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Jarwal le lutin (tome 4)
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/03/2012
LE CONSEIL
« Il s’appelle Tian. »
Les trois enfants étaient assis sur le lit de Marine. Elle racontait sa journée.
« Il est arrivé ce matin. Il est d’origine asiatique, de Chine exactement. Il est né en France mais ses parents vivaient en Chine quand il y a eu un début de révolution. Ils ont été obligés de s’enfuir parce que son père avait participé à une manifestation sur la place Tian’An men. Ils ont eu beaucoup de mal à quitter le pays et ils ont tout perdu. Ils sont arrivés en France parce que son père avait un cousin qui vivait à Paris. Mais ses parents n’ont pas voulu rester dans une grande ville. Ils avaient ouvert un restaurant chinois mais ils ne supportaient pas la vie là-bas. Et Tian non plus ne s’y faisait pas.
-Comment ils ont fait pour ouvrir un restaurant s’ils avaient tout perdu en s’enfuyant ? demanda Léo.
-Tian m’a dit que la communauté chinoise est très solidaire et plusieurs personnes leur ont prêté l’argent nécessaire. Maintenant qu’ils ont tout remboursé et qu’ils avaient de quoi partir ailleurs, ils ont décidé de venir par ici.
-Pourquoi dans les Alpes ?
-Son père dit que c’est important de pouvoir marcher en montagne. Le grand-père de Tian emmenait souvent son fils en montagne. C’est pour ça aussi qu’il ne supporte pas les grandes villes. Il dit que les gens y sont hallucinés.
-Hallucinés ?
-Oui, Rémi, il dit que les gens y vivent tous dans une agitation permanente, comme s’ils devaient tous courir dans le même sens.
-Comment ça se fait qu’il t’a déjà raconté tout ça ? demanda Léo.
-Le prof principal a demandé que quelqu’un s’occupe de Tian pendant les premiers jours et j’ai levé la main. Il est assis à côté de moi à chaque cours et je l’ai accompagné à la cantine aussi. Alors, on a beaucoup discuté.
-Et pas les autres élèves ?
-Ben, pas trop, non. En fait, quand ils ont vu que je m’occupais de lui, ils ne se sont pas trop intéressés. Ils préfèrent rester entre eux. Ma copine Lou est venue avec nous aussi.
-Tu lui as parlé de Jarwal ?
-Non, Rémi. Mais je pense que ça va être possible. J’aurais du mal à vous raconter tout ce qu’on s’est dit mais je sens bien que Tian s’intéresse à des choses différentes. Il est un peu étrange.
-Pourquoi ça étrange ?
-Ben, sans doute comme nous trois, j’imagine. Pas du genre à parler du dernier jeu vidéo à la mode par exemple. Il aime beaucoup les livres et surtout la poésie. Il écrit des Haïkus.
-C’est quoi ça ? demanda Léo.
-Dans la vieille mare, une grenouille saute, le bruit de l’eau. En voilà un, par exemple. Mais ça s’écrit comme une poésie, avec des vers. Tian m’a dit que c’était d’origine japonaise et que le but était plus d’évoquer une situation que de la décrire.
-Dis donc, Marine, il t’a fait un sacré effet ce Tian ? lança Rémi, goguenard.
-Gnagnagna, j’en étais sûre que tu allais me sortir ça, toi.
-Bon et dis donc, ta copine Lou, tu pourrais pas lui parler de Jarwal aussi. Tian et Lou, ça ferait déjà deux personnes.
-C’est surtout qu’elle te plaît bien ma copine, hein, petit frère ?
-Dites donc, tous les deux, intervint Léo, je vous signale que Jarwal a disparu depuis deux semaines alors au lieu de faire des plans sur la gommette, vous feriez mieux d’y réfléchir.
-Des plans sur la comète, Léo, rectifia Marine. Pas sur la gommette.
- Sur la cassette, la maisonnette, la voiturette, la pâquerette, ça ne change rien au problème.
-Oui, Léo, tu as raison. Et crois-moi que j’y pense autant que toi.
-Je commence à croire qu’on l’a déçu parce qu’on n’a pas trouvé d’autres enfants. Il est peut-être parti chercher ailleurs.
-Tu me déprimes Rémi. C’est affreux. Si c’est ça, on ne le reverra jamais.
-J’en sais rien Léo. Peut-être justement que si on invitait Tian et Lou, on le ferait revenir.
-Vous imaginez un peu qu’on le fasse et que Jarwal ne revienne jamais ?
-Là, c’est sûr frangin qu’on passerait vraiment pour des guignols.
-De toute façon, les garçons, c’est déjà le cas.
-C’est pas faux Marine, acquiesça Rémi.
- Je ne crois pas les garçons que Jarwal soit parti parce que nous n’avons pas trouvé d’autres enfants. Il nous a dit qu’il savait que ça serait difficile et qu’il nous faudrait du temps. Il n’est pas du genre à se montrer impatient.
-Alors pourquoi a-t-il disparu ?
-Je n’en sais rien Léo. Il s’est sans doute passé quelque chose d’imprévu et qui s’est révélé extrêmement important pour lui.
-Tu crois que ça peut avoir un rapport avec Jackmor ? interrogea Rémi.
-Encore faudrait-il qu’il soit toujours vivant ?
-Tu sais Léo, je pense qu’il ne faut pas voir Jackmor avec une durée de vie limitée. Il sera toujours présent parce qu’il se sert des hommes mauvais pour prendre forme. Alors, ça n’est pas le choix qui manque.
-Oui, Marine, c’est vrai, tu as raison. J’ai du mal à imaginer que ça soit possible en fait. Pour moi, dans les deux histoires que Jarwal nous a racontées, Jackmor est mort à la fin alors qu’en réalité, il a juste disparu le temps de retrouver une autre enveloppe corporelle.
-Oui, c’est cela petit frère. Juste une question d’énergie spirituelle en fait. D’ailleurs, je me demandais si c’est pareil pour nous.
-Quoi donc ? demanda Rémi.
-Je me demandais si nous n’existions pas comme énergie spirituelle avant d’être des humains dans un corps.
-C’est le voyage de l’eau qu’a vécu Jarwal qui te fait dire ça ?
-Oui, Léo, toutes ces âmes en attente, qui observent le monde pour décider quelle va être l’incorporation la plus favorable à leur développement. C’est comme ça que j’ai compris l’histoire en tout cas.
-Moi aussi, Marine mais j’étais incapable d’en faire un résumé comme toi. C’est tout mélangé dans ma tête.
-Faut dire qu’il y a de quoi s’y perdre, intervint Léo.
-Ben, en fait, Léo, ça dépend. Et si c’était maintenant qu’on était perdu ?
-Comment ça ?
-Et si les choses qu’on ne comprend pas, c’est parce qu’il y a celles qu’on nous a enseignées qui prennent trop de place. Enfin, tu vois le genre ?
-Tu veux dire qu’on ne comprend pas parce que tout ce qu’on sait déjà nous empêche de comprendre ? Pas très logique tout ça Marine. Regarde les maths par exemple ! Comment est-ce qu’on pourrait comprendre les nombres décimaux sans avoir appris à compter d’abord. C’est comme un escalier, tu ne peux pas arriver en haut sans passer par toutes les marches.
-Oui Rémi, je suis entièrement d’accord. Mais le problème, c’est qu’une fois que tu es engagé dans l’escalier, tu ne progresses qu’en fonction de l’objectif de la marche suivante. C’est un peu comme si on n'était plus libre en fait. Bien entendu que tu progresses mais c’est dans une voie toute tracée. Et pendant ce temps-là, tu ne vois pas qu’il y a d’autres escaliers.
-Mais peut-être que de progresser, ça permet de créer des passerelles entre les escaliers. Je veux dire par exemple, les maths, c’est grâce à elles aussi que les explorateurs de la planète sont partis sur les océans. Ou que les architectes ont su construire des temples.
-C’est pas faux Rémi. Toutes les connaissances peuvent se recouper, elles se nourrissent entre elles. Mais alors, pourquoi est-ce qu’on a du mal parfois à accepter ce que Jarwal nous raconte ?
-Peut-être Marine que c’est parce qu’on monte que sur des escaliers où on nous a appris à marcher. Mais qu’il y en a d’autres qu’on ignore totalement. Comme si ces autres escaliers étaient construits dans une autre maison.
-Et bien, si c’est ça, je n’appelle pas ça une maison mais une prison, s’exclama Léo. Et je suis bien content que Jarwal nous fasse passer la tête par la fenêtre.
-Et je la vois bien ta bille de clown qui regarde par la fenêtre ! lança Rémi.
-En tout cas, si la connaissance se construit dans une prison, il faut accepter l’idée de passer la tête entre les barreaux et de s’interroger au lieu de continuer à monter les marches comme des condamnés résignés.
-Yep, grande sœur, personne ne me passera la corde au cou !
-Alors, donc, pour en revenir au sujet du départ, il est donc possible que les âmes existent avant d’être enfermées dans un corps.
-Pas enfermées Léo, étant donné qu’elles retourneront dans l’espace pour attendre une prochaine vie. C’est juste un passage provisoire.
-Alors donc, mon âme a déjà vécu, c’est ça ? Et elle m’a choisi pour continuer à progresser ?
-Toi, Rémi, moi, les parents, tout le monde en fait.
-Mais comment peut-elle choisir un individu qui n’existe pas encore ? Comment peut-elle savoir ce qui va se passer dans la vie d’une personne qui n’existe pas ? C’est dingue ce truc !
-Oui Rémi, c’est dingue comme tu dis. Ou alors, c’est juste un autre escalier dans une autre maison.
-Moi, je sais comment savoir tout ça, annonça Léo.
-Ah, ouais, et comment petit frère ? demanda Rémi, intrigué.
-Faut retrouver Jarwal. »
L’évocation de cette disparition inexpliquée mit un terme à l’échange, comme si des volets venaient de se fermer sur la fenêtre.
Une obscurité intérieure. Un doute assassin. Des pensées secrètes. Et puis cette impossibilité de maintenir le silence, comme une pression trop forte qu’il fallait libérer.
« Vous croyez que Jarwal aurait pu nous mentir ? Qu’il se serait juste amusé avec nous ?
-Ah, toi aussi, tu as pensé à ça petit frère, avoua Rémi.
-Moi aussi les garçons. C’est tellement étrange cette disparition. Je me suis dit qu’il voyageait comme ça, pour occuper son temps et s’amuser aux dépens d’enfants crédules. Mais je n’arrive pas à y croire réellement.
-Moi non plus, renchérit Rémi. Je pense qu’il lui est arrivé quelque chose.
-Oui, sans doute, mais je suis fatiguée d’y penser tout le temps. Parfois, en classe, je m’aperçois que je n’écoute plus le prof et que je suis suspendue à un message que j’entendrai à l’intérieur. Comme quand il nous a parlé le jour où on a retrouvé sa timbale.
-Bon, en tout cas, je suis content d’en parler avec vous, annonça Léo parce que j’avais un peu honte de douter de l’honnêteté de Jarwal. Et puis ça m’embêtait aussi d’imaginer qu’il pouvait s’en apercevoir et en même temps, je ne pouvais pas m’empêcher d’y penser. C’est affreux d’ailleurs de voir qu’on ne maîtrise même pas ce qui nous vient dans la tête.
- Les enfants, il est temps d’aller vous coucher, il y a école demain et c’est tard déjà. »
La voix montait du bas de l’escalier.
-Oui, p’pa, on y va.
-Allez, les garçons, il ne faut pas se décourager. Il va revenir, » murmura Marine.
Les garçons ne s’y trompaient pas. La voix de leur sœur n’avait pas de consistance, comme si le doute la fissurait.
Ils rejoignirent leur chambre et se coulèrent sous la couette.
Les yeux ouverts, fixant le plafond, les trois enfants appelèrent Jarwal jusqu’à ce que le sommeil les emporte.
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Ecriture et caméra intérieure
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/03/2012
Dans la création cinématographique, le réalisateur fait appel au jeu de l'acteur. L'acteur vit son rôle et le réalisateur saisit ce que l'acteur vit.
Dans la création littéraire, l'écrivain tient les deux rôles. Il est l'acteur, il vit intérieurement les émotions, les sentiments, il souffre, aime, se réjouit, se lamente, se découvre, se perd et il doit simultanément tenir la caméra pour saisir chaque évènement de l'intérieur.
Il ne s'agit donc pas de se contenter de décrire ou d'analyser. On serait sinon dans une démarche scientifique, cognitive, matérialiste, évènementielle. Un chirurgien qui opère ne doit pas éprouver la moindre émotion pour son patient, c'est une question de survie pour l'opéré.
L'auteur doit donc plonger à l'intérieur, au plus profond de l'humain. Comme une caméra qui irait fouiller les tréfonds de l'âme.
Mais dans ce travail, l'auteur n'est plus l'acteur, il est le réalisateur qui saisit ce que l'acteur éprouve.
Mais s'il n'est plus acteur, l'auteur devient émotionnellement inerte. Comme un chirurgien.
C'est donc un dédoublement existentiel qui s'impose.
J'ai mis dix ans à comprendre qu'on ne décrit pas une scène. On la vit.
J'ai encore mis dix ans à réaliser que je devais tenir la caméra sans influencer cette vie, sans la pervertir par des interprétations conditionnées, sans me glorifier d'être un chirurgien alors que justement je devais me libérer de ce rôle.
Il me faudra bien encore dix ans pour parvenir à restituer clairement la musique qui résonne maintenant en moi.
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Crise de l'enseignement
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/03/2012
Crise du recrutement : comment attirer les futurs profs ?
« Posons-nous la question, combien de nos enfants veulent-ils aujourd’hui devenir professeur ? » se demandait Nicolas Sarkozy lors de son discours sur l’éducation le 28 février à Montpellier. Conséquence directe de la politique menée durant le quinquennat (paupérisation des profs, dégradation des conditions de travail, réforme de la formation, dénigrement du métier et de ses acteurs par les ministres successifs…), mais pas seulement puisque la tendance est la même ailleurs, recruter des profs est devenu difficile et la pénurie est conséquente. Il y a cette année aux concours 43% de candidats en moins par rapport à 2011, et il y aura deux fois moins de candidats admissibles que de postes offerts. Problème de quantité donc, et mécaniquement de qualité, qui interroge l’avenir proche.
Les candidats à la Présidentielle devraient se plonger dans le rapport que vient de publier l’OCDE et qui donne plusieurs pistes pour tenter d’enrayer la baisse des vocations. Ils y trouveraient plus que des idées sur le recrutement : une ligne politique ambitieuse mettant l’enseignant au cœur du système et redonnant au métier toute son attractivité.
Le rapport de l’OCDE préconise de modifier les modalités de recrutement, améliorer le statut du métier sur le marché du travail, élever les salaires , revoir la formation, de repenser l’environnement de travail, le rôle d’un professeur qui doit avoir plus de responsabilités et être plus investi dans la vie de l’école, avoir de réelles perspectives de carrière et dont le bien-être personnel doit être pris en compte… Mazette !
Le recrutement
Les études menées dans 65 pays (parmi lesquels la France est le seul à ne pas avoir fourni de données…) sont très claires sur le fait qu’il existe une corrélation directe entre la réussite des élèves aux évaluations internationales (PISA) et le niveau d’excellence de l’enseignement. Il ne suffit donc pas d’attirer les jeunes vers l’enseignement, il faut attirer les meilleurs qui, à niveau égal de qualification, vont voir ailleurs. Pour cela, il faut proposer aux jeunes diplômés de haut niveau ce qu’ils cherchent : le meilleur équilibre statut valorisant / environnement professionnel / sentiment de participer personnellement à un projet / revenus financiers.
Le rapport plaide également pour la mise en place de nouveaux critères de sélection : donner plus de place lors du recrutement à l’enthousiasme du candidat, son aptitude à percevoir les besoins des élèves et à apporter une réponse adaptée, son investissement et son engagement personnel, des critères qui jouent autant sur la qualité de l’enseignement que les compétences strictement disciplinaires.
Il faut également faciliter l’accès aux concours à des personnes ayant eu des expériences professionnelles extérieures à l’éducation : la richesse de leur profil ne peut que bénéficier à l’enseignement.
En France, les critères de formation restent disciplinaires, la personnalité du candidat n’est pas prise en compte. La réforme de la formation (masterisation) a eu tendance à figer les filières et à formater le profil des candidats, dont la variété et le niveau vont s’appauvrissant.
La formation
Le rapport insiste sur la nécessité d’une formation initiale de grande qualité.
Les enseignants doivent savoir précisément ce qui leur sera demandé dans leur métier, du point de vue des connaissances disciplinaires comme de la manière de les enseigner. L’accent théorique doit être mis sur les derniers développements de la recherche en matière de techniques d’enseignement ; l’enseignant est invité à développer lui-même ses idées et à innover, sous la tutelle d’un enseignant formateur. Une place importante doit être faite à la pratique dans les classes, le contact et les échanges avec les professeurs en fonction, à travers de nombreuses expériences de terrain.
Le rapport insiste aussi sur l’importance d’une formation continue de haut niveau. Il ressort de l’étude que les enseignants souhaitent développer leurs compétences tout au long de leur carrière, et 55% des enseignants interrogés auraient aimé plus de formation sur les 18 derniers mois. La formation continue doit entre autre mettre l’accent sur la mutualisation des pratiques.
En France, la formation initiale a été singulièrement allégée avec la masterisation et la partie pratique a été réduite à la portion congrue au fil des années. Quant à la formation continue, elle est faible en heures (à titre d’exemple, Singapour offre 100 heures de formation continue par an à chaque enseignant) et trop souvent peu adaptée à la réalité du métier et aux besoins des profs.
Les premières années
Une fois les profs efficacement recrutés et correctement formés, encore faut-il parvenir à les garder ! Dans cette optique, les premières années sont décisives, un enseignant quitte plus souvent le métier dans les 5 premières années d’exercice que par la suite.
Il faut donc ménager les enseignants débutant afin de leur garantir une entrée progressive dans le métier. Or ce sont généralement eux qu’on retrouve sur les postes et dans les établissements les plus difficiles. Une solution consiste à mener une politique d’incitation envers les plus expérimentés afin de les attirer sur ces postes sensibles dans des fonctions d’encadrement des enseignants débutant.
Durant ces premières années, il est important que l’enseignant puisse compléter sa formation initiale par des formations ciblées en fonction de ses besoins. Un pays comme la Chine propose à ses jeunes enseignants 240 heures de formation dans les 5 premières années.
En France, quasiment rien n’est fait sur ce sujet. Certaines académies « protègent » les profs la première année en leur affectant un poste censément moins difficile, notamment dans le primaire. Mais pour l’écrasante majorité des profs, les 5 premières années seront les plus dures de leur carrière, celles où ils connaîtront les conditions d’exercice les plus extrêmes, alors même qu’ils ne sont pas encore armés pour y faire face.
Les conditions de travail
Le rapport estime que pour améliorer les conditions de travail à l’école, il faut repenser un certain nombre de choses dans l’organisation et dans la manière de travailler.
Le premier levier est la qualité des relations avec les élèves, entre collègues et avec la hiérarchie. Il faut donc instaurer un dialogue social fécond dans les établissements, et modifier les rapports verticaux en donnant davantage d’autonomie et de responsabilités aux enseignants, qui veulent avoir le sentiment d’être soutenus et accompagnés par la hiérarchie.
Le travail en équipe, le partage des savoir-faire et des ressources, la mutualisation des savoirs doit être au cœur d’une pratique éducative riche et vivante.
En France, les enseignants sont trop souvent infantilisés, on ne leur donne que peu de responsabilités effectives, le travail en équipe est encore globalement déficient et dépend trop du chef d’établissement, et il n’est pas rare de voir des conflits très forts entre direction et équipe enseignante. La réforme des lycées, mal expliquée et mal accompagnée, a accentué le climat de tension. Quant aux conditions matérielles, elles sont tout simplement déplorables : il n’est pas rare de compter 5 ordinateurs pour 60 profs et une seule imprimante.
Le lien famille / école
D’après le rapport, resserrer le lien entre l’école et les familles peut, au-delà des bénéfices directs pour la vie de la communauté éducative, sensiblement améliorer l’image du métier. En effet, les personnes qui ont un contact plus régulier avec l’école sont généralement plus positives avec elle, car elles la perçoivent mieux. Il faut donc développer des relations suivies et personnalisées avec les familles, expliciter davantage le lien entre les apprentissages et la vie après l’école, concevoir des programmes d’accompagnement des familles dans l’environnement éducatif, multiplier les rencontres et les opérations de sensibilisation, etc.
En France, le lien avec les familles est globalement insuffisant, celles-ci manquent souvent d’informations, au moment de l’orientation des élèves par exemple ; quand des choses intéressantes sont mises en place, les initiatives sont presque toujours locales, il n’y aucune dynamique au niveau national.
Le salaire
Les évaluations internationales de PISA ont mis en évidence le fait que le niveau de rémunération des enseignants est directement corrélé aux performances des élèves. Un salaire élevé attirera plus de jeunes diplômés de haut niveau qui auront tendance à s’investir davantage dans leur métier.
Or, si depuis 2000 le salaire des enseignants à globalement augmenté dans les pays de l’OCDE, le salaire au bout de 15 ans de métier ne représente que 80 % de la rémunération d’un individu âgé de 25 à 64 ans, diplômé de l’enseignement supérieur et employé à temps complet.
Il faut donc une politique volontariste du point de vue financier, quitte à mettre l’accent sur les filières souffrant d’une grave pénurie de profs, mathématiques et sciences. Offrir plus aux futurs profs de maths ou de sciences, c’est ce qu’a fait (dans un système dérégulé certes) l’Angleterre ces deux dernières années, allouant une prime de 20 000 livres aux meilleurs candidats.
La France est un des rares pays de l’OCDE où le salaire des enseignants a baissé sur cette période. Leur pouvoir d’achat a baissé de 10% en 10 ans. Malgré l’annonce d’une revalorisation pour les profs débutant en novembre, la réalité est simple à percevoir : 80% des profs n’ont pas été augmenté depuis 5 ans, alors même que le salaire moyen d’un prof français est inférieur à la moyenne des pays de l’OCDE.
Le bien-être des enseignants
Voilà une notion bien révolutionnaire ! Mais ne nous y trompons pas, l’OCDE n’est pas une ONG philanthrope : son objet est de dégager les conditions optimales de production. Appliqué à l’enseignement, ce précepte fait émerger la nécessité de veiller à ce que tout enseignant se sente bien dans son métier, donc bien dans sa tête et dans sa vie.
Afin de préserver cet équilibre travail / vie personnelle, il faut entre autres développer les possibilités de congé sans solde, la prise de recul à travers des périodes sabbatiques, ou encore veiller à ce que les enseignants puissent étendre leurs compétences tout au long de leur carrière, et pas seulement d’un point de vue strictement éducatif, puisque le rapport préconise de faire des échanges ponctuels avec l’industrie et le commerce.
En France : le bien-être des enseignants n’est pas une notion connue.
L’enseignant au cœur du système
Pour un enseignant français, la lecture de ce rapport est une expérience… troublante ! C’est qu’on n’est pas habitué à ce qu’on se préoccupe de nous ! On a plutôt l’habitude d’être pointés du doigt, par les responsables politiques en premier lieu, par la doxa aussi qui a vite fait de juger que les profs sont des fainéants privilégiés…
Alors forcément, quand un rapport international émanant d’un organisme peu soupçonnable de gauchisme place l’enseignant au cœur du système éducatif et du projet scolaire, le désigne comme la solution quand on entend si souvent qu’il est le problème, on se dit qu’il existe une voie, un chemin encore vierge dans notre pays, qui vaut d’autant d’être essayé que les autres ont jusqu’ici mené à des culs-de-sac.
Mais attention, cette révolution ne pourra se faire sans les enseignants eux-mêmes, appelés à se remettre en question et à interroger leur pratique, et dont le métier et les missions sont immanquablement destinées à évoluer.
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Le calme
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/03/2012
"Un Maître Zen est invité à la télévision. L'émission est en direct. Sur le plateau, dans les coulisses, à la régie, c'est l'effervescence. L'animateur plaque fiévreusement sur son crâne une mèche rebelle, parle dans son micro, écoute son oreillette, range ses fiches et toutes les annotations faites par ses conseillers pour mener la discussion...
Enfin, tandis que les dernières secondes s'égrènent avant que l'émission ne commence, le présentateur s'assoit face au maître et lui souffle :"
Pas trop nerveux, avec toute cette excitation autour de vous ?
-Non, dit paisiblement le Maître Zen. En dehors de cette agitation, tout est calme. "
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Besoins matériels. (spiritualité)
- Par Thierry LEDRU
- Le 17/03/2012
Cette impression de "voir" une balance à plateaux. D'un côté les biens matériels et de l'autre les "nourritures spirituelles".
Cette crise économique a un intérêt. C'est de créer une impossibilité financière de courir après l'accumulation de biens matériels. Elle est par contre dramatique lorsqu'elle touche les biens vitaux.
Elle peut générer une rupture dans le paradigme éducatif. N'étant plus "guidé" par les besoins d'un être dérivé, nous éliminons les produits et services dont nous n'avons pas réellement besoin.
Phénomène surprenant, la "masse" de biens matériels pesant dans la balance s'allégeant continuellement, cette "énergie" qui n'est plus dépensée de façon frénétique se trouve disponible et se transfère "naturellement" dans le plateau des biens spirituels. Comme si la "qûete" devait se faire, comme si la Vie portait en elle-même une direction établie, un besoin irrépressible d'activer le potentiel intérieur.
Les sociétés matérialistes ont bâti leur expansion sur ce besoin vital d'explorer les potentiels. Les progrès technologiques sont les effets de cette énergie dépensée. J'ai lu il y a quelques jours qu'une petite fille avait été sauvée par des chirurgiens après avoir été opérée in vitro. Fabuleux progrès qui sauve une vie. Jamais, je ne critiquerai ce progrès, il est réel et nécessaire.
Quand je vois par contre, les files d'attente devant les magasins apple pour la sortie de l'ipad4, j'ai envie dy mettre le feu et de hurler sur ces gens.
Mais il y a aussi cette multitude de blogs, forums, livres, conférences sur l'exploration spirituelle. Un mouvement qu'il est impossible d'ignorer et de balayer d'un revers de main méprisant. Une certitude que cette population a consommé cette rupture matérialiste et cherche désormais à combler le vide sur le plateau de la balance.
Les désirs de biens matériels s'épuisent. Les nourritures spirituelles croissent.
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Conscience du monde. (spiritualité)
- Par Thierry LEDRU
- Le 12/03/2012
Il est impossible d'avoir une vision globale du monde au regard des évènements qui s'y produisent. Tout ce fatras restera immanquablement initié par des visions intentionnelles. Paris Match ou Sciences et Vie...Le premier est dans le registre de l'absolument superficiel, épisodique, éphémère et sans aucune analyse de son propre commentaire. L'objectif est commercial et nullement existentiel. Le deuxième oeuvre à l'explication rationnelle des évènements associés à tous les "comment" qui nous interpellent.
La philosophie avait pour tâche d'explorer les pourquoi...
Mais il y a davantage de lecteurs de Paris Match que de Spinoza et la philosophie a fini par sombrer dans les zones obscures du monde intellectuel.
L'Humanité a donc fini par écouter tout ce qui vient de l'extérieur jusqu'à en devenir sourde à son espace intérieur. Chaque individu s'identifie à la lecture évènementielle dans laquelle il se sent reconnu. Du "people" le plus insignifiant jusqu'aux plus éminents scientifiques. Des appartenances.
On en vient même à étiqueter la démarche spirituelle parce qu'il faut bien que chacun s'y retrouve dans ce fatras. Il faut bien qu'on nous indique quelle est la "bonne" route. Il s'est produit le même phénomène avec la philosophie...Qu'en est-il ressorti ? Est-ce que de l'Histoire de la philosophie, il reste une donnée, une seule, à laquelle on puisse donner l'attribut de "Patrimoine de l'Humanité"? ...Aucune. Non pas parce qu'elles n'avaient aucune valeur (qui oserait dire que Socrate n'avait aucune valeur) mais parce que l'Humanité n'a considéré la Philosophie que comme un épiphénomène évènementiel lié à l'existence de leurs initiateurs. Il est certain que les conflits d'ego n'ont pas servi la Philosophie elle-même...Il n'a été pour beaucoup dans cette démarche qu'une intention de reconnaissance. Effrayant détournement.
La spiritualité me semble emprunter la même voie. Ou plutôt les multiples voies générées par la multitude d'ego qui y cherchent la même reconnaissance.
Je ne serais pas surpris dans quelques années, si je suis encore là, de constater que cette approche existentielle sera tombée dans l'oubli. Tout comme la philosophie. Pour les mêmes raisons. Les spiritualistes ne cherchent pas l'ouverture des consciences mais la reconnaissance des consciences identifiées envers leur travail...Effrayant détournement.
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L'inquiétude moderne
- Par Thierry LEDRU
- Le 11/03/2012
"A mesure qu'on va vers l'Ouest, l'agitation moderne devient de plus en plus grande, si bien qu'aux yeux des Américains, les habitants de l'Europe représentent un ensemble d'êtres, amis du repos et du plaisir, tandis qu'en réalité, ils vont croisant leur vol continuel comme des abeilles et des guêpes. Cette agitation est si grande que la culture supérieure n'a plus le temps de mûrir ses fruits : c'est comme si les saisons se succédaient trop rapidement. Par manque de repos, notre civilisation court à une nouvelle barbarie. A aucune époque, les gens actifs, c'est à dire les gens sans repos, n'ont été plus estimés. Il y a donc lieu de mettre au nombre des corrections nécessaires que l'on doit apporter au caractère de l'humanité, la tâche de fortifier dans une large mesure l'élément contemplatif. Quand ton regard aura pris assez de force pour voir le fond dans la fontaine sombre de ton être et de tes connaissances, peut-être aussi, dans ce miroir, les constellations lointaines des civilisations de l'avenir te deviendront visibles. "
Nietzsche.
Je me permets de rappeler les dates : Nietzsche : 1844-1900.
Il y a de quoi réaliser à quel point la philosophie ne représente plus rien. En dehors des sphères intellectuelles. C'est à dire le néant.
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Moebius
- Par Thierry LEDRU
- Le 10/03/2012
Il faisait partie des Plus Grands Vivants.
Maintenant, il appartient aux Plus Grands Eternels.
Moebius est parti. Ses dessins restent.
http://www.lemonde.fr/culture/article/2012/03/10/six-dessins-de-moebius-par-lui-meme_1656011_3246.html
Les dessins de Moebius par lui-même
LEMONDE.FR | 10.03.12 | 14h05
Il n'est jamais trop tard pour corriger une injustice. Géant incontestable de la BD mondiale, icône vivante pour plusieurs générations d'auteurs, défricheur insatiable de nouveaux horizons, Jean Giraud n'a, étonnamment, jamais eu les honneurs d'une exposition à la mesure de son aura.
Celui que l'on peut considérer comme "le plus grand auteur français de bande dessinée en activité" a certes vu son travail accroché dans de nombreux festivals spécialisés, en France comme à l'étranger. Il lui est également arrivé de faire des incursions dans le monde de l'art contemporain par le biais d'expositions collectives. Mais de grande rétrospective dédiée à lui seul, jamais !
La faute, diront certains, au mépris avec lequel les réseaux culturels institutionnels ont toujours traité la bande dessinée. La faute aussi, sans doute, au brouillage de pistes sciemment organisé par Jean Giraud lui-même, l'homme aux deux pseudonymes : Gir, avec lequel il a dessiné la série western Blueberry dans une veine réaliste ; et Mœbius, versant fantastique et onirique de sa dualité, incarné à travers les personnages d'Arzach, de l'Incal ou encore du Major.
MÉTAMORPHOSE
Quelle que soit sa vocation, l'exposition que lui consacre la Fondation Cartier à partir du 12 octobre ne fait pas, en tout cas, dans la demi-mesure : plus de 400 pièces balayant 50 ans de carrière – dessins, peintures, croquis, ektachromes… - envahissent l'espace du boulevard Raspail jusqu'au 12 mars.
Le thème retenu, car il en fallait un face à l'énormité du fond proposé par l'artiste âgé de 72 ans, est celui de la métamorphose, un sujet omniprésent dans son œuvre. La curiosité la plus attendue est la projection du tout premier film d'animation réalisé (en 3D) par Mœbius : un court-métrage de 10 mn, inspiré d'une histoire peu connue, La Planète Encore. Là est une autre singularité du co-créateur du magazine Métal Hurlant : malgré de nombreuses collaborations ponctuelles dans le cinéma (auprès de Luc Besson, James Cameron, René Laloux, Steven Lisberger…), jamais Gir/Mœbius ne s'était essayé à la réalisation avant cela.
Alors que sort opportunément en librairie une suite à Arzach - 35 ans après le choc créé par le premier album, entièrement muet - Le Monde Magazine a demandé l'impossible à son créateur : choisir, et commenter, six de ses dessins exposés à la Fondation Cartier. Moebius par Giraud, en quelque sorte. Et vice-versa.
- Les animaux de Mars
"Ce dessin est issu d'un petit carnet que ma maison d'édition (Mœbius Productions) va bientôt publier. Ce travail part d'un postulat selon lequel le geste inconscient participe de la création. Le jeu consiste ainsi à prendre une plume et à jeter sur une feuille des traits nettoyés de toute intention, en essayant le plus sincèrement possible de n'avoir aucun but.
Je me retrouve alors devant une sorte tâche de Rorschach, les conditions du hasard ayant été créées en jouant avec ma propre main, voire en fermant les yeux ! Ce n'est qu'ensuite que je reprends ma raison, et mon savoir-faire, pour tirer une forme de ces lignes. Après quelques dessins, l'idée est apparue que j'avais créé des animaux fantastiques. Je les ai localisés sur Mars car cette planète a souvent servi d'écran de projection à l'imaginaire."
- Blueberry

BlueberryMoebius / Fondation Cartier
"Le cinéma est le réservoir d'images de Blueberry. J'ai toujours essayé, dès mon plus jeune âge, de faire du cinéma sur papier. Quand je travaille sur cette série, une musique très symphonique va jusqu'à jouer dans ma tête - genre Dimitri Tiomkin ou Maurice Jarre.
Concernant le personnage, je lui ai donné les traits de nombreux acteurs à la mode de films d'action : Belmondo bien sûr, mais aussi Bronson, Eastwood, Schwarzenegger… J'ai même utilisé Keith Richards (le guitariste des Rolling Stones) ou Vincent Cassel (qui a campé le rôle de Blueberry au cinéma). A chaque fois, je rajoutais un nez cassé, ainsi qu'une coupe de cheveux à la Mike Brant ! Beaucoup de réalisateurs m'ont également inspiré. Blueberry doit beaucoup à Sam Peckinpah (La Horde sauvage m'a bouleversé). Il y a aussi du Sergio Leone chez lui. Mais pour ce qui est de son amitié avec les Indiens, je suis plus proche de John Ford qui, toute sa vie, a été écartelé entre le machisme blanc de la conquête de l'ouest et la conscience qu'il avait des minorités opprimées."
- Arzach

Arzach.Moebius / Fondation Cartier
"Arzach est l'enfant fécond de la création de Métal Hurlant. Plusieurs raisons m'ont conduit à lui redonner vie à travers un nouvel album. D'abord, Arzach a formulé de lui-même une demande implicite d'exister en débarquant dans Inside Mœbius, le journal intime où je me mets en scène avec mes personnages. Vient ensuite le fait d'une logique éditoriale : ma petite maison d'édition, qui réalisait jusque-là des publications somme toute confidentielles, a décidé de passer à quelque chose de plus orthodoxe, dans l'espoir que cela nous permette d'en vivre car pendant des années Blueberry a été le sponsor personnel de Mœbius.
Si j'ai décidé à faire parler Arzach dans ce nouvel album alors qu'il était muet dans le premier, c'est que le contexte n'est plus le même. A l'époque, Métal Hurlant vivait constamment dans le danger de mourir. Nous ne savions jamais si nous allions sortir le numéro suivant. La garantie de l'étonnement éditorial était notre propre étonnement. D'où ce personnage sans parole ni référence culturelle que je faisais le soir après le boulot – après Blueberry, quoi. C'était une façon d'être provocant. Il était impossible, 35 ans plus tard, de reconstituer artificiellement le même environnement."
- Inside Mœbius
"Mon ambition, à travers ce récit introspectif dessiné sans crayonné est d'arriver à cette leçon que nous donne à tous Wolinsky. Quand je l'ai connu, celui-ci dessinait de manière très besogneuse. Jusqu'au jour où il s'est complètement libéré en se disant : je vais dessiner comme on écrit, sans préoccupation graphique et avec le souci d'être "parlant".
Ce nettoyage très soixante-huitard de l'esthétique m'a bien plu. C'est ce que j'ai essayé de faire dans ce journal intime, en ajoutant délibérément une touche d'humour. Il y a pourtant toujours eu de l'humour dans mon travail, mais un humour clandestin – un peu comme chez quelqu'un qui devrait être sérieux et ne peut pas s'empêcher de glisser des blagues en espérant que ça ne va pas être vu. Dans Inside, je cite des auteurs de référence, comme Gotlib ou Edika, en m'accusant de vouloir me mesurer à ces géants. C'est aussi un moyen de m'avouer à moi-même que j'ai l'esprit assez potache."
- Les carnets du Major

La chasse au major.Moebius / Fondation Cartier
"Cette bande dessinée pleine de délire et de divagation a été réalisée sur une période de dix ans avec parfois de longues périodes de jachère au milieu. Elle a été faite, également, de manière totalement improvisée, case après case, un peu à la manière d'un musicien de jazz devant créer une tension entre la rigueur d'une ligne mélodique établie et une libération absolue de cette même ligne.
J'aime beaucoup procéder ainsi : faire un premier dessin sans idée préconçue et sans l'idée d'en faire un deuxième derrière ; le deuxième dessin peut alors être en totale contradiction avec le premier ou sa continuation sous un autre angle, peu importe. Je vois cela comme un jeu de reconstitution où l'inconnu ne viendrait pas du passé mais de l'avenir. On peut évidemment relier cette archéologie à rebours à l'inconscient, mais aussi à ce que l'on décrit dans les états de transe ou dans l'étude de la mère de toutes les religions, la religion chamanique. Le Major, qui n'est autre qu'un avatar de moi-même, est le fruit de cette réflexion que j'applique modestement en faisant des petits Mickeys."
- La Planète Encore

La planète encore.Moebius / Fondation Cartier
"Cette image de synthèse est tirée de mon tout premier film d'animation en tant que réalisateur. J'ai été mêlé à plusieurs projets cinématographiques en tant que réalisateur dans le
passé mais aucun n'a vu le jour. Je ne dirais pas que le cinéma m'a laissé au bord du chemin.
C'est plutôt moi qui l'ai laissé passer. Cela aurait été à moi de m'investir sérieusement en tant que producteur, comme je l'ai fait avec ce court-métrage. Il est malheureusement difficile d'avoir plusieurs vies simultanément.Faire du Mœbius sans la moindre concession tout en continuant Blueberry demande déjà un investissement interne considérable. Je me tire d'ailleurs le chapeau car j'ai réussi à me trahir sans me quitter… Bref, je n'avais pas de place à accorder au cinéma. Pour se lancer dans le cinéma, il faut être Cortez : brûler ses vaisseaux et ne plus rien avoir d'autre à faire."
