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Sit around the fire
- Par Thierry LEDRU
- Le 04/06/2025
- 0 commentaire
Il est très rare que j'écoute de la musique chantée.
Mais là, cette voix ne chante pas, elle parle, elle enseigne, elle apaise.
Et la musique de Jon Hopkins, je l'aime depuis si longtemps que j'ai parfois l'impression qu'elle vit en moi, J'imagine que la partition de cet accompagnement est d'une lecture très simple pour un musicien et elle est pour moi d'une perfection absolue. Il ne manque rien et rien d'inutile ne s'impose. Tout est juste.
Pour ma part, j'aime l'écouter lorsque je décide de dormir. J'éteins la lampe de chevet, je mets mes écouteurs, je ferme les yeux. Et la paix se répand en moi, glisse dans toutes les fibres, ralentit le cours du sang, couvre mon coeur d'une chaleur bienfaisante.
Paroles de la chanson Sit Around The Fire (Traduction) par Jon Hopkins
Sit Around The Fire (Traduction) Paroles originales du titre
Chanson manquante pour "Jon Hopkins" ? Proposer les paroles
Proposer une correction des paroles de "Sit Around The Fire (Traduction)"Au-delà de toutes les polarités
Je suis
Que les jugements et les opinions de l'esprit
Soient des jugements et des opinions de l'esprit
Et tu existes derrière ça
Ah alors
Ah alors
Il est vraiment temps que tu voies à travers l'absurdité de ta propre situation
Tu n'es pas celui que tu croyais être
Tu n'es pas cette personne
Et dans cette vie
Tu peux le savoir
MaintenantLe vrai travail que tu dois faire
Se trouve dans l'intimité de ton cœur
Toutes les formes extérieures sont belles
Mais le vrai travail
Est ta connexion intérieure
Si tu es silencieux quand tu médites
Si tu ouvres vraiment ton cœur
Apaise ton esprit
Ouvre ton cœur
Apaise l'esprit, ouvre le cœur
Comment apaiser l'esprit ?
Tu médites
Comment ouvrir le cœur ?
Tu commences à aimer ce que tu peux aimer
Et tu continues de l'élargir
Tu aimes un arbres
Tu aimes une rivièreTu aimes une feuille
Tu aimes une fleur
Tu aimes un chat
Tu aimes un humain
Mais tu vas de plus en plus profondément
Jusqu'à ce que tu adores
Ce qui est la source de lumière derrière tout ça
Derrière tout ça
Tu ne vénères pas la porte
Tu pénètres dans le temple intérieur
Tout en toi
Ce dont tu n'as pas besoin
Tu peux le lâcher
Tu n'as pas besoin de solitude
Car tu ne pourrais pas être seul
Tu n'as pas besoin de cupiditéParce que tu as déjà tout
Tu n'as pas besoin de doute
Parce que tu sais déjà
La confusion dit
"Je ne sais pas"
Mais dès que tu es silencieux
Tu découvres que dans la vérité
Tu sais vraiment
Car en toi
Tu sais
Qu'un avion après l'autre s'ouvrira à toi
Je veux savoir qui je suis vraiment
Comme si en chacun de nous
Il y avait autrefois un feu
Et pour certains d'entre nous
Il semble qu'il n'y ait plus que des cendresMais quand on creuse dans les cendres
On trouve une braise
Et, très doucement, on évente cette braise
... on souffle dessus
... elle devient plus ardente
Et c'est à partir de cette braise que l'on reconstruit le feu
C'est ce que, toi et moi, nous sommes là pour célébrer
Ce, même si nous avons vécu notre vie impliqués dans le monde
Nous savons
Nous savons que nous sommes de l'esprit
La braise devient plus vive
La flamme commence à vaciller un peu
Et très vite, on comprend que tout ce que l'on va faire pour l'éternitéC'est s'asseoir autour du feu
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Blatten
- Par Thierry LEDRU
- Le 04/06/2025
- 0 commentaire
Un village enseveli, une vallée transformée, une rivière bloquée qui devient un lac. L'anticipation des autorités a su éviter un drame humain. Les gens ont perdu leurs biens, leurs souvenirs, ils sont intérieurement dévastés mais ils sont en vie.
Les commentaires sur les réseaux sociaux, appelés également, défouloir à conneries, vont bon train.
"Rien à voir avec le réchauffement climatique, il y a toujours eu des phénomènes de ce type dans les montagnes. Les montagnes s'écroulent, c'est normal."
Bien évidemment, ces gens n'ont aucune formation géologique, ni climatologique, ni scientifique, ni rien du tout. Bon, il faut passer outre, pas le choix.
Par contre, il est nécessaire de lire les avis des gens de Là-Haut, ceux qui vivent et travaillent en montagne et qui ont les connaissances nécessaires;
Ludovic Ravanel: «La haute montagne connaît une véritable crise érosive»
Fonte des glaciers, déstabilisation des moraines, dégradation du permafrost et écroulements associés: depuis la canicule de 2003, les effets du réchauffement climatique sont de plus en plus visibles dans les Alpes. Pour en savoir plus sur l’avenir de la construction en altitude, TRACÉS est allé à la rencontre du glaciologue et géomorphologue Ludovic Ravanel sur les hauteurs de Chamonix (F).
Date de publication
14-12-2023
Rédacteur en chef adjoint, revue TRACÉS
Ludovic Ravanel est directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire Environnement et dynamique des territoires de montagne (EDYTEM) de l’ Université Savoie – Mont Blanc, à Chambéry (F).
On peut dire du belvédère du Montenvers (1913 m) qu’il est le «point zéro du tourisme alpin». En 1741, les voyageurs britanniques William Windham et Richard Pococke en reviennent impressionnés par la vue d’un glacier qu’ils décrivent comme «un lac agité d’une grosse bise et gelé d’un coup». La Mer de Glace était née. À l’instar des autres glaciers alpins au cours du Petit Âge Glaciaire1, sa langue descendait bien plus bas qu’actuellement, menaçant le hameau des Bois, à la sortie de Chamonix. Si, aujourd’hui, la Mer de Glace, plus long glacier des Alpes françaises (11 km), attire toujours les visiteurs venus du monde entier (850 000 en 2022), la gare du Montenvers ressemble toujours plus à un port de la mer d’Aral, déconnecté du rivage par l’évaporation du plan d’eau. Alors que le glacier s’étendait immédiatement en contrebas de la terrasse du Montenvers à la fin du 19e siècle, il faut aujourd’hui emprunter une télécabine et parcourir durant une vingtaine de minutes une suite de passerelles et d’escaliers (550 marches) pour atteindre la glace. C’est sur cette terrasse que, durant l’été, Ludovic Ravanel et d’autres chercheurs proposent aux visiteurs une médiation scientifique. Micro à la main, il mêle l’histoire de l’alpinisme à la géologie, la glaciologie et la géomorphologie pour expliquer aux touristes la spectaculaire évolution du paysage qui s’offre aux regards à la sortie des wagons.
TRACÉS: Monsieur Ravanel, vos publications et vos interventions font régulièrement référence à une « crise érosive » qui affecte la haute montagne. Pourriez-vous nous expliquer ce que vous entendez par là?
Ludovic Ravanel: L’érosion est un phénomène naturel dans les Alpes. Le relief est voué à évoluer au gré des intempéries, des séismes, etc. Géologie et topographie concourent à ces déstabilisations. Mais aujourd’hui, en contexte glaciaire et de permafrost, nous constatons une forte augmentation à la fois de la fréquence et des volumes des déstabilisations. Le retrait des glaciers, conjugué à la dégradation du permafrost, entraînent des taux d’érosion beaucoup plus élevés que ce qui était jusqu’à présent la norme. Aux crises climatiques et de la biodiversité s’ajoute donc une crise érosive en haute altitude.
La canicule de 2003 marque en quelque sorte l’entrée dans cette crise. Mais, en 20 ans, les choses ont encore accéléré, du fait notamment de la récurrence des épisodes caniculaires depuis 2015. Des capteurs de températures installés dans trois forages réalisés à la fin des années 2000 dans les faces nord-ouest, est et sud de l’Aiguille du Midi (3842 m) confirment cette tendance lourde: en une décennie, la température au cœur du massif rocheux a augmenté de 1 à 1.5° C, soit davantage que l’élévation de la température de l’air.
Comment cette crise se manifeste-t-elle concrètement dans le paysage autour de la Mer de la Glace?
Depuis le Montenvers, on voit très bien deux secteurs emblématiques de cette évolution. Le premier est la face ouest des Drus (3754 m). En juin 2005, le pilier Bonatti s’est écroulé d’un coup, laissant une gigantesque cicatrice de 700 m de haut encore très visible aujourd’hui. Avec un peu moins de 300 000 m3, cet écroulement est bien plus petit que celui du Cengalo en 2017 (3,1 mio m3)2, mais il a marqué les esprits car cette face, très élancée, est bien visible depuis la vallée. De plus, ce pilier, de par son histoire, constituait un véritable monument du patrimoine alpinistique3.
Mais aujourd’hui, la montagne de référence est l’Aiguille du Tacul (3444 m), qui domine la Mer de Glace, à la confluence des glaciers de Leschaux et du Géant. La zone est très fracturée et la répétition d’étés caniculaires a fortement dégradé le permafrost qui assurait la présence de glace dans les fissures et donc la stabilité du tout. Un écroulement d’un volume de plusieurs dizaines de milliers de m3 s’y est produit en deux phases en août 2015; la niche d’arrachement est encore bien visible. Les événements de plus petite taille y sont très fréquents dès que l’isotherme 0° C grimpe en altitude.
Quelle est l’influence de cette crise érosive sur les infrastructures situées en haute altitude?
En raison de l’accélération du réchauffement climatique, la construction en contexte de permafrost devient un grand défi. On ne peut plus construire aujourd’hui comme on le faisait dans les années 1970 à 1990. Tant les constructeurs que les gestionnaires en ont pris conscience. Construire sur le permafrost nécessite des études préalables sur l’ensemble de la cryosphère4 et d’en croiser les données avec la géologie propre à un lieu. Si l’on prend le massif du Mont-Blanc, le granite qui le constitue a plus de 300 millions d’années. Il a vécu de nombreux événements géologiques et géomorphologiques qui l’ont fracturé. Le contexte de base est donc déjà favorable aux déstabilisations. Un épisode de forte pluie ou une canicule, encore aidés par la décompression post-glaciaire, feront s’écrouler le château de cartes caractérisant certaines faces. Mais le temps de réponse peut se compter en jours, en semaines ou même en mois, le temps que le dégel se fasse en profondeur, si bien que de gros événements peuvent se produire encore jusqu’en début d’hiver. Si l’on arrive relativement bien à cerner les contextes topographique (orientation et altitude) et géologique favorables aux déstabilisations, prédire où et quand quel volume de roche sera déstabilisé demeure très difficile.
Les Alpes françaises comptent 947 éléments d’infrastructure, principalement des gares et des pylônes, construits en contexte de permafrost. Pour chacun d’entre eux, on a construit un indice de risque. Certains sont surveillés de près car situés dans des endroits très favorables aux déstabilisations. L’infrastructure la plus à risque est la gare supérieure du téléphérique des Grands Montets (3295 m), à 4 km au nord-est du Montenvers, en arrêt depuis un incendie en 2018, et dont la reconstruction a débuté à l’été 2023. Construire durablement dans ce secteur qui est extrêmement fracturé et autour duquel les glaciers se retirent avec un permafrost qui disparaît constitue un gros challenge: comment en garantir la stabilité durant 30 à 40 ans alors que le réchauffement et ses conséquences s’accélèrent?
Quelles sont les techniques utilisées actuellement pour construire sur le permafrost?
Dans le cas des Grands Montets, il a fallu décaisser la roche sur une profondeur de 25 à 30 mètres pour enlever la partie la plus fracturée. C’est également dans cette couche que se trouve la majeure partie de la glace du permafrost. Le soubassement rocheux va continuer à se réchauffer, mais cet assainissement l’aura rendu plus stable.
Une autre solution consiste à construire sur pilotis afin de favoriser les circulations d’air qui vont entraîner un refroidissement sous les bâtiments. Il est indispensable de dissocier l’infrastructure de la roche de manière à éviter que le bâtiment ne réchauffe le permafrost, ce qui peut se passer, par exemple, lors de la prise du béton, qui va relarguer de la chaleur. Dans le même ordre d’idée, il faut isoler les bâtiments pour éviter la conduction de chaleur dans la roche.
La gestion des eaux est tout aussi fondamentale. Il est nécessaire de les évacuer le plus possible des infrastructures et des zones sensibles. Le permafrost se dégrade tout d’abord par conduction de chaleur depuis la surface, causant l’approfondissement de la couche active. Mais l’advection de chaleur par l’air et par l’eau circulant dans les fractures de la roche est un phénomène plus insidieux, qui peut conduire à la formation de couloirs de dégel menant à une dégradation beaucoup plus profonde. L’écroulement des Drus s’explique d’ailleurs bien mieux par l’advection de chaleur le long des grandes fractures qui délimitaient l’arrière du pilier que par conduction depuis la surface. Durant le mois de juin 2005, il a beaucoup plu, et très haut en altitude, du fait de températures élevées.
Qu’en est-il plus spécifiquement des refuges de montagne?
En ce moment, les bivouacs suscitent beaucoup d’inquiétude. Dans les Alpes, ils ont tendance à tomber les uns après les autres, cinq ou six ont disparu ces dernières années. Cela a commencé en 2019 avec le bivouac des Périades (3421 m). Des cristalliers avaient observé un basculement de l’abri. L’ancienne structure, un objet à très forte valeur patrimoniale, a été héliportée dans la vallée de Chamonix; une nouvelle a été posée une vingtaine de mètres plus loin, sur un éperon plus solide que le tas de cailloux cimenté par la glace du permafrost de l’emplacement original. L’histoire s’est répétée en 2022 au bivouac Alberico-Borgna (3675 m), toujours dans le massif du Mont-Blanc. Des alpinistes y ont passé une très mauvaise nuit en juillet: le bâtiment craquait, il y avait des trous dans le sol. Un mois plus tard, les débris du bivouac jonchaient le glacier de la Brenva, plusieurs centaines de mètres en contrebas. Le problème tient au fait que ces structures ont été construites il y a assez longtemps, avec des températures nettement plus fraîches. Aujourd’hui, on réfléchirait autrement avant d’y construire un plus gros bâtiment.
Mais cette problématique concerne également les plus gros refuges, comme celui des Cosmiques (3613 m)5. Le 22 août 1998, alors que j’y travaillais en tant qu’aide-gardien, nous avons senti le bâtiment bouger en fin de journée. Nous avons pensé qu’une grosse avalanche de glace sur le glacier des Bossons en était la cause. Mais le lendemain, nous avons découvert qu’un écroulement de 600 m3 avait emporté une partie de la structure métallique soutenant le bâtiment. Il a évidemment été évacué immédiatement et n’a rouvert qu’un an plus tard, après de lourds travaux. Une centaine de clous ont été nécessaires à la stabilisation de son soubassement rocheux. Mais l’évolution n’est pas très bonne. Le bâtiment est posé sur une crête. Le permafrost, encore présent il y a 20 à 30 ans, a disparu en face sud, mais pas en face nord. Cela génère des contraintes, encore renforcées par le retrait du glacier du Géant. Cette combinaison entre fonte du permafrost et décompression post-glaciaire est très problématique.
Actuellement, dans le massif du Mont-Blanc, un refuge m’inquiète beaucoup : les Grands Mulets (3051 m), situé plus bas en altitude, près de la limite inférieure du permafrost. Les deux glaciers qui entourent l’arête des Grands Mulets ont beaucoup perdu en épaisseur ces deux dernières décennies. On constate déjà des blocs qui bougent et des fissures qui s’ouvrent autour du refuge, mais il n’y a pas encore de dommage sur le bâtiment.
L’accès au sommet du mont Blanc devient difficile: cette année, c’est du côté des Aiguilles Grises, sur la voie normale italienne, et du col Infranchissable qu’ont eu lieu les plus gros écroulements.
Pour rester sur l’accès au mont Blanc, qu’en est-il du refuge du Goûter?
Le refuge du Goûter (3817 m) est connu pour les chutes de pierres qui menacent son accès et en font un endroit très accidentogène. Le refuge lui-même repose sur une zone certes très fracturée mais peu favorable aux déstabilisations majeures. Au niveau du permafrost, sa construction sur pilotis améliore sa durabilité. Les concepteurs ont en quelque sorte anticipé la fonte du permafrost en installant ces pieux jusqu’à 16 m de profondeur, dont 5 correspondaient à une marge de sécurité envisagée de quelques dizaines d’années vis-à-vis de la dégradation du permafrost. Mais l’accélération du phénomène, depuis la construction du refuge en 2012-2013, a grignoté cette marge beaucoup plus vite qu’escompté.
Quelle est actuellement la zone la plus critique, sachant que la moitié des refuges du massif du Mont-Blanc est située au-dessus de 2900 m d’altitude?
On peut tout d’abord distinguer trois types de risques: un risque direct, in situ, de déstabilisation pour les bâtiments; un risque d’atteinte, par le haut, par des éboulements et des écroulements; et, enfin, un risque d’événements en cascade, où un écroulement peut déclencher à sa suite une avalanche, comme celle de la Brenva à Courmayeur (I) en 1997, ou une lave torrentielle, comme au Cengalo en 2017 ou au Fluchthorn (CH/Ö) en 2023, qui peuvent faire des dégâts très bas dans les vallées. À 2900 m, la situation est relativement sûre en ce qui concerne le permafrost, car il a déjà disparu. Restent les risques qui viennent de plus haut et qui dépendent essentiellement de l’emplacement du bâtiment.
Au-delà de 3000-3200 m, le permafrost situé sous les fondations constituera un sérieux problème jusqu’à l’atteinte d’un nouvel état d’équilibre, avec une nouvelle limite du permafrost qui se situera au-dessus de 4000 m en 2100. Pour l’essentiel des massifs situés entre 3000 et 4000 m, les prochaines décennies seront celles de la matérialisation et du paroxysme de la crise érosive, qui devrait ensuite décroître sur la fin du siècle. Le nouvel équilibre sera atteint une fois que les terrains devant se déstabiliser l’auront été.
On peut faire le parallèle avec le massif des Aiguilles Rouges voisin, ou encore les Pyrénées, où l’on ne retrouve quasi plus de permafrost en raison de leur plus faible altitude, et où les déstabilisations ont eu lieu à d’autres moments de l’Holocène, comme l’Optimum climatique du Moyen-Âge. En étudiant ces massifs et leur comportement lors de ces anciennes périodes chaudes, on peut avoir une idée de ce qui nous attend. Mais une différence majeure demeure: le réchauffement y a été beaucoup plus lent que ce que l’on observe actuellement dans les Alpes, d’où cette notion de crise.
À la question du permafrost s’ajoute aussi celle de l’évolution des masses glaciaires. Sous le sommet de l’Aiguille du Midi se trouve un glacier froid dont l’ablation, par définition, ne devrait se faire que par déstabilisation de séracs. En 2022, l’été de tous les records, un véritable torrent le dévalait, je n’avais encore jamais vu quelque chose de pareil. On en vient donc presque à devoir modifier les définitions fondamentales de la glaciologie! C’est d’autant plus inquiétant que la perte d’englacement et le ruissellement concourent à la dégradation du permafrost.
Chamonix et sa vallée sont indissociables de l’alpinisme. Quel est l’impact de l’évolution climatique sur sa pratique?
Les alpinistes ont l’habitude de s’adapter aux conditions du moment. On voit donc toute une série de modalités d’adaptation. La plus efficace est un changement de saisonnalité. L’alpinisme, qu’on pratiquait traditionnellement au cœur de l’été dans les années 1970 à 1990, se fait maintenant davantage au printemps, voire même en hiver, la saison devenant de moins en moins rigoureuse. Le métier de guide change aussi, avec des cordées moins nombreuses, une modification des itinéraires, des techniques de progression qui évoluent. Les guides sont également plus mobiles à l’échelle des Alpes, ou élargissent leur offre avec du canyoning ou de la via ferrata, des activités qui se pratiquent à plus basse altitude. Ces modalités d’adaptation sont efficaces aujourd’hui, mais qu’en sera-t-il dans 15 à 20 ans?
Quel est l’impact de ces changements sur la fréquentation des refuges?
Les refuges et leurs gardiens s’adaptent à ce décalage saisonnier, mais la fréquentation est difficile à évaluer, car, à part pour le Club Alpin Suisse, on dispose de peu de données avant l’an 2000. D’après une récente étude6 menée dans les Alpes valaisannes, on observerait une légère décroissance des nuitées, mais une croissance des visites à la journée, synonyme d’une évolution du type de visiteurs, de l’alpiniste vers le randonneur. A contrario, l’évolution du milieu péjore l’accès à de nombreux refuges, ce qui tend à les réserver aux alpinistes pour des questions de technique. Le maintien de l’accès aux cinq refuges de la Mer de Glace (Charpoua, Couvercle, Leschaux, Requin et Envers des Aiguilles) a ainsi nécessité la pose de pas moins de 800 m d’échelles depuis les années 1990 pour pallier la baisse du niveau du glacier7!
Notes
1 Période climatique froide principalement localisée sur l’Atlantique nord ayant approximativement eu lieu entre le début du 14e siècle et la fin du 19e siècle.
2 Philippe Morel, «Quand les montagnes s’effritent», TRACÉS 18/2017
3 Du 17 au 22 août 1955, le célèbre alpiniste italien Walter Bonatti ouvrit en solitaire un itinéraire majeur sur le pilier sud-ouest des Drus. Une réalisation magistrale qui marqua l’histoire de l’alpinisme. Walter Bonatti, À mes montagnes, Arthaud, 1962
4 On entend par cryosphère l’ensemble des constituants du système terrestre composés d’eau à l’état solide, notamment les glaces de mer, de lac et de rivière, les sols enneigés, les précipitations solides, les glaciers, les calottes glaciaires, les inlandsis et les sols gelés de façon permanente ou saisonnière.
5 Ce refuge a été construit dans les années 1930 pour étudier le rayonnement cosmique en altitude. Il a été géré jusqu’aux années 1990 par le CNRS.
6 Jacques Mourey, Christophe Clivaz et Philippe Bourdeau, «Analyser l’évolution des pratiques sportives en montagne peu aménagée à partir des données de fréquentation des cabanes. Applications aux Alpes valaisannes», Journal of Alpine Research/Revue de géographie alpine 111-1, 2023
7 Jacques Mourey and Ludovic Ravanel, «Evolution of Access Routes to High Mountain Refuges of the Mer de Glace Basin (Mont Blanc Massif, France). An Example of Adapting to Climate Change Effects in the Alpine High Mountains», Journal of Alpine Research/Revue de géographie alpine 105-4, 2017
À propos
Ludovic Ravanel est directeur de recherche au CNRS au sein du laboratoire Environnement et dynamique des territoires de montagne (EDYTEM) de l’Université Savoie – Mont Blanc, à Chambéry (F). Glaciologue et géomorphologue, il s’intéresse à l’évolution des reliefs terrestres, et en particulier à la déstabilisation des terrains situés au-dessus de 2000 m d’altitude. Son parcours de chercheur l’a, entre autres, mené à travailler dans les Universités de Lausanne et de Zurich ainsi qu’à l’ETH Zurich.Descendant d’une très longue lignée de guides de haute montagne, Ludovic Ravanel est lui-même membre de la Compagnie des Guides de Chamonix. Durant les étés 2000 à 2004, il a été le gardien du refuge de la Charpoua (2841 m), où il a vécu la canicule de 2003 et ses effets sur l’environnement alpin. Aujourd’hui, il ne fréquente la haute montagne presque plus que pour la recherche. Mais son passé d’alpiniste est un atout précieux quand il s’agit, par exemple, d’effectuer le carottage d’un tablier de glace dans la face nord des Grandes Jorasses, pour y prélever un échantillon de l’une des plus vieilles glaces des Alpes – 8000 à 10 000 ans –, avant qu’elles ne disparaissent définitivement.
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Lassitude mentale
- Par Thierry LEDRU
- Le 02/06/2025
- 0 commentaire
J'ai eu un échange aujourd'hui, avec une personne que j'estime, Grégory Derville, professeur en université, adepte du jardin nourricier, passionné de musique, quelqu'un qui écrit des chroniques que je lis avec grand intérêt. On a parlé de la "lassitude mentale", celle que j'éprouve également.
Quand on arrive au stade de la lassitude mentale, je pense, par expérience, qu'il est bon de prendre du recul avant que cette lassitude, au regard de l'aggravation progressive de la situation, ne devienne de la désespérance.
"Que la force me soit donnée de supporter ce qui ne peut être changé et le courage de changer ce qui peut l'être mais aussi la sagesse de distinguer l'un de l'autre.” Marc-Aurèle.
Je m'en tiens à ça. Au moment où j'écris, le compteur de mon blog enregistre 1155 visites pour 2495 pages lues. D'où viennent ces gens ? Je n'en sais rien. Pourquoi sont-ils là ? Je n'en sais rien. Est-ce que mes écrits leur apportent quelque chose d'utile ? Je n'en sais rien.
Je partage mes écrits sur mon blog mais c'est aussi un moyen de ne pas perdre ces réflexions, comme une sorte d'archives. J'ai commencé en 2009 alors ça m'intéresse en fait de voir ce à quoi je pensais il y a plusieurs années, ce qui m'occupait l'esprit et si ces pensées ont évolué ou pas. Si des gens lisent, tant mieux, si personne ne lit, tant pis. Je n'y peux rien et à la limite, ça ne me regarde pas.
Je sais que sur Facebook, cet éloignement qui s'est tellement amplifié que je n'y publie plus rien, c'est une attitude que j'ai fini par adopter parce que c'était devenu douloureux de voir des "like" sans qu'aucun échange ne s'engage mais sur ce blog, il n'y a pas non plus beaucoup de commentaires. C'est peut-être représentatif d'un certain comportement "consumériste". On prend et on s'en va....
Oui, il y a de l'amertume dans ce que je viens d'écrire. Au regard de tous ces articles, au regard de mes romans. J'ai souvent posté ici ou sur Facebook des extraits de mes romans, j'avais des "like" mais combien ont acheté ces livres ? Trop cher ? Pas le temps de lire un roman ? Trop fatigué ? Je n'en sais rien mais au final, j'ai bien conscience que tous les "partages" sont quasiment inutiles. Et même ce soir, tous ces gens qui lisent ce blog vont finir par disparaître sans laisser le moindre commentaire parce qu'il y a un captcha et que c'est "saoulant".
On consomme (gratuitement) et on passe à autre chose.
Je n'ai pas écrit une ligne du roman en cours depuis plus de deux mois. Non pas par manque de motivation mais parce qu'un déménagement et un aménagement puis la mise en place d'un jardin-forêt, ça prend du temps et que ça occupe bien l'esprit et le corps. Par contre, je sais que le jour où je finirai ce tome 4, il est bien possible que je le garde pour moi et les deux tomes précédents. Si les ventes de "Jarwal le lutin" ne dépassent pas quelques centaines, je ne me permettrai plus de proposer un roman à mon éditrice. Point final.
Voilà, je suis dans une lassitude mentale. Alors, je n'écris plus grand-chose.
Gaza est devenue un camp de concentration, la guerre en Ukraine est devenue un murmure lointain, les mega-feux au Canada reprennent de plus belle, les records de température tombent les uns après les autres, l'humanité poursuit sa course folle et je m'efforce d'éviter le courant.
Voilà ce qui sera sans doute le dernier article de Grégory avant un certain temps voire à tout jamais. J'adhère intégralement à ces propos :
"Dernier #punchpost sur cette page.
J'en ai publié beaucoup, et je ne crois pas que ça ait servi à grand chose, à part me défouler et permettre à celles et à ceux qui pensent à peu près comme moi de se défouler à leur tour en likant ou en commentant. Mais est-ce que j'ai joué un rôle d'information ou de sensibilisation, j'en n'en suis pas sûr…
Pendant des années, et même des décennies en fait (eh oui le temps passe), j'ai cru, j'ai voulu croire, que face à l'imminence d'un danger existentiel (la destruction de l'habitabilité de la planète), les humains finiraient par comprendre le caractère intrinsèquement prioritaire de la cause écologiste. Ils finiraient par comprendre, même ceux qui dans un premier temps étaient plongés dans le déni, n'en avaient rien à foutre, ricanaient même des alertes des militant·es écologistes, ils finiraient par comprendre, pensais-je, que sans une planète en état de marche à peu près correct, aucune activité humaine ne peut exister, ni les plus dégueulasses, ni les plus valables et les plus précieuses (plus de musique, plus de cinéma, plus d'école, plus de système de santé…). Je parlais souvent de la façon dont Yves Cochet cite le psychanalyste Lacan en disant que "le réel c'est quand on en prend plein la gueule", et donc que même les puissants et les anti-écolos finiraient par ouvrir les yeux le jour où ils seraient atteints dans leur chair (ou au moins dans leurs investissements…)
Mais depuis quelques années, avec une accélération foudroyante depuis la réélection de Donald Trump, j'y crois de moins en moins.
J'ai d'abord constaté que des gens passaient, presque sans transition, comme des transformistes de génie, de "Mais arrête de nous fatiguer avec ta crise écologique, le climat a toujours changé, on trouvera des solutions comme toujours, on va pas s'arrêter de vivre non plus, faut arrêter de se prendre la tête", à "De toutes façons c'est foutu [à cause des Chinois, des Africains, des zécolos], alors à quoi bon ?" À quoi bon s'empêcher de faire ce qui est écologiquement destructeur et s'obliger à faire ce qui est écologiquement vertueux? Tout ça est so boring… Et forts de cette nouvelle vision des choses, tous ces gens se sentaient donc à l'aise pour continuer à vivre comme avant, sans la moindre réflexion éthique sur l'impact de leur mode de vie sur les fragiles d'aujourd'hui, sur les générations futures et sur le reste du vivant, qui est la victime collatérale du modèle de développement occidental (capitaliste, extractiviste, productiviste, consumériste, colonial…), et que l'Humanité soit-disant "civilisée" détruit beaucoup plus rapidement que pendant les 5 premières extinctions de masse qui ont jalonné l'histoire de la Terre.
Parfois il y avait un semblant de prise de conscience, mais celui-ci s'abîmait bien vite dans les rêves délicieux du développement durable dans sa version dite "faible" – celle dans laquelle on considère que ce qui compte pour que le développement soit durable, c'est uniquement que les générations suivantes puissent créer au moins autant de valeur que les actuelles, et tant pis si c'est au prix du capital naturel, dès lors qu'on peut lui substituer du "capital construit" tout ira bien. Dès lors, pourquoi s'interdire de forer tout le pétrole qu'on peut ("Drill, baby drill"), puisque de toutes façons, si on met lézécolos au silence, on pourra stabiliser le climat grâce à la capture du carbone (spoiler : ça ne marche pas) ou à la géo-ingénierie (spoiler : ça ne va pas marcher). De même, pourquoi freiner le développement économique au nom de la défense des écosystèmes ou de la biodiversité puisque, comme l'a dit Trump avec sa franchise habituelle, c'est "inutile" ?
Mais depuis quelques temps, on voit les écologistes devenir les boucs émissaires de tout ce qui provoque la rage des Dupont-Lajoie. C'est à cause dézécolos que le nucléaire n'est pas assez développé, que Valence a été ravagée par les flots, que les beaux quartiers de Los Angeles ont été ravagés par le feu, que les prix de l'électricité montent, que les rendements agricoles baissent, etc. À croire que tout est de leur faute à ces sales écoterroristes.
Bien évidement, ces affirmations sont totalement fausses et grotesques, sans aucune exception. Ces imbéciles ne connaissent absolument rien au fonctionnement des écosystèmes, aux fragilités de l'agro-business ou à l'énergie, mais ils assènent leurs con.neries de façon de plus en plus péremptoire, au nom du bon sens, du "On ne peut plus rien faire" et du "On ne va quand même pas s'arrêter de vivre". Comme si le business as usual ou le technosolutionnisme n'étaient pas, justement, les deux voies les plus sûres pour que d'ici quelques décennies peut-être, aucun humain ne puisse vivre sur cette planète – en tous cas pas "de façon authentiquement humaine", selon la belle formule du philosophe Hans Jonas.
Depuis six mois, c'est une accumulation de nouvelles désastreuses, épouvantables, cauchemardesques, qui montrent que la fraction dominante de l'Humanité, la plus riche, la plus exploiteuse, fait résolument le choix de la fuite en avant, et tant pis pour les pauvres, tant pis pour les peuples insulaires, tant pis pour les jeunes, tant pis pour les vivants non humains.
D'abord, les nouvelles de la planète sont de plus en plus alarmantes, les records effroyables sont battus sur toutes les frontières planétaires (climat, biodiversité, pollution, cycle de l'eau, etc.)
Sur le plan politique, on a eu en novembre la réélection d'un président des États-Unis ouvertement climato-sceptique, qui a sorti à nouveau les USA de l'accord de Paris, qui dynamite la totalité de la réglementation environnementale américaine au nom de la sacro-sainte croissance économique, et qui est même acharné à détruire la science de l'environnement (et du reste…).
En Europe, le pacte vert européen subit de plus en plus reculs, alors qu'il n'était pourtant pas ambitieux sur le plan écologique (comme toutes les politiques de "croissance verte", il s'apparente en réalité à un plan de sauvetage du capitalisme, vise à faire de la transition énergétique un "relais de croissance", et il est presque entièrement focalisé sur le seul climat).
En France c'est plus feutré, moins assumé, mais les reculs sont dramatiques aussi. Rien que cette semaine, on a eu le vote d'une loi Duplomb qui, entre autres désastres, réintroduit un pesticide néonicotinoïde, on a eu l'assouplissement de l’objectif zéro artificialisation nette (c'est cool hein l'assouplissement, ça fait healthy), on a eu la suppression des ZFE pour des raisons purement démagogiques (avec le soutien de LFI, quelle misère), on a l'annonce de la reprise du chantier de l'A69 alors que ce projet foule aux pieds les engagements climatiques de la France… et la liste pourrait s'allonger interminablement.
Le pire peut-être, c'est qu'on dirait que tout le monde s'en bat les steaks. Lors de son interview sur TF1 le 13 mai, Emmanuel Macron, n’a été questionné sur aucun de ces sujets (!!!) Le monde brûle de plus en plus fort mais les élites politiques et économiques en place continuent à regarder ailleurs, avec acharnement, en appuyant même à fond sur l'accélérateur pour stimuler ce qui va rendre le désastre encore plus imparable (tout le monde ne jure que par l'IA…).
Ce quinquennat devait être écologique", Macron nous l'avait promis la main sur le cœur, mais il s'avère être celui de la destruction du peu de politiques environnementales que des associations, des scientifiques, des politiques et des fonctionnaires engagé·es avaient réussi à construire. Et quand le RN sera aux affaires ce sera bien pire, je n'en doute pas une seconde : la chasse aux "écoterroristes" sera ouverte.
"Don't look up" n'était pas une fiction, c'était un documentaire anticipé sur le suicide d'une espèce censée être sapiens sapiens.
Ce matin j'ai lu l'éditorial de la rubrique "Planète" du Monde dans lequel il est écrit que "les associations, les ONG et les cercles de réflexion spécialisés dans la défense de l’environnement encaissent déconvenue sur déconvenue". Le journaliste Matthieu Goar titre sur "le grand blues des défenseurs du climat et de l’environnement". Déconvenues ? Blues ? Ces mots sont bien trop mollassons. Pour ma part en tous cas, je parlerais plutôt d'écoeurement, d'accablement, de désespoir, de détresse, de rage…
Ce que fait l'administration Trump, ce que fait cette majorité de droite (avec le soutien de plus en plus évident du RN), c'est carrément criminel, il faut dire les choses telles qu'elles sont. C'est la politique du Rien à foutre : rien à foutre des générations futures, des peuples opprimés, de la nature, de la biodiversité, tous ce qui compte c'est de continuer à vivre selon notre bon plaisir, et après nous le déluge.
Au fond, j'ai toujours pensé, et j'ai souvent écrit, que l'Humanité ira jusqu'au bout du bout du bout du délire, et qu'elle détruira méthodiquement, avec passion, sa seule planète disponible. Je le crois plus que jamais.
Alors je vais peut-être continuer à écrire des punchposts, mais je les réserverai à mon site perso et à mon compte LinkedIn où j'ai ma petite notoriété, et surtout je crois que j'en écrirai moins souvent, puisque pour le coup, "à quoi bon ?" - à quoi bon alerter des gens qui sont déjà alertés, ou des gens qui ne veulent de toutes façons pas entendre ?
De toutes façons, il y a dans l'écosystème médiatique bien assez de gens qui alertent, et très souvent ces gens sont jeunes et extrêmement talentueux : je leur laisse le champ libre.
Pour ma part j'ai plus envie de me concentrer sur un type d'action pour lequel ça ne se bouscule pas trop au portillon : essayer de bâtir des alternatives, sans illusion, mais avec bonne volonté. Ce matin j'ai passé quatre heures dans mon jardin à arroser, à semer des haricots et des courges, à récolter… J'y ai vu un lézard vert qui se faufilait jusqu'à des framboisiers pour s'y cacher. J'ai été soulagé, car je craignais ces derniers temps que la couleuvre verte et jaune les ait mangés. Et j'ai même eu, malgré ma claire conscience de l'effondrement vers lequel nous fonçons, un petit moment fugace de joie et de fierté.
La vie a Duplomb dans l'aile, mais elle n'est pas encore morte. Je vais tâcher de continuer à la défendre sur le petit morceau de terre dont j'ai la responsabilité."
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Continuer, malgré tout.
- Par Thierry LEDRU
- Le 22/05/2025
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Et malgré tout, je cours toujours.
20 km, 800 mètres de dénivelée.
En mode exploration du nouveau secteur. Des gorges aux plateaux, alternance de montées et de descentes, parfois, on sort la carte pour identifier le bon sentier, parfois on se perd, on marche, on court, on s'arrête et on contemple et toujours, toujours, à un moment survient ce moment surpuissant du bonheur d'être en vie. On n'arrête pas le sport parce qu'on devient vieux ou que quelque chose fonctionne moins bien, sinon là, immanquablement, on va vers le pire. Partir, même si le dos est raide, même si parfois, les mollets vont durcir jusqu'à la crampe. Remplir l'existence du goût de la vie pour ne pas qu'elle périsse. Ne pas laisser la vieillesse prendre le dessus, ne pas s'offrir en pâture, ne pas abandonner, rester debout et courir.
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Discopathie dégénérative
- Par Thierry LEDRU
- Le 19/05/2025
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Voilà une photo de la sténose en bas de mon dos. L'excroissance n'est que la partie visible de l'iceberg. Il faut imaginer qu'à l'intérieur, c'est bien pire.
Je me suis inscrit à un groupe de discussions sur les discopathies dégénératives et je suis effaré, sidéré et profondément touché par le nombre conséquent de personnes qui viennent témoigner de leur calvaire. Tous les jours, de nouvelles personnes viennent témoigner...Tous les jours, deux, trois, quatre, cinq personnes, pour un problème qui vient de survenir ou pour un problème qui dure depuis longtemps ou pour une reprise de problème après une accalmie etc … Les situations varient d’une personne à l’autre mais ce qui reste identique, c’est la détresse.
Et ce qui me terrifie encore plus, c’est de voir l’âge de certaines victimes. Avoir des problèmes de dos à 60 ans, je veux bien l’admettre mais des jeunes de 20 ans qui se retrouvent dans des situations terriblement douloureuses et pour lesquels la chirurgie reste parfois sans autre solution que de se lancer dans des opérations très, très lourdes, aux conséquences incertaines, c’est déprimant et ça m’interpelle considérablement.
Je suis sur ce groupe depuis quelques semaines et certains témoignages sont vraiment dramatiques. J'en arrive à avoir une sensation d'oppression à les lire. Comme un ancien soldat qui écoute le récit des frères de combats...
Je sais ce que ces gens endurent. Même si chaque cas est différent, la douleur, elle, est commune et terriblement destructrice.
Je me suis inscrit sur ce groupe pour voir si d’autres personnes partageaient ce que je vis et comment ils géraient la situation et je réalise combien mon cas est « miraculeux » au regard de l’état de mon dos.
Depuis un mois et demi qu’on est sur le nouveau terrain, on travaille tous les jours. Le potager est en place avec sa pergola, une vingtaine de pieux plantés à quarante centimètres de profondeur, toutes les pannes et les tasseaux fixés, une quarantaine d’arbres plantés, des brouettes et des brouettes de pierres sorties du sol, deux stères de bois tronçonnées, fendues et rangées, etc etc.
Samedi, vingt km de trail, 700 m de dénivelée et dimanche 30 km de vélo 800 m de dénivelée, aujourd’hui, mise en place de citernes de récupération d’eau de pluie etc...Des parpaings, des dalles au sol, la pioche, la barre à mine pour sortir des pierres que je soulève et pose dans la brouette.
On n’arrête pas et c’est que du bonheur.
Alors que, pour la médecine, je devrais juste pouvoir marcher péniblement et surtout, surtout, ne faire aucun effort soutenu.
Je sais d’où je viens, je sais le « travail intérieur » que j’ai mené, l’attention que je porte à mon corps, son entretien, l’amour infini que j’ai pour lui.
Alors, je témoigne sur ce groupe, avec empathie, compassion, solidarité envers toutes ces personnes qui n’entrevoient plus du tout la sortie du tunnel. Je sais combien la noirceur de l'instant est celle d'un tombeau quand on n'a plus la force de se projeter au-delà, quand la douleur est si cruelle qu'on voudrait mourir pour qu'elle meure elle aussi.
Alors, je raconte un peu où j'en suis.
Il ne s’agit pas de me mettre en avant. Juste de dire que si ce « mal » est venu, il est possible aussi qu’il s’en aille.
Le nombre de personnes qui se plaignent du milieu médical est effrayant. Des gens qui ne sont pas écoutés, dont les propos sont niés, dont l’état de douleur n’est pas reconnu, des gens qui sont juste considérés comme des « cas à traiter » mais qui ne rencontrent plus l’humanité dont ils ont absolument besoin. Les difficultés pour avoir un rendez-vous, les attentes interminables, les avis contradictoires entre les rhumato, les neuro, les chirurgiens, l'incompréhension et le désarroi qui en résulte, des boîtes de médicaments aux effets secondaires redoutables, les nuits de calvaire...
Je suis consterné également par le nombre de gens qui ont été opérés une fois, deux fois, trois fois et dont les pathologies se répètent, de vertèbre en vertèbre, avec d’autres pathologies qui viennent s’ajouter, toutes plus invalidantes les unes que les autres.
Et là , je m’interroge et je reviens à mon histoire.
Je sais que j’aurais eu besoin d’une aide psychologique quand j’ai été opéré la première fois. J’avais 24 ans. Et je l’ai vécu comme une dévastation. J’aurais eu besoin qu’on m’explique que la douleur est inscrite dans les fibres, pas uniquement dans la mémoire cérébrale mais dans tout le corps et qu’il est absolument nécessaire, vital, d’entamer un travail spirituel pour se libérer de ce fardeau car sinon, à la moindre contraction, l’apparition d’une douleur, aussi infime soit-elle, c’est tout le mécanisme qui se réactive, toute la machinerie émotionnelle, mémorielle, la peur. Et la peur favorise la contraction, la contraction amplifie la douleur qui s’est réveillée. L’individu se donne au mal, comme une victime consentante. La pensée mortifère est un poison.
La méditation, la respiration consciente, les étirements, les massages, la marche, la nature, il faut ériger les défenses, s’accrocher au bonheur comme à une bouée, ne pas sombrer.
Le travail est long, fastidieux, acharné. Il m’aura fallu quarante ans pour apprendre à vivre sereinement avec ce dos détruit. Quarante ans pour identifier clairement les raisons de ce désastre, la folie de ma jeunesse, le sport comme une rage de vivre, des milliers d'heures à courir, à pédaler, à grimper sur les sommets, à courir dans les descentes avec le sac à dos, la corde, tout le matériel d'escalade, parfois des réveils difficiles, mal au dos et j'y retournais, comme un furieux. Oui, j'étais furieux, j'avais mes raisons. Au-delà de la raison. Je vidais ma rage en usant de mon corps et je l'ai usé. La rage, c'était d'avoir été confronté à la mort par personne interposée et d'en avoir retiré un goût immodéré pour la vie, la vie qu'on étreint, la vie comme une lutte, une succession de défis. Mon corps était un outil et par manque de lucidité, j'étais incapable d'indentifier les raisons de cette colère. Je portais un fardeau. Celui de mon histoire et celle de mon frère et un jour, le sac émotionnel s'est révélé beaucoup trop lourd.
Je pense que les gens sur ce groupe de discussions gagneraient à être accompagnées, spirituellement. Qu'il s'agisse d'un psychologue, d'un sophrologue, d'un enseignant en méditation de pleine conscience. Il faut chercher en soi. Il y a peut-être une explication. Les chirurgiens ne le feront pas. Ils ne s'intéressent pas aux tourments de l'âme. J'aimerais dire à tous ces gens que la médecine peut les aider mais qu'elle ne cherchera jamais les raisons profondes, les raisons spirituelles et qu'elle ne les aidera pas non plus à vivre "l'après", non pas la rééducation physique mais la rééducation spirituelle.
Croire qu'on peut oublier le mal, c'est comme continuer à l'arroser alors qu'il faut aller le déterrer et le broyer et le mettre au compost. Car de ce mal décortiqué naîtra la paix.
Je ne pouvais pas mettre de côté mon âme. Elle était en souffrance. Et mon corps en a payé le prix.
Aujourd'hui, je suis en paix avec moi-même.
Je sais malgré tout que l’évolution ne peut pas m’être favorable. Le mécanisme est enclenché et les rouages sont trop abîmés. Irrémédiablement, je vais vers des jours compliqués. Je porte en moi un mal patient qui progresse. Mais je peux retarder son invasion.
Mon mollet gauche s’atrophie, certaines nuits il se bloque, une crampe qui peut survenir dans le sommeil le plus profond, c’est un réveil brutal, je dois me lever, étirer le muscle puis ensuite le masser. La sténose ronge les terminaisons nerveuses. C’est ainsi que je l’imagine. Le mollet droit a pris le même chemin depuis quelques mois.
Mais j’arrive toujours à courir, à marcher, à pédaler, à travailler sur le terrain, à planter des arbres et à les regarder pousser. Et c’est ce qui me sauve.
Être dehors pour être en moi.
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Inviter les oiseaux
- Par Thierry LEDRU
- Le 14/05/2025
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« Créons partout des jardins refuges pour les oiseaux ! »
Planter des haies variées, débitumer les sols... L’ornithologue Daniel Gérard nous guide pour renaturer nos jardins, tout en les embellissant, et ainsi attirer les oiseaux.
Daniel Gérard est enseignant en aménagement paysager à l’Eplefpa Naturapolis (Indre), membre actif de l’association Les Arbusticulteurs et ornithologue de terrain et guide ornithologique au parc naturel régional de la Brenne. Créer un beau jardin-refuge pour les oiseaux (éd. Ulmer) est son premier livre publié.
Reporterre — Dans la préface à votre livre, un chiffre retient l’attention : en France, la superficie globale des jardins particuliers représenterait 2 % de la surface totale du pays, soit le quadruple de la surface des réserves naturelles. Faire de son jardin un refuge pour les oiseaux est donc loin d’être anecdotique ?
Daniel Gérard — Absolument, c’est conséquent. Chaque espace végétalisé, même de faible surface, revêt une importance bien plus grande qu’on ne l’imagine pour les oiseaux, qui fuient de plus en plus la ville, sa pollution, ses canicules et pénuries alimentaires, pour la campagne et ses jardins.
Il est donc de notre responsabilité de prendre conscience du rôle que nous pouvons jouer pour aider la « biodiversité ordinaire » à survivre, de l’adoption de quelques gestes simples au réaménagement de l’ensemble des espaces végétalisés et du jardin.
Un étourneau sansonnet prend un bain, soucieux de conserver son plumage en bon état (abîmé, il pourrait entraver sa capacité à fuir). © Didier Plouchard
J’ai récemment aperçu un chardonneret qui avait les deux pattes si abîmées, déformées même, qu’il avait du mal à se tenir debout. Un handicap typique des pathologies qui se transmettent sur des mangeoires ou abreuvoirs trop peu nettoyés. C’est un exemple parmi d’autres — la pollution lumineuse la nuit, l’absence de « baignoires » à l’abri des prédateurs… —, mais il est révélateur : si seulement certains jardiniers amateurs revoyaient une partie de leurs pratiques, ce serait déjà un effort considérable en faveur des oiseaux.
Comment s’est déclenchée chez vous l’envie de revoir vos pratiques de jardinier pour accueillir davantage d’oiseaux dans votre jardin ?
J’ai toujours beaucoup aimé les oiseaux — leur liberté, la subtilité de leurs chants, leurs fascinantes capacités d’adaptation — et n’ai pas cessé de les observer depuis l’enfance, jusqu’à me former à l’ornithologie, et devenir guide et formateur au parc naturel régional de la Brenne.
Lorsque j’ai réalisé qu’ils étaient menacés par les atteintes humaines à leurs milieux de vie (un cinquième d’entre eux auraient disparu en trente ans en Europe, soit 420 millions !), j’ai décidé de réfléchir à mes pratiques jardinières pour inverser, à mon petit niveau, le déclin de leurs populations.
Quelles pratiques sont-elles à repenser ?
Des pratiques nocives, ancrées dans une culture de domination du vivant : de l’usage de la bouillie bordelaise contre le mildiou à la taille au taille-haie des massifs et arbustes. Dans les deux cas, on choisit une solution prétendument rapide et efficace, mais qui va entamer, pour la première, la richesse des sols en détruisant les champignons ; pour la seconde, limiter l’abondance de fleurs, de fruits, de baies appréciées des oiseaux.
La taille dite raisonnée, au sécateur, serait pourtant plus respectueuse du végétal et plus écologique, en réduisant les déchets verts, l’utilisation d’hydrocarbures… voire la fatigue du jardinier.
« Tant pis si votre voisin s’offusque de votre part de gazon transformée en prairie fleurie »
Il faudrait aussi accepter de remettre en question nos projections esthétiques issues du classicisme, avec sa recherche de régularité, d’uniformité, sa chasse aux herbes sauvages, etc., pour faire une place aux besoins fondamentaux des oiseaux (et du vivant en général), qui sont très variés.
Prenons la nidification : le pouillot véloce, par exemple, chante dans la canopée, mais niche très près du sol, quand le bouvreuil pivoine ou le gobemouche gris ont besoin d’une végétation arbustive plus dense. Et cette diversité devrait être prise en compte pour l’ensemble de leurs besoins physiologiques : faire un nid pour se reproduire, mais aussi s’alimenter, boire, se laver, trouver de la quiétude, de l’obscurité la nuit…
Le troglodyte mignon parcourt sans relâche les tas de bois en quête de nourriture. Il y trouve aussi la mousse nécessaire à la confection de son nid. © Daniel Gérard
Un jardin riche en biodiversité sera donc un jardin avec beaucoup de « diversité » : diversité de hauteurs, de densités, de périodes de floraison et de fructification des végétaux, arbres, haies, etc.
Y compris en ce qui concerne la flore, même spontanée, et la faune, depuis les minuscules collemboles de la litière jusqu’aux petits insectivores comme le hérisson d’Europe. Car vous ne pourrez favoriser l’installation des oiseaux dans votre jardin que si vous l’appréhendez comme un ensemble dynamique : quelques passages à faune, en bas des clôtures par exemple, et des parcelles d’herbe non tondue sont donc fortement conseillés.
Pour développer votre jardin dans cet esprit, il vous faudra aussi vous détourner un peu du désir de « propre et sans entretien », comme on l’entend souvent formulé dans les jardineries.
N’est-il pas légitime de désirer peu d’entretien quand le temps est compté ?
Si, mais cela peut nous aveugler. Dans ma jeunesse, j’ai bêché avec mon père, qui était jardinier, autour des massifs arbustifs : l’idée était alors d’en faire un massif « propre », bien bêché au pied. Cette culture du « sol propre » n’a pas disparu : elle a juste été supplantée par la mode des couvre-sols organiques (écorces de pin, copeaux de bois…) et des paillages minéraux (comme les paillettes d’ardoise), censés être aussi « sans entretien ».
Des strates végétales nombreuses permettent d’accueillir des oiseaux aux niches écologiques variées. © Anne Jamati
Mais c’est une illusion. La nature ayant horreur du vide, elle colonisera d’elle-même avec le temps les interstices laissés vacants entre les paillettes d’ardoise, et avec des espèces pas forcément souhaitables, comme le bouleau (allergène) ou l’arbre à papillon (invasif). Pour éviter le désherbage, il suffirait pourtant de garnir le pourtour des arbres et des massifs de plantes couvre-sols, herbacées (lamier, nivéole d’été, etc.) ou arbustives (chèvrefeuillle cupule, millepertuis à grandes fleurs, etc.).
Elles favoriseraient en même temps l’infiltration de l’eau et abriteraient toute une faune appréciée des oiseaux nichant près du sol. Et celui-ci n’en serait pas moins « propre et sans entretien », juste plus vivant.
Plantation de haies variées, d’arbustes « cultivars », de plantes grimpantes herbacées, débitumage des sols… Par quoi commencer ?
La première chose à faire, c’est le diagnostic : où est-ce que j’en suis avec mon jardin ? Est-ce que je lui trouve une valeur écologique satisfaisante ? Si non, que puis-je changer ? Pour le renaturer, avec quel aménagement puis-je remplacer cette dalle en béton, par exemple, pour laisser passer l’eau ?
Les branches que j’avais l’habitude d’évacuer, pourquoi ne pas les accumuler là-bas, dans un coin, pour accueillir des troglodytes ? Et si je rajoutais quelques plantes mellifères, pour le bonheur des abeilles et des guêpiers d’Europe, qui les aiment tant ?
Dans son livre, Daniel Gérard décrit 48 oiseaux susceptibles d’être observés dans les jardins du nord de la France, sur le modèle de ce tarin des aulnes. © Éditions Ulmer
Le mieux sera de travailler par secteur, en douceur. De définir des zones de modification et d’aller vers leur « gestion différenciée » : près de la terrasse, mon intervention pourra être plus importante pour dégager la vue, mais, un peu plus loin, pourquoi ne pas se permettre de l’herbe un peu plus haute, qui attirera la linotte mélodieuse et la grive musicienne ?
Pour faire un jardin écologique, faut-il mettre de côté ses goûts esthétiques ?
Pas du tout. On peut réfléchir ses choix de végétaux en fonction d’objectifs aussi bien esthétiques qu’écologiques. C’est une idée que je défends. Les 115 plantes répertoriées dans mon livre joignent d’ailleurs à leurs joliesse et parfum des caractéristiques recherchées par les oiseaux (richesse en fruits, baies, insectes, notamment) et ne sont pas trop gourmandes en eau.
Il est aussi important de ne pas faire d’erreurs de casting. Il n’y a rien de pire que de se dire : « Ça me plaît, j’achète ; et si ça grandit trop, je taille ! », puis d’entrer dans une lutte contre la plante parce qu’elle dépasse la hauteur souhaitée. Il existe une gamme de végétaux d’une telle richesse que l’on trouvera forcément une plante qui nous plaît et correspond à nos attentes en termes d’entretien et de taille. Prenez du temps pour lire, interroger des pépiniéristes, vous en gagnerez ensuite.
Que diriez-vous à quelqu’un qui hésite à se lancer ?
Osez ! Avril-mai, avec toute la vie végétale, biologique qui se remet en mouvement, est la saison idéale pour commencer un diagnostic de son espace vert. Devenez un écocitoyen résolu sans crainte : faites des essais, rien n’est irréversible au jardin !
Donnez-vous aussi du temps pour assister à la lente, mais certaine aggradation de votre espace vert. Quelle joie de sentir ses perceptions du monde vivant alentour s’affiner, et de se sentir davantage relié à lui ! Et tant pis si votre voisin s’offusque, pour un temps, de votre part de gazon transformée en prairie fleurie… Les gazouillis des oiseaux vous le feront vite oublier.
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Les 50 ans d'un chef d'oeuvre : The Köln concert
- Par Thierry LEDRU
- Le 10/05/2025
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Un disque qui a pour moi une importance considérable : LES ÉGARÉS : L'Ange et la mort (12)
Les cinquante ans du Köln Concert : Keith Jarrett à l’opéra
Publié le vendredi 24 janvier 2025 (première diffusion le mardi 24 janvier 2023)
The Köln Concert, un succès colossal. - Oliver Berg/picture alliance via Getty Images
Provenant du podcast MAXXI Classique
Ce n'est ni un opéra, ni un récital lyrique et pourtant il a été enregistré à l'Opéra de Cologne il y a 50 ans, le 24 janvier 1975. Une chronique dans les coulisses du "Köln Concert" de pianiste Keith Jarrett, un disque légendaire.
Sol ré do sol la. Cinq notes. Cinq notes et des sourires. Dans la salle, tout le monde reconnait dans ce motif musical la sonnerie annonçant le début de chaque concert donné à l’Opéra de Cologne. Du parterre aux balcons où il ne reste plus aucune place de libre, personne en revanche ne peut imaginer que ces cinq notes vont être le point de départ d’une improvisation qui durera une soirée entière.
Quand il monte sur la scène de l’opéra, Keith Jarrett n'est pas dans une très grande forme. Cela fait plusieurs jours qu’il enchaîne les concerts et il est épuisé. La veille, il était à Lausanne et il n’a pas dormi depuis vingt-quatre heures. Une fois arrivé à Cologne, après dix heures de route, il découvre que le piano que l’opéra lui a réservé est un vieux Bösendorfer qui n’a pas été révisé depuis très longtemps et qui sonne, selon l’aveu-même de Jarrett « comme un mauvais clavecin ou un piano dans lequel on aurait mis des punaises. »
Il parait que l’art naît de contraintes. Ce qui est sûr, c’est que ces difficultés matérielles et l’état de fatigue dans lequel se trouve Keith Jarrett ont eu des conséquences sur son concert. Parce que ce piano possède des aigus qui ne lui plaisent pas et une sonorité peu intéressante, le pianiste décide de solliciter au maximum le registre grave et médium du piano. Dans cette grande improvisation structurée, il privilégie également un jeu plutôt rythmique, composé de petits motifs et d’accords aérés.
Un jeu épuré donc, parfois à la limite de la musique minimaliste ou d’une chanson sans paroles. Une esthétique qui explique certainement la popularité jamais démentie de cet album. Mais ce n’est pas tout. Quand on entend, les rumeurs du public, Keith Jarrett chanter par-dessus la ligne mélodique du piano et métamorphoser progressivement un thème et son accompagnement hypnotique, on a l’impression d’être dans la salle de concert mais aussi dans la tête du pianiste. On assiste à la naissance d’une œuvre, on effleure du doigt le mystère de la création.
Avec environ quatre millions de ventes à ce jour, le Köln Concert est l’album du label ECM, de Keith Jarret et de piano jazz le plus vendu de tous les temps. Un concert qui a donné lieu à une transcription, une partition écrite et éditée. Mais cet objet ne nous aide pas à percer le mystère du jeu de Jarrett. Aussi précise soit-elle, la partition ne pourra jamais nous aider à comprendre ce qui s’est passé ce soir-là dans la tête de Keith Jarrett. Reste le disque, la photographie la plus fidèle d’une œuvre sans lendemain et immortelle.
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"Do it" de Jerry Rubin
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/05/2025
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EAN : 9782020006798
271 pages
Seuil (01/05/1973)3.99/5 42 notes
Résumé :
À travers les luttes de ces dernières années, sur les campus, contre le Pentagone, à Chicago en 1968, Jerry Rubin (jadis jeune Américain sage) est à l'origine de cette synthèse entre le courant hippie et le gauchisme des jeunes révolutionnaires blancs américains : le mouvement "yippie" dont ces pages sont à la fois le Manifeste, l'épopée, le manuel et la bande dessinée.
"Le mythe devient réel quand il offre aux gens une scène sur laquelle ils viennent jouer leurs rêves et leurs désirs... Les gens essayent de réaliser le mythe ; c'est là qu'ils tirent le meilleur d'eux-mêmes.
Invente tes propres slogans. Proteste contre ce que tu voudras. Chacun est son propre yippie.
Notre message, c'est : ne grandissez pas. Grandir, c'est abandonner ses rêves.
Source : Points, SeuilJ’ai lu ce livre quand j’étais jeune et c’était réjouissant.
La rébellion, la contestation, l’engagement, les convictions, des idées fortes mises en actes. J’aurais aimé connaître Woodstock, pour l’ambiance, le partage, la libération, la foi en l’avenir, un monde meilleur.
Rubin n’était pas hippie mais yuppie. Pour moi, la distinction essentielle, c’est que la lutte physique s’alliait aux luttes morales. Rubin était ami avec Eldridge Cleaver, figure incontournable des Black Panters. Attention, ça ne rigolait pas…
J’ai connu une période quelque peu agitée dans ma jeunesse, la contestation contre le projet de centrale nucléaire à Plogoff. J’ai beaucoup tiré au lance-pierres, des billes de plomb qui faisaient très mal, j’ai beaucoup couru, j’étais au tribunal à Quimper quand les CRS ont chargé dans l’enceinte, c’était violent, vraiment violent.
Les manifestations avec les agriculteurs à la préfecture de Quimper, les manifestations contre les subventions accordées à l’école privée. J’ai pulvérisé la vitre arrière de la voiture d’Alliot-Marie, secrétaire d’état à l’enseignement. Et j’ai couru.
Je n’avais pas peur de la violence, du combat.
Mais un jour, je me suis fait peur. J’ai envoyé à l’hôpital deux « copains » de mon grand frère qui était revenu du royaume des morts. J’étais passé dans leur bistrot pour leur demander de passer voir mon frère. Ils ont rigolé en disant qu’ils préféraient attendre qu’il vienne leur payer un coup. Je les ai défoncés avec un pied de chaise que j’avais d’abord fracassée sur eux.
Là, j’ai réalisé à quel point la rage pouvait me mener au drame. Et j’ai tout arrêté.
Je raconte ça pour expliquer pourquoi je ne participe plus aux luttes communes. Je ne supporte pas la vue des « forces de l’ordre », les megabassines, il ne faut pas que j’y aille, ni dans aucune manifestation de ce type. Et je n’ai rien fait pendant la crise des gilets jaunes.
Maintenant, je reviens à Jerry Rubin. Lui et ses amis n’avaient peur de rien. La marijuana tournait à plein régime et les idées fusaient dans tous les sens mais tout ça avait du sens. C’était l’époque du Vietnam. Les universités représentaient soit la contestation, soit l’adhésion au « rêve américain ». Rubin, Hoffman et d’autres luttaient, physiquement, contre l’enrôlement des jeunes, contre le racisme envers les noirs, contre la société de consommation, contre l’embrigadement des enfants, contre le matérialisme, contre la politique corrompue (époque de Nixon), contre le capitalisme. Ils ont fait de la prison, inculpés pour atteinte à la sécurité de l’état, pour incitation à la révolte. Dans les tribunaux, ils venaient déguisés, portant l’uniforme des soldats de la guerre d’indépendance, ils ont présenté un cochon comme candidat aux élections présidentielles. Ils se couchaient sur les rails de chemin de fer pour arrêter les trains qui convoyaient les jeunes qui devaient partir au Vietnam. Des flics sont morts dans les manifestations, des manifestants sont morts sous les coups des flics. Non, ça ne rigolait pas.
Ça ne rigole toujours pas d’ailleurs chez les cowboys. Encore moins en ce moment.
Ce livre est décousu, d’une qualité d’écriture très faible, avec des informations difficiles à saisir pour un non Américain, une flopée de personnages, des idées qui ne sont pas suffisamment étayées, approfondies. Ils étaient « défoncés » à longueur de journée, Rubin le répète sans cesse. Mais c’est l’époque qui importe, le fond et non la forme, cette contestation puissante qui allait mener à Woodstock. L’histoire des USA, on le sait, se projette toujours bien au-delà de ses frontières.
Aujourd’hui, avec le recul, la relecture de ce livre génère chez moi un profond dépit. Parce que le constat est sans appel : toutes les contestations ont échoué, toutes les révoltes, les révolutions, les tentatives de changement de paradigme, rien n’a abouti. Le capitalisme reste le maître absolu.
Il faut savoir que Jerry Rubin est devenu un chef d’entreprise, un des premiers investisseurs d’Apple et les propos qu’il a tenus alors en paraissent risibles, voire pitoyables au regard de son passé… Il est mort renversé par une voiture. Hoffman est mort d’une overdose. Le parcours de Cleaver mériterait un film hollywoodien. Des retournements de veste d’une ampleur saisissante. A croire que la cocaïne et tous les autres cocktails qu’ils ont ont avalés leur ont cramé les fils.
A lire toutes ces histoires, on se demande ce que signifie le terme d’engagement…
J’en retire là aussi que la lute contre le système, que ça soit une lutte armée ou intellectuelle, c’est dangereux. Vraiment dangereux. Qu’il est risqué de vouloir confronter ses convictions au système. Parce que le système n’est pas humain, il a sa propre inertie, sa propre existence et que les hommes et les femmes qui le maintiennent en état et qui pensent avoir une certaine importance ne sont que des rouages d’une machinerie qui peut les broyer au jour où ils ne sont plus utiles. D’autres hommes ou femmes s’en chargeront. Pour le système.
Rubin s’est fait avoir, Cleaver tout autant, Hoffman a lâché l’affaire dans un dernier trip. Et combien d’autres. Les anciens de Woodstock qui ont fini patron d’un McDo.
Ce livre plaide de nouveau pour le choix que j’ai fait. Me retirer au maximum. Parce que j’ai conscience de la violence dont je suis capable et parce que je ne crois aucunement aux mouvements de masse.
Aucun humain n’arrêtera le système, il se détruira de lui-même par épuisement des ressources, par épuisement de la nature, par le dérèglement général que le système a engendré et entretient. Jusqu’ici, ça va encore, à peu près.
Voyons la suite.
On ne lutte pas contre le système, on en sort. Au mieux, ou au moins pire.
Se souvenir de Nietzsche : "Quand tes yeux plongent dans l'abîme, l'abîme aussi plonge en toi."