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  • "Nous voulons des coquelicots"

     

     

    Nous voulons des coquelicots !

     

    https://jardinerbioblog.com/2019/02/08/nous-voulons-des-coquelicots/

     

    C’est d’un appel à la résistance pour l’interdiction de tous les pesticides dont je vais vous parler dans cet article.

    Figurez-vous qu’une amie m’a offert le manifeste Nous voulons des coquelicots écrit par Fabrice Nicolino (journaliste à Charlie Hebdo) et François Veillerette (enseignant) . Je suis tombée des nues en le lisant. D’une, parce que ce livre dénonce clairement la désinformation pratiquée par le lobby des pesticides (et nos politiques) mais aussi parce que je me suis rendue compte qu’il y a beaucoup moins d’insectes qu’avant. Tenez, par exemple sur les vitres de vos voitures, vous ne trouvez pas qu’il y a moins de moucherons à venir s’y écraser ? Les deux auteurs nous plongent également en 1875 où un scientifique n’avait qu’à soulever une pierre pour y trouver des grillons… Maintenant, et il n’y a que cent ans de différence, les petites bêtes sous les pierres sont quasi-rares. Cela mérite réflexion non?

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    D’ailleurs, nul besoin de revenir un siècle en arrière : rappelez-vous de votre enfance. Ne voyions-nous pas davantage d’oiseaux et d’insectes butineurs ? De guêpes prêtes à nous gâcher le pique-nique ? Plongez dans vos souvenirs (et dans les petits désagréments causés par les petites bêtes) et vous vous rendrez compte que vous ne pourrez pas troquer vos expériences de naguère contre celles d’aujourd’hui. Vous vous allongiez dans l’herbe et voilà t’y pas que vous aviez déjà une ou deux bestioles en train de vous courir sur le jean. Et les doryphores sur les plants de patates chez papy ? Disparus !

    Il n’y a qu’une poignée d’années de différence et c’est déjà flagrant ! Mais que s’est-il passé ? Les pesticides bien sûr, la course à la productivité et l’urbanisation : où sont les abeilles ?

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    Petit synopsis

    Les deux auteurs racontent comment, après la seconde guerre mondiale et la naissance du premier pesticide (le DDT), les lobbys ont su mentir éhontément à la population pour faire vendre leurs pesticides et comment ils ont réussi à faire pression sur les politiques pour qu’ils freinent au maximum les interdictions. Le pire : quand un pesticide est interdit (moi lectrice je me suis dit « ouf, ça y est, on est en sécurité ! ». Eh bien non !) c’est dix autres pesticides tous plus nocifs les uns que les autres qui arrivent sur le marché ! De plus, l’opacité scientifique dont font preuve les firmes qui commercialisent les pesticides (qu’elles appellent produits « phytosanitaires ». Oui ça fait plus propre, plus « médicament », voyez l’ironie) est aberrante. Elles payent des scientifiques pour qu’ils publient des rapports démontrant par a+b que leurs produits ne sont pas toxiques ! Et lorsque des scientifiques indépendants démontrent le contraire, tous les politiques – la justice même – prônent la diffamation et condamnent celui qui détenait la vérité.

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    S’informer des dangers de manipulation des produits phytosanitaires (ça fait envie !)

    Quels pesticides ?

    1945 : le DDT. C’est la poudre insecticide qu’on balançait sur les cultures et sur les juifs sortis des camps (cela a sauvé Primo Lévi du typhus). Or on sait maintenant que le DDT était cancérogène.

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    1945 : pulvérisation de DDT directement sur les baigneurs (ici un enfant) pour les « protéger » contre les moustiques.

    1951 : le chlordécone. Commercialisé sous le nom de Kepone, il nuit à la reproduction et conduit à des maladies neurologiques. Quand est-il interdit ? Seulement en 1976 en Amérique et, avec le pouvoir des lobbys, en 1989 en France ! Pourquoi ? parce qu’on lui a trouvé un petit remplaçant. Ce pesticide utilisé massivement dans les bananeraies en Martinique et en Guadeloupe provoque encore aujourd’hui de nombreux cancers (de la prostate) au sein de la population.

    Années 1960 : premiers épandages de l’« agent orange » sur la forêt vietnamienne. Il est constitué de deux herbicides (joyeux cocktail) les 2,4,5-T et le 2,4-D. Résultat ? 60 ans après, le poison épandu à cette époque a encore des répercussions sur les 3e voire 4e générations qui souffrent d’une quinzaine de pathologies souvent lourdes.

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    C’est en 1962 que paraît le livre de Rachel Carson Printemps silencieux (Silent spring) dans lequel cette biologiste de la mer y décrit un monde où même les oiseaux ont disparu tout simplement parce que « pour la première fois dans l’histoire du monde, l’homme vit au contact de produits toxiques, depuis sa conception jusqu’à sa mort ». Ces produits pénètrent dans l’intimité de nos cellules et provoquent des troubles qui diminuent notre durée de vie. Mais alors que faire ? Nous renseigner sur leur pouvoir et sur leur nature puisqu’ils restent dans le sol pendant des années et que nous finissons par les manger, les boire et les respirer. Bien sûr, cet appel à la vigilance sera spolié par les lobbys, parodié par Monsanto qui publiera L’année de la désolation inventant un scénario catastrophe pour discréditer l’ouvrage de Rachel Carson : le monde est ravagé par la famine, les maladies et les insectes parce que (sommes-nous bêtes ?) nous avons fait interdire les pesticides ! C’est le début de la désinformation.

    Le glyphosate est mis sur le marché en 1975.

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    En 1992, le Gaucho (fameux néonicotinoïde qui tue nos abeilles) obtient une autorisation de mise sur le marché. C’est un insecticide systémique (c’est-à-dire qu’il est présent dans la sève de la plante). Or, les abeilles qui butinent les fleurs en ingèrent avec le pollen et en meurent, touchées au cœur de leur système nerveux. C’est en avril 2018 (c’était hier) que trois néonicotinoïdes sont interdits. On se dit que c’est bien enfin ? Non. Parce que deux autres font leur arrivée sur le marché et sont loin d’être interdits : le Closer et le Transform, tous deux à base de sulfoxaflor (néonicotinoïde).

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    Un apiculteur tenant dans ses mains les cadavres de ses abeilles.

    Et maintenant ?

    En ce moment, on se bat contre le glyphosate (molécule appartenant à la firme Monsanto qui les met en vente sous le fameux roundup). Mais cette firme a réussi à faire freiner l’interdiction de son produit qui est sur le marché depuis au moins quarante ans (alors qu’on savait depuis le départ de sa mise sur le marché qu’il était nocif pour les êtres vivants). Pourquoi c’est si long ? Le principal syndicat des agriculteurs (la FNSEA) le présente comme indispensable pour garder une productivité et être compétitif sur le marché. De plus, Monsanto gagne du temps en faisant traîner ses procès ce qui lui permet d’engager un processus pour créer un nouveau pesticide avec une autre molécule que le glyphosate.

    Pour preuve de la désinformation dont nous sommes victimes, regardez les publicités mensongères de l’époque pour vanter les mérites du roundup et prôner l’absence de danger pour l’environnement ! Or maintenant pour manipuler ce type de produit, il faut mettre une protection spéciale !

    Publicité roundup : l’une avec un agriculteur qui en vante les mérites et la deuxième ci-dessous !

    Les néonicotinoïdes tuent les abeilles et les apiculteurs sont en détresse :

    Pollution des sols, de l’eau, de l’environnement :

    Le DDT est encore présent dans des sédiments des cours d’eau (45 ans après son interdiction, imaginez sur les êtres vivants). Pour les autres produits, les politiques se gardent bien de demander des analyses mais on se doute bien qu’ils ne sont pas biodégradables.

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    Ne perdons pas espoir, les abeilles sont toujours là !

    Pour aller plus loin

    Si vous voulez poursuivre la réflexion vous pouvez aller voir le site de Fabrice Nicolino « Planète sans visa ». Il propose une réflexion sur l’actualité en adoptant une autre perspective : une autre façon de voir la même chose.

    Le numéro spécial de Charlie Hebdo sur les pesticides.

    Le précédent ouvrage écrit par ces deux mêmes auteurs : Pesticides. Révélations sur un scandale français. Ils y dénoncent le scandale des pesticides en France. Rappelons que malgré les différentes mesures censées limiter l’utilisation de pesticides, les vignes à champagne sont aspergées plus de 19 fois par an, c’est en moyenne 34 fois de suite sur les pommes et pas loin de 18 fois sur les pommes de terre (seulement 12 fois sur les tomates, réjouissons-nous)…

    Le reportage sur arte Le roundup face à ses juges (sur le procès de Monsanto).

    Envoyé spécial. Glyphosate, comment s’en sortir ? Ce reportage démontre que nous avons tous du glyphosate dans le sang, qu’il est responsable d’une épidémie d’infection rénale qui a touché le Sri Lanka obligeant le gouvernement à l’interdire : des milliers de paysans sont sous dialyse parce que leurs reins ne fonctionnent plus… Ils travaillaient dans des rizières et buvaient l’eau infestée de pesticides : personne ne leur avait dit que ce produit était dangereux. Normal, pour les firmes, il ne l’est pas et des scientifiques se sont fait graisser la patte pour prouver que le glyphosate est sans danger pour la santé.

    Attention, restez critiques, ce n’est pas parce qu’une firme de pesticides est en procès (qu’ils vont perdre), qu’on sera débarrassés de tous les pesticides. Ce manifeste m’a montré que ces firmes cherchent à gagner du temps pour d’une part, écouler leurs produits et d’autre part, trouver une autre recette pour laquelle il faudra encore des années et des années de contre-expertises, de laboratoires non compromis par la firme pour démontrer que c’est bel et bien dangereux pour la santé !

    Et après ?

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    Signez la pétition « Nous voulons des coquelicots » pour revoir fleurir nos champs et interdire l’usage des pesticides. Ces fleurs nourrissent les abeilles, produisent des graines qui nourrissent les oiseaux.

    Cet appel ne consiste pas seulement à signer la pétition mais également à ce que chacun se révolte à sa façon contre l’utilisation des pesticides ! Ce peut être en semant des coquelicots, en accrochant un dessin de coquelicots au bas de sa fenêtre ou en se rejoignant au moins tous les mois pour une immense marche.

    Pourquoi le coquelicot comme emblème ? « Parce que cette fleur est belle. (…) Les pesticides en ont tué des milliards de milliards. Le coquelicot est donc fragile, et rare désormais, sauf en quelques lieux épargnés. Mais il est aussi résistant, capable en une saison de libérer des dizaines de milliers de graines. Dans l’universel langage des fleurs, le coquelicot est à la fois consolation, passion ardente et fertilité. Que pourrait-on souhaiter de plus au monde ? » (Nous voulons des coquelicots, Fabrice Nicolino et François Veillerette).

     

  • Agriculture syntropique

     

    Agriculture syntropique, qu’est-ce que c’est ?

     

    https://jardinerbioblog.com/2022/06/16/agriculture-syntropique-quest-ce-que-cest/

    Après la permaculture je vous parle encore d’un truc de bobos écolos, non ?

    Si la ferme du Bec-Hellouin est de la permaculture appliquée à grande échelle, la syntropie fait de même mais avec d’autres méthodes.

    Des principes qui lui permettent d’accélérer les processus naturels en divisant le temps par 10, ça vous parle ? Moi ça m’a l’air immense mais – vous vous en doutez – ça reste abstrait !

    En accélérant ainsi le temps, ce système exploite au mieux la lumière du soleil sur chaque plante et garde un maximum d’humidité au sein de l’écosystème.

    Intrigant. Peut-on reboiser le désert ?

    L’agriculture syntropique à l’initiative d’un homme

     

    Oui tout commence toujours par un homme… C’est dingue…!

    Ernst Götsch (Suisse) installé au Brésil y a acheté une ferme en 1984 : un vrai désert.

    C’est truqué, non ? C’est photoshop ? Attends, je reconnais cette colline-là, non… ?

    En près de 30 ans, le paysage est transfiguré. Pourtant, Ernst n’a fait que reproduire les stades successifs présents dans la nature. Sauf que, couplés avec l’intelligence humaine, il les a accélérés et a, du même coup, donné naissance à l’agriculture successionnelle, autrement dit : la syntropie.

    Le principe de la syntropie dans la nature

    Ha, nous y voilà enfin ! Comment ça fonctionne dans la nature tout ça ?

    Tout d’abord, la nature est bien faite et elle tend à chaque fois à devenir une forêt (oui c’est sa petite marotte).

    Sur la terre apparaissent d’abord :

    des plantes pionnières (les mousses, les herbes…) : c’est la phase placenta.

    des plantes à croissance plus lente (des arbustes comme des genêts par exemple) : c’est la phase secondaire.

    puis des plantes qui occupent la forêt pendant des millénaires (les chênes dont les graines étaient protégées des prédateurs dans le roncier) : c’est la phase climax.

    C’est Ernst Götsch qui a donné un nom à chacune de ces trois phases qui correspondent à des strates de végétation : la strate herbacée (la phase placenta), la strate arbustive (la secondaire) et la strate haute (le climax).

    Voici un exemple de feuille de route de l’agriculteur syntropique.

    Vous savez maintenant tout sur la succession des plantes dans l’écosystème.

    Maintenant, sachez aussi qu’il y a trois stades d’évolution de la végétation dans la nature : la colonisation, l’accumulation et l’abondance.

    La colonisation. C’est l’installation de la vie : ici pousse des plantes qui peuvent grandir en milieu hostile (peu de terre…).

    L’accumulation. C’est un système peu diversifié avec des espèces qui produisent beaucoup de bois (lignine) et peu d’azote (les arbres et les plantes qui ont des petites feuilles). Cette accumulation de bois va engranger de la matière organique dans le sol. Au bout d’un moment, toutes ces réserves de matière organique, accumulée puis décomposée, seront disponibles en quantité pour les végétaux qui produiront enfin de l’azote.

    L’abondance. C’est la phase suivante, l’efficacité de la photosynthèse va arriver à son maximum, les végétaux créent de grandes feuilles. Les grands herbivores apparaissent et viennent perturber le système. Le cycle recommence avec à chaque fois une augmentation de la fertilité du milieu.

    C’est en étudiant ces stades qu’Ernst a déterminé l’importance de la taille.

    L’agriculture syntropique

    Ernst Göstch a trouvé une manière d’accélérer ce processus naturel pour aller plus rapidement vers un système d’abondance.

    Ernst Götsch dans son exploitation

    Le but d’Ernst sera de choisir d’implanter des végétaux (ou de semer) pour pouvoir occuper chacune des 4 strates végétatives : la strate herbacée, arbustive, la strate haute (canopée) et la strate émergente.

    L’importance du mulch en agriculture syntropique

    Mulch is never too much !

    Autrement dit, il n’y a jamais trop de mulch quand on démarre en agriculture syntropique ! Le mulch c’est un paillage de bois broyés (ou coupés en fins morceaux). Et comment on produit du mulch ? En taillant un maximum (au début on a le droit de l’importer).

    Agricultrice syntropique en pleine opération de taille. Admirez les résidus au sol.

    Comment cultiver en syntropie ?

    Tout d’abord, le stade de colonisation n’est pas à faire : nous arrivons sur un terrain qui est déjà dans le stade d’accumulation.

    Vous choisissez une culture primaire, celle qui vous intéresse, que vous voulez ardemment récolter. Comme j’adore les framboisiers, on va dire que votre culture primaire ce sont les framboises.

    À lire aussi :

    Bien. Maintenant vous allez exploiter l’ensemble des 4 strates avec d’autres cultures. Entre les framboisiers (strate arbustive) vous cultivez des légumes (ils joueront le rôle de la strate herbacée), mais aussi des arbres fruitiers (strate haute) et des arbres plus hauts qui constitueront la strate émergente (si vous n’avez pas la place, ce n’est pas grave vous pouvez oublier cette strate).

    C’est tout ? Non ! Vous taillez au maximum vos arbres fruitiers, vous sursemez vos légumes pour en couper pas mal (en laissant les racines dans le sol) : tous les résidus de coupe seront taillés et laissés au sol. Ils apporteront énormément de carbone : le sucre lent du sol !

    Pour les framboisiers, votre récolte primaire ? Vous les taillez normalement. La taille de toutes ces plantes alentours leur enverra l’information qu’il faut produire car ils risquent d’être taillés !

    La syntropie questionne notre manière de jardiner : certes nous récolterons des légumes au milieu de nos framboises mais peu par rapport à ce qu’on a semé/planté. Certaines plantes n’auront été semées que dans le but de produire de la matière organique, sans leur donner le temps de grandir !

    Pourquoi faut-il tailler ?

    Ça vous questionne ? Moi aussi !

    Pourquoi devons-nous à ce point intervenir et perturber nos plantations ? Nous provoquons fréquemment un rajeunissement du système (coupe de branches, taille des arbres, suppression d’individus…). Ce faisant, nous accélérons le processus qui se fait naturellement mais qui prend des décennies. Encore sceptiques ? Cette pratique a d’autres nombreux effets :

    Elle maintient les arbres taillés à outrance dans un état de repousse permanente.

    Via les racines et le réseau mycorhizien, les arbres informent les autres plantes de la situation : il faut produire !

    Avec la taille, les arbres restent en état d’adolescence et n’entrent pas en sénescence (vous voyez les trognes ? Eh bien, ces arbres vivent plus longtemps que ceux qui sont rarement taillés).

    Elle fait libérer aux arbres des hormones de croissance qui profitent à toutes les plantes.

    Elle augmente la production de matière organique au sol (avec les résidus de taille) : les plantes puisent plus rapidement des minéraux dans le sol et repoussent plus vite : un cercle vertueux.

    Elle est stratégique car elle permet de faciliter la croissance de nos espèces primaires en leur fournissant de la lumière.

    Elle nous permet de maintenir la stratification du système.

    Maintenant que vous savez ce que c’est l’agriculture syntropique, c’est bien joli mais vous n’avez pas envie de tester ça dans votre jardin (ou votre champ, chanceux que vous êtes) ? 

     

  • Une photographie collector

    Je mets cet article ici car je trouve magnifique la photographie des 177 acteurs et actrices et que c'est un très bon exercice de mémoire. ^^

    L'article est passionnant quand on aime le cinéma.

     

    ÉPISODE 9 : DUOS DE REALISATEURS POUR 177 ACTEURS

     

    1 NOVEMBRE 2019  

    https://plumesdecine.wordpress.com/2019/11/01/episode-9-duos-de-realisateurs-pour-177-acteurs/?

     

     

    © Christopher Poulain

    « La photo des acteurs reste, (…) l’un des moments les plus forts de toutes ces années-là. »

    ACTEURS/PHOTOS

    Venons-en à la photo des 177 acteurs du cinéma français dans le numéro du premier anniversaire de Studio, en février 1988. Qui en a eu l’idée ?

    Jean-Pierre Lavoignat. Marc, bien sûr ! Il avait l’idée de cette photo qui réunirait tous les acteurs du cinéma français depuis un certain temps, un peu à l’image des photos que faisaient jadis les studios américains – sauf que pour eux c’était plus facile : les acteurs étaient sous contrat ! Il a même envisagé un moment l’organiser pour le lancement de Studio, il souhaitait que ce soit l’axe du film de pub de lancement. C’était trop compliqué à mettre sur pied, et on n’avait pas assez de temps. Il a relancé l’idée pour le premier anniversaire de Studio, sans être sûrs qu’on arriverait au bout.

    Marc Esposito. Il fallait qu’ils soient tous disponibles le même jour à la même heure ! Ça ne pouvait donc être qu’un dimanche. Dès le mois de septembre 87, on a envoyé des lettres aux 20 acteurs les plus importants, en leur proposant des dates, on s’est décidé pour le jour qui avait été le plus souvent choisi. Ensuite, on a envoyé une lettre à tous les autres acteurs, en leur disant :  »Le dimanche 10 janvier, à telle heure, à tel endroit, on fait une photo de tous les acteurs français réunis. Nous espérons que vous pourrez être parmi nous. » La bonne idée est venue de Christine Levreau, notre RP. Elle a proposé de monter un partenariat avec les taxis G7, qui appartenaient à Rousselet, le boss de Canal, notre actionnaire, afin qu’il y ait un taxi en bas du domicile de chacun des acteurs le même dimanche matin, à la même heure. Résultat : tous ceux qui avaient dit qu’ils viendraient sont venus, vu qu’un taxi les attendait en bas de chez eux !

    JPL. Il y a quand même eu quelques défections de dernière minute : Christophe Lambert qui s’était blessé trois jours avant sur un tournage et était encore à l’hôpital, Sophie Marceau, qui était partie au Japon, Daniel Auteuil, pour je ne sais plus quelle raison…

    ME. Ça, moi je m’en souviens ! Il vivait alors avec Emmanuelle Béart, qui avait refusé de venir parce qu’elle n’avait pas digéré je ne sais plus quel petit coup de griffe que j’avais écrit sur elle, et le matin de la photo, pendant qu’il se préparait, elle lui avait fait une scène pour qu’il ne vienne pas ! C’est lui qui te l’a raconté plus tard… Ce qui est drôle, c’est que quand le numéro est paru, Auteuil était l’invité de Drucker dans une émission, Drucker a montré la photo, en lui demandant pourquoi il n’y était pas. Et Auteuil a répondu :  »Si si, j’y suis, cherchez bien… » Ah ah ah !

    Il n’y a ni Belmondo, ni Delon…

    JPL. Belmondo venait de finir les représentations de Kean, qu’il avait joué jusqu’à l’épuisement et il m’avait dit :  »Rien au monde ne me fera rester à Paris. Donc, c’est une très bonne idée, mais ne comptez pas sur moi, je n’en peux plus, j’ai besoin de soleil ! » Si Belmondo était venu, c’est sûr que Delon serait venu aussi. Delon nous avait fait téléphoner quelques semaines avant pour nous dire qu’il ne pourrait pas être disponible car il avait un rendez-vous en Allemagne avec des businessmen japonais (!) et qu’il regrettait car c’était une belle idée. Marc m’avait dit :  »C’est du pipeau ! » Je ne voulais pas le croire. Le jour de la photo – qui s’était éternisée ! – on débarque, Marc, moi et quatre ou cinq autres de l’équipe, à 3 heures de l’après-midi à la Brasserie de l’Alma, un des restos cinéma de l’époque, pour déjeuner. Je pousse la porte, et qui je vois assis fond de la salle ? Delon ! C’est moi qui ai détourné le regard, tellement j’avais honte… pour lui ! On est restés en froid pendant longtemps après cette histoire. Mais cela ne nous a pas empêchés, des années plus tard (en avril 96), de lui proposer de faire la couverture, avec Olivier Martinez (Delon avait failli jadis faire Le Hussard sur le toit, et Martinez venait de le tourner), d’un Spécial Cinéma français. Il avait été adorable pendant la séance photos. Mais on s’est refâchés dés la sortie du numéro, car il n’a pas apprécié que je lui annonce quelque temps avant la parution qu’on avait décidé, en chemin, de faire deux autres couvs pour ce numéro-événement : Béart et Binoche, alors considérées comme rivales, et la bande du Splendid réunie pour la première fois sur la même photo depuis une éternité. Et puis on s’est réconciliés à nouveau sur le tournage du Leconte, Une chance sur deux... Ensuite, on a enfin eu des rapports normaux. Et il a été très coopératif et très amical quand je me suis occupé de l’expo Romy Schneider. La photo des acteurs reste, pour moi, et je suis sûr que c’est pareil pour Marc, l’un des moments les plus forts de toutes ces années-là. 177 acteurs avaient donc répondu présents En plus, ce qui était génial, c’est qu’ils étaient très heureux d’être là. Ils ne voulaient plus partir ! Après la photo, ils étaient restés longtemps à papoter autour du buffet. Ils étaient détendus parce qu’ils étaient venus juste pour une photo : pas de remise de prix, pas de projo, pas de promo, juste une photo de famille… Il y a eu des moments magnifiques : Bernadette Lafont s’est précipitée sur Jean Marais pour lui dire qu’elle l’aimait depuis toujours, Noiret a déclaré la même chose à Denise Grey. Et Girardot… Elle nous avait d’abord dit non, elle nous avait même raccroché au nez quand on l’avait appelée pour la relancer ! Marc et moi lui avions écrit une lettre…

    ME. … c’est dingue, le nombre de lettres qu’on a écrites pendant toutes ces années !

    JPL. …pour lui dire à quel point elle nous avait fait aimer le cinéma quand on l’avait vue dans ses films des années 60-70. Elle est finalement venue, et est restée longtemps après à bavarder avec les uns et les autres. En partant, elle m’a dit :  »Vous avez bien fait d’insister. Je croyais que le cinéma français ne m’aimait plus. J’ai eu la preuve du contraire. » Comme aux César quelques années plus tard, les pleurs en moins. Anouk Aimée, elle, ne répondait pas à nos lettres. Tous les deux, on l’a invitée à déjeuner au Prince de Galles, on lui a fait un énorme numéro de charme…

    ME. Surtout toi ! Ah ah ah !

    En plus de la photo d’équipe avec les 177 acteurs, il y a eu aussi celle-ci. Avec le petit chien de Juliette Binoche (et Leos Carax), tout conforme au dress code désiré pour la photo : noir et blanc

    JPL. Elle nous a promis de venir. Et… elle n’est pas venue ! Charlotte Rampling nous avait dit oui. Mais le jour J, le taxi nous a appelés pour nous dire qu’il n’y avait personne devant son domicile. On lui a alors laissé un message sur son répondeur, elle n’a pas décroché mais elle est venue. Micheline Presle est arrivée la dernière car elle avait voulu venir avec sa propre voiture et s’était perdue ! Quand Deneuve est arrivée, je suis allé l’accueillir, et elle m’a demandé :  »Philippe est là ? Et Yves ? Et Gérard ? – Ils sont là tous les trois. » Noiret, Montand et Depardieu étaient là, elle était rassurée, elle n’était pas la seule star… On avait passé des nuits à faire « le plan de table », en tenant compte de tas de paramètres : les jeunes, les vieux, les stars, les pas stars, les hommes, les femmes, ceux qui avaient eu une histoire entre eux, ceux qui ne s’aimaient pas…

    Photo des 177 acteurs (avec Sylvie Gonthiez)

    ME. C’était compliqué parce que, sur des gradins, ceux du premier rang en bas étaient beaucoup plus en évidence que ceux qui étaient tout en haut. On leur avait demandé d’être tous habillés en noir. Sous le noir, seul le blanc était accepté pour les chemises, écharpes, tee shirts. Ils avaient tous joué le jeu. Personne n’est arrivé avec une chemise rouge, en disant :  »Désolé, j’ai oublié… »

    JPL. A l’entrée du studio, on avait affiché le plan, avec tous les noms dans les cases, c’est comme ça qu’ils ont découvert où ils étaient placés, à côté de qui on les avait mis.

    Photo des 177 acteurs – le placement

    ME. J’avais continué de bosser sur ce plan toute la nuit, j’étais venu au studio sans avoir dormi, direct du bureau !

    JPL. Je me souviens, Montand m’avait dit :  »J’ai vu que je suis au cinquième rang. Qui tu as mis au premier, petit ? »  Je lui ai dit :  »Jean Marais, Charlotte Gainsbourg, Bernard Blier, Bernadette Lafont, Denise Grey, Christophe Malavoy, Thierry Frémont… » Il a compris qu’on n’avait pas fait un placement « hiérarchique », et il n’a fait aucun commentaire. L’idée qui a résolu tous les problèmes, c’est que comme tout le monde savait qu’on était très amis avec Depardieu, qui était au top, on l’avait placé très haut, donc très mal. Du coup, personne ne pouvait se plaindre.

    ME. Ce qui est génial, surtout, c’est qu’on ait pu faire ce coup-là à Depardieu, sans qu’il le prenne mal. Beaucoup, à sa place, auraient mal réagi :  »Quoi ? Je suis pote avec les boss, et ils me placent comme une merde ?! »

    JPL. A l’époque, il tournait Camille Claudel. Il a la tête de Rodin sur la photo. Le lendemain de la photo, il a engueulé Adjani parce qu’elle n’était pas venue, qu’elle s’était privée d’un moment incroyable, que c’était un truc unique. Il y en a même d’autres qu’on n’avait pas invités, qui nous avaient appelés pour en être, on n’avait pas osé leur dire non.

    Essai N°1 de couverture pour le numéro anniversaire de Studio dans lequel figurait la photo dite des 177 acteurs

    Essai N°2 de couverture pour le numéro anniversaire de Studio dans lequel figurait la photo dite des 177 acteurs

    RENCONTRES  CINÉASTES

    Pour Studio, vous organisiez des rencontres entre des cinéastes. Comment les organisiez-vous ? En fonction des affinités qu’avaient les réalisateurs les uns avec les autres ?

    JPL. Des fois oui, des fois non. Il est sûr que faire se rencontrer Scorsese et Tavernier pour le n° 1, ce n’était pas le plus compliqué. Ils se connaissaient et s’appréciaient. Idem pour la rencontre Corneau-Eastwood au moment de Bird. Corneau était tellement généreux, il aimait le cinéma des autres, ce qui n’est pas le cas de tous les cinéastes, loin de là ! De fait, on l’a beaucoup mis à contribution ensuite : avec Jean-Jacques Annaud, avec Beineix et Zulawski, avec Stephen Frears, avec Tavernier. Une des rencontres qui m’a le plus marqué, c’est celle de George Miller et George Lucas. Cette année-là (1988), Miller est membre du jury à Cannes et Lucas y présente sa dernière production, Willow. Tout le monde nous dit :  »Vous rêvez, vous ne les aurez pas ! ». En plus, ils ne se connaissaient pas. J’insiste. Finalement, leurs attachés de presse françaises nous ont soutenus et ont obtenu un OK pour 45/50 minutes d’entretien. On les rejoint, Christophe (d’Yvoire) et moi, à l’Hôtel du Cap. Au bout de 30 minutes, c’est comme si on n’était plus là. Ils parlent entre eux, comparent les mythes, évoquent les ouvrages de Joseph Campbell, le grand spécialiste américain de la mythologie. Leur dialogue a quasiment duré trois heures !

    Georges Lucas Georges Miller Cannes 88 © C. d’Yvoire

    Pourquoi ces rencontres se sont-elles arrêtées ?

    JPL. Parce qu’on a épuisé un peu nos idées et aussi parce qu’on a eu de plus en plus de mal à trouver des metteurs en scène prêts à jouer le jeu.

    ME. Bruno Dumont – Pascale Ferran, ça fait moins rêver ! Il y avait beaucoup de grands metteurs en scène à l’époque, ce qui n’est plus le cas.

    Vous avez fait dialoguer Sautet avec Blier, Woody Allen avec Agnès Jaoui, Scorsese avec Kurosawa, Louis Malle avec Kieslowski, Coppola avec Lucas, Sidney Lumet avec Chouraqui, Tarantino avec Tony Scott, Sidney Pollack avec Lelouch…

    ME. Tout ça, c’est Jean-Pierre. On n’aurait jamais essayé de faire cette série d’entretiens si Jean-Pierre n’avait pas été là, c’était pile un truc pour lui, il avait les deux qualités nécessaires pour y arriver : il est tenace, et tout le monde l’adore !

    Martin Scorsese et Akira Kurozawa cannes 90 ©C d’Yvoire

    JPL. En tout cas, c’était une idée à toi ! Scorsese-Kurosawa, ce n’était pas une interview de promo, mais presque. Ils étaient à Cannes ensemble pour la projection de Dreams, le film de Kurosawa dans lequel Scorsese, qui l’avait produit avec Lucas et Spielberg, jouait Van Gogh. C’était très frustrant, car Kurosawa ne parlait pas anglais, et Scorsese pas japonais. La traduction dans chacune des langues prenait un temps infini. Pour une heure d’entretien, on a eu 20 minutes de contenu. Mais ils ne l’ont fait que chez nous. Une rencontre qui a compté, parce qu’il est rigolo de jouer les instruments du destin, même si c’est vaniteux de dire ça, c’est celle de Brian De Palma avec Régis Wargnier au Festival de Deauville 1987. On avait d’abord proposé à Susan Seidelman, la réalisatrice de Recherche Susan désespérément, de le rencontrer. Elle s’était désistée deux jours avant. Il se trouve que j’avais croisé peu de temps auparavant Régis Wargnier, tout juste sorti du succès de La Femme de ma vie, et qu’il m’avait dit qu’il adorait De Palma. J’appelle donc Wargnier en catastrophe pour lui proposer de venir avec moi à Deauville le lendemain. Il accepte. Après la projection des Incorruptibles, vient le moment de l’interview. Il faut savoir qu’à l’époque, De Palma a une réputation terrifiante, notamment auprès des journalistes qu’il traite très mal. On lui présente Wargnier, il écoute d’une oreille distraite et dès les premières questions, il est odieux avec lui. Au bout d’un quart d’heure, Wargnier s’énerve et lui dit :  »Vous n’avez pas le droit de me parler comme ça. Je suis cinéaste, j’aime votre travail, et je peux vous dire pourquoi et comment, dans votre film, vous avez fait tel ou tel plan ! » De Palma en est resté scotché ! Il est devenu tout miel et ne l’a plus quitté jusqu’au dimanche soir. Et ils sont devenus très amis. Ils sont même arrivés un soir bras dessus bras dessous à une fête de Studio ! De Palma a ensuite demandé à Wargnier de s’occuper d’une partie du casting des actrices pour Mission Impossible – et c’est Emmanuelle Béart qui a eu le rôle. Wargnier a présenté Patrick Doyle à De Palma qui lui a commandé la musique de L’Impasse... Et Wargnier a joué son propre rôle, le temps d’une scène avec Sandrine Bonnaire, dans Femme Fatale que De Palma a tourné à Cannes. Sans Studio, cela n’aurait sans doute pas existé. Il y a eu deux ou trois histoires du même ordre. Par exemple, c’est en voyant une photo de Binoche dans Studio que Kieslowski a eu envie de lui proposer Bleu. Pareil pour Vincent Perez : Nadine Trintignant a vu une photo de lui dans Studio et lui a proposé La Maison de Jade, sur lequel il a rencontré Jacqueline Bisset avec qui il est resté plusieurs années.

    Autre rencontre qui a dû être mémorable : Godard-Balasko…

    JPL. C’était inattendu et passionnant. Godard venait de faire Soigne ta droite, avec des acteurs qui n’avaient pas l’habitude d’être chez lui : Birkin, Lavanant, Villeret, Galabru, etc. Et Balasko venait de réaliser son deuxième film, Les Keufs, dans lequel elle avait donné un très beau rôle, celui d’un commissaire névrosé, à Jean-Pierre Léaud. C’est de là qu’est née l’idée de cette rencontre. Et Godard avait joué le jeu de manière incroyable, s’amusant même à faire le clown avec son écharpe. On n’était pas fous de cette période-là de Godard, mais il y avait quand même quelques films qu’on avait aimés : Sauve qui peut la vie, Passion… On avait même fait la couv de Première avec Johnny sur le tournage de Détective, avec Nathalie Baye et Claude Brasseur…

    ME. Johnny ! Mon idole ! J’ai adoré l’après-midi que j’ai passée avec lui pour cette interview. Il s’était montré intelligent, subtil, très cinéphile, très pointu, tout comme j’étais sûr qu’il était.

    Johnny Hallyday et Nathalie Baye sur le tournage du Neveu de Beethoven

    JPL. J’ai toujours eu aussi beaucoup d’affection pour lui. Et sa passion pour le cinéma était vraiment touchante. L’un de mes plus beaux souvenirs avec Johnny, c’est lorsque je suis allé à Vienne avec Luc sur le tournage du Neveu de Beethoven, de Paul Morissey, le complice d’Andy Warhol (que j’avais trouvé, à ma grande surprise, réac à mort !) dans lequel tournaient Jane Birkin et Nathalie Baye. A l’époque, Johnny était donc avec Nathalie Baye et était venu passer le week-end sur le plateau. Ils avaient même accepté qu’on fasse une photo d’eux ensemble sur le plateau, lui en jean et blouson, elle en crinoline, et on l’avait publiée. Luc et moi, on devait rentrer le dimanche soir et il nous a demandé de repousser notre retour au lundi matin pour ne pas faire le voyage tout seul. On s’est donc retrouvés le lundi matin tous les trois à l’aéroport de Vienne. Je lui demande ce qu’il prépare.  »Un album avec Michel Berger. » Et là, il sort de la poche de son blouson une feuille avec un texte écrit au crayon à papier et il commence à chanter :  »Y a des flat cases qui traînent sur scène… » Les premiers mots de ce qui allait être  Le Chanteur abandonné ! Et il nous a chanté la chanson en entier. En avant-avant-première, juste pour Luc et moi !

    ME. J’en suis malade, d’avoir raté ça. En même temps, tant mieux : j’aurais chialé comme un abruti !

    JPL. En plus, dans l’avion, il y avait Rudolph Noureev qui est venu parler avec lui. Tout cela me paraissait totalement irréel… Quant à Godard, on a retravaillé avec lui plusieurs fois ensuite. Notamment pour le numéro des 100 ans du cinéma, en mars 95.

    « La rencontre avec Spielberg a été simple et passionnante comme toujours. La rencontre avec Godard a été un moment rare. »

    Lettre de Jean-Luc Godard donnant son accord pour l’interview dans le numéro des 100 ans du cinéma.

    Comment cela s’est-il passé ?

    JPL. On avait décidé qu’il n’y aurait que deux très très longues interviews : Spielberg et Godard. Les deux opposés sur la carte du cinéma ! Les deux ont dit oui. J’ai donc interviewé Spielberg à Los Angeles avec Michel (Rebichon) qui était à l’époque le correspondant de Studio à Hollywood. Et Godard avec Christophe (d’Yvoire) à Rolle, en Suisse. Les privilèges du chef ! Ah ah ah ! La rencontre avec Spielberg a été simple et passionnante comme toujours. La rencontre avec Godard a été un moment rare. Il était brillant et attachant, il ne voulait plus nous laisser partir, il a changé lui-même notre billet de train pour qu’on prenne le dernier, et nous a fait visiter sa caverne d’apprenti sorcier avec tous ses ordinateurs sur lesquels il inventait ses Histoire(s) du cinéma, il a insisté pour un dernier verre au café en bas. Il avait l’air seul. Il le disait d’ailleurs. C’était touchant. Aujourd’hui, quand j’entends parler de Godard, c’est à cette après-midi là que je pense toujours. Et à son sourire enfantin et désarmant. Deux ans ou trois ans plus tard, quand Les Cahiers du cinéma ont publié Godard par Godard où étaient réunis ses « grands entretiens », ils nous ont appelés pour nous dire que Godard avait souhaité que cette interview y figure et ils nous demandaient l’autorisation de la publier. J’imagine leurs têtes quand Godard le leur a demandé !

    ME. J’ignorais cette histoire, elle est magnifique !

    JPL. Il nous est arrivé d’élargir ce principe des rencontres et de ne plus faire discuter ensemble deux metteurs en scène mais deux personnalités qu’on aimait. Juste pour notre plaisir, et… le leur ! Spike Lee nous avait dit qu’il aimerait rencontrer Béatrice Dalle, on a monté la rencontre. On savait Patrick Bruel fou du Cercle des poètes disparus, on lui a demandé d’interviewer Peter Weir pour nous… Caro et Jeunet étaient des fans absolus de Terry Gilliam, on a organisé leur dialogue. J’adorais les romans de Modiano et j’aimais beaucoup Jean-Marc Roberts, que j’avais rencontré à Première sur les tournages de Pierre Granier-Deferre dont il était le scénariste fidèle. La parution simultanée de deux de leurs livres a été l’occasion de les faire parler ensemble de cinéma juste pour nous. Un bonheur… C’était l’avantage de faire un journal où l’on décidait, seuls, ce qu’on allait y mettre. On en profitait pour rencontrer les gens qu’on aimait, même hors cinéma. Mais ce n’était pas valable que pour Marc et moi. Les autres aussi y trouvaient leur compte. Ne serait-ce que dans la rubrique « Invité » où des personnalités diverses parlaient de cinéma. Denis (Parent) a ainsi pu interviewer Alberto Moravia, Philippe Djian et Peter Gabriel, Michel (Rebichon), Rudoph Noureev, David Hockney, et… Boy George ! On pourrait continuer longtemps cette liste mais je ne vais pas vous faire le sommaire des sommaires !

    SUR LE DIVAN

    Dans les premiers Studio, il y a la rubrique Divan. Comment est-elle née ? Pourquoi ?

    ME. On voulait faire une série d’interviews d’acteurs ou réalisateurs menées par un psychanalyste cinéphile. Mais on ne trouvait pas cette perle rare… Jean-Pierre me dit alors connaître une certaine Joëlle de Gravelaine, qui est certes astrologue mais qui est aussi une grande spécialiste, et éditrice, de sciences humaines, et que ça pourrait être intéressant de faire ces interviews avec elle, à partir de leur thème astral. A l’époque, je n’étais pas du tout branché astrologie, mais comme Jean-Pierre est mon ami, je lui ai fait confiance, on a tenté le coup, et j’ai bien fait, ses interviews avec Joëlle de Gravelaine étaient très intéressantes, originales, profondes… Moi je n’en ai fait que deux avec Joëlle : Depardieu et Huppert. La première, avec Huppert, j’avais laissé Joëlle dérouler tout son thème astral sans l’interrompre, et à la fin, Huppert lui a dit :  »Il m’a fallu 10 ans de psychanalyse pour savoir tout ce que vous venez de me dire. » Là, j’ai été sûr que Jean-Pierre avait eu une bonne idée. Car Huppert, a priori, n’était pas la meilleure cliente pour une interview sur des bases d’astrologie.

    JPL. Joëlle n’était pas vraiment cinéphile, elle ne connaissait pas bien les acteurs, mais elle les aimait. Elle arrivait  »neutre », sans a priori cinéphile, c’était parfait. Joëlle mettait le doigt sur des trucs personnels, mais sans entrer dans l’intimité. Dans la rédaction du papier, on gommait au maximum toutes les références à l’astrologie. Cette rubrique, qu’on a appelée Divan, avant qu’Henri Chapier ne fasse son émission à la télé, n’a pu exister que parce qu’on avait fait Première avant. Si on n’avait pas créé des rapports de confiance avec les acteurs, je ne pense pas qu’ils auraient accepté de se prêter aussi facilement au jeu d’une interview à partir de leur thème astral. Le premier qui a accepté d’essuyer les plâtres pour le numéro 1, c’est Bernard Giraudeau avec qui on avait de très bons rapports, parce qu’on l’aimait depuis le début – on a sans doute été parmi les premiers à l’époque de Première à lui consacrer une couverture. En même temps, Giraudeau adorait les défis… Pour ceux à qui on a proposé ensuite de s’allonger sur notre Divan, c’était plus simple, ils pouvaient voir ce que ça donnait dans le journal. Comme c’était nous, comme c’était pour Studio, même ceux qui étaient très réticents, comme Michel Blanc par exemple, étaient partants. Ils ont tous dit oui. Depardieu et Huppert donc, mais aussi Deneuve, Bertolucci, Jeanne Moreau, John Malkovich, Serrault, Wim Wenders, Lelouch, Fellini… Joëlle m’avait d’ailleurs raconté que Fellini l’avait appelée plusieurs fois ensuite pour la consulter.

    ME. Beaucoup d’acteurs et d’actrices vont voir des voyantes. Leur métier dépend du téléphone qui sonne, certains attendent des réponses depuis des mois.

    « Un dossier sur le prix des acteurs (…), qu’on a été les premiers à faire (…) nous a valu deux ou trois lettres d’insultes de comédiens. »

    JPL. On avait dès le lancement de Studio voulu imposer de nouveaux rendez-vous, de nouvelles rubriques. Il y avait le Divan, mais aussi le Portfolio d’un grand photographe de cinéma, et les sujets « Mémoire » où on parlait des stars du passé, parfois en ayant la chance de les rencontrer quand ils étaient encore vivants, en ressortant leurs plus belles photos. J’ai même interviewé Arletty ! Tout cela a été dés le début la marque de fabrique de Studio. Et on ne cessait de chercher de nouvelles idées. D’autant que Marc n’aime pas la routine, ni les choses trop bien installées. Il avait toujours besoin de se, de nous remettre en question. On a ainsi organisé plusieurs séminaires de réflexion d’où sont nés des rendez-vous qui sont vite devenus incontournables. Un dossier sur le prix des acteurs, par exemple, qu’on a été les premiers à faire et qui nous a valu deux ou trois lettres d’insultes de comédiens. Ou une rubrique comme « La Terre tourne », où l’on suivait les films, de l’annonce du projet jusqu’à leur sortie, et qui est vite devenue un must du journal. Gilles Jacob m’avait même dit qu’elle lui était très utile pour surveiller la progression des films « cannables ». Bien sûr de se retrouver tous ensemble dans les toboggans aquatiques de Center Park où se déroulaient ces séminaires resserrait l’équipe davantage encore ! Ah ah ah !

    Photo d’équipe Maussane

    Il y avait la chronique d’Alain Chabat et Dominique Farrugia, alias Bidibi et Banban, qui clôturait le journal…

    ME. C’étaient des potes depuis leurs débuts, on avait plein d’amis communs, on faisait la fête à Cannes ensemble, je croisais souvent Dominique aux Bains douches, qui était ma troisième maison ! J’aimais l’idée que l’image de Studio soit associée à leur humour, à leurs personnages, à leur façon d’aimer le cinéma et d’en faire.

    JPL. Il y a eu deux époques. Une première qu’ils ont arrêtée au bout d’un an et demi. Et puis, sous la pression de Marc, ils sont revenus.

    Les Nuls au bureau

    ME. Ces pleutres n’avaient pas osé me dire qu’ils voulaient arrêter, je l’ai découvert en lisant leur dernière chronique ! Je l’avais mal pris ! Après plusieurs mois de silence, je les ai invités à déjeuner au Prince de Galles, et je leur ai dit, très sérieusement, comme dans Le Parrain :  »Je vais vous faire une proposition que vous ne pourrez pas refuser… » Ils se sont marrés ! Et ils sont revenus !

    C’était quoi, la proposition ?

    ME. Je leur ai dit :  »Ok, vous êtes devenus des stars, la pige qu’on vous versait est devenue ridicule, et on ne peut pas vous payer plus. Mais on peut vous offrir à la fin de l’année chacun une belle voiture, pour nous c’est juste des pages de pub… » Ils sont donc revenus, les voyous ! Mais j’ai démissionné de Studio quelques mois plus tard, et ils n’ont jamais eu de voiture, ah ah ah !

    Dominique Farrugia et Alain Chabat venant terminer ou plutôt écrire leur chronique au bureau.

    JPL. Les temps avaient changé, les gestionnaires n’ont pas voulu que je tienne la promesse de Marc, et j’ai trouvé avec eux un autre arrangement, mais franchement je ne sais plus lequel… Malgré ça, et malgré leurs nombreuses activités, ils ont quand même tenu deux ans et demi. Lorsque Chabat et Farrugia débarquaient au bureau pour terminer (ou écrire !) leur chronique, c’était comme un ouragan qui anéantissait d’un coup tension et mauvaise humeur ! Le rire en cascades de Farrugia résonnait dans tout le journal… Difficile d’y résister ! D’ailleurs ils étaient irrésistibles, et on ne pouvait, on ne peut, qu’avoir de la tendresse pour eux. Quelques années plus tard, en 2002, on a voulu retrouver cet humour décalé et on a alors fait appel à leurs protégés, Les Robins des Bois qui, eux, composaient une sorte de lettre sous forme de patchwork où il y avait même des objets collés ! Je me souviens d’un pot de yaourt renversé, surmonté d’un petit drapeau français censé être le Fort Saganne ! Du coup, on était obligés de photographier leur page. Une véritable œuvre d’art brut ! Eux aussi ont tenu deux ans, puis ont chacun mené leur route ensuite.

    Daniel Toscan du Plantier aussi a tenu une chronique, au début. Pas longtemps…

    ME. Deux ou trois mois, si ma mémoire est bonne. On l’aimait bien, et on était ravis de sa chronique, mais ça a donné au Figaro l’idée de faire la même chose, et un jour, on a vu une chronique de Toscan dans Le Figaro Magazine, écrite dans le même esprit, parlant des mêmes choses. On était très en colère ! Le Fig Mag, à l’époque, puait grave, ils avaient une attitude très réac sur le sida, ils parlaient de ceux qui avaient le sida en disant les  »sidaïques » ! Je l’ai appelé, pour lui dire que les deux magazines n’étaient pas compatibles, il m’a fait une réponse-pirouette à la Toscan, on a attendu la semaine d’après, il était toujours dans Le Fig Mag, alors je lui ai fait une lettre, pour lui dire que c’était fini avec Studio. Quelques mois plus tard, je tombe sur lui dans un cocktail, je vais le saluer, et il me présente aux gens qui étaient avec lui :  »C’est lui qui m’a viré de Studio ! », et il s’est marré. On l’aimait beaucoup.

    JPL. Toscan a toujours été bienveillant avec nous. Il faut dire qu’on aimait les mêmes gens : Depardieu, Huppert, Pialat… Des années plus tard, il se trouve que comme je suis très ami avec Mélita, elle m’a demandé d’être, avec Fanny Ardant, son témoin à son mariage avec Toscan. J’ai une très belle photo de Fanny Ardant et moi signant le registre à la mairie, on dirait que, nous aussi, on est en train de se marier ! On avait décidé de leur acheter un olivier comme cadeau de mariage. Quelque temps plus tard, je fais une interview d’elle et ensuite, pour la remercier, je lui envoie un petit mot avec un livre, sûr qu’elle allait l’aimer, mais pas sûr du tout qu’elle ne l’avait pas lu. Elle l’avait lu et m’avait répondu avec cette belle écriture penchée qui semble être celle d’un écrivain romantique :  »C’est normal que nous aimions les mêmes livres puisque nous sommes attachés au même arbre. »

    Propos recueillis par Sylvain Lefort & Fred Teper

    Commander Mémoires d’un enfant du cinéma de Marc Esposito (Editions Robert Laffont) ici

  • Jarwal le lutin : les émotions

     

    P8070447

    « Vous savez mes amis, j’étais triste tout à l’heure. Et je vous remercie de ce délai que vous m’avez accordé, j’en avais besoin, il fallait que je laisse s’éteindre cette douleur. La disparition de Gwendoline est une souffrance qui rejaillit parfois et les émotions débordent, comme si elles sortaient de leur lit. Je sais que ça ne sert à rien mais il n’est pas toujours simple de maîtriser ses émotions.

    -C’est la même chose pour moi, Jarwal, avoua Rémi. Parfois, je me mets en colère et après, quand je suis redevenu calme, je me dis que ça ne servait à rien.  

    -Si quelqu'un vous insulte, les enfants, si quelqu’un vous fait du mal, la colère que vous ressentez, elle n'est pas venue en vous depuis l'extérieur, ce ne sont pas les mots qui sont tombés en vous comme un chargement néfaste. Cette colère, c'est vous qui lui avez donné vie. C'est une incapacité à maîtriser ce qui se passe en vous. L'autre n'est pas responsable. Les émotions n'ont aucune existence si vous les ignorez. Si vous vous y abandonnez, c'est vous qui leur donnez vie. L'autre, d'ailleurs, est satisfait du mal que vous fabriquez en vous en imaginant qu'il en est l’auteur. Vous lui donnez la puissance dont il rêvait. Vous succombez à vous-mêmes. Et non à lui. Si par contre, vous décidez d'observer en vous ce qui survient, vous devenez le maître de vos émotions étant donné qu'au lieu de vous soumettre à leur puissance, vous vous placez au-dessus d'elles. C'est votre conscience qui analyse et qui vous apprend le contrôle. Cette conscience agit comme un Maître intérieur, il est là et il regarde, il s'amuse de cette agitation qui aimerait vous emporter et à laquelle vous ne succombez pas. La colère retombe comme un soufflé qui dégonfle. Votre agresseur s'en trouve d'ailleurs totalement ébahi, stupéfait, vous êtes là, vous le regardez avec un détachement qu'il ne comprend pas parce que ça n'est même pas lui que vous observez mais vous-même. Lui, il a disparu et ses paroles sont tombées dans un puits sans fond. Il n'y a plus de colère parce que votre observation intérieure a pris le pas sur cette émotion insignifiante et inutile. C’est vous que vous observez et pas lui. Et cette agression verbale devient un cadeau inestimable. Vous êtes le Maître intérieur. Mais ça n’est jamais aisé, même avec des centaines d’années d’expérience. Je connais un petit conte Zen qui en parle très bien :

    « Si quelqu’un te tend un cadeau et que tu ne l’acceptes pas, à qui appartient le cadeau ? » demande le samouraï

    - À celui qui a essayé de le donner, » répondit un de ces disciples

    - Cela vaut aussi pour l’envie, la rage et les insultes, reprit le Maître. Lorsqu’elles ne sont pas acceptées, elles appartiennent toujours à celui qui les porte dans son cœur. »

    -Je ne vais quand même pas remercier celui qui m’a mis en colère ? contesta Rémi.

    -Et pourquoi pas ? rétorqua Jarwal. Étant donné qu’il te permet de mieux te connaître, tu peux lui en être reconnaissant.

    -Ça risque d’être difficile quand même.

    -Et je le comprends bien, Rémi. Moi-même, j’ai du mal à supporter la disparition de Gwendoline. Je continue à apprendre. Qu'en est-il maintenant si l'émotion propagée est de la joie ? Est-ce que je dois l'accueillir et la laisser m'emporter ou est-ce que je dois également l'observer ? Il convient pour ma part de la laisser s'étendre en sachant que l'autre n'en est pas responsable et que vous ne pourrez pas lui reprocher de l’abandonner. C'est vous qui avez laissé s'étendre cette joie. Pas l'autre. Un ami qui ne vous offre plus cette joie n'est pas responsable de votre déception. C'est encore vous. C'est votre façon de commenter la vie à travers vos émotions. Ça n'est pas la vie réelle mais ce que vous en faites, une image de la vie peinte par vos émotions. Vous pouvez en profiter tout en restant conscient qu'il ne s'agit que d'une illusion, un jeu éphémère, un moment de bonheur que vous vous accordez mais que l'autre n'a pas à entretenir sinon vous le prenez en otage de votre bonheur alors qu'il n'y est pour rien. La personne dont je dois me méfier, c'est celle qui me fait croire que le bonheur est durable, qui voudrait que cette joie ne disparaisse jamais. Et cette personne, c'est moi-même. Les autres ne sont pas responsables. C'est ce qu'on apprend de plus beau quand on aime.   

  • Et Dieu dans tout ça (5)

     

     

    Lorsque je visionne des vidéos traitant de la spiritualité ou lorsque je lis des ouvrages, je suis supris d'entendre parfois les interlocuteurs mêler les religions à la démarche spirituelle.

    Comment peut-on se considérer libre, intérieurement, si on pose ses pas dans des traces millénaires, s'il n'y a pas d'exploration personnelle, d'errances et de chutes, de désespoirs et de rebonds salvateurs ? Que pourrait-on trouver au coeur de ce trésor infiniment pillé depuis des générations ? Que peut-on découvrir en soi lorsqu'on y a volontairement inséré une entité qui ne relève pas de nous mais d'un inconscient collectif ?   

    J'y vois des esprits remplissant leur sac à dos des réponses qu'ils s'imaginent partir chercher...Comme des réserves de forces pour lutter contre les nuits glaciales de la quête.

    Ceux-là ne trouveront rien. Ils sont inévitablement égarés avant même d'être partis. 

    Ils se rempliront de paix au coeur de leurs semblables sans comprendre que cette paix est un appel à la guerre. Les communautés divisent. Il n'y a que la liberté de penser qui peut unifier. 

    Je ne suis pas Bouddhiste, premièrement parce que je n'y connais rien. Je ne suis pas athée parce que je refuse de me figer. Je ne suis pas agnostique parce que je ne sais pas ce que la Vie me réserve. Je ne suis rien d'identifiable parce que le vent de mes doutes arrache toutes les appartenances qui pourraient me tenter. 

    Je marche et je regarde les horizons sans jamais planter dans le décor le moindre panneau d'affichage. 

    Rien n'est à moi, rien n'est définitif, rien n'est acquis.

    Je suis libre de ne rien trouver. Et il m'appartient le droit de me perdre. J'aurai de toute façon appris davantage de mes chutes que des certitudes héritées.  

    Je suis une âme errante et j'aime infiniment ne pas savoir où la vie m'entraîne dans cette Quête.

    Je sais combien le questionnement de Dieu peuple mes divers romans, du premier au dernier. Il ne s'agit pas que de fiction d'ailleurs. J'ai traversé des épreuves qui m'ont conduit à faire appel à lui, tout autant qu'à le maudire. Mais il y a une entité contre laquelle je n'ai jamais tenu le moindre propos acerbe, c'est la Nature, la Création, le mystère merveilleux ( et non miraculeux) de la Vie. 

     

     

    NOIRCEUR DES CIMES : Dieu

     

     

    Noirceur des cimes

    "Tu n'es pas au fil des âges un amalgame de verbes d'actions conjugués à tous les temps humains mais simplement le verbe Être nourri par la vie divine de l'instant présent."

    Il s'agissait d'un message. Il n'a pas d'autres explications.Quelqu'un l'a prévenu des risques à rester dans ce trou de neige. Quelqu'un lui a parlé de la vie qu'il faut sauver. Ce n'était pas un rêve. Mais il ne comprend pas.

    Son propre esprit a-t-il la capacité à créer de telles images? Dans l'état où il se trouve, une part secrète de son cerveau peut-elle se révéler ? Il ne parvient pas y croire.

    Dieu s'impose une nouvelle fois. Qui d'autre ?

    Il reconnaît succomber trop facilement à la tentation de cette solution. Mais elle est si étrange et simultanément si apaisante. Puis lui revient à l'esprit qu'il avait lui-même provoqué la fin de son dernier voyage hors de son corps en évoquant une possible rencontre avec Dieu, une question murmirée.

    Il se souvient de la douleur.

    Il s'agissait d'une erreur, d'une mauvaise interprétation et le contact avait été rompu.

    Le nom de Dieu avait déplu.

    Il admet d'ailleurs qu'il ne voit pas cette présence comme l'apparition d'un être divin mais plustôt comme une compréhension sublime. Personne ne s'est présenté à lui, c'est lui qui a reconnu enfin son appartenance. Tout était déjà là mais sans qu'il ne l'aie jamais éprouvé. Pas de Grand Architecte mais une fabuleuse Architecture à laquelle il participe. Il regrette sa méconnaissance des religions et son enfermement dans les préceptes de son enfance. Il sait désormais que la religion catholique ne répond pas à ses interrogations. Ni aucune religion monothéiste. Musulmans, Juifs, Chrétiens, il n'appartient à aucune de ces communautés. Il ne peut plus accepter l'idée d'un Dieu créateur, observateur, critique, impitoyable ou indifférent à son Oeuvre.

    Il ne conçoit même pas que ce qui lui arrive puisse avoir un rapport avec une quelconque religion. Il cherche un autre mot, un autre qualificatif permettant de cerner la démarche puis il abandonne.

    "Ça ne sert à rien" dit-il à voix haute. 

    Il sent que ça ne serait qu'une nouvelle tentative de domination, une intellectualisation outrancière et que ça ne correspondrait pas au bonheur infini qu'il a connu. Que ça le salirait.

    les religions monothéistes ont perdu la saveur du message dans des rituels adorés, des cultes néfastes, des cérémonies trompeuses et bavardes. Il ne veut pas de cette erreur. L'intellectualisation du mystère est un poison pervers. Il laisse croire aux récitants d'ouvrages que la porte est ouverte alors qu'ils ne font que geindre aux pieds des murailles qu'ils ont eux-mêmes constituées.

    il ne veut pas enferme son bonheur, lui donner une structure transmissible, une forme reconnaissable. Il est impossible de communiquer sur un tel contact. Les religions se sont obstinées à le faire, perdant aussitôt dans des dérives narcissiques toute la beauté du message en croyant follement que le lien avait besoin d'être enluminé. Comme si l'écrin avait plus de valeur que la pierre précieuse.

    Il sait qu'il gardera tout cela en lui, qu'il ne cherchera jamais à l'expliquer à qui que ce soit, qu'il n'y a même rien à en dire. Qu'il faut juste le vivre.

    Il regarde la neige qui tourbillonne. Sans pouvoir situer clairement la source, il devine une clarté naissante dans le maelström des nuages, une lumière diffuse encore étouffée par la masse compacte de la dépression.

    Ni Dieu, ni religion. Tout cela n'est jamais qu'un résidu des embrigadements de son enfance. Il se souvient des sermons du curé au cathéchisme. "Par la volonté de Dieu, l'Homme est placé au sommet de la Création, juste sous les Anges."

    Il admet que ce qu'il perçoit est un véritable mystère et non les élucubrations de théologiens prétentieux et obtus. Il veut s'extirper de toutes ces dérives insignifiantes, ne pas étouffer la beauté de la rencontre sous des pensées imposées. Rien de tous les Évangiles n'est à lui, rien de la Bible, rien des religions, rien des prêtres, des curés et des religieuses de son enfance. 

    Tous ceux-là n'ont fait que vomir en lui un fiel millénaire.

    Il ne veut plus de ces vieilles choses mortes.

    L'aura bleutée, dans son âme, est si belle."

  • Et Dieu dans tout ça ? (4)

    Le Mal existe en l'homme.

    Dieu autorise le Mal

    Donc Dieu existe. 

    C'est un résumé de la posture des croyants qui ont utilisé la réalité du Mal dans le monde humain pour entériner l'existence de Dieu en affirmant que c'est Dieu qui le permet afin de laisser l'homme libre de ses choix. La religion se sert d'un phénomène inhérent à l'humain pour "donner vie" à Dieu. Et si l'humain n'opte pas pour le Mal mais s'efforce de faire le Bien, c'est toujours grâce à Dieu.

    A chacun d'en tirer les conclusions. Et encore une fois, il n'est pas question ici de juger les individus qui croient en Dieu. C'est juste mon raisonnement. Donc, ça n'est aucunement une vérité incontestable. 

     

     

     

    Eviter les pièges de la pensée : Les biais cognitifs

    Sophisme


    https://www.toupie.org/Biais/Sophisme.htm

    "Un sophisme est un raisonnement fallacieux, malgré une apparence de vérité [...],
    "Présenté comme une démonstration rigoureuse et logique, un sophisme est en réalité faux car incomplet ou ambigu. Il est constitué d'une ou plusieurs prémisses vraies ou prétendues vraies, agencées dans un raisonnement séduisant mais erroné, qui ne respecte pas les règles de la logique, même si la conclusion est vraie. Les sophismes sont difficiles à réfuter si l'on ne maîtrise pas la logique." (Extrait de la 
    définition du sophisme)

    Le sophisme n'est pas à proprement parler un 
    biais cognitif car il n'est pas systématique et qu'il y a une volonté de tromper son ou ses interlocuteurs, contrairement au paralogisme où le raisonnement est faux mais où celui qui s'exprime est de bonne foi.

    Exemple :

    Un fainéant ne travaille pas,

    Un chômeur ne travaille pas,

    Donc un chômeur est un fainéant.

    Ce raisonnement est faux, car en logique si B implique A et C implique A, on ne sait rien de la relation entre B et C, si ce n'est qu'ils ont tous les deux A comme conséquence ou caractéristique. Ici, effectivement la caractéristique commune d'un fainéant et d'un chômeur, c'est de ne pas travailler, mais on peut être fainéant sans être chômeur et inversement être chômeur sans être fainéant.

    Façon simple de le désamorcer : remplacer fainéant par chat, ne travaille pas par est un mammifère et chômeur par chien, on obtient alors :

    Un chat est un mammifère,

    Un chien est un mammifère,

    Donc un chien est un chat.


    Autre exemple : prendre pour la cause ce qui n'est qu'un antécédent.

    Le coq chante,

    Le soleil se lève.

    Donc, c'est le chant du coq qui fait se lever le soleil.


    John Stuart Mill (1807-1873), philosophe empiriste et économiste anglais, a défini une classification des sophismes en 4 groupes :

    sophisme de simple inspection ou sophisme a priori lorsque la proposition est acceptée par tous et ne nécessite aucune preuve.
     

    sophisme d'observation où l'on tire des conclusions erronées à partir d'une négligence de faits particuliers ou d'une mauvaise observation.
    Exemple : 
    Biais de disponibilité.

     

    sophisme de généralisation où, à partir d'un seul ou quelques cas particuliers, on généralise, sans avoir analysé l'ensemble des cas ou à défaut un échantillon représentatif.
    Exemples : 
    Problème de l'induction et biais de représentativité

     

    sophisme par confusion où l'on aboutit à une conclusion erronée à partir d'une mauvaise interprétation et appréciation des preuves.
    Exemple : 
    Effet cigogne.

    Sophisme de division

    "En l'épidémiologie, l'illusion des séries est connue sous le nom de sophisme du tireur d'élite Texan. Kahneman et Tversky l'ont appelé "croyance dans la loi des petits nombres" parce qu'ils ont identifié l'illusion des séries et le sophisme consistant à supposer que le modèle d'une population importante se reproduira dans tous ses sous-ensembles. En logique, ce sophisme est connu sous le nom de sophisme de division, la supposition que les parties doivent avoir les mêmes propriétés que le tout." (sceptiques.qc.ca)

    Exemple :

    Subir deux vols dans la même année, nous fera dire qu'il y a une explosion de la délinquance dans le pays. Or, ce raisonnement est erroné car il passe d'un cas particulier, le nôtre, avec deux évènements qui se sont réalisés, donc certains, à une conclusion statistique de portée générale - l'ensemble de la population, pour laquelle nous n'avons aucune information.


     

    >>> Citation :"Il (Boileau) eût fait main basse sur cette rhétorique triviale, qui consiste à noyer un tas de sophismes dans une mer de paroles oiseuses et de figures ridicules."

    Jean le Rond d' Alembert - 1717-1783 - Eloges, Despréaux

    "Il y a quelque chose de plus vil au monde que l'esclave d'un tyran, c'est la dupe d'un sophisme."
    Charles Nodier - 1780-1844 - Jean Sbogar, 1818

    "Sophisme, le mensonge de la logique."
    Victor Hugo - 1802-1885 - Philosophie prose

    "Une erreur est d'autant plus dangereuse qu'elle contient plus de vérité. Le sophisme est plus vrai que l'absurdité; aussi l'absurdité est-elle innocente et le sophisme redoutable."
    Henri Frédéric Amiel - 1821-1881 - Grains de mil, 1854



    >>> Définition : 
    Sophisme

    >>> 
    Sources

  • Et Dieu dans tout ça ? (3)

    Je me suis décidé à aller lire ce qui est disponible sur cette fameuse question du Bien et du Mal au regard de l'existence éventuelle de Dieu. 

    Dans les sites d'obédience catholique, il est dit que Dieu voulait laisser aux hommes le libre arbitre, la possibilité d'explorer leur conscience et d'établir leur morale. Il s'agissait de leur offrir la liberté d'être ce qu'ils veulent, ce qu'ils choisissent, ce qu'ils décident.

    "Alors que nous essayons de cerner le problème du mal, il nous faut d’abord reconnaître que l’homme en est très souvent la cause. Ce sont les hommes et pas Dieu qui assassinent, torturent, persécutent et violent. À cause de leur libre arbitre, ils peuvent accomplir des choses terribles et immorales. Le libre arbitre est essentiel dans la mesure où les hommes doivent rendre des comptes à Dieu. Pour que nous puissions véritablement aimer Dieu, nous devons être libre de choisir ou de rejeter cet amour. Si Dieu interdisait toute forme de mal dans le monde, nous ne serions plus libres et en capacité d’aimer Dieu volontairement. Dieu ne peut pas en même temps nous donner la liberté et nous empêcher de commettre le mal."

    https://scienceetfoi.com/ressources/dieu-amour-compatibilite-mal-souffrance/

    Cette réponse ne peut aucunement, à mes yeux, valider l'existence de Dieu étant donné que ces arguments sont émis par des humains croyants, dans des textes très, très anciens et dont l'origine est incertaine. Cette réponse se sert d'une vérité de l'esprit humain, sa capacité à commettre les pires horreurs. C'est un fait.

    Cela revient en fait à utiliser la complexité de l'esprit humain pour entériner l'existence de Dieu mais l'utilisation d'une parole humaine au nom de Dieu ne valide que l'existence de cet humain, pas l'existence de Dieu ou alors il faudrait que Dieu soit incarné dans cet humain et que ça soit Sa parole et non celle de l'humain.

    Et c'est là qu'apparaît Jésus...

    "Dieu s’est incarné en homme, en Jésus-Christ, non pas pour réparer des erreurs divines, mais pour nous délivrer de la condamnation dont nous nous sommes nous-mêmes rendus coupables. Il est venu pour prendre sur lui nos péchés, subir notre condamnation et surmonter la mort, afin de ressusciter et d’ouvrir la voie à notre propre résurrection future. Jésus a rendu possible un nouveau départ pour ceux qui acceptent son salut, et un monde nouveau dans lequel la justice sera rendue et le mal vaincu."

    https://comprendredieu.com/si-dieu-est-tout-puissant-et-amour-pourquoi-permet-il-le-mal-et-la-souffrance/

    C'est rudement bien monté comme scénario. Pour prouver l'existence du Père, il faut un fils. Un humain. Admettons donc que Jésus ait existé. Sacré karma...Donc, on a un humain qui se dit Fils de Dieu. Et là-dessus, toute une histoire. Je conseille d'ailleurs à ce propos la lecture du roman de Eric Emmanuel Schmidt : "L'évangile selon Pilate".

    L'Évangile selon Pilate  par Schmitt

     

    3.95/5   2228 NOTES

    Résumé :

    Première partie : Dans le Jardin des oliviers, un homme attend que les soldats viennent l’arrêter pour le conduire au supplice. Quelle puissance surnaturelle a fait de lui, fils de menuisier, un agitateur, un faiseur de miracles prêchant l’amour et le pardon ?
    Deuxième partie : Trois jours plus tard, au matin de la Pâque, Pilate dirige la plus extravagante des enquêtes policières. Un cadavre a disparu et est réapparu vivant ! Y a-t-il un mystère Jésus ou simplement une affaire Jésus ? A mesure que Sherlock Pilate avance dans son enquête, le doute s’insinue dans son esprit. Et avec le doute, l’idée de foi."

     

    Mais je ne veux pas me perdre dans les méandres de cette histoire. C'est d'ailleurs à mon sens la raison de la complexité de l'histoire. Qu'on s'y perde. Je tiens à garder à l'esprit que tout ce qui précède parle d'un Dieu dont l'existence pour les croyants est indéniable et que cette histoire explique les tourments des humains.

    J'aurais plutôt tendance à dire que les tourments humains ont été l'occasion en or pour certains esprits "diaboliques" ^^ d'élaborer une histoire qui elle-même venait entretenir les tourments et donc prouver par A+B que Dieu existe bien. Une réalité au service d'un imaginaire, cet imaginaire lui-même capable d'engendrer des réalités (dont on se serait bien passé) J'ai beaucoup lu sur les Conquistadors et l'invasion des terres des Amérindiens. Tous ces peuples premiers en souffrent encore. Des millions de morts sous la bannière de Dieu. Israël et la Palestine sont en ce moment et depuis bien longtemps le symbole même de cette folie humaine, de ce Mal inséré dans les esprits, de ces Dieux brandis.

     

    "La possibilité du mal faisait partie de la bonté du monde. Un monde dans lequel le mal aurait été impossible aurait été un monde moins parfait. Car un monde dans lequel le mal serait impossible serait un monde dépourvu de liberté. Si le mal était impossible, alors les hommes n’auraient pas de choix à faire entre le bien et le mal, et par conséquent, ils ne seraient ni libres, ni moraux, ni responsables."

    https://comprendredieu.com/si-dieu-est-tout-puissant-et-amour-pourquoi-permet-il-le-mal-et-la-souffrance/ 

     

    Dieu aurait donc décidé que le Mal était nécessaire pour que nous apprenions à être libres, moraux et responsables. Si je comprends bien, nous sommes condamnés à subir le Mal jusqu'à la nuit des temps car il faudrait être sacrément naïf pour croire qu'un jour l'homme aura atteint un tel niveau de conscience que le Mal disparaîtra de son esprit.

    Et il faudrait en plus que je remercie Dieu et que je l'aime pour son amour inconditionnel ?  

    On pourrait me rétorquer que la vue des ces milliers de morts m'enseigne le respect de la vie humaine. Que ces visions d'apocalypse guerrière nourrissent ma morale, m'invite à réfléchir, me poussent vers le Bien. Mais je n'ai aucunement besoin de savoir que des milliers d'enfants sont morts pour identifier le Bien du Mal.

    C'est juste dévastateur, c'est juste cauchemardesque, désespérant.

    J'étais instituteur et pour enseigner l'Histoire à mes élèves, je devais la connaître, sous des aspects divers, sous des sources multiples, sans chercher à prendre parti mais juste à connaître les faits pour pouvoir les transmettre. J'ai beaucoup, beaucoup, beaucoup lu. Je sais que le Mal est sans limite et je ne puise aucun sentiment de liberté à le savoir, ni aucun besoin d'y confronter ma morale.

    Mais de penser qu'un éventuel Dieu ait pu juger que ce Mal était nécessaire, ça me laisse sans voix. Et que des croyants puissent trouver dans cette révélation, la force de leur foi, ça me sidère. 

    Maintenant, ça n'est pas pour autant que je vais fuir les croyants, quelques soient les Dieux qu'ils vénèrent.

    Moi, je vénère la Nature. 

    J'ai foi en elle.  

  • Et Dieu dans tout ça ? (2)

     

     

    L'humanité m'interdit de croire en Dieu.

    Ou alors, il faudrait que j'accepte l'idée que Dieu autorise le Mal, le Mal absolu. Et si cela est, alors je déteste Dieu.

    Mais c'est absurde de détester quelque chose qui n'existe pas. Alors, je déteste l'idée de Dieu mais j'aime infiniment la Nature.

    « Deus sive natura » écrivait Spinoza.

    « « Par la nature, considérée en général, je n’entends maintenant autre chose que Dieu même, ou bien l’ordre et la disposition que Dieu a établie dans les choses créées. »

    Mais pourquoi donc fallait-il ajouter le mot Dieu à celui de la Nature ? D'où vient cette aberration ?

    Il faudrait que j'étudie les textes anciens, que je fasse de l'archéologie des religions et ça ne m'intéresse pas. Pourquoi faudrait-il que j'essaie de comprendre les raisons d'une aberration ? Je veux bien m'efforcer de comprendre un phénomène inexpliqué de quelque chose qui existe mais aucunement d'un phénomène imaginaire. Et rien ne me prouve que l'hypothèse d'un Dieu est autre chose qu'un imaginaire. Alors, je m'efforce de comprendre la Nature puisqu'elle existe, qu'elle est là, qu'elle m'éblouit, me réjouit, me surprend, m'émeut, me subjugue par sa puissance et sa finesse, par son incroyable diversité.

    La diversité. C'est peut-être ça le problème des religions monothéistes. Adorer la Nature ? Oui, mais quoi, précisément ? C'est plus aisé d'adorer un Dieu unique, une image qui nous ressemble, qui nous unit. Euh, non, en fait, elle ne nous unit pas. Voilà bien le problème de fond. Dieu est un pourvoyeur de troubles. Le Dalaï Lama a dit que Dieu n'y est pour rien, que ce sont les hommes qui sont responsables des guerres. Désolé, mais c'est trop facile. Dieu, nous dit-on, est Tout Puissant. Mais il n'a pas su éviter l'émergence du Mal, le Mal absolu. Alors, c'est qu'Il n'existe pas. Ou que c'est un débutant et qu'il a foiré son projet.

    Protagoras écrivait, il y a longtemps : " Sur les dieux (sans majuscule), je ne puis rien dire, ni qu'ils soient, ni qu'ils ne soient pas. Trop de choses empêchent de le savoir : d'abord l'obscurité de la question, ensuite la brièveté de la vie humaine. »

    Et depuis ce temps ancien, on n'a pas avancé, le mystère reste entier. Mais la Nature est toujours là et elle n'est toujours pas adorée à sa juste valeur.

    Et c'est justement pour cette raison que même l'agnosticisme ne me satisfait pas car en ne prenant pas position, il entretient le doute. Choisir de ne pas choisir, c'est un choix inutile.

    Il va bien falloir qu'un jour, nous nous positionnons. Non pas seulement pour résoudre le problème de l'existence de Dieu, mais bien pour que nous décidions de concentrer notre raison et notre intelligence à la Nature. Puisqu'elle existe et que c'est indéniable.

    Car enfin, sur l'existence de Dieu, comment pourrions-nous nous y prendre pour prouver une inexistence ? Le questionnement est absurde et nous n'avons pas le droit d'être absurdes. Le temps de l'insouciance et de l'illusion est révolu.

    Est-ce que Dieu est responsable des attaques du Hamas et des représailles d'Israël ? J'en reviens toujours à la même conclusion. S'il n'a pas su insérer dans l'esprit humain la notion du Bien absolu et y laisser se développer la possibilité du Mal, c'est qu'il n'est pas Tout-Puissant et s'il n'est pas Tout-Puissant, c'est qu'Il n'existe pas.

    D'autre part, avancer que l'existence de l'Univers ne peut pas être expliqué autrement que par Dieu, c'est accepter l'idée que quelque chose qu'on ne peut pas identifier serait susceptible d'avoir créé l'Univers. Et il faudrait s'en contenter ?

    Lorsque je suis considérablement ému par un coucher de soleil ou par les horizons ouverts au sommet d'une montagne, il m'arrive d'éprouver une émotion que certains appellent « mystique ». La réalité procure un stimulus, ma réaction procure une émotion. Et la puissance de cette émotion me laisse imaginer un Dieu créateur. C'est si simple en fait. Tout est expliqué en une fraction de seconde. Je sais alors que j'ai succombé à la facilité et il me revient les lectures de Hubert Reeves et les travaux de cet homme pour expliquer ce que je vois. Et qui me ramène à l'amour de la nature, un amour qui ne réclame rien d'autre que le silence et la contemplation. Aucun texte à réciter, aucune posture à prendre, aucun costume à enfiler. Mieux encore : que je me dénude et que je parte marcher. Que mon corps entier se nourrisse de tout ce qui coule de l'Univers. Que mon esprit s'apaise, que mes pensées se taisent, que mes émotions se calment, que je ne sois que dans la réalité naturelle de cet instant.

    « Au commencement, Dieu créa le ciel et la terre, puis l'homme à son image. »

     

    L'anthropomorphisme, c'est à mes yeux, la pire des explications quant à l'existence de Dieu. Je n'y vois que la prétention humaine.

    Je suis baptisé, mes parents m'ont obligé à aller au catéchisme et à faire ma communion. Je n'ai aucun souvenir des séances de catéchisme et je n'ai qu'une photo dans ma tenue de communiant pour savoir que je suis passé par là.

    Je me souviens très bien, par contre, de ces moments où je m'asseyais au bord de l'océan et que je me laissais envahir par la musique des vagues ou de ces moments au pied d'un grand chêne ou j'aimais écouter chanter les tourterelles ou de cette cabane que j'avais construite au sommet d'un immense pin maritime, à vingt mètres du sol et où il m'est arrivé d'aller dormir.

    Je communiais là-haut, j'étais étreint par des émotions inconnues et parfois, il fallait que j'aille courir pour vider ce trop-plein, ça débordait comme une jouissance dont je ne savais que faire.

    Je communiais.

    C'est là que j'ai découvert la puissance du sport. Dans le prolongement de ces états extatiques. Alors, j'ai couru, de plus en plus et j'ai pédalé et j'ai nagé jusqu'au large, jusqu'à sentir le début des crampes avant d'accepter l'idée de faire demi-tour. J'ai passé des nuits sur ma planche à voile, juste assis à me laisser dériver et j'attendais le lever du jour. Puis j'ai découvert les montagnes et j'ai toujours pensé que j'avais déjà vécu là-haut.

    J'ai communié des milliers de fois.

    Je n'ai aucun souvenir d'avoir prié Dieu et lorsque mon frère, après un accident de voiture, s'est retrouvé dans le coma, cliniquement mort, j'ai détesté Dieu, je l'ai haï, je l'ai maudit. Et après les nuits de veille, je descendais dans le parc de l'hôpital, j'allais m'asseoir sous un cèdre et je regardais les nuages, je pensais aux montagnes.

    Dieu ne m'est d'aucune utilité.

    Leibniz écrivait : « Si Dieu existe, d'où vient le Mal ? S'il n'existe pas, d'où vient le Bien ? »

    Les enfants palestiniens que leurs pères portent dans leurs bras... Les parents juifs qui pleurent leurs enfants exécutés.

    Non, c'est impossible.

    Dieu ne m'est d'aucune utilité.

    Et il faudrait que son nom soit effacé, que cette idée disparaisse de l'esprit des hommes, que toute religiosité soit impensable. On verrait alors si le Mal absolu perdure. Et si c'est le cas, alors, c'est que l'humain n'est pas seulement une aberration de la création, c'est une abomination.

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