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TOUS, SAUF ELLE : l'amour de la vie
- Par Thierry LEDRU
- Le 20/09/2025
Laure ne cherchait plus à s’expliquer les raisons de cette attirance pour Théo. C’était juste une évidence. Elle ne comprenait pas davantage la puissance de cette étreinte, cette joie en elle, une diffusion inconnue qui l’avait emplie, une lumière intérieure qui n’avait rien d’un orgasme habituel. Elle aurait pu ne pas jouir d’ailleurs, sans en éprouver la moindre frustration. Et plus étrange encore, Théo n’avait pas été qu’un simple partenaire aimant mais l’opportunité d’une révélation.
Elle n’avait jamais éprouvé l’orgasme de la vie dans son ancienne existence. Juste un orgasme génital. Ce qui comblerait déjà de bonheur un certain nombre de femmes, pensa-t-elle. Mais là, ce qu’elle avait éprouvé était bien au-delà du connu, au-delà de l’imaginable.
Elle réalisa qu’elle n’avait absolument jamais entendu parler d’une sexualité révélatrice. Que lui voulait cette lumière en elle ?
La lumière. Elle était toujours là et elle ne savait la nommer autrement.
Le sexe de Théo en elle. Un canal d’énergie. Elle avait senti le flux l’envahir, bien au-delà de ses expériences passées.
Elle avait perdu le lien avec le réel. Une plongée verticale vers des altitudes inexplorées, l’effacement de son être et l’émergence d’une entité indéfinissable, une chaleur d’étoile, une radiation solaire qui l’avait embrasée au-delà de son corps, comme si autour d’elle son âme s’était réjouie.
Elle était assise dans le canapé du salon, les yeux dans le flou, un regard poreux fixé sur le mur devant elle, une vision intérieure.
Nous n’étions pas, fondamentalement, des êtres de matière mais des âmes délivrant des corps, une énergie capable d’aimanter des particules pour en fonder un véhicule.
Elle savait que ces pensées n’étaient pas à elles, qu’elles lui étaient données, qu’elles étaient comme des vents cosmiques venus des confins de l’univers.
L’espace avait joui en elle. L’impression d’être devenue soudainement une nurserie d’étoiles.
Qu’était-elle cette lumière ? Pourquoi l’avait-elle empêchée de mourir dans l’habitacle de la voiture ? Pourquoi elle ? Et pourquoi ne l’avait-elle pas connue plus tôt ? Que devait-elle en faire désormais ?
Elle comprit alors qu’elle n’avait rien su de la vie, qu’elle en avait ressenti uniquement l’illusion de l’existence, que le réel était bien au-delà de ce que la raison humaine lui avait enseigné, que des limites transmises l’avaient bridée et qu’elle était entrée désormais dans le champ de tous les possibles.
Sans pouvoir aucunement présager de la suite.
Cette perception des atomes, cette vibration dans tout ce qui était empli du flux vital, cette pénétration des êtres comme s’ils n’avaient plus de carapace mais qu’ils étaient devenus des entités sans frontières, intégralement ouvertes, offertes, des espaces à découvrir sans que rien vienne en brider l’exploration.
Elle n’avait pas aimé le corps d’un homme, ni même un homme, ni même un cœur.
Elle avait aimé l’amour de la vie.
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La chasse aux sorcières
- Par Thierry LEDRU
- Le 19/09/2025
Ma fille est rentrée de l’école en disant :
« Maman, tu ne devineras jamais ce qui s’est passé aujourd’hui en cours d’histoire. »
Son professeur a annoncé à la classe qu’ils allaient jouer à un jeu.
Il a circulé entre les rangs et a murmuré à chaque élève s’il était une sorcière ou simplement une personne ordinaire. Puis il a donné les consignes :
« Formez le plus grand groupe possible… mais sans sorcière. S’il y a ne serait-ce qu’une sorcière parmi vous, tout le groupe échoue. »
Ma fille a raconté que, aussitôt, la méfiance s’est installée.
Les questions fusaient :
« Es-tu une sorcière ? Comment savoir que tu ne mens pas ? »
Certains sont restés dans un grand groupe, mais la plupart se sont isolés en petits cercles fermés.
On écartait quiconque paraissait nerveux ou coupable, fût-ce d’un simple geste.
L’atmosphère a changé en quelques minutes : chuchotements, regards soupçonneux, doigts accusateurs. La confiance s’était évaporée.
Lorsque les groupes furent enfin formés, le professeur déclara :
« Bien, découvrons qui a perdu. Sorcières, levez la main. »
Personne ne bougea.
La classe éclata de rire.
« Quoi ? Vous avez gâché le jeu ! »
Alors le professeur lâcha la vérité :
« Réfléchissez… Y avait-il vraiment des sorcières à Salem, ou tout le monde a-t-il simplement cru ce qu’on lui disait ? »
Le silence est tombé.
Les élèves ont compris.
Nulle sorcière n’était nécessaire pour semer le chaos : la peur avait déjà fait son œuvre.
La seule méfiance avait suffi à diviser la classe, à briser la communauté.
Et n’est-ce pas exactement ce qui se passe aujourd’hui ?
Les mots changent, mais le jeu reste le même.
Au lieu de “sorcière”, on dit “libéral”, “conservateur”, “complotiste”, “mouton”, “vacciné”, “non-vacciné”, “pro-ci”, “anti-ça”.
Les étiquettes varient, la stratégie demeure :
insuffler la peur, semer la défiance, diviser.
Puis regarder la confiance s’effondrer.
Le danger n’a jamais été la sorcière.
Le danger, c’est la rumeur, la méfiance, la peur, les mensonges qu’on sème.
Refuse le murmure. Ne joue pas à ce jeu.
Car dès l’instant où nous partons chasser les “sorcières”, nous avons déjà perdu.
Mélissa LEBLANC
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Contre l'avis médical
- Par Thierry LEDRU
- Le 19/09/2025
Je comprends parfaitement que le corps médical se montre prudent, réticent, limitant. C'est le principe de précaution. Ils font leur job.
Et je trouve toujours réjouissant quand certains individus parviennent à leur montrer que les statistiques et leurs expériences professionnelles ne peuvent pas présager de ce que le mental, la volonté, la passion et l'amour sont capables de générer.
Par esprit de contradiction également ^^
Il est certain, en tout cas, que lorsqu'on passe outre les limites préconisées par le corps médical, il est vital que ça se fasse avec une très grande connaissance de soi, une connaissance qui grandit au fil du temps.
Bien évidemment qu'il y a des limites, mais c'est l'individu qui les identifie. Pas le corps médical.
Privé d'estomac, il va participer à un trail de 53 km : "les médecins m'avaient m'annoncé qu'il faudrait que j'arrête la course à pied"
Écrit par Karine Gélébart
Publié le17/09/2025 à 17h16
Fin 2023, Jérémy Lichté a subi une ablation de l'estomac, il aurait dû ne plus pouvoir assouvir sa passion du trail. Il s'apprête pourtant à participer à l'une des épreuves les plus dures d'Europe, en Suisse, sur une distance de 53 km pour 3 300 m de dénivelé positif.
C'est l'heure des derniers kilomètres de préparation sur ses terres de la forêt d'Andlau (Bas-Rhin). Une sortie de 8 à 10 km pour "faire tourner les jambes", à quelques jours du trail de Wildstrubel by UTMB, en Suisse, auquel Jérémy Lichté participera sur la distance de 53 km. Cette course est l'une des plus diffciles d'Europe, avec ses 3 300 m de dénivelé positif sur les chemins escarpés des Alpes suisses.
Ce dernier entraînement, Jérémy Licthé le fait sac sur le dos, chargé comme pour la course. Et là où d'autres vont chercher à grapiller chaque gramme pour alléger la charge, lui au contraire ne lésine pas sur les réserves de nourriture.
Car ce samedi 20 septembre, il s'élancera pour cet ultratrail à jeun. "J'évite de manger avant de partir pour éviter d'avoir une montée de glycémie qui me coupe les jambes... Mais ensuite, il faudra gérer la nutrition au fil de la course".
La nutrition, au coeur de la gestion de course de tous les traileurs. Encore plus pour Jérémy Lichté depuis qu'il s'est vu retirer l'estomac en 2023. Cet organe est chargé notamment de "pré-digérer" la nourriture par l'action des sucs gastriques, et surtout de la stocker et la distiller petit à petit. Sans lui, au moment de manger, l'intestin reçoit tout d'un bloc, l'organisme ne sait pas comment gérer. La glycémie, entre autres, peut être compliquée à gérer.
Perte de poids et fractionnement des repas
Pour Jérémy, qui a perdu 25 kg après l'opération, tout est désormais question de fractionnement des repas, de gestion des quantités, de choix des aliments.
"Quand je mange, je ne sais jamais comment va se passer la digestion, si je vais pouvoir manger normalement ou juste une fourchette. Donc je ne sais pas à quel point je vais pouvoir recharger le corps, ce qui est évidemment un handicap pour le sport. Je ne peux pas faire de réserves d'énergie avant une course, il faut que je le fasse sur plusieurs semaines, pour stabiliser le poids en vue de l'effort."
Des courses plus longues et de meilleurs chronos
Des handicaps que le trentenaire a balayé par sa seule volonté. Passionné de course depuis le collège, spécialiste de trail depuis une dizaine d'années, il découvre à 36 ans qu'il est porteur d'une mutation génétique risquant de causer un cancer virulent. Il décide donc de se faire enlever l'estomac. "Les médecins m'ont alors dit que je devrais arrêter la course, ou me contenter de toutes petites distances. Moi, j'ai pris ça comme un défi, pour leur prouver qu'ils avaient tort". Il s'inscrit aussitôt après l'opération à des courses, plus longues qu'avant... et avec de meilleurs chronos !
"C'est un beau pied de nez à la médecine, oui... J'ai voulu vite être comme avant. Comme avant, comme s'il n'y avait pas eu d'opération, malgré les complications que je subis au quotidien."
Le sport est resté mon fil conducteur pour me retaper rapidement et retrouver une forme physique, une qualité de vie
Jérémy Lichté, traileur
Un parcours qui force l'admiration, y compris du corps médical. "Ce n'est pas tout à fait naturel, ce qu'il arrive à faire, mais ça prouve que c'est possible !" Le professeur Cécile Brigand a opéré Jérémy au CHU de Hautepierre à Strasbourg. "Jérémy a eu une force mentale impressionnante, et le soutien de toute sa famille... Le mental joue beaucoup, car physiquement, c'est compliqué, en raison de ce manque de réserves dont le corps peut souffrir en course".
"Ce qui est sûr, c'est qu'on peut se passer de beaucoup d'éléments du corps que la nature nous a créés, mais c'est vrai que ça marche mieux quand on a tout. C'est un exploit ce qu'il fait. Il avait beaucoup maigri en post-opératoire, malgré toutes les précautions que nous avons pu prendre... Donc ça reste exceptionnel."
Continuer d'allonger les distances
Le coureur reste bien sûr sous surveillance, notamment pour gérer son principal problème : le poids. "Je perds beaucoup de poids en course, donc avant chaque départ, on voit avec mon médecin si je suis suffisamment armé pour encaisser."
Le mental joue beaucoup, car physiquement, c'est sûr que c'est compliqué, en raison de ce manque de réserves dont le corps peut souffrir en course.
Professeure Cécile Brigand, chirurgienne
Un exploit qui ouvre la voie des possibles, y compris pour lui, qui envisage de continuer à allonger les distances, même si chaque course demande de minutieux ajustements, réglés avec une nutritionniste. "Il y a encore des ratés, il faut sans cesse s'adapter. L'absorption de liquides reste notamment un problème... Je bois, mais pas assez !"
Objectif : moins de 10 heures
"Au-delà de 25-30 km, où j'ai mes repères, je tâtonne... j'apprends ! Pour cette course par exemple, le premier ravitaillement est prévu au 18e kilomètre... Moi j'aurais déjà mangé au moins deux fois à ce moment-là ! Je ne peux pas me baser sur les ravitos de l'organisation, il n'y a que moi qui sais quand je dois manger... et je commence à bien le sentir !"
Samedi, cet ancien pompier industriel qui s'apprête à ouvrir une boutique de trail à Barr, partira "en mode randonnée gastronomique presque, avec le sac chargé à bloc, plein de nourriture pour tenir". Avec l'objectif de boucler la distance en moins de 10 heures. Et avec toujours cette motivation sans faille, qui, depuis deux ans, le font gravir des montagnes qui paraissaient infranchissables.
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Dino BUZZATI : "La leçon de 1980"
- Par Thierry LEDRU
- Le 18/09/2025

La Leçon de 1980 (La lezione del 1980 dans sa version originale en italien) est une nouvelle fantastique de Dino Buzzati, incluse dans le recueil Le K publié en 1966.
"Excédé à la fin par tant de querelles, le Père éternel décida de donner aux hommes une leçon salutaire.
À minuit précis, le mardi 31 décembre, le chef du gouvernement soviétique, Piotr Semionovitch Kurulin, mourut subitement. Il trinquait justement à la nouvelle année lors d’une réception donnée en son honneur –et il en était à son douzième verre de vodka– lorsque son sourire s’éteignit et qu’il s’écroula par terre comme un sac, au milieu de la consternation générale.
Le monde fut ébranlé par des réactions opposées. On était à l’une de ces périodes de crise aiguë de la guerre froide, comme il n’y en avait peut-être encore jamais eu. Cette fois-ci le motif de la tension entre le bloc communiste et occidental était la revendication de la possession du cratère de Copernic, sur la Lune, riche en métaux rares, où se trouvaient des forces d’occupation américaines et soviétiques ; les premières concentrées dans une zone centrale réduite, les autres sur le pourtour. Qui y était descendu le premier ? Qui pouvait se vanter d’un droit de priorité ? Justement, quelques jours avant, Kurulin, à propos du cratère, avait tenu des propos très violents.
Habitués comme ils l’étaient désormais à l’éloquence antipathique de leur grand adversaire, les Occidentaux n’avaient naturellement pas pris au pied de la lettre la menace mais ils ne s’en étaient quand même pas caché la gravité. La disparition soudaine de Kurulin fut donc un immense soulagement car comme ses prédécesseurs, il avait centralisé toutes les charges du pouvoir. Dans le camp russe, le désarroi fut grand.
Mais l’année à peine née devait décidément se révéler riche en imprévus. Une semaine après, à minuit précis, le 7 janvier, quelque chose qui ressemblait fort à un infarctus, terrassa à sa table de travail le président des États-Unis, Samuel E. Fredrikson, symbole de l’intrépide esprit national, premier Américain à poser le pied sur la Lune.
Le fait qu’à une semaine d’intervalle exactement, les deux plus grands antagonistes du conflit mondial aient disparu de la scène provoqua une émotion indicible. Et qui plus est à minuit tous les deux ? On parla d’assassinat fomenté par une secte secrète, certains firent des suppositions abracadabrantes sur l’intervention de forces supraterrestres, d’autres allèrent même jusqu’à soupçonner une sorte de jugement de Dieu. Les commentateurs politiques ne savaient plus à quel saint se vouer. Ce pouvait être une pure coïncidence mais l’hypothèse était difficile à avaler : d’autant que Kurulin et Fredrikson avaient joui jusqu’alors d’une santé de fer.
Pendant ce temps-là, à Moscou, l’intérim du pouvoir était assuré par un soviet collectif ; à Washington, selon la Constitution, la charge suprême passa au vice-président Victor Klement, sage administrateur et juriste sexagénaire. La nuit du 14 janvier, lorsque la pendule placée sur la cheminée eut sonné douze coups, M. Klement, qui était en train de lire un roman policier, assis dans son fauteuil, laissa tomber le livre, pencha doucement la tête en avant et ne bougea plus. Les soins que lui prodiguèrent les médecins accourus ne servirent à rien. Klement, lui aussi, s’en était allé dans le monde de la majorité.
Cette fois une vague de terreur superstitieuse déferla sur l’univers. On ne pouvait plus parler de hasard. Une puissance surhumaine s’était mise en mouvement pour frapper à échéance fixe, avec une précision toute mathématique, les grands de ce monde. Et les observateurs les plus perspicaces crurent avoir décelé le mécanisme de l’effroyable phénomène : par décret supérieur, la mort enlevait, chaque semaine, celui qui, à ce moment-là, était, parmi les hommes, le plus puissant de tous. Trois cas, même très étranges, ne permettent certes pas de formuler une loi. Cette interprétation toutefois frappa les esprits et un point d’interrogation angoissé se posa : à qui le tour mardi prochain ?
Après Kurulin, Fredrikson et Klement, quel était l’homme le plus puissant de l’univers destiné à périr ? Dans le monde entier une fièvre de paris se déclencha pour cette course à la mort. La tension des esprits en fit une semaine inoubliable. Plus d’un chef d’État était tiraillé entre l’orgueil et la peur : d’une part l’idée d’être choisi pour le sacrifice de la nuit du mardi le flattait parce que c’était un critère évident de sa propre autorité ; d’autre part, l’instinct de conservation faisait entendre sa voix. Le matin du 21 janvier, Lu Tchi-min, le très secret chef de la Chine, convaincu plus ou moins présomptueusement que son tour était venu, et pour bien manifester son libre arbitre vis-à-vis de la volonté de l’Éternel, athée comme il l’était, se donna la mort.
Dans le même temps, le très vieux de Gaulle, désormais seigneur mythique de la France, persuadé lui aussi d’être l’élu, prononça, avec le peu de voix qui lui restait, un noble discours d’adieux à son pays, parvenant, de l’avis presque unanime, au sommet de l’éloquence, malgré le lourd fardeau de ses quatre-vingt-dix ans. On constata alors combien l’ambition pouvait l’emporter sur toute autre chose. Il se trouvait des hommes heureux de mourir du moment que leur mort révélait leur prééminence sur le reste du genre humain. Mais avec une amère désillusion, de Gaulle se retrouva minuit passé en excellente santé.
Cependant, celui qui mourut brutalement, à la stupéfaction générale, ce fut Koccio, le dynamique président de la Fédération de l’Afrique occidentale, qui jusqu’alors avait surtout joui d’une réputation de sympathique histrion. Et puis la nouvelle se propagea qu’au centre de recherches qu’il avait créé, on avait découvert le moyen de déshydrater gens et choses à distance, ce qui constituait une arme redoutable en temps de guerre.
Après quoi –la loi c’est le plus puissant qui meurt se trouvant confirmée– on constata un sauve-qui-peut général des charges les plus élevées et hier encore les plus recherchées. Presque tous les sièges présidentiels restèrent vacants. Le pouvoir, auparavant convoité avec avidité, brûlait les mains de ceux qui le détenaient. Il y eut, parmi les gros bonnets de la politique, de l’industrie et de la finance, une course désespérée à qui serait le moins important. Tous se faisaient petits, repliaient leurs ailes, affichaient un noir pessimisme sur le sort de leur propre patrie, de leur propre parti, de leurs propres entreprises. Le monde renversé. Un spectacle divertissant, n’eût été le cauchemar du prochain mardi soir.
Et puis, toujours à minuit, le cinquième mardi, le sixième et le septième, Hosei, le vice-président de la Chine, Phat el-Nissam, l’éminence grise du Caire, ainsi que le vénérable Kaltenbrenner, furent éliminés du jeu. Par la suite, les victimes furent fauchées parmi des hommes de moindre envergure. La défection des titulaires épouvantés avait laissé inoccupés les postes éminents de commandement. Seul, le vieux de Gaulle, imperturbable comme toujours, n’avait pas lâché le sceptre. Mais la mort, qui sait pourquoi, ne lui accorda pas satisfaction. Il faut bien reconnaître qu’il fut même l’unique exception à la règle.
En revanche, des personnages moins importants que lui tombèrent à l’échéance du mardi soir. Peut-être le Père éternel, en faisant semblant de l’ignorer, voulait-il lui donner une leçon d’humilité ? Au bout de deux mois, il n’y avait plus un dictateur, plus un chef de gouvernement, plus un leader de grand parti, un président-directeur général de grosse industrie. Tous démissionnaires. Il ne resta à la tête des nations et des grandes firmes que des commissions de collèges paritaires où chaque membre se gardait bien d’attirer l’attention sur lui. Dans le même temps, les hommes les plus riches du monde se débarrassaient en toute hâte de leur incroyable accumulation de milliards par de gigantesques donations à des œuvres sociales, à des mécénats artistiques.
On en arriva à des paradoxes inouïs. Lors de la campagne électorale en Argentine, le président Hermosino, craignant une majorité des voix comme la peste, se diffama tellement lui-même qu’il tomba sous le coup de l’accusation d’outrage au chef de l’État. Dans L’Unità de Rome, les éditoriaux endeuillés proclamaient la complète dissolution du Parti communiste italien, en réalité encore très actif : c’était le député Cannizzaro, leader du parti, qui, attaché comme il l’était à sa charge dont il n’avait pas voulu se démettre, cherchait ainsi, subrepticement, à écarter les coups du destin. Et le champion mondial des poids lourds, Vasco Bolota, se fit inoculer le paludisme pour s’étioler, car une belle prestance physique était un signe dangereux de puissance.
Dans les litiges, qu’ils soient internationaux, nationaux ou privés, chacun donnait raison à l’adversaire, cherchait à être le plus faible, le plus soumis, le plus dépouillé. Le cratère de Copernic fut équitablement partagé entre Soviétiques et Américains. Les capitalistes cédaient leurs entreprises aux travailleurs et les travailleurs les suppliaient de bien vouloir les conserver. En quelques jours on arriva à un accord sur le désarmement général. On fit exploser les vieux stocks de bombes dans les environs de Saturne qui en eut deux anneaux brisés.
Six mois ne s’étaient pas écoulés que toute ombre de conflit, même local, s’était dissipée. Que dis-je, de conflit ? Il n’y avait plus de controverses, de haines, de disputes, de polémiques, d’animosité. Finies la course au pouvoir et l’idée fixe de la domination ! Et l’on vit alors s’établir partout la justice et la paix, dont, grâce au Ciel, nous jouissons toujours 15 ans après. Car si quelque ambitieux oublieux de la leçon de 1980 tente de lever la tête au-dessus des autres, la faux invisible, tzac ! la lui tranche, toujours le mardi, à minuit. Les exécutions hebdomadaires cessèrent vers la mi-octobre. Elles n’étaient plus nécessaires. Une quarantaine d’infarctus judicieusement distribués avaient suffi pour arranger les choses sur la Terre.
Les dernières victimes furent des figures de second plan, mais le marché mondial n’offrait rien de mieux en fait de personnages puissants. Seul de Gaulle continua à être obstinément épargné."
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MONO : "Hear the wind sing"
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/09/2025
Je me doute bien que ça ne plaira pas à tout le monde. C'est particulier, je le conçois totalement.
Je peux l'écouter vingt fois de suite.
J'en ai besoin. Quand je cours, quand je pédale, quand je m'occupe du potager, du jardin, de planter des arbres, de fendre du bois, de tamiser une allée en graviers pour la remettre en état... J'ai besoin de ces musiques répétitives, de ces leit-motiv et de leurs crescendos et le groupe MONO est une référence dans ce domaine.
Je sais d'où vient ce goût profond pour ces musiques lancinantes et puissantes.
J'ai mis longtemps à en retrouver la source. Je veillais mon frère, dans sa chambre d'hôpital et il était entouré de machines dont les "bip, bip" rythmaient les heures. Et il m'arrivait de fabriquer intérieurement des mélodies qui se joignaient à ce tempo.
J'ai souvent regretté de ne pas avoir appris à jouer d'un instrument et de ne rien connaître au solfège mais je construis souvent des musiques dans ma tête et celles de MONO y ressemblent.
J'aime infiniment la puissance. Même si je sens qu'elle diminue en moi, ces musiques en réveillent les échos et je devine dans mon corps des mémoires enfouies qui se réjouissent. Il y a si longtemps aussi que j'écoute ce genre de musique qu'elles sont pour beaucoup associées à des moments forts, des moments inscrits, jusque dans mes chairs.
J'ai beaucoup écouté ces musiques quand j'étais cloué au lit et que personne ne pouvait me dire si j'en sortirai un jour, ni dans quel état. Ces mélodies répétitives, elles me nourrissaient, elles étaient des flux d'énergie qui coulaient en moi, des pentes enneigées, des sommets lumineux, des forêts immenses, des courses sur les chemins élevés.
J'aime infiniment le silence, c'est un besoin vital mais la musique l'est tout autant.

"JUSQU'AU BOUT"
Il sortit et reçut la lumière du soleil comme un don.
Il quitta son sous-pull. Son torse devait se nourrir des ondes divines. Il aurait aimé courir nu mais les esprits pervers n’auraient pas compris.
Il partit sur la route.
Dès les premières minutes, il chercha à se concentrer sur le rythme de ses foulées, la musique de son souffle et de ses pas, le tempo de son cœur, se coupant du monde extérieur, n’acceptant que les rayons solaires et la brise fraîche, sans objectif précis, il s’enfonça dans les forêts, traversa le plateau granitique de la Pierre Levée, suivit un temps le ruisseau du Ninian, rejoignit une route qu’il ne chercha pas à reconnaître, refusant de construire un parcours, limitant le travail de son esprit à la précision de ses gestes et quand il sentit que les muscles des jambes durcissaient, que le ventre et le dos supportaient de plus en plus difficilement les chocs répétés, il s’interdit de penser à un probable retour et, peu à peu, il sentit s’installer en lui la mécanique hypnotique de la course, s’engloutissant à l’intérieur de lui-même, insensible à toutes les sensations extérieures, ne vivant que dans l’infini profondeur de son propre abîme, il ne distingua de son corps que le passage rapide devant ses yeux d’un pied puis d’un autre, le premier disparaissant, immédiatement remplacé par le second et cela sans fin, et il trouva magnifique la mélodie répétitive de ses pas sur le corps de la Terre, comme des étreintes répétées, un don d’énergie partagée, il buvait à la source de vie et s’enivrait de jouissance, cette alternance rapide et saccadée et cette absence de volonté, le corps agissant indépendamment de tout contrôle, sans crainte et donc sans fatigue, le cerveau, submergé de douleurs ayant abandonné l’habitacle, s’évaporant dans un ailleurs sans nom, il la trouva magnifique cette musique en lui, chaque foulée se répercutant dans l’inextricable fouillis de ses fibres musculaires, dans les souffles puissants jaillissant de ses poumons vivants, comme une alarme infinie qui retentit, un appel à la vie, un cri de nouveau-né qui emplirait le ciel et gonflerait les nuages, ses perles de sueur comme des semences inondant la Terre, les râles de sa gorge comme des mots d’amour et il comprit pleinement, par-delà les pensées, que les poumons, le cœur, le sang et les cellules n’existaient que dans ces instants d’extrême exploitation, que les jours calmes étaient des jours morts, des jours sans éveil, des jours d’abandon et de faiblesse, des heures disparues dans le néant de la mort, des pourritures rongeant l’extase, des impuissances de verge éteinte, des mollesses de cadavres agités dans l’attente des vers, c’était inacceptable et il ne l’accepterait plus, sa vie devait être comme cette course, sans cassure, sans déchet, sans seconde évaporée, un cri de vie dans le silence des cimetières, une rage aimante comme un hommage, il plongerait son âme dans le calice du monde jusqu’à noyer les derniers résidus des morales apprises, il couvrirait la Terre de son corps embrasé, il emplirait le vide de son amour enflammé, il sentit les larmes couler, c’était si beau ce moment de vie, enfin la vie.
Il courut si longtemps qu’il ne sut pas quand il rentra."
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Association CANOPEE
- Par Thierry LEDRU
- Le 08/09/2025
Une des associations que je soutiens, financièrement et sur le terrain parfois et dont je partage les informations.
Vous pouvez les retrouver sur YOUTUBE
Voici le dernier mail reçu ce jour :
Bonjour Thierry,
Je n’aime pas tirer sur l’ambulance mais franchement… quel gâchis !
Aujourd’hui, le gouvernement de François Bayrou est tombé. Huit mois d’existence seulement — et pourtant, pour la première fois, la forêt était rattachée au ministère en charge de l’écologie. Une opportunité historique de faire progresser notre politique forestière. Et pourtant, que d’occasions manquées. Tétanisée par la pression des représentants de la filière, la ministre n’a pas trouvé le chemin pour faire bouger les lignes.
Dernier exemple en date : le Label Bas Carbone. La semaine dernière, nous avons lancé l’alerte dans une enquête factuelle et détaillée. Vous avez été plus de 1 000 à poster des contributions sur le site du ministère. Des contributions qui ne seront jamais publiées, balayées d’un revers de main par la ministre, qui a choisi de céder aux entreprises. Résultat : démission des scientifiques et un article du Monde qui fait sérieusement tache.
Coupes rases : le statu quo n'est plus possible
C’était le sujet brûlant sur lequel la ministre était attendue. Partout, la colère monte face à cette pratique, en total décalage avec l’urgence climatique et la nécessité de faire évoluer les modes de gestion. D’autant que de nombreux forestiers partagent aujourd’hui les préoccupations des citoyens, des élus locaux et des scientifiques.
La priorité est claire : mettre fin à la transformation de forêts semi-naturelles en plantations de résineux (je précise « semi-naturelles », car presque toutes nos forêts ont été façonnées, de près ou de loin, par l’action humaine).
La ministre disposait pourtant de deux atouts majeurs :
La directive européenne sur les énergies renouvelables (RED III), qui aurait dû être transposée en France avant le 21 mai 2025. Non seulement la France est en retard, mais le gouvernement prépare une sous-transposition flagrante. Exemple : un seuil maximum de 10 hectares pour les coupes rases et jusqu’à 25 hectares pour les coopératives forestières. Autant dire… rien : cela ne concernerait que 2 à 3 % des coupes, comme nous allons le démontrer dans un rapport inédit basé sur des données satellites (publication prévue en décembre 2025). La directive impose aussi de s’assurer que les prélèvements de bois-énergie ne dégradent pas la biodiversité dans les zones les plus riches. Or le gouvernement veut limiter cette obligation aux seules zones sous protection forte, plutôt que d’ouvrir un débat plus large et d’identifier, région par région, les forêts réellement concernées.
Le règlement européen contre la déforestation (RDUE), un texte historique qui interdit la mise sur le marché de produits issus de la déforestation (soja, huile de palme, etc.), mais aussi de bois issu de la transformation de forêts semi-naturelles en plantations. Une avancée majeure. Mais si officiellement, la France soutient cette loi, le ministère de l’Agriculture, sous la pression de la filière, tente, lui, de saboter son application sur notre territoire en affirmant qu’ « il n’y a pas de gestion intensive en France et donc pas de forêts de plantation ». Un argument juridiquement intenable, mais politiquement plus confortable que d’assumer un poil de confrontation avec la filière.
La chauve-souris qui dérange la filière
Vous vous en souvenez sûrement : en juin, nous sommes intervenus in extremis pour stopper une coupe rase en Creuse qui aurait détruit l’habitat de chauves-souris protégées. L’affaire a fait grand bruit, jusqu’à me valoir une convocation au cabinet ministériel pour avoir « provoqué de l’émotion dans la filière ».
Soyons clairs : si nous avons commandité à nos frais un inventaire naturaliste, c’était pour démontrer qu’Alliance Forêts Bois ne faisait pas son travail. Il ne s’agit pas d’interdire tous les travaux forestiers au nom des espèces protégées, mais de rappeler une évidence : raser une vieille forêt et découvrir ensuite qu’on détruit des habitats d’espèces protégées relève d’une négligence caractérisée — bien différente d’un accident sur un chantier où le forestier a réellement tenté de limiter les impacts.
Pire : le bois devait être vendu sous label FSC, qui interdit de telles pratiques. Résultat : chantier suspendu, procédure en cours. Notre demande est simple : renforcer le cadre réglementaire. Car nous ne pourrons pas financer un inventaire naturaliste pour chaque parcelle.
La réaction de la filière ? Pressions, tentatives d’exclusion des espaces de concertation, et multiplication des procédures-bâillons. Je vous invite à découvrir la vidéo où Bruno raconte sa dernière convocation lunaire au commissariat.
Ne rien lâcher
Vous nous connaissez : nous ne lâchons rien.
D’abord, parce que nous ne sommes pas seuls. Vous êtes toujours plus nombreux à nous rejoindre, et votre soutien est essentiel face à la procédure lancée pour retirer notre agrément d’association environnementale.
Ensuite, parce que de plus en plus de propriétaires et de gestionnaires s’engagent vers des pratiques plus écologiques. L’association Pro Silva est en plein essor : une excellente nouvelle.
Enfin, parce que sur le terrain, les citoyens s’organisent. Exemple : le 4 octobre, trois associations locales (la Bresseille, Adret Morvan et Autun Morvan Écologie) organisent les « Glands d’Or », un prix satirique pour dénoncer les pires coupes rases du territoire. Une belle initiative que nous soutenons avec enthousiasme.
Et maintenant, Bruxelles
Comme en France, les lobbys se déchaînent à Bruxelles pour détricoter les lois environnementales au nom de la « simplification ». Sachant que leur tentative d’échapper au règlement anti-déforestation en France est fragile juridiquement, ils veulent saboter le texte directement au niveau européen.
Ce sera notre prochaine bataille — et nous aurons besoin de vous :
Si vous pouvez, rejoignez-nous sur place les 15 et 16 octobre : écrivez à Suzie.
Sinon, participez à la consultation publique en cours jusqu’au 10 septembre. Klervi et nos partenaires ont conçu un outil pour vous faciliter la tâche. C’est ici
CHOUARD : La cause des causes
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2025
Une vidéo essentielle
470 937 vues 14 avr. 2012
Etienne Chouard - Looking for the mother of all causes - TEDxRepubliquesquare - Mars 2012 Plus d'information sur http://www.tedxrepubliquesquare.com/ - Cette vidéo est sous-titrée en anglais, bulgare, catalan, espagnol, français,grec, italien, portugais, roumain, suedois. Merci à tous les traducteurs bénévoles pour leur aide si précieuse
Etienne Chouard est un homme doux, parfaitement en colère. Poil à gratter de la pensée unique, il agace, perturbe, fait réfléchir. Et en attendant, il bosse. C'est le marathon man des salles des fêtes, l'égérie des résistants, le citoyen d'or d'Agoravox. Calomnié, encensé, il ne laisse pas indifférent. C'est probablement qu'il a quelque chose à dire.
Enseignant l'économie et le droit, à l'occasion du Référendum de 2005, Etienne se plonge dans les textes du projet de Constitution Européenne. Ce qu'il découvre le change à jamais. Depuis, loin des organisations partisanes, il dénonce notre apathie et veut redonner au mot démocratie sa véritable signification. Son credo : une constitution écrite par les citoyens et des représentants tirés au sort.
Etienne CHOUARD : Responsables de notre impuissance
- Par Thierry LEDRU
- Le 07/09/2025
Pour celles et ceux qui ne connaîtraient pas Etienne CHOUARD.
Tout est là.
