue de croiser ta route. Et je remercie la vie de ce cadeau inestimable d'être ici et de pouvoir contempler ce spectacle. Là, en cet instant, rien d'autre ne compte. »
Il ne trouva pas les mots et il s'interdit de l'enlacer. Convaincu qu'elle n'attendait rien de lui. « Avant de parler, assure-toi que ce que tu veux dire est plus important que le silence que tu vas briser. » Une citation lue ou entendue, il ne se souvenait plus mais il savait combien Laure aimait le silence. Elle avait exprimé son amour pour lui. Il lui restait à se taire.
Il l'observa, les regards balayant les horizons découverts. Il aimait infiniment la douceur de son visage et simultanément l'énergie qui en émanait. Il la quitta des yeux et contempla les montagnes. Que voyait-elle qu'il ne distinguait pas ? Il en était certain, elle regardait bien au-delà.
Il ne la vit pas s'approcher. Elle l'enlaça.
« L'énergie créatrice. C'est bien autre chose que ce que les yeux regardent. »
Lisait-elle dans ses pensées ?
« Qu'est-ce que ça signifie ?
- Si tu regardes les montagnes comme des entités nommées, cartographiées, avec une altitude connue, que tu y reconnais les itinéraires, que tu te souviens de tes ascensions, tu ne regardes pas les montagnes, tu te regardes à travers elles. C'est ton existence que tu contemples. Et finalement, c'est encore une exploitation de la nature. Une exploitation existentielle. J'en arrive à penser que plus les humains disparaîtront, plus la nature retrouvera sa virginité. Je sais que c'est effroyable si on pense aux victimes mais si on se place du côté de la nature, c'est une libération. Et peut-être même que les survivants finiront par changer leur regard puisque le passé aura été balayé, effacé, pulvérisé. L'occasion unique de saisir pleinement la réalité de ce monde. Et surtout que l'humanité ne soit plus une entité à part. Le colonialisme n'est pas qu'une agression envers certains peuples. Les humains ont colonisé la planète, avec tous les outrages que ça comporte. Cette époque est une décolonisation forcée, accélérée et impitoyable. »
Elle le regarda en souriant.
« C'est le bonheur de la vie qui doit nourrir le renouveau de la planète. Aussi terrifiant que soit la situation. Ma mère, dans son apathie dépressive, va à l'encontre de cette révélation.
- Et moi, dans l'inquiétude chronique que je porte, j'en fais tout autant.
- Non, Théo, je ne suis pas d'accord. Ma mère se morfond mais toi, tu agis. Et encore une fois, je suis heureuse et soulagée de vivre à tes côtés. Sans toi, e serais sans doute morte. »
Il posa une main sur sa joue.
« On y va !» lança-t-elle.
Le sentier sur le fil des crêtes, un chamois bondissant qui s'enfuit, les immensités ouvertes jusqu'à l'horizon, un ciel épuré, aucune trace d'avion, toutes ces déchirures blanches disparues, effacées, balayées par l'effondrement des hommes, des hommes dénudés. Tout ce qui avait volé en éclats, toute cette technologie flamboyante, cette certitude que rien de grave ne pouvait survenir, que l'hégémonie perdurerait indéfiniment, que les alertes catastrophistes relevaient de la paranoïa.
Des pensées qui défilent comme l'alternance de ses pieds devant ses yeux.
Que reste-t-il du monde humain ? Cette question qui tournait en boucle dans la tête de Laure, depuis le premier jour, et qui disparaissait, peu à peu. Comment la nature vit-elle cette période ? L'autre interrogation, prioritaire désormais. Cette nature outragée depuis si longtemps par une masse inconsciente, indifférente, prétentieuse, cupide, avide, juste bonne à dilapider les biens de tous, juste bonne à dévaster la création, que ressentait-elle cette Terre libérée ? Les phénomènes naturels, même s'ils témoignaient d'un dérèglement probable, restaient malgré tout des phénomènes naturels. La nature ne se détruisait pas elle-même. Elle vivait ainsi depuis la création. L'homme avait exploité la planète mais il était toujours resté le même.Il n'y avait eu aucune évolution spirituelle d'ampleur. Quelques individus œuvraient à une existence juste et respectueuse du vivant. Trop peu, beaucoup trop peu. La masse avait grandi inexorablement et la quête des biens avaient servi de fil conducteur. Comme si l'être dépendait essentiellement de l'avoir. Oui, le confort offrait la sérénité nécessaire à l'émergence du bien-être, elle ne pouvait le nier mais la limite avait été dépassée, l'équilibre rompu et cette course avait pris l'allure d'une perdition.
Et maintenant, le ciel était vide et aucun bruit ne remontait de la vallée.
Existait-il au cœur de la nature une réjouissance ?
Le bonheur de courir, avec Théo. Elle en aimait chaque instant, chaque foulée, chaque souffle, chaque appui sur les pierres blanches, ce jeu précis de l'équilibre et de la puissance. La détresse n'apportait aucune solution, elle nourrissait l'effondrement quand le bonheur de vivre soutenait la résilience. Ce lever de soleil dévoilait l'étendue d'un désastre consommé et il révélait simultanément une abondance de merveilles. L'état des lieux ne pouvait se limiter à l'impact des catastrophes sur les humains. Cette auscultation ciblée reproduisait le fonctionnement spirituel mensonger de la masse. Il ne s'agissait pas de la fin du monde, cette expression mensongère, cet accaparement révélateur du positionnement de l'humain. Comme si le monde avait besoin de l'humanité. Il n'y aurait plus aucun humain que le monde serait toujours là. Bien sûr qu'il était juste d'honorer la mémoire des morts mais il était plus important encore de bénir la création au risque de n'être qu'un humain limité à sa courte existence, à son petit moi agité, à son ego formaté, à une appartenance limitée.
« Attention à la branche », prévint Théo.
Elle se baissa pour passer sous l'obstacle et réalisa à quel point ses pensées ouvraient de perspectives. L'effondrement ne concernait qu'une frange de la création, une part infime au regard du vivant. D'où venait cette injonction à hurler de douleur ou à verser des océans de larmes parce que des millions d'humains périssaient ? Un instinct grégaire, une reconnaissance cellulaire ? Non, non, non. Cet amour inconditionnel envers ses semblables, elle n'en avait jamais éprouvé la réalité profonde. Des données familiales, sociétales, éducatives. « Tu aimeras ton prochain... » Et la Terre alors, la création, la nature, l'intégralité du monde vivant ? Combien pleurait le mal qu'elle subissait depuis des siècles ? La Terre ne comptait-elle pas parmi nos proches ? Pour les peuples premiers, elle était notre Mère à tous. Cet attachement à la douleur humaine nourrissait depuis des siècles l'indifférence envers la planète.
« Tu m'as parlé ? interrogea Théo.
- Non, non, je parle toute seule, répondit Laure en réalisant que les pensées étaient si puissantes qu'elles s'extirpaient elles-mêmes de son crâne. Vas-y, cours, je te suis !
- On va bifurquer dans cinq minutes, faut qu'on descende, ça ne passe pas tout droit, on franchit la cheminée du paradis et on monte au sommet de la dent de Crolles. »
Elle ne répondit rien. L'esprit envahi par un déluge de pensées. Un déluge délicieux, comme des pluies nourricières, des moussons salvatrices, une eau qui nettoie, qui épure, qui ravine et emporte les choses mortes, des vents qui dispersent les pollens, des lumières qui attisent les croissances, des chaleurs qui exaltent, des fraîcheurs qui apaisent.
Elle continua à épouser les foulées de Théo, parfaitement calée sur son rythme, le corps libre, sans qu'aucun objectif rapporté ne vienne entraver cette liberté intérieure.
Ils quittèrent les crêtes et basculèrent dans la pente, dans l'ombre de la face est. Ils franchirent un ressaut rocheux et reprirent les foulées, ils atteignirent le pied de la dent de Crolles et entamèrent la montée finale.
Le soleil avait réchauffé l'atmosphère quand ils aperçurent la croix du sommet, le plateau sommital en pente douce, des nuées évanescentes dérivaient en altitude, une brise légère jouait à animer les dentelles, les sommets de Belledonne flamboyaient, les neiges automnales comme des parures scintillantes.
Dans les derniers mètres avant d'atteindre le bord de la falaise et de découvrir la vallée entière, Théo s'arrêta. Laure dans ses pas.
« Sur cet itinéraire, avant que le monde ne parte en vrille, je rencontrais toujours des randonneurs. Pas des dizaines mais quelques-uns. Aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre dans un monde parallèle, une autre dimension, le monde d'en bas et le monde d'en haut.
- Oui, Théo, mais ce ressenti est influencé par notre statut d'être humain.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Les phénomènes naturels nous impressionnent par rapport aux dégâts qu'ils provoquent sur l'humanité mais est-ce que nous réagissions réellement lorsque la beauté de la création ne nous portait pas préjudice, lorsque la quiétude nous entourait ? On se pâmait devant un beau paysage, un beau coucher de soleil, un champ de fleurs mais sans en être bouleversés, sans que ces spectacles ne déclenchent … je ne sais pas comment l'exprimer ... On vivait à côté de la nature et maintenant qu'elle nous secoue, on ne voit d'elle que sa puissance destructrice. Parce que c'est notre monde parallèle qu'elle bouleverse … Je ne sais pas comment l'expliquer.
- Si, je comprends. Nous n'avons pas témoigné de notre reconnaissance, pas à la hauteur du cadeau inestimable de la création et maintenant, nous ne voyons que les bouleversements qu'elle nous impose.
- C'est le monde humain qui est parti en vrille, pas la nature. Ou alors, il faudrait accepter l'idée que la nature accompagne le mouvement, qu'elle nous imite, peut-être même qu'elle pense nous aider, qu'elle participe délibérément au nettoyage.
- Oui, on l'a déjà évoqué et l'enchaînement des phénomènes plaide pour cette hypothèse.
- Alors, Théo, si c'est bien le cas, nous devons changer de regard. Nous devons changer, intérieurement.Le problème, ça n'est pas la nature, c'est nous. »
Il lui tendit la main, la paume vers le ciel.
"L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur. C'est Grégoire Lacroix qui a écrit ça, il y a longtemps. Il nous reste donc à inverser la tendance. »
Elle serra la main de Théo et ils avancèrent jusqu'au bord de la falaise."
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Visionnaire
- Par Thierry LEDRU
- Le 21/04/2023
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"Maintenant, on pourrait presque enseigner aux enfants comment la planète va mourir, non pas comme une probabilité mais comme l'histoire du futur.
On leur dirait qu'on a découvert des feux, des brasiers, des fusions que l'homme avait allumés et qu'il était incapable d'arrêter.
Que c'était comme ça, qu'il y avait des sortes d'incendie qu'on ne pouvait plus arrêter du tout.
Le capitalisme a fait son choix : plutôt ça que de perdre son règne. "
Marguerite DURAS, écrit le 4 juin 1986
Cette année-là, j'avais 24 ans. Et je n'ai sûrement pas lu ce texte, pour la simple raison que ça ne m'aurait pas parlé du tout. On ne lit que ce qu'on a cherché à lire et je ne cherchais aucunement à lire des textes d'alerte.
J'ai bien conscience aujourd'hui que ce blog est devenu quelque peu alarmiste. Je me dis que si un jeune de 24 ans venait à tomber dessus, il pourrait lui être utile.
Je suis un vieux qui parle aux jeunes.
Ne faites pas comme moi, réveillez-vous, maintenant.
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"Trop"
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/04/2023
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Tous ces "trop" émergent de la vie sociale.
Ce sont des données qui sont imposées à l'individu par une société qui le considère comme un outil et qui par là même s'octroie le droit de lui appliquer les termes dont on use en parlant de choses.
Il s'agit donc de s'imposer par delà ces "trop", de les combattre, de s'affirmer. Et donc de refuser les étiquettes de ces "trop".
Ou alors, c'est qu'il faut quitter ce monde sauvage de la société capitaliste, se mettre en retrait, s'autonomiser pour ne plus être considéré comme un "trop" mais juste comme un "rien".
Devenir inexistant et donc exister pour soi.