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  • TERRE SANS HOMMES (2)

     

    Puisque le titre du tome 3 de la quadrilogie en cours, "LE DESERT DES BARBARES" vient du titre d'un roman existant, roman de Dino Buzzati, "Le désert des Tartares", j'ai décidé d'user du même procédé pour le titre du tome 4.

    J'abandonne "RESET" pour "TERRE SANS HOMMES".

    "Terre des hommes" de Saint-Exupéry m'avait marqué, considérablement. Pour la beauté de l'écriture et la force de vie des personnages. J'aurais pu titrer ce tome 4 par un "No man's land", expression que tout le monde connaît mais la référence à Saint-Exupéry me plaît. Il fait partie des auteurs qui m'ont invité à écrire.

    Et au vu de ce que je raconte, il s'agit bien d'une planète vidée de sa population dans les grandes dimensions...

     

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    CHAPITRE 4

     

    « Théo, tu penses que l’électricité peut être rétablie un jour ?

    Assis sur un banc, sous le couvert des étoiles. Si longtemps qu’ils n’avaient pu profiter des cieux ouverts. Une chouette au loin lançait des alertes aux rongeurs. Le temps de la chasse approchait.

    « Qu’elle soit de nouveau exploitable, c’est possible mais que les infrastructures soient en état, sûrement pas.

    - Et ça serait réparable ?

    - Je ne sais pas mais le problème majeur vient des stocks de produits de remplacement. Et de leur acheminement. Il faudrait des mois, des années sans doute. Tout dépend en fait de l’état de chaque pays mais principalement de ceux qui ont des usines de production. Et comme le maillage industriel en France est en décrépitude depuis des années, le pays ne possède certainement pas tout ce qui est nécessaire.

    - Tout venait de Chine, c’est ça ?

    - De Chine et de l’Asie du sud-est. Dans une très grande proportion. Et on n’a aucune idée de ce qui se passe là-bas. Et de toute façon, encore une fois, les réseaux d’acheminement ne sont pas en état. Et il faut imaginer que la Chine se concentrera sur le rétablissement de son économie avant d’envisager une reprise du commerce mondial. Et il en sera de même partout. C’est l’effacement de la mondialisation que nous vivons et l’établissement de communautés locales avant même de parler de pays. Il n’y a plus de transport parce qu’il n’y a plus de carburant où qu’il n’est pas accessible. Il faut de l’électricité pour pomper dans une citerne. Les routes sont vides. Ceux qui survivent trouvent dans leur environnement immédiat de quoi subvenir à leurs besoins vitaux. Personne n’est capable d’organiser une reprise des échanges commerciaux.

    - Et personne ne peut s’avancer à donner une durée, c’est ça ?

    - Exactement. Peut-être que les populations des centres urbains à proximité des zones industrielles trouveront des produits manufacturés pour remettre en état un réseau électrique local mais encore faut-il qu’une centrale nucléaire puisse fournir de l’énergie et personne n’est en mesure de dire dans quel état sont les centrales. On peut juste espérer qu’elles n’ont pas fini par exploser. Il reste aussi les centrales hydroélectriques. Quand les barrages n’ont pas cédé. Mais tout ça est très complexe quand il faut le remettre en état.

    - C’est effrayant la vitesse avec laquelle tout a dérapé.

    - Parce que l’humanité est engagée depuis bien longtemps sur une route verglacée.

    - Et donc, maintenant, quel est l’avenir de cette humanité confinée ?

    - Confinée, oui, le mot est parfaitement adapté. Sauf que les confinements liés au coronavirus, c’était un mot d’ordre et que maintenant c’est le désordre. Je pense que l’avenir appartient aux communautés, rurales principalement. Parce qu’elles disposent de l’espace pour produire la nourriture nécessaire alors que dans les villes, les espaces verts n’ont jamais été cultivés et ça ne se fait pas du jour au lendemain. Des gens pourraient se servir des terrains de football par exemple mais il faut des graines et il faut nourrir le terrain, l’amender, il faut des mains et des outils basiques, et puis il faudra attendre le printemps pour que ça pousse. Et en attendant ? Il reste les jardins des particuliers, des potagers urbains mais ça ne nourrit pas un quartier. Sans parler, bien évidemment, que ceux qui se lanceraient dans une production locale en ville auraient à lutter contre les pillards. Il va falloir organiser des surveillances. Il faudra des armes et les gens lambda n’ont pas d’armes à feu.

    - Les villes vont donc se vider.

    - Perdre une bonne partie de la population qui a survécu au Hum et au choléra, aux barbares, aux maladies, aux accidents, aux inondations et à tout ce qui peut se produire quand plus rien ne tourne rond. Et je n’ai aucune idée du pourcentage.

    - Tu penses qu’on pourra descendre dans la vallée un jour ?

    - Tant que rien ne m’y forcera, je ne m’y risquerai pas.

    - Et qu’est ce qui pourrait t’y obliger ? »

    Les yeux dans le vague, une réflexion intérieure avant qu’il ne réponde.

    « Un besoin médical, je pense, la recherche d’un médicament précis ou d’un chirurgien. Mais tu es là.

    - Je ne peux pas refermer une plaie avec mes mains. Juste accélérer la cicatrisation.

    - Oui, Laure, je sais. Il faut être prudent. »

    Des regards bienveillants et pourtant cette incertitude. Ne pas compter sur les services médicaux.

    « En fait, nous sommes revenus des siècles en arrière, reprit Laure.

    - Je pense que rien n’est comparable. Nous avons de multiples connaissances, nous avons des matériaux à récupérer et des outils.

    - Un Moyen Âge moderne en quelque sorte. On connaît l’anatomie humaine, les troubles ou les maladies, on sait comment intervenir mais on n’a plus les structures. La différence avec le Moyen Âge, c’est qu’on peut avoir une idée précise des causes d’un décès.

    - Oui, c’est ça, on sait de quoi on meurt. On peut se demander si ça a une utilité. Les gens qui apprennent par un médecin qu’ils ont un cancer, est-ce que ça leur permet de mieux lutter ou est-ce que ça les détruit intérieurement ?

    - J’imagine que chaque cas est différent.

    - La force de caractère, le goût de la vie ou à l’inverse l’acceptation d’une fatalité mortifère, comme l’aboutissement d’une existence sombre. Comment tu réagirais, Laure ?

    - Je ne sais pas mais a priori mais je verrais ça comme une course. L’objectif étant de franchir la ligne en tête et que la maladie reconnaisse sa défaite.

    - Un défi en quelque sorte ?

    - Oui, la course d’une vie. Sans doute qu’il faut avoir vécu d’autres épreuves avant ça. Mais en même temps, je peux imaginer qu’au contraire, il y a un effondrement. Le fameux « pourquoi moi » alors que j’ai tout fait pour y échapper.

    - Rien de simple, rien de gravé dans le marbre. L’incertitude. Exactement ce que l’humanité vit en ce moment. Qui va en réchapper ?

    - Nous », répondit Laure, immédiatement.

  • Claire NOUVIAN

     

     

    EntretienCulture

    Claire Nouvian : « Il faut prendre le pouvoir pour le réinventer »

     

    https://reporterre.net/Claire-Nouvian-Il-faut-prendre-le-pouvoir-pour-le-reinventer

     

    Claire Nouvian : «<small class="fine d-inline"> </small>Il faut prendre le pouvoir pour le réinventer<small class="fine d-inline"> </small>»

    Comment réinventer notre rapport au politique ? Comment articuler les différentes formes d’engagement ? Pourquoi entrer dans le jeu démocratique de l’élection ? Claire Nouvian, dans cet entretien, explique pourquoi elle a quitté la posture de l’observatrice pour faire face aux périls fasciste et écologique.

    Reporterre poursuit une série d’entretiens de fond avec celles et ceux qui renouvellent la pensée écologique aujourd’hui. Parcours, analyse, action : comment voient-elles et voient-ils le monde d’aujourd’hui ? Aujourd’hui, Claire Nouvian, présidente de l’ONG Bloom pour la conservation des écosystèmes marins, et cofondatrice du mouvement politique Place publique.

    Reporterre – D’où vient votre appétence pour l’écologie ?

    Claire Nouvian — J’ai grandi en Algérie, où on passait nos week-ends à la plage, à pêcher, à jouer avec les animaux marins. L’hiver, on partait dans le désert chercher des fossiles et guetter les scorpions. Au contact de la nature, j’ai développé une curiosité intellectuelle pour le vivant. Aujourd’hui, les enfants qui vivent en ville sont effrayés par des mouches… c’est dingue !

    Dans les années 1990, je suis partie avec mon mari en Argentine, où j’ai découvert la « grande nature » : les toucans, les condors, les baleines. Quelle émotion ! C’est ce qui a forgé mon envie de faire du documentaire scientifique et animalier.



    Quelles sont les sources de votre engagement ?

    J’ai constitué une conscience écologique et scientifique au contact des chercheurs rencontrés pour mes documentaires. Ma prise de conscience est montée comme le niveau de l’eau actuellement : petit à petit, mais très sûrement. Pas seulement sur le changement climatique et la pollution, mais surtout sur la destruction des habitats. Quand on travaille en Afrique, c’est vraiment tangible.

    Ma rencontre avec Pilai Poonswad a été un vrai moment de bascule. Cette femme, ornithologue et biologiste thaïlandaise, a reçu une récompense Rolex pour son travail de préservation des calaos. Ces magnifiques oiseaux sont en train de disparaître très rapidement, parce qu’ils sont très braconnés. Des collectionneurs sordides veulent leur casque comme trophée. C’est grâce, entre autres, au travail inlassable de cette femme que ces oiseaux existent toujours.



    En 2004, vous avez laissé tomber la caméra pour créer Bloom. La posture d’observatrice ne vous suffisait-elle plus ?

    J’étais dans mon métier de communication, et ça m’allait très bien… jusqu’à ce que je découvre les grandes profondeurs de l’océan, et l’ampleur de leur destruction, lors d’un documentaire pour France 2. Quand j’ai pris connaissance des menaces qui pesaient sur ces fonds marins, personne ne s’en occupait. Des gens s’occupaient de la préservation de la forêt en Thaïlande, des gibbons en Malaisie, de la savane en Afrique, mais sur les océans profonds, il n’y avait rien. C’est ce qui m’a décidé à me lancer.



    Comment vivez-vous le délitement de cette biodiversité que vous aimez tant ?

    Quand on a une vision de l’ensemble des effondrements de la biodiversité, du climat, de notre projet de société… c’est désespérant. Les scientifiques sont en première ligne : ils enregistrent le déclin de la biodiversité, sonnent l’alarme. Tous ceux que je connais sont angoissés. Ils vivent une sorte de syndrome prétraumatique, lié à leur connaissance de la situation. À l’inverse du stress post-traumatique, propre aux personnes ayant déjà vécu un événement grave, un choc, eux vivent dans l’angoisse de ce qui va advenir.

    Quand j’ai découvert, dans un article scientifique, ce stress prétraumatique, ça m’a fait le même effet que quand j’ai lu Kant pour la première fois. Cette sensation de rencontrer quelque chose qui décrit exactement ton état. À 17 ans, quand j’ai lu les Fondements de la métaphysique des mœurs, je me suis rendue compte que toute ma colonne vertébrale morale avait été théorisée par Kant.

    « Macron a poussé l’exercice du mensonge sémantique tellement loin qu’on ne peut plus le supporter, ça en devient épidermique » - Claire Nouvian pour Reporterre en 2019. © Mathieu Génon/Reporterre

    Qu’est-ce qu’être kantienne ?

    Je vis avec un impératif catégorique sur la vérité. Thomas Porcher dit de moi que je suis rugueuse. Par rapport à des gens de culture latine, avec un rapport plus élastique à la vérité, je suis germaniste, au sens caricatural : je ne rigole pas du tout avec le mensonge.

    Avec l’avènement de la société industrielle et du marketing, on est entré dans l’ère du mensonge permanent et institutionnalisé. Les élites, économiques comme politiques, mentent. Et ceci n’est plus toléré. Les gens recherchent de la sincérité.

    Une société qui est fondée sur le mensonge voit son langage détruit. On ne sait plus ce que les mots veulent dire, puisqu’ils veulent dire l’inverse de ce qu’ils sont supposés signifier. Macron utilise des mots comme « bienveillance » ou « société civile ». Il a poussé l’exercice du mensonge sémantique tellement loin qu’on ne peut plus le supporter, ça en devient épidermique.



    Qu’entendez-vous par « effondrement de notre projet de société » ?

    À la sortie de la guerre, on avait une visée progressiste, mais la croissance des inégalités montre que nous avons eu tout faux. En très peu de temps, on a réussi à faire complètement fausse route.

    Dans Notre mal vient de plus loin, un petit livre sorti juste après les attentats du 13 novembre 2015, Alain Badiou écrit que le rêve d’une narration alternative au libéralisme capitaliste s’est effondré avec la chute du mur de Berlin. Dès lors, une seule possibilité se présentait à nous : un repli sur l’individualisme. L’individualisme est apparu comme la seule valeur sûre : un individu ne va jamais trahir sa propre entité physique. On pourrait donc lui faire confiance pour trouver un équilibre bon pour lui et donc pour tous.

    La destruction de nos idéaux collectifs s’est ainsi accélérée. L’échec du communisme nous a retiré la possibilité d’avoir un rêve alternatif. Il s’agit donc, désormais, de réinventer un autre discours, une autre narration, fondé sur la mutualisation, sur la conscience, sur la valorisation des liens plutôt que des biens, sur la liberté aussi.



    Comment construire cet autre discours ?

    Notre génération peut s’y atteler, parce que nous sommes détachés de l’héritage du communisme. Nos parents étaient socialisés dans ces appareils, le Parti communiste structurait la vie sociale et familiale des ouvriers. Ils ont donc eu une résistance psychologique à faire le bilan du communisme, avec ses côtés sombres. Nous, nous avons fait le bilan, et donc nous pouvons passer à autre chose. Tout réinventer.

    Il n’empêche que, si notre rêve n’est pas communiste, il doit être communautaire au sens large. On doit faire communauté. Parce qu’aujourd’hui, on voit combien l’individualisme est l’un des pires aspects du libéralisme économique hyperfinanciarisé et dérégulé. On voit à quel point le libéralisme est une menace pour la société et pour la planète.



    Ce rêve alternatif, quels en sont les germes aujourd’hui ?

    Il est éparpillé. On a d’un côté la Macronie et tout ce qu’il y a à sa droite. Ce sont des valeurs claires : le libéralisme économique et une croyance en l’entreprise comme vecteur d’emploi et de solutions. On a également le souverainisme populiste, qui prône un repli sur les frontières.

    Entre le libéralisme économique dérégulé et le populisme souverainiste nationaliste, il existe un espace occupé par toute une famille de valeurs… mais qui est éparpillée dans des chapelles qui se font la guerre : les hamonistes avec le PS, le PS qui nous a trahis et qui est en scission profonde…

    Les électeurs ne s’y retrouvent pas, alors que nos valeurs [celles de Place publique] sont claires : on est humanistes, européens, profondément démocrates. On trouve que la démocratie ne va pas assez loin, qu’il faut passer à la VIe République. On sait faire la critique de l’Europe actuelle, une Europe marchande, libérale, opaque, cynique, trustée par des lobbys. Mais on tient à l’Europe, parce que la bonne échelle pour combattre les fléaux du XXIe siècle sera européenne. Et, évidemment, on est écologiste.

    « Les marchands de peur et de haine montent les gens les uns contre les autres, avec toujours plus de succès. Et nos cerveaux répondent très bien à la peur. C’est un réflexe de survie. »

    Que risquons-nous si cette famille de valeurs reste éparpillée ?

    Il ne faut pas sous-estimer la possibilité d’un péril fasciste : l’extrême droite représente 40 % des intentions de vote aux élections européennes. D’après certains sondages, l’extrême droite au « sens strict » serait à 20 %. Mais le Parti populaire européen (PPE, droite) est crédité de 25 %. On pensait que seuls nos grands-parents connaîtraient la guerre… Mais le pire devient possible. Les marchands de peur et de haine montent les gens les uns contre les autres, avec toujours plus de succès. Et nos cerveaux répondent très bien à la peur. C’est un réflexe de survie. Peur de l’autre, peur de l’étranger… ça marche !

    La trahison violente des élites, avec une réalité de l’évasion fiscale qui est à vomir sur un fond de croissance des inégalités constitue le terreau de cette évolution. Il suffisait ensuite à l’extrême droite de laisser monter le rejet des élites, le « dégagisme » des élus, et de mettre là-dessus un discours qui joue pile sur ce qui marche dans le cerveau archaïque de l’homme… et le résultat est là. Se battre contre cela n’est pas simple.



    L’écologie fédère, mais de quelle écologie parlez-vous ? Défendez-vous une écologie anti-capitaliste, anti-productiviste ?

    Au sein de Place publique, nous ne sommes pas contre le capitalisme, au sens familial ou entrepreneurial. L’innovation est une des merveilles de l’esprit humain, si elle est faite avec une contrainte impérieuse d’économie de moyens. Renouveler des gammes d’iPhone en allant chercher des terres rares au fonds des océans, ce n’est pas une innovation compatible avec les limites de la planète. L’écologie doit être une condition sine qua non de toute décision, mesure publique, texte de loi ou initiative. C’est l’impératif catégorique du XXIe siècle.



    Avec l’essayiste Raphaël Glucksmann et l’économiste Thomas Porcher, vous avez fondé en 2018 Place publique. Pourquoi avoir créé une structure politique en plus ?

    On ne se reconnaissait dans aucune des chapelles existantes. On a tous été abordés pour être sur des listes européennes, et on a tous refusé. La politique est un sacerdoce, un sacrifice. Si on se met aujourd’hui en position d’assumer un mandat, c’est vraiment parce que l’heure est grave, qu’il faut qu’on prenne notre part. Il y a péril. La menace fasciste est réelle, la menace écologique est totale. Il faut faire la guerre au libéralisme dérégulé et, en même temps, ne pas laisser cet espace-là à une confrontation entre nationalistes, populistes et libéraux.

    Ce n’est donc pas de gaieté de cœur qu’on se lance dans l’aventure. On a tous des vies très remplies, des projets familiaux. Dans un monde qui irait bien, aucun d’entre nous ne ferait de la politique. Si les politiques remplissaient vraiment leurs missions, en respectant une certaine éthique, on ne ferait pas de politique. Mais ce n’est pas le cas : quand on s’approche des appareils politiques, nous, les citoyens normaux à peu près normalement constitués, on part en courant.

    « C’est tout notre rapport au politique, à l’autre et à nous-même qu’il faut repenser pour devenir des citoyens sympathiques. »

    Pourquoi ?

    C’est la guerre ! Les appareils politiques sont des espaces fratricides. Le philosophe Patrick Viveret considère les partis comme les seuls endroits où l’on est sûr de perdre ses amis. C’est exactement la raison pour laquelle je n’ai jamais voulu rejoindre aucun parti, même s’ils ne sont pas tous logés à la même enseigne. On ne peut pas mettre Europe Écologie - Les Verts (EELV) et ses élus combatifs et ultracohérents, au même niveau que le Parti socialiste (PS), qui a trahi tout le monde. Il n’empêche qu’EELV a aussi ses guerres fratricides. Je suis tellement proche de la politique, depuis tellement longtemps, que je sais pourquoi je n’irai jamais dans ces partis-là.

    Avec Place publique, on a comme ambition de se faire des amis et de les conserver dans le temps. Si on arrive à transformer cette initiative en aventure humaine, on aura une chance de réussir l’aventure politique. Mais on n’est pas à l’abri, nous non plus, d’un échec total. On y va modestement… Si tout le monde s’est planté, pourquoi ne pas essayer ?



    Comment faire de la politique différemment ?

    Les appareils actuels sont condamnés. Il faut inventer des formes politiques complètement nouvelles. Jusqu’à présent, on a été d’une grande immaturité dans notre rapport consumériste à la démocratie. Dès l’instant où l’on a voté, on se dit que c’est à l’élu de représenter nos intérêts, en pensant qu’on peut tourner le dos, s’occuper de notre bien-être plutôt que du collectif. C’est tout notre rapport au politique, à l’autre et à nous-mêmes qu’il faut repenser pour devenir des citoyens sympathiques.

    Au sein de Place publique, on a lancé des consultations citoyennes à partir de lundi 14 janvier, « place aux idées », portant sur du contenu mais aussi sur des modalités. On essaie d’inventer un mouvement qui réinvente les codes de la politique. Cela commence par l’organisation interne : il va falloir apprendre à se parler, à s’écouter, à poser nos désaccords et identifier nos accords. Apprendre à vivre ensemble nous transformera profondément. C’est ça être démocrate.



    N’était-ce pas l’idée de départ de la France insoumise ou de la République en marche ?

    Les partis les moins démocratiques sont la République en marche (LREM) et la France insoumise (FI). LREM a prôné la consultation citoyenne, l’établissement d’un programme à partir des citoyens, mais la méthode Macron a été de créer un écran de fumée épais et efficace entre des discours bien ficelés et une réalité très différente. Depuis, l’écran de fumée s’est dissipé et le réel visage de ce mouvement et de son chef est apparu.

    « Voilà toute l’ambiguïté de la démocratie : pour aller nous battre pour l’intérêt général, nous devons nous faire élire, donc développer un rapport de séduction et une certaine forme de clientélisme. »

    Aujourd’hui, le mouvement écologiste s’incarne davantage dans des associations ou des collectifs que dans des partis. Ne faut-il pas chercher d’autres modes d’action que la politique institutionnelle ?

    Il n’existe pas de modalité d’action plus efficace qu’une autre pour réinventer le monde. C’est la complémentarité de ces outils qui contribue au basculement de nos représentations mentales et donc de la réalité de notre société. Le succès des campagnes de Bloom vient de cette association entre action médiatique, plaidoyer, sensibilisation, recherche scientifique.

    Chaque jour, des centaines d’amendements passent devant des parlements, européen ou nationaux, plus ou moins toxiques pour le collectif, pour la sauvegarde des écosystèmes. Les parlementaires ont un pouvoir énorme. Or, les deux logiques politiques qui ont pris le dessus sont le libéralisme dérégulé et le conservatisme. On ne peut pas laisser faire ça : les deux sont destructeurs des hommes et de la planète. Négliger le pouvoir des politiques publiques et leur laisser ce pouvoir est ultra dangereux.



    Faut-il se battre de l’intérieur ?

    Il faut prendre le pouvoir. Certes, c’est un peu de la schizophrénie. Je ne suis pas une femme de pouvoir, il ne m’intéresse pas. Mais comme il y a un péril majeur, il nous faut prendre ce pouvoir pour le réinventer. Voilà toute l’ambiguïté de la démocratie : pour aller nous battre pour l’intérêt général, nous devons nous faire élire, donc développer un rapport de séduction et une certaine forme de clientélisme. Les modalités de la démocratie induisent une dérive des égos, accentuée notamment dans les médias. On va devoir réinventer tout ça et ce n’est pas gagné.



    Comment conjuguer écologie et justice sociale ?

    Sans justice sociale, aucune politique ne marchera. La Macronie tente, en vain, de faire passer des mesures présentées comme sociales après avoir fait sauter l’impôt sur la fortune, fait passer la Flat Tax et baissé la contribution des entreprises de 33 à 25 %. En commençant le quinquennat ainsi, tous les discours qui viennent ensuite sur la lutte contre la pauvreté sont morts d’avance, inaudibles.

    Grâce au travail de Thomas Piketty, on sait qu’aujourd’hui les fortunes proviennent aux trois quarts du capital qui est transmis, alors que c’était 40 % il y a 50 ans. Le fait de connaître ces chiffres de l’inégalité change notre compréhension du monde. De même que le travail réalisé par le consortium international de journalistes d’investigation sur l’évasion fiscale nous a permis de connaître l’ampleur de la restriction du partage des richesses.

    La justice est la colonne vertébrale de toute communauté. Elle permet de faire société, d’avoir une vision commune. La justice sociale, écologique, climatique, fiscale, économique est un impératif. Pourquoi certains territoires seraient-ils privés de services publics ? Pourquoi investir plusieurs milliards d’euros pour accélérer un TGV sur une ligne déjà ultrarapide et démanteler quotidiennement des lignes secondaires ? Macron s’est présenté comme le rempart contre le Front national. Il a été élu comme tel, mais il a pensé qu’on lui avait donné un mandat ultralibéral pour faire du Margaret Thatcher avec trente ans de retard. Il a tout faux.

    « Le corps social bourgeois me déçoit parce qu’il se regarde le nombril et ne voit pas plus loin que les écoles de commerce de ses enfants, leurs stages dans des banques à New York. »

    Au quotidien, comment mettez-vous en cohérence vos convictions avec vos actes ?

    Il faut à la fois combiner l’exigence et le pardon vis-à-vis de soi-même. Mon exigence est de ne pas être dans un consumérisme débile. C’est une lutte quotidienne avec les enfants, qui reviennent de l’école en ayant envie d’acheter des tas de cochonneries Made in China. Et même si on a les moyens de prendre l’avion à chaque vacances, on ne le fait que rarement. Un beau voyage, une fois de temps en temps. L’exigence climatique se retrouve aussi dans notre hygiène quotidienne, avec une consommation ultramodérée de viande rouge.



    Vous avez notamment grandi à Hong Kong, dans un milieu aisé. Faut-il encore attendre des riches qu’ils cessent de détruire la planète ?

    Il y a un vrai problème avec nos riches, mis en lumière par le scandale de l’évasion fiscale. Mais il faut leur donner de l’espace pour se racheter. Mon appel aux riches, c’est d’être plus généreux, d’être fier de contribuer à un projet social par l’impôt, sans faire des combines infernales avec des niches fiscales.

    Quand on est riche, on a un niveau d’éducation supérieur à la moyenne. Ceci oblige à plus de responsabilité morale, de générosité, de largesse d’esprit. Le corps social bourgeois me déçoit parce qu’il se regarde le nombril et ne voit pas plus loin que les écoles de commerce de ses enfants et leurs stages dans des banques à New York. Avoir le ventre bien rempli ne doit pas empêcher de réfléchir ! C’est impardonnable.



    Vous avez évoqué les enfants, et vous avez vous-même une fille. Comment vivez-vous cette parentalité, à l’heure où l’on parle d’effondrement ?

    Je flippe. Quel monde leur laisse-t-on ? Avoir des enfants oblige à l’action. C’est la plus grande des responsabilités car elle implique de s’assurer qu’on leur laisse un monde vivable. C’est pour être disponible pour ma fille que je ne veux pas de mandat. Si on aime et on structure nos enfants, le monde peut devenir empathique et juste.



    Vous vous donnez énormément. Vos nuits et vos week-ends doivent être très courts. Qu’est-ce qui vous fait tenir ?

    Notre cerveau a le pouvoir de nous transformer. Autrement dit, nous pouvons changer notre vision du monde, notre rapport aux autres, au fur et à mesure des lectures, des rencontres… Et si on peut tout transformer, on peut tout surmonter. C’est fou ! Mais il faut se battre. La clé, c’est la persévérance.

    Propos recueillis par Alexandre-Reza Kokabi et Lorène Lavocat

    Pour lire les autres entretiens de cette série consacrée à celles et ceux qui renouvellent la pensée écologique aujourd’hui, cliquez-ici.

  • La spiritualité ? Quel intérêt ?

    Oui, le titre est provocateur...Disons qu'il répond partiellement à une interrogation qui me poursuit. J'ai bien conscience que le contenu de ce blog a beaucoup changé ces dernières années. Les archives des premières années listent les thèmes liés à la spiritualité, la conscience, l'ego, le mental, le soi, les émotions, la passion, l'amour, la sexualité, les relations humaines, la réalité et le réel, l'illusion, l'intuition, la méditation, le silence,  etc...La liste est longue.

    J'ai beaucoup, beaucoup lu pendant une longue période de ma vie, depuis l'adolescence. J'avais seize ans quand j'ai découvert les écrits de Krishnamurti. Puis ont suivi Swami Prajnanpad, Arnaud et Denise Desjardins, Thoreau, Thomas Merton, Gilles Farcet, Anthony de Mello, Gurdjieff, Ouspensky, Spinoza, Dürckheim, Jung, Joelle Mauraz, René Barbier, Alexandre Jollien, Sri Aurobindo, le Dalaï Lama, Matthieu Ricard, Lovelock, Peter Russel etc... La liste est longue.

    Qu'en est-il aujourd'hui ? Ces lectures ne font plus partie de mon quotidien parce que l'urgence n'est pas là. Peut-être que la quête de spiritualité n'est compatible qu'avec un monde en paix. Peut-être même qu'il n'est pas légitime de chercher à vivre mieux en soi dans une humanité malade. Peut-être qu'il s'agit d'un paravent, d'une fuite, d'un déni de réalité. On pourrait me répondre qu'aucun individu en souffrance n'aurait l'énergie pour prendre en considération que l'urgence de la vie sur Terre est prioritaire, que la quête d'un bonheur personnel est la voie d'accès vers un engagement général.

    Mais pourtant, je ne vais pas bien...Je vis avec une menace physique qui est comme une épée de Damoclès et dont la corde s'effiloche année après année. Les prévisions sont sombres. Je tente de me maintenir en sachant que l'issue est relativement inévitable. Compression de la moelle épinière et développement progressif de la sténose. Depuis trois mois, j'ai des fourmillements dans les doigts, nouvelle étape...

    Ajouté à cela, je m'occupe de mes parents depuis six ans. je suis devenu parent de mes parents, tous les deux victimes d'un AVC. Mon père est aveugle, quasiment sourd, il ne lui reste que très peu de souvenirs. Il me reconnaît encore mais ne se souvient pas d'avoir eu un autre fils, mon frère décédé. Ma mère, pour sa part, est dans un autre monde, totalement décorellée de tout. Elle ne sait pas qui je suis. Ils sont tous les deux en fauteuil roulant. J'ai réussi à leur trouver un EHPAD à quarante km de chez moi. Je les vois partir à petit feu.

    Alors, la spiritualité, la gestion des émotions, de la peur, de la colère, de l'abattement, des alternances entre le bonheur de l'énergie en moi et de la tristesse des limites qui s'accroissent, tout cela j'y travaille, intérieurement.

    Mais bien au-delà de cette démarche personnelle, la situation de la vie sur Terre reste cruciale. Cette problématique majeure occupe toutes mes lectures, tout ce que je visionne. Nul catastrophisme là-dedans mais une recherche lucide. Il est de toute façon impossible de ne pas être un minimum informé tant les medias les plus basiques se font l'écho de la situation. Est-ce que cela a un impact sur les comportements de chacun ? J'en doute fortement. L'ancrage dans le fonctionnement matérialiste est similaire à une dalle de béton armé et des centaines de millions d'individus y ont les pieds figés. Rien de bon à attendre de la part des instances dirigeantes. Elles sont sous l'emprise des financiers et de leurs plans de carrière. Point à la ligne. 

    Il ne reste donc que le renforcement des phénomènes d'ampleur pour que les populations réalisent vers quoi nous allons.

    Et c'est là que je pense que la spiritualité n'a plus la même valeur. Elle reste beaucoup trop centrée sur l'individu lui-même. Et il suffit de voir comment sont considérés les "écologistes" pour imaginer à quel point ils seraient conspués, moqués, ridiculisés s'ils adjoignaient à leur "étiquette" celle de "spiritualité".

    Et c'est pourtant bien la seule spiritualité qui aurait du sens : une spiritualité écologique.

    Si vous avez un moral à toute épreuve, je vous encourage à écouter cette dame :

     

    Claire Nouvian

     

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    Claire Nouvian

    Claire Nouvian en 2018.

    Fonction

    Présidente
    BLOOM

    depuis 2004

    BiographieNaissance

    19 mars 1974

    (49 ans)
    Bordeaux (Gironde, France)

    Nationalité

    française

    Activités

    Productrice de télévision, femme politique, documentariste, écologiste

    Autres informationsParti politique

    Place publique (novembre 2018 - 2019)

    Mouvement

    Écologisme

    Distinctions

    Trophées Femmes en or (2012)
    Chevalier de l'ordre national du Mérite (2013)
    Prix Goldman pour l'environnement (2018)

    modifier - modifier le code - modifier WikidataDocumentation du modèle

    Claire Nouvian est une militante écologiste française, née le 19 mars 1974 à Bordeaux, ancienne journaliste, productrice, réalisatrice de documentaires animaliers et scientifiques. En 2004, elle fonde l'association BLOOM dont elle est la présidente. Elle est l'autrice du livre Abysses et commissaire de l'exposition du même nom.

    En 2018, elle cofonde le parti politique Place publique, avant de le quitter dès l'année suivante.

    Biographie

    Origines et formation

    Claire Nouvian naît le 19 mars 1974 à Bordeaux1. Elle est la petite-fille de Pierre Péricard, maire de Civaux dans la Vienne. Il est à l'instigation de l'installation d'une centrale nucléaire dans sa commune2. Elle affirme avoir hérité d'une part de son tempérament et de ses valeurs intransigeantes, notamment en ce qui concerne la vérité3.[pertinence contestée]

    Dans son enfance, elle voyage en suivant ses parents, son père étant cadre chez Total4. Lors du divorce de ceux-ci, elle suit à Hong Kong sa mère, qui y dirige une entreprise textile. Dans un entretien, elle évoque sa détestation de l'école au cours de son enfance, ses difficultés émotionnelles et son hypersensibilité, liée à une précocité non détectée. À l'âge de 35 ans, elle suit une psychanalyse pendant sept ans3. Polyglotte, elle parle six langues dont le russe3. Elle est diplômée d'histoire de l’université Paris-Sorbonne en France5,6.

    Parcours

    Elle est dans un premier temps journaliste, productrice et réalisatrice dans l’audiovisuel. Elle travaille sur une suite de films pour Télé Images Nature. La visite à l’aquarium de Monterey en Californie, en 2001, et les images des créatures vivant 4 000 m sous la surface de l’océan, constituent pour elle un tournant. Elle se focalise sur la protection des océans et la défense de la faune marine7.

    Elle écrit deux documentaires primés, dont Expeditions dans les Abysses, en suivant une expédition scientifique menée par le chercheur excentrique Craig Smith8. En 2004, Claire Nouvian fonde et devient directrice de BLOOM, association loi de 1901 qui milite pour la protection des écosystèmes marins9.

    En 2006 le livre Abysses, traduit en dix langues, est plusieurs fois primé10. En 2007, elle monte l’exposition du même nom au Muséum national d'histoire naturelle, présentant une grande variété d'animaux abyssaux. L’exposition, dont elle est commissaire, voyage dans plusieurs pays11,12.

    Puis elle devient militante écologiste en s’engageant contre l’exploitation des océans. Elle œuvre à sensibiliser le public et les autorités aux problèmes posés par l’exploitation d’espèces et de milieux marins vulnérables tels que les requins et les océans profonds. Elle est une défenseuse des océans et des équilibres socio-économiques qui en dépendent, notamment de la pêche artisanale, qu'elle juge laissée pour compte des décisions publiques. Son implication, avec un groupe d’ONG, dans le Grenelle de la mer a conduit à des avancées notables pour la conservation du milieu marin, telle que l’engagement de la France de protéger 20 % de son territoire maritime d’ici 202013,14. Elle s’attaque à la pêche électrique et dépose plainte contre les Pays-Bas, qui en sont adeptes pour les poissons des fonds marins15. En janvier 2018, après une forte médiatisation, le Parlement européen bloque la généralisation de cette technique en Europe16.

    Fin octobre 2018, elle participe à la fondation de Place publique, parti politique « citoyen, écologiste et solidaire », avec l'essayiste Raphaël Glucksmann17,18. Elle forme un tandem avec ce dernier pour présenter une liste aux élections européennes de 2019, dans laquelle elle ne se place qu'en position non éligible19. Elle s'engage dès lors dans le combat politique20, tout en refusant de participer à ce qu'elle appelle la lutte « entre les égos surdimensionnés » qui y règne19.

    Invitée le 6 mai 2019 sur le plateau de CNews pour l'émission L'Heure des pros animée par Pascal Praud, Claire Nouvian accuse un discours ambiant de nature « climato-sceptique » de la part de l'animateur et des autres invités. Elle juge « complètement taré » de remettre en cause les conséquences et les causes du réchauffement climatique21, tandis que Pascal Praud déclare que Claire Nouvian donne une image « hystérique » de sa pensée22. Claire Nouvian évoque la « misogynie » du plateau, un « guet-apens de climatosceptiques »23 et dénonce un « négationnisme climatique »24. Le CSA reçoit à la suite de cette émission une centaine de plaintes de la part d'auditeurs pour le traitement qu'il lui a été réservé, sans que soient clairement établies les motivations de ces plaintes25.

    Au début de l'été 2019, elle quitte le comité exécutif de Place publique, et coupe tout contact avec l'organisation26. Après Thomas Porcher, c'est le deuxième départ d'un cofondateur du parti, environ un an après son lancement27. Elle fait part de regrets devant l'échec de cet engagement, qu'elle juge totalement dénaturé au regard de l'idée première qui l'a constitué. Elle dénonce la récupération du mouvement par des politiques professionnels issus du Parti socialiste et déclare que Place publique n'a pas réussi à se garder de vieux procédés pour écarter les contradicteurs internes. Tout en précisant que les députés élus sont « tout à fait corrects », elle constate que les systèmes politiques en général restent inchangés, condamnés à la médiocrité et au clientélisme28,29. Claire Nouvian annonce son renoncement à tout engagement politique s'avouant incompatible avec les « tambouilles politiques » au regard de ses conceptions de l’honnêteté et de l'intégrité. Elle décide toutefois de poursuivre son engagement pour l'environnement au travers de l’association BLOOM30.

    Distinctions

    Claire Nouvian est l'une des six lauréates et lauréats (un par continent) du prix Goldman pour l'environnement 2018, une des plus hautes distinctions dans le domaine environnemental31, pour son combat gagné en 2016 contre le chalutage en eaux profondes dans les eaux de l'Union européenne32.

    En 2013, elle est reçue dans l'Ordre national du Mérite33

    En 2012, elle reçoit le trophée des femmes en or, catégorie « femme en or de l’environnement »34.

     

  • Tous les animaux morts.

    Ce que j'éprouve aujourd'hui lorsque je passe à proximité des rayons de viande ou de conserves animales. Et ça ne m'arrive plus dans les magasins que je connais déjà. Je fais un détour.

     

     

    TOUS, SAUF ELLE.

    CHAPITRE 27

    Laure était descendue au supermarché de la ville. Elle devait se réapprovisionner. Elle voulait manger des fruits. Une envie si forte qu’elle en avait rêvé. Elle ne comprenait pas sa réticence à manger de la viande depuis son réveil. Elle avait refusé les plats de l’hôpital et ne s’était alimentée qu’en fruits et légumes. Elle avait pensé que ça passerait, que les médicaments pendant son coma avaient perturbé ses perceptions puis elle avait fini par accepter l’évidence.
    L’idée de manger un animal lui était devenue insupportable. Elle s’était munie d’un simple panier à roulettes.

    Ses besoins alimentaires n’obéissaient à aucun désir. Juste une nécessité de survie. 
    Lorsqu’elle traversa l’allée des conserves, ses yeux se posèrent sur des boîtes de sardines et de maquereaux.

    Elle en avait mangé souvent, pendant des années, elle en adorait le goût. 
    Elle eut un haut-le-cœur, une douleur dans la poitrine, l’impression d’être enfermée dans des tôles étroites, des noirceurs huilées baignant des cadavres.
    Elle s’échappa du couloir et se dirigea vers le rayon des fruits et légumes. 
    Le rayon boucherie et charcuterie se trouvait sur sa route et c’est en approchant des présentoirs que le malaise s’amplifia au point qu’elle s’arrêta. 

    Un vertige qui l’obligea à fermer les yeux. 

    Une odeur détestable l’enveloppa. Un sirop épais et amer coula dans sa gorge, un étouffoir, un filtre bouché, la suspension involontaire de son souffle. C’est là qu’elle entendit les cris aigus des bêtes et elle en eut si peur qu’elle sursauta en regardant autour d’elle. Le sol était jonché de viscères. Des flaques de sang où trempaient des abats.

    De chaque présentoir à viande ruisselaient des coulées épaisses, des vomis d’entrailles lacérées. Des têtes de veau aux yeux exorbités la fixaient.
    Des groins tranchés de porcs vociférants. Des serpentins d’intestins dégueulant des excréments. Des pyramides de boudins gélifiés couverts de mouches verdâtres, des agneaux agonisants suspendus par leurs pattes, le bruit de la viande martelée, le sursaut des corps électrifiés, les beuglements de terreur, les carotides tranchées et les giclées de sang, les soubresauts de la vie qui s'enfuit.

    Un vacarme de guerre dans son crâne, le chaos des massacres.

    Elle étouffait sous le poids du charnier, elle se noyait dans les biles déversées.

    Elle sentit ses jambes se dérober et elle dut s’appuyer au montant d’une étagère.
    Le souffle haletant, le cœur aux abois. Elle recula en s’interdisant de hurler. 
    Elle ne comprenait pas sa solitude. Plus aucun client, plus aucune activité humaine.

    Juste ces monceaux de cadavres et les tressaillements des mourants.


    Elle recula encore, anéantie par le dégoût. Elle chercha une issue.

    Elle devina alors au bout d’une allée interminable un espace lumineux, la sortie d’un tunnel. Elle s’efforça de respirer calmement et n’y parvint pas. De chaque côté des parois circulaires, les yeux globuleux des animaux morts la fixaient. Elle devait sortir, au plus vite, s’enfuir, s’éloigner de ce charnier, ne plus jamais y revenir.


    Elle en mourrait.

    Elle se lança dans une course folle, paniquée, elle sentit les pattes des cadavres qui tentaient de la retenir, s’accrochaient à ses vêtements, des poids morts qui la ralentissaient, elle courait dans une glu sanglante, écrasant des viscères, elle entendait les plaintes, comme des prières, des gémissements qui la poursuivirent jusqu’à la lumière du jour.

  • Importation d'abeilles.

    Regardez les dates de ces deux articles...J'ai cherché des informations plus récentes sans rien trouver. Non pas que la situation se soit améliorée, c'est fortement improbable. Quand je lis que des abeilles sont importées depuis l'Australie par avion, comment pourrait-on suggérer que ça s'améliore ?

     

    Biodiversité

    Les abeilles menacées par la production d'amandes en Californie

     

    https://www.sciencesetavenir.fr/animaux/biodiversite/les-abeilles-menacees-par-la-production-d-amandes-en-californie_105277

     

    Par Morgane Le Poaizard le 04.10.2016 à 09h00, mis à jour le 04.10.2016 à 09h00 Lecture 4 min.

    Depuis 2007, la production d’amandes, qui a explosé en Californie, requiert un nombre toujours plus important de pollinisateurs. Un rythme que les abeilles états-uniennes ne peuvent tenir.

    abeille et fleur d'amandier

    Les abeilles fertilisent les amandiers en Californie.

    © Vaclav Salek/AP/SIPA

    BOUM. Pour le meeting annuel de la Société américaine de géologie le 27 septembre 2016, Kelly Watson, professeur assistant de géosciences à l’Eastern Kentucky University et son étudiante Larissa Watkins, ont présenté les résultats de leur étude d’imagerie aérienne réalisée grâce au Programme National d’Imagerie de l’Agriculture (NAIP), en Californie. Entre 2007 et 2015, elles ont observé la superficie des terrains cultivés et se sont particulièrement penchées sur la culture d’amandes. La production de ce produit a connu un véritable boum depuis 2007 à cause d’une forte demande et d’une montée du prix des amandes. Or cette effervescence a des conséquences sur les abeilles pollinisatrices puisqu’elles sont importées chaque année dans la Central Valley pour féconder les fleurs d’amandiers.

    Un marché florissant aux conséquences redoutables

    Selon les auteurs, la consommation mondiale d’amandes a haussé de 200% depuis 2005 et les prix ont augmenté d’1 dollar par livre (soit 0,45 kg) pour atteindre un pic de 5 dollars la livre en 2014. Or la Californie répond à 80% de la demande mondiale d’amandes. Le boum de la production d’amandes est particulièrement visible sur les imageries aérienne : l’étude révèle qu’entre 2007 et 2014, la superficie des terrains d’amandiers a augmenté de 14%, or ces cultures ont pris la place de champs de maïs, de coton ou de tomates. Ces derniers utilisaient moins d’eau que les amandiers, ce qui a provoqué une augmentation annuelle de l’irrigation globale de 27% entre 2007 et 2014, malgré la sécheresse historique que connaît l’état. « Si vous regardez les terrains exploités, plus de 16.000 ont été classés comme terrains humides pour les amandes », s’alarme le professeur Watson.

    70% de nos abeilles apprivoisées aux USA vont polliniser les amandes en Californie."

    « La prochaine chose que nous voulons pointer du doigt est ce que signifie l’augmentation de la culture d’amandes pour la demande de pollinisateurs », explique Watson. Les fleurs d’amandiers californiens sont presque toutes auto-incompatibles (elles ne peuvent pas se féconder toutes seules), elles ont donc besoin d’insectes pollinisateurs pour produire des amandes. La culture d’amandes est par conséquent dépendante de la pollinisation par les abeilles domestiques. Or la Californie ne possèdent pas assez d’abeilles, et les Etats-Unis encore moins. Alors comment permettre aux cultures de se développer ? Les apiculteurs semblent avoir trouvé un moyen de répondre à cette demande : ils louent leurs abeilles aux agriculteurs à travers tous les états. Ainsi 60% des abeilles "commerciales", soit 1.6 million de colonies d’abeilles états-uniennes, sont importées en Californie chaque année. Les Apis mellifera, abeilles domestiques européennes, visitent plus de 800.000 parcelles chaque année, de Sacramento à Los Angeles. Leur circuit débute en février avec les amandes californiennes pour finir en hiver en Floride avec le poivre brésilien.

    Les abeilles sont transportées aux quatre coins du pays pour polliniser les cultures. © Dooley John / SIPA

    DÉTRESSE. Le transport de ces insectes leur cause énormément de stress et les pics de chaleur affectent les reines. Les abeilles se restreignent à un régime de nectar d’amandiers au lieu de se délecter d’un mélange de fleurs aux protéines diverses. Elles sont potentiellement exposées aux pesticides, aux nuisibles, aux fongicides et autres produits chimiques qui affaiblissent leur système immunitaire. Les pollinisateurs deviennent les hôtes de virus qui les font voler plus lentement, agir de façon insensée ou mourir prématurément. « Si vous cherchez ce qui cause le déclin des abeilles, l’agriculture industrielle tient certainement un rôle majeur. » affirme Watson.

    Certains cultivateurs tentent de trouver des alternatives à la pollinisation. Une espèce d’amandier, l’Independance, éviterait tous ces transports d’abeilles à travers les états. Il s’agit d’un croisement d’amandier et de pêcher auto-fertile, vendu exclusivement par Dave Wilson Nursery, le laboratoire qui a développé l'espèce. Mais qu’en est-il du rendement et de la qualité du fruit obtenu ?

     

     

    https://www.lesechos.fr/2011/04/la-californie-malade-de-ses-abeilles-1089619

    Publié le 14 avr. 2011 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

    Pour la première fois, une enquête scientifique, portant sur tout le territoire américain, démontre l'inquiétant déclin des abeilles pollinisatrices. Un enjeu crucial pour les cultivateurs d'amandes californiens, gros exportateurs.

    La période de pollinisation des amandiers vient tout juste de se terminer et la Californie s'inquiète pour ses abeilles.

    Il faut dire que, ici, l'enjeu est de taille. Depuis cinq ans, le Golden State investit massivement dans les amandiers, après avoir volontairement abandonné ou négligé plusieurs autres cultures agricoles traditionnelles - fruits et légumes, notamment -, devenues moins rentables à cause de l'augmentation du coût des fertilisants. Avec plus de 320.000 hectares de vergers d'amandiers plantés dans tout l'Etat, la Californie produit 80 % du marché mondial. Désormais, les amandes représentent la principale exportation agricole californienne, devant le vin et les fruits et légumes. Paradoxe économique, une part croissante de sa production va désormais vers la... Chine. Depuis peu, les Californiens embauchent même des acteurs vedettes de l'empire du Milieu pour vanter les mérites de l'amande locale.

    Mais si cette industrie ne connaît pas la crise, surfant sur un marché loin d'être saturé - surtout en Asie -, un danger menace néanmoins les 6.000 cultivateurs de la région. La récolte dépend en effet de millions d'abeilles pour la pollinisation des amandiers. Sans elles, pas de fertilisation. Or les producteurs californiens ne trouvent plus assez d'insectes sur place pour polliniser leurs centaines de milliers d'hectares. A tel point qu'ils louent désormais des abeilles en dehors des Etats-Unis (certaines viennent maintenant d'Australie) pendant la période de fertilisation. Et cela leur coûte de plus en plus cher...

    Un phénomène mondial
    Au-delà de l'aspect purement financier, les difficultés rencontrées par les producteurs locaux illustrent un phénomène mondial, de plus en plus inquiétant. « Si le nombre d'abeilles continue de diminuer en Californie, c'est l'ensemble de cette filière qui est menacée, car elle dépendra des réserves d'abeilles disponibles dans d'autres pays, or il est bien possible que la population des abeilles soit globalement en train de diminuer dans le monde », explique le docteur Sydney Cameron, entomologiste à l'université Urbana Champain de l'Illinois.

    Cette scientifique sait de quoi elle parle. Spécialisée dans l'étude des abeilles, elle vient de rendre publique une enquête qui, pour la première fois, a étudié sur l'ensemble du territoire américain les raisons pour lesquelles le nombre des abeilles est en train de diminuer outre-Atlantique. Publiée dans la revue de l'Académie nationale des sciences, cette étude tire un véritable signal d'alarme. « Nous n'avons étudié en profondeur que huit des cinquante espèces de bourdons vivant aux Etats-Unis, mais la moitié d'entre eux sont sérieusement en danger », assure-t-elle. Dans certains cas, la presque totalité d'une race d'abeilles a disparu, le nombre des autres ayant diminué de 23 à 87 % ! L'étude a duré trois ans, sur plus de 400 sites répartis sur l'ensemble du pays, en constituant des bases de données sur des dizaines de milliers de ruches et en les comparant, quand c'était possible, à des statistiques plus anciennes.

    Les conséquences de la disparition éventuelle des bourdons seraient considérables. Si cette race d'abeilles est celle qui produit du miel, son rôle primordial est la pollinisation des fleurs et - plus important encore pour l'espèce humaine -celle d'une grande majorité de fruits et de légumes. Sans ces abeilles qui assurent la reproduction des végétaux, c'est la disparition assurée d'au moins la moitié des aliments d'origine végétale qui composent notre assiette. L'enjeu avait été perçu par Albert Einstein lui-même, assurant que « si l'abeille venait à disparaître, l'humanité ne pourrait lui survivre que quelques années ».

    Car c'est tout l'écosystème de la planète qui serait alors menacé. Les forêts tropicales, la végétation de nombreuses régions côtières, toutes les fleurs sauvages, même les plantes de régions désertiques seraient en danger s'il n'y avait plus d'abeilles pour assurer cette pollinisation, assure Sydney Cameron.

    L'inquiétude n'est pas nouvelle. Les premières diminutions d'abeilles observées en Amérique remontent au début des années 1990. Mais c'est la première fois qu'une étude réellement scientifique vient la confirmer dans les faits. « Le problème est que, comme c'est la première fois que nous réalisons une étude si globale aux Etats-Unis, nous manquons d'éléments pour savoir si ce phénomène est ancien ou pas. Si c'est seulement le début, c'est particulièrement inquiétant, car le phénomène de diminution que nous avons observé est particulièrement rapide », poursuit la scientifique.

    Pour l'équipe du docteur Cameron, il ne fait guère de doute que la diminution significative des abeilles pollinisatrices s'accompagne d'une baisse des abeilles sauvages. Mais, pour l'instant, on ne sait pas quelles sont les espèces les plus menacées, ni dans quelles proportions. D'autres études ont donc été lancées, aux Etats-Unis mais aussi ailleurs dans le monde, depuis 2007. Leurs résultats devraient être connus prochainement.

    En attendant de savoir « combien » d'insectes ont disparu, on peut déjà parler des causes de leur disparition. Parmi les raisons avancées dans l'enquête américaine, celles liées à l'activité humaine sont évidemment placées en première ligne. Si l'emploi de pesticides dans l'agriculture est à l'évidence néfaste, il y a bien d'autres facteurs. Par exemple la monoculture intensive (en particulier de cultures qui n'ont pas besoin de pollinisation) réduit sensiblement la biodiversité, donc la végétation sauvage dont les abeilles ont besoin pour se reproduire et vivre dans un environnement qui leur convient. Sydney Cameron n'écarte pas non plus le réchauffement climatique comme facteur aggravant, même si là non plus aucune étude scientifique n'a encore fourni de conclusions incontestables. Le résultat cumulé de ces facteurs se traduit par ce que les scientifiques appellent le « colony collapse disorder », qui voit les abeilles quitter leur nid, pour ne jamais y revenir. « Le problème avec la diminution rapide du nombre des abeilles c'est qu'il y a un effet de seuil, au-delà duquel on ne pourra plus rien faire. Et l'on ne sait pas si l'on en est proche ou pas », résume la spécialiste. Quoi qu'il en soit, certains scientifiques américains estiment que la situation empire. « La situation s'est aggravée ces quatre dernières années », assure Jeff Pettis, directeur du Bee Research Laboratory, au ministère américain de l'Agriculture.

    Engouement citoyen
    En Californie, en tout cas, on n'attend pas le résultat de nouvelles études sur le sujet pour se mobiliser. Et les initiatives en tout genre se multiplient. Par exemple celle du docteur Gretchen LeBuhn, spécialiste des abeilles au département de biologie à la San Francisco State University. Il y a presque deux ans maintenant, elle a lancé le Great Sunflower Project (GSP), dont l'ambition est de constituer un outil scientifique d'observation en mobilisant la population. N'importe qui peut donc devenir membre de ce projet en acceptant des graines d'une variété spéciale de tournesol, envoyées par les responsables du GSP. Il faut alors observer le manège des abeilles autour de cette fleur (choisie parce qu'elle attire particulièrement les abeilles pollinisatrices) pendant au moins quinze minutes, plusieurs fois par semaine. « D'un point de vue scientifique, ce que l'on cherche à faire, c'est d'obtenir la carte la plus complète possible des Etats-Unis pour savoir où fonctionne la pollinisation et où elle ne fonctionne pas, ou mal », explique Gretchen LeBuhn. Aujourd'hui, plus de 100.000 personnes ont accepté de planter des tournesols dans leur jardin, y compris en zone urbaine ou suburbaine, dont une majorité se trouvent en Californie. « Les données que nous avons recueillies nous permettent maintenant de disposer d'éléments pour savoir, par exemple, si les abeilles sont sensibles à un type d'urbanisation ou à la densité de la population. On peut aussi relier ces informations aux facteurs environnementaux pour déterminer quels liens il peut y avoir. » Les données sont également suffisamment nombreuses pour identifier les endroits où la recolonisation est la plus nécessaire et ces endroits font donc l'objet d'incitations plus fortes pour trouver des volontaires.

    Maintenant qu'il a prouvé qu'il pouvait susciter un réel engouement citoyen, le Great Sunflower Project aimerait se donner une dimension réellement planétaire. « Il ne faut pas s'y tromper, confirme en effet Gretchen LeBuhn, la majorité de ceux qui acceptent de participer au projet suit également nos conseils pour améliorer la survie de cette espèce. Notamment en ce qui concerne l'amélioration de leur environnement d'habitation, afin qu'elles puissent mieux se reproduire. » High-tech oblige dans le Golden State, l'initiative est relayée sur les réseaux sociaux, notamment sur Flickr, où les participants échangent des photos de leurs jardins pollinisateurs pour obtenir en retour des conseils d'autres membres du projet.

    Certaines entreprises industrielles californiennes sont également très actives pour aider à résoudre le problème des abeilles. C'est le cas du glacier Häagen-Dazs, installé au nord de la Silicon Valley, sensibilisé au problème, puisque 40 % des ingrédients qui composent ses parfums ont besoin d'abeilles pollinisatrices. Depuis deux ans, le groupe finance des programmes de recherche universitaire. Il a même fait installer un immense jardin, sur le campus Davis de l'université de Californie, composé de fleurs qui attirent les abeilles afin de mieux les étudier. Plus original, l'entreprise encourage, sur son site Web, les internautes à exploiter eux-mêmes des jardins susceptibles de plaire aux abeilles. Elle assure également reverser la totalité du chiffre d'affaires généré par son magasin virtuel HelpTheHoneyBees.com aux recherches scientifiques, ainsi qu'une partie des revenus générés par sa glace au miel d'abeilles. Sponsor du Pollinator Partnership (une association à but non lucratif de San Francisco, créée il y a quinze ans pour protéger tous les animaux pollinisateurs), Häagen-Dazs joue même un rôle de lobbyiste à Washington sur ce sujet, en réunissant régulièrement des parlementaires pour les pousser à agir.

    Le Congrès sensibilisé
    Pour quel résultat ? Le Congrès semble désormais prendre très au sérieux l'alarmante diminution du nombre des abeilles américaines. Un comité, formé d'élus républicains et démocrates, s'est ainsi formé l'année dernière. Il s'est fixé pour objectif d'attribuer un financement important pour réaliser de nouvelles recherches sur les causes de la mortalité des abeilles et tenter d'y remédier. Plusieurs dizaines de millions de dollars devraient ainsi être débloqués dans la prochaine « Farm Bill », qui sera votée en 2012. « Pour l'instant, nous ne connaissons même pas l'état exact de la situation, reconnaît Laurie Adams, directrice du Pollinator Partnership. Nous espérons que ces financements permettront enfin de dresser un véritable état des lieux et ensuite pouvoir agir. »

    Michel Ktitareff, À PALO ALTO

  • Une alerte de plus : le phosphore

    Une situation qui concerne encore une fois le milieu agricole : dépendance à une ressource exportée, détérioration de la biodiversité, gaspillage, régime alimentaire carné... De la nécessité de revoir le système agricole intensif...

     

    Phosphore : faut-il craindre une pénurie ?

     

    Par Sophie Gosselin et David Gé Bartoli , publié le 10 janvier 2022

    https://www.socialter.fr/article/le-phosphore-de-l-or-pour-un-tas-de-fumier

    Élément indispensable à toute vie mais pouvant avoir des conséquences désastreuses sur les écosystèmes, le phosphore a participé à l’essor de l’agriculture industrielle de l’après-guerre en étant utilisé massivement dans les engrais de synthèse. Alors que la demande mondiale en roches phosphatées n’a jamais été aussi forte, les craintes sur le caractère plus ou moins durable de cette ressource amènent à reconsidérer les usages que nous en faisons.

    Les lecteurs versés dans la science-­fiction le connaissent principalement comme l’inventeur des trois lois de la robotique ou de la « psychohistoire », concept au cœur de la saga Fondation, actuellement adaptée en série par Apple TV+. Mais Isaac Asimov, accessoirement docteur en biochimie, a également fait de la vulgarisation scientifique son terrain de jeu littéraire. Dans un essai publié en 1959, l’écrivain américain souligne l’importance du « P » figurant sur la droite du tableau de Mendeleïev. Ce « P », la lettre symbolisant le phosphore, n’est rien moins que le « goulot d’étranglement de la vie ». Supprimez-le et le moindre être vivant aura toutes les peines du monde à exister sur notre planète. « Nous pouvons remplacer le charbon par l’énergie nucléaire, le bois par le plastique, la viande par la levure et la solitude par l’amitié. Pour le phosphore, il n’y a ni substitut ni remplaçant », insiste Isaac Asimov.

    Des animaux à la moindre molécule d’ADN en passant par les enzymes et les parois de bactéries cellulaires, il y a donc du phosphore partout dans la nature, mais seulement sous une forme oxydée (phosphate). Le phosphore compte pour environ 1 % de la masse corporelle d’un humain, l’essentiel se nichant dans nos tissus osseux et nos dents. « Peu importe ce que nous mangeons, cette nourriture provient plus ou moins directement des plantes et les plantes croissent grâce au phosphore », ajoute Stuart White, directeur de l’Institut des futurs durables à l’université de technologie de Sydney. Pour stimuler cette croissance et leurs rendements, les agriculteurs enrichissent leurs sols en phosphore avec des fertilisants pouvant également contenir de l’azote (N) et du potassium (K), autres nutriments essentiels. Cette ubiquité apparente ne doit pas occulter le fait que le stock de phosphore disponible sur Terre n’est pas illimité mais fini, ce qui confère à cette ressource un caractère d’autant plus précieux.

    Le raté en or d’un alchimiste

    Quand il fait par hasard la découverte de cet élément vers 1669, à Hambourg, Hennig Brandt est en quête d’un bien encore plus précieux : la pierre philosophale, censée transformer n’importe quel métal en or. Une nuit, l’alchimiste allemand pense être parvenu à ses fins après avoir distillé de l’urine humaine. La forme solide résultant de cette expérience intrigue Brandt par la lumière vert pâle qui en émane. C’est du phosphore. Passé à la postérité, Brandt était-il vraiment le premier à mettre au jour l’élément ? Dans son stimulant livre retraçant l’histoire du phosphore, John Emsley remarque qu’il était peut-être déjà connu des Romains dans l’Antiquité et que le secret de sa fabrication a pu se perdre avec le temps. Avec son caractère hautement inflammable, surtout sous sa forme blanche, particulièrement instable, le phosphore va hériter du surnom peu flatteur d’« élément du diable ». Le phosphore blanc sert par exemple aux bombes incendiaires qui s’abattent sur plusieurs villes allemandes ciblées par les Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale dont Hambourg, là-même où Brandt fit sa grande découverte près de trois siècles plus tôt.

    Des millénaires avant de l’exploiter pour semer la mort, l’humanité a tiré parti du phosphore pour cultiver le vivant, quand bien même elle ignorait tout de l’identité du bienfaiteur. D’abord grâce au feu et aux cendres contenant du phosphore utilisable par les plantes, puis en recouvrant les champs d’excréments animaux ou humains. Comme le mettra en évidence l’expérience de Brandt, les déchets produits par notre corps recèlent de ce « P » si convoité. Les paysans chinois en avaient déjà conscience il y a des milliers d’années de cela. « Grâce à l’engrais humain, la terre en Chine est encore aussi jeune qu’au temps d’Abraham », observe Victor Hugo dans le chapitre « La terre appauvrie par la mer » des Misérables,où l’écrivain se lamente de voir cet « or fumier […] balayé à l’abîme » à Paris et en France. C’est qu’au XIXe siècle, l’urbanisation commence à priver les paysans d’un fertilisant humain échouant désormais dans les cours d’eau. Dès lors, où trouver le phosphore ? Une première piste mène aux zones d’accumulation de guano, comme les îles Chincha, au Pérou, ou Nauru, autre bout de terre du Pacifique, au siècle suivant. Depuis, le stock s’est épuisé à Nauru et l’île, dont le PIB par habitant est le plus élevé du monde dans les années 1990, est maintenant exsangue.

    Des ressources inégalement réparties

    Au XXe siècle et jusqu’à nos jours, l’écrasante majorité du phosphate est tirée de l’extraction minière. « Tel qu’il est exploité aujourd’hui, le phosphore est une ressource fossile, comme les hydrocarbures, explique Fabien Esculier, chercheur au Laboratoire eau environnement et systèmes urbains (Leesu) à l’École des Ponts Paris Tech. Des conditions géologiques ont favorisé la sédimentation d’organismes et cela a créé au bout de plusieurs millions d’années une couche très riche en phosphore. » Les zones avec de fortes concentrations sont loin d’être également réparties sur la surface du globe. Pour la plupart, elles se trouvent en Afrique du Nord, en Chine, aux États-Unis, en Russie. Selon le dernier rapport annuel de l’Institut d’études géologiques américain (USGS), les seules réserves en roches phosphatées du Maroc et du Sahara occidental s’élèveraient à 50 milliards de tonnes, soit 70 % du total mondial. Durant la seconde moitié du XXe siècle, la production de ces roches a été multipliée par six et, en 2020, elle a atteint 223 millions de tonnes, dont 90 millions rien qu’en Chine.

    « Une partie de ce phosphore est utilisée comme détergent et une autre comme additif chimique pour la nourriture, mais 80 % du phosphore extrait est utilisé pour les fertilisants chimiques », souligne Bruno Ringeval, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) de Bordeaux. Ces engrais de synthèse, employés en masse, ont contribué à façonner l’agriculture moderne post-Seconde Guerre mondiale... et ses excès. En France et dans d’autres pays industrialisés, leur utilisation a atteint son pic dans les années 1970-1980 avant d’accuser une baisse. Julien Némery, chercheur à l’Institut des géo­sciences de l’environnement (IGE) de Grenoble, en détaille l’une des raisons : « Pendant longtemps, l’idée reçue dans le monde agricole était que plus on mettait de fertilisants, plus on produisait. Après des décennies d’essais, l’Inrae a montré que cette idée était fausse. Il n’y a pas besoin de mettre cinq fois plus d’engrais que nécessaire pour avoir un rendement cinq fois plus élevé. »

    L’autre raison expliquant cette diminution est la prise de conscience des problèmes environnementaux provoqués par le recours immodéré aux engrais phosphatés. Si les sols peuvent stocker une partie du surplus de phosphore, une autre partie terminera sa course dans les cours d’eau, du fait de l’érosion et du lessivage des sols par la pluie. En se cumulant avec le phosphore contenu dans les rejets d’eaux usées peu ou non traitées, ce surplus accentue les phénomènes d’eutrophisation, avec prolifération des algues vertes à la clé. Mais cette perturbation du cycle du phosphore peut avoir des conséquences bien plus graves, comme une désoxygénation des écosystèmes aquatiques et océaniques, fatale pour la vie marine. « Des événements anoxiques [épuisement d’un milieu aquatique en dioxygène, ndlr] ont déjà lieu dans de nombreux endroits, par exemple en mer Baltique. Une partie des scientifiques n’exclut pas des changements profonds des équilibres biogéochimiques des grands cycles marins menant potentiellement à des anoxies plus fortes », alerte Fabien Esculier. Le risque de voir ces phénomènes se multiplier est encore plus élevé en Chine, en Asie du Sud-Est ou en Amérique du Sud, où la demande en engrais phosphatés a explosé. Cette soif s’explique notamment par une montée en puissance de l’agriculture intensive dans ces régions, ainsi que la part de plus en plus grande occupée dans les régimes alimentaires locaux par les produits d’origine animale qui, rappelle Stuart White, « requièrent cinq à dix fois plus de phosphore que leur équivalent végétal ayant les mêmes caractéristiques nutritionnelles ».

    Le pic à l’horizon ?

    Avec toujours plus d’êtres humains à nourrir sur notre planète (près de 10 milliards en 2050 selon les projections démographiques de l’ONU établies il y a deux ans), autre facteur faisant grimper la demande en phosphore, une pénurie est-elle à prévoir ? Déjà, dans un message datant de mai 1938, c’est en président inquiet que Franklin Roosevelt demandait aux élus du Congrès de se pencher sur les ressources en phosphore des États-Unis pour assurer « des approvisionnements continus et suffisants […] au prix le plus bas ». Le sujet suscite toutefois un intérêt croissant depuis une dizaine d’années et les travaux menés par Dana Cordell et Stuart White. Dans un article publié en 2009, les deux chercheurs australiens ont situé le pic de production mondiale du phosphore dans un futur très proche, aux alentours de 2030. « Quand nous avons mené ces travaux, nous nous sommes basés sur les informations alors disponibles, souligne Stuart White. Peu après, le Centre international de développement des engrais (IFDC) a corrigé les chiffres des réserves, avec une réévaluation à la hausse vertigineuse pour le Maroc et le Sahara occidental. » Même après avoir refait ses calculs, le duo est parvenu à la conclusion que le pic sera passé au cours du XXIe siècle. Pour l’IFDC, qui n’intègre pas de hausse de la demande en phosphore dans ses estimations, les réserves sont amplement suffisantes pour plusieurs centaines d’années. « Il n’y a pas de pénurie imminente de roches phosphatées », assure pour sa part l’Institut d’études géologiques américain dans son dernier rapport.

    Indépendance et changement de régime

    Au-delà de ces résultats divergents, Bruno Ringeval souligne la difficulté de l’exercice sans une connaissance approfondie de la nature du phosphore disponible. « Il y a des réserves dont la qualité est plus faible, où l’extraction est plus compliquée et plus chère », précise-t-il. Sans parler des considérations géostratégiques compliquant l’accès à la ressource : « Même le phosphore existant peut ne pas être disponible parce que le pays le produisant ne veut pas l’exporter ou augmente ses prix. » En septembre dernier, la Chine a par exemple décidé de geler toutes ses exportations de phosphate au moins jusqu’en juin 2022, contribuant à une hausse du prix des engrais chimiques depuis le début d’année. À plus long terme, l’exploitation des immenses réserves de phosphate au Sahara occidental pose également question. Ce territoire, au statut juridique indéterminé pour l’ONU, est au cœur des tensions entre le Maroc, qui en contrôle effectivement la majeure partie, et l’Algérie, soutien du Front Polisario qui revendique l’indépendance du Sahara occidental.

    Même en écartant l’hypothèse de la pénurie, devenir de moins en moins dépendant de l’extraction de roches phosphatées est donc crucial pour les régions ne disposant pas de mines, comme la France et les autres membres de l’Union européenne (UE). En 2014, l’UE a ainsi placé les roches phosphatées comme matière première critique pour son approvisionnement. Quelles seraient les alternatives ? Pour Fabien Esculier, la première des priorités est d’avoir une « logique de sobriété dans les usages », et donc de réduire la quantité de phosphore consommée. « Dans les sociétés occidentales, les habitants mangent beaucoup plus de phosphore que ce dont ils ont besoin, explique le chercheur. En France, le régime alimentaire comprend globalement deux tiers de protéines d’origine animale et un tiers d’origine végétale. Inverser ces proportions aurait un impact très fort sur les produits phosphorés. »

    L’autre enjeu est celui d’avoir un cycle du phosphore plus vertueux, effectuant plusieurs boucles et non une seule ligne droite aboutissant au fond des océans. Le principal levier pour y parvenir, c’est un recyclage accru des excrétions animales ou humaines. Pour les secondes, outre la récupération des boues d’épuration où le phosphore est précipité, cela peut passer par une séparation à la source de l’urine et des matières fécales. « En France, il y a toujours eu des voix pour dire qu’il faut retourner les excréments au sol, note Fabien Esculier, qui a consacré une thèse à ce sujet. Elles ont juste été très peu audibles et marginalisées après la Seconde Guerre mondiale. » Ce retour aux pratiques les plus classiques de l’humanité pour valoriser davantage encore notre « or fumier » sonnerait comme une belle revanche pour Victor Hugo, qui écrivait également ceci dans Les Misérables : « Vous êtes maîtres de perdre cette richesse, et de me trouver ridicule par-dessus le marché. Ce sera là le chef-d’œuvre de votre ignorance. » 

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  • Maisons d’édition écolos

     

     

    ReportageCulture

    Ces maisons d’édition écolos qui bousculent les codes

     

    https://reporterre.net/Ces-maisons-d-edition-bousculent-les-codes-pour-faire-du-bien-a-la-planete?

     

    Ces maisons d'édition écolos qui bousculent les codes

    Relocalisation de l’impression, encres végétales, impression à l’unité... Certaines maisons d’édition françaises tentent, à leur échelle, de proposer une industrie du livre plus écolo.

    Cournon-d’Auvergne (Puy-de-Dôme), reportage

    À Cournon-d’Auvergne, Hervé Meiffren attend devant la médiathèque qui se trouve à côté de chez lui, deux petits cartons sous les bras. « C’est un tiers de notre stock », dit-il, amusé. En fin d’année 2023, cet ancien commercial s’est lancé dans l’aventure de l’édition avec son fils de 26 ans, Yoann Meiffren. Ensemble, ils ont monté Cornaline, une maison d’édition, autour d’un engagement pour l’environnement et d’un principe fort : « Pas de livres au pilon. »

    13 % de la production de livres a été détruite en 2021-2022, selon le dernier rapport du Syndicat national de l’édition. Cela représenterait plus de 60 millions d’ouvrages qui sont ensuite pour la majorité recyclés en carton d’emballage ou en papier hygiénique.

    « On ne se retrouvait pas dans la manière de faire actuelle, surtout au niveau de la surproduction », raconte Hervé. C’est pour cela que leur première publication, La Connerie humaine, n’a été tirée qu’à 600 exemplaires. « Six petits cartons ! » dit l’autoentrepreneur, qui garde ce maigre stock chez lui. Un engagement qui peut s’avérer parfois difficile à tenir face à l’industrie de l’impression qui baisse le prix pour plus de tirages. « On m’en a proposé 1 200 pour moins cher, mais ce n’était pas notre mentalité, j’ai refusé. »

    Les éditions Cornaline ne réalisent que de petits tirages qui tiennent dans quelques petites boîtes en carton. © Clément Moussière / Reporterre

    « Vous pensez vraiment que les clients ne peuvent pas attendre 2 ou 3 semaines pour avoir un bouquin ? » dit Hervé Meiffren, agacé et le regard posé sur La Connerie humaine, une BD d’humour satirique. C’est aussi la réflexion de Christophe Lahondès, fondateur du groupe d’édition nîmois Nombre 7, qui imprime ses ouvrages à l’unité, à la demande. « Ça me semble être du bon sens, je ne vais pas faire couper des arbres pour que [les livres] restent dans des cartons et finissent à la poubelle. »

    Papier recyclé, encre végétale...

    Chaque année, 1 livre sur 5 est renvoyé chez son éditeur par le libraire. Pour éviter cela, Cornaline refuse les retours. Et ce, quoiqu’il en coûte. « On nous a déjà refusé une séance de dédicaces parce qu’on ne reprend pas les bouquins. » L’apprenti éditeur lève les yeux au ciel. Mais quand retour il y a, des alternatives au pilon existent.

    Sandrine Roudaut, qui a fondé La Mer salée, une maison d’édition située près de Nantes (Loire-Atlantique), préfère en faire don à des publics dits « sensibles ». Pour elle, « il faut surtout faire de la pédagogie auprès des libraires et des lecteurs sur la qualité des livres, car, parfois, on nous renvoie des ouvrages à peine cornés ».

    Elle n’est pas seule à porter cette réflexion. À La Cabane bleue, une maison d’édition jeunesse régulièrement citée comme exemple pour ses agissements environnementaux, Angela Léry s’interroge : « N’est-ce pas superflu de vouloir un objet parfait ? » Comme La Mer salée, sa maison d’édition a supprimé le pelliculage en plastique qui recouvre la plupart des couvertures. « Il est utilisé pour que le livre brille et ne s’abîme pas, mais c’est une question d’éducation, affirme Angela Léry. Nos livres parlent de la beauté de la nature, ça nous guide dans nos engagements. »

    La transparence sur les pratiques de La Mer salée est une des valeurs fondamentales de la maison d’édition. © Clément Moussière / Reporterre

    Avant de cofonder La Cabane bleue, Angela et son amie Sarah étaient éditrices dans d’autres groupes : « On ne se sentait pas alignées avec les maisons dans lesquelles on travaillait. » Pour leur projet, elles sont parties « des incohérences » et d’un constat : « L’objet même du livre n’est pas écolo. »

    Aujourd’hui, l’empreinte carbone moyenne d’un ouvrage acheté en librairie est estimée à environ 2 kg, dont la majorité provient de la fabrication. La production de pâte à papier par exemple est très gourmande en ressources et le plus souvent importée, notamment du Brésil.

    Alicia Cuerva utilise du papier de récupération pour décorer les gardes des livres édités par Cosette Cartonera. © Clément Moussière / Reporterre

    Alors avant de se lancer, les éditrices de La Cabane bleue ont commencé par écrire sur une feuille tous les matériaux qui composent le livre, afin de réfléchir à chaque élément. Et c’est comme cela qu’elles ont décidé de se tourner vers du papier certifié FSC (assurant la légalité du bois et la gestion durable de l’exploitation) et/ou du papier recyclé, et ont découvert l’existence de l’encre végétale. Ces encres utilisent des ressources naturellement renouvelables comme le colza, contrairement aux encres minérales issues en général de la pétrochimie.

    « Ce n’est pas encore 100 % parfait, mais on utilise aussi un profil de couleurs peu gourmand en encre [par exemple le violet requiert davantage d’encre qu’un simple rouge], idem pour les typographies, un noir à 80 %, énumère Angela. Ce sont des choix que l’on peut faire à partir du moment où l’on veut faire mieux. »

    Imprimerie à 750 mètres de l’atelier

    En plus de cela, ces petites mains du changement ont travaillé sur les dimensions des bouquins pour adopter des formats standards qui évitent le gâchis de papier. « Parfois on n’y pense pas, mais même pour les envois par la poste il y a des standards d’enveloppes en carton », dit Sandrine Roudaut.

    À la fin de ses bouquins, La Mer salée édite un colophon « pour sensibiliser à [sa] démarche pour l’environnement ». Il s’agit d’une page sur laquelle sont par exemple indiqués les matériaux utilisés, la provenance des produits et le fait que la maison d’édition ait décidé de tout faire dans un périmètre de 100 km.

    « L’une des grosses difficultés, c’est de tout faire fabriquer au local, en France, et au même endroit, pour réduire le coût carbone du transport », explique Angela Lévy. Un point de vue partagé par Alicia Cuerva, créatrice de Cosette Cartonera, qui a trouvé une imprimerie à seulement 750 m de son petit atelier, dans le centre-ville de Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme). « Il me suffit de prendre mon vélo pour aller chercher mes pages », dit l’éditrice en rigolant.

    La majorité du stock des éditions Cosette Cartonera tient sur cette étagère du petit atelier. © Clément Moussière / Reporterre

    Ce n’est pas le cas de tous les éditeurs, certains préférant imprimer en Europe de l’Est ou en Asie pour des questions budgétaires. « Impensable » pour cette amoureuse de la nature. Derrière son bureau « de récup’ » en bois, elle s’affaisse, concentrée, à la fabrication de sa prochaine publication. Ici, les livres sont le résultat de ses mains d’artisanes. Couverture en carton, dos en calendrier périmé et reliure à la main.

    Elle a créé sa maison d’édition au retour d’un long voyage en Amérique latine, et tout, dans son atelier, rappelle cela : de la musique aux décorations de toucans. Là-bas, elle s’est inspirée des « cartoneras ». Un mouvement de maisons d’édition né en Argentine, en réaction à la crise des années 2000, qui récupèrent du carton usagé pour en faire des couvertures de livres. Pour cette passionnée de l’artisanat « faire un livre en carton, à la main, c’est un engagement qui interroge et qui oblige à limiter la production. Dans le secteur, il y a un tabou, on ne fait plus rien à échelle humaine ».

    Pour beaucoup, la volonté de mieux faire pour l’environnement s’accompagne d’une réflexion éthique. C’est pourquoi ces maisons d’édition ont aussi décidé de se pencher sur la rémunération des auteurs. « Ça va de pair », explique Sandrine Roudaut, de La Mer salée. Un avis partagé par Christophe Lahondès : « Avoir peu de publications et des tirages en nombre limité nous permet de valoriser davantage les textes publiés et d’accorder plus de reconnaissance aux auteurs. »

    « C’est souvent la question économique qui entre en conflit avec l’écologie, l’éthique et conditionne les choix, s’exaspère Sandrine Roudaut. Nous, sur les valeurs on ne négocie pas, c’est sur le modèle économique qu’on essaye de voir. » Les textes qu’ils publient parlent d’utopies, de modes de vie plus sobres et joyeux. « On veut nourrir la foi en l’humanité, le contenu de nos livres aussi est politique », dit-elle.

    De manière générale, ces maisons d’édition prônent plus de sobriété. Hervé Meiffren pense qu’« il faut réfléchir à décroître et trouver un équilibre pour arrêter de mettre l’argent au cœur des décisions ». Toutes et tous s’accordent à dire qu’ils ne peuvent pas « tout révolutionner, mais, peut-être, inspirer un peu ». Depuis 2019, l’association Pour une écologie du livre fédère éditeurs, auteurs et libraires pour diffuser ces idées.

  • Vasectomie : état des lieux

     

    Que c'est long en France pour que les mentalités changent...Que c'est long...Cette médecine toute puissante, elle a dans son comportement des relents archaïques...J'avais déjà écrit un article sur le sujet, c'était en 2020:

    Vasectomie

    J'avais 37 ans quand j'ai décidé de demander une vasectomie. Nous avions trois enfants et Nathalie souffrait de la contraception chimique, physiquement et psychologiquement. Il était clair pour moi que la solution la plus simple, c'était l'opération chirurgicale. Je n'aurais pas imaginé que ça serait aussi compliqué.

    La gynécologue s'y est catégoriquement opposée et son aval était indispensable. Elle considérait qu'il était impossible de présager de l'avenir et que plusieurs situations inattendues pouvaient survenir et nous amener à regretter notre choix : la perte d'un enfant par exemple. Comme s'il était juste, sain, et raisonné de concevoir un enfant pour en remplacer un autre... ou une séparation du couple et une nouvelle compagne qui voudrait un enfant avec moi. Sauf qu'à 37 ans, je ne voulais pas d'un bébé, d'un jeune enfant, et tout ce qu'implique le rôle de père. Je l'avais vécu, j'en étais comblé et heureux et c'est une étape de ma vie qui était achevée. Je rétorquais également qu'une nouvelle compagne aurait probablement elle aussi un ou des enfants et n'en souhaiterait pas forcément un autre.

    Rien à faire, elle ne voulait pas nous donner son accord.

    Je me suis donc tourné vers mon médecin généraliste, il nous a rencontrés, séparément, il nous a écoutés, et il a jugé que nous étions conscients et lucides sur l'aspect quasiment irrémédiable de l'intervention. Il m'a conseillé malgré tout de procéder à une congélation de mon sperme. Ce que j'ai refusé puisque ça serait en opposition avec mes arguments. Je ne voulais plus d'enfants, ni naturellement, ni par insémination. Malgré son parcours hospitalier dans la région grenobloise, il ne connaissait pas de chirurgien. C'était une intervention très rare selon lui. On était en 1999. Finalement, après quelques recherches, un chirurgien a accepté de m'opérer. Une anesthésie locale suffit. Il faut au préalable se raser très soigneusement toute la partie génitale, une infirmière est venue vérifier que c'était fait et je suis parti au bloc. J'ai été isolé visuellement par une toile et le chirurgien et une assistante ont procédé à l'opération. Dans mon souvenir, ça n'a pas dû prendre plus de trente minutes et je suis rentré chez moi. Il faut passer un spermogramme deux semaines après l'opération. Il n'y a aucune différence de consistance dans le contenu séminal. Il ne manque que les spermatozoïdes. Et même si ça avait le cas, je n'y aurais attaché aucune importance.

    Affaire réglée.

    Quant aux réticences sur la masculinité ou la virilité, je ne me sentais aucunement concerné. La seule chose qui m'importait, c'était le bien-être de Nathalie. Si la virilité tenait à la présence de spermatozoïdes dans l'éjaculation, ça serait vraiment, vraiment juste pitoyable...A mon sens, la virilité, c'est de prendre soin de sa compagne. Coûte que coûte.

    Il reste un point important et qui relève de l'absence de connaissance chez les hommes.

    Il est parfaitement possible de parvenir à l'orgasme sans éjaculer. Avec ou sans spermatozoïdes mais il semble que beaucoup d'hommes imaginent qu'une vasectomie va les priver de l'éjaculation...

    Et avant de l'avoir expérimenté, il est impossible d'imaginer la puissance de cet orgasme et le bonheur spirituel et physique que cette pratique procure à l'homme. Et à la femme, étant donné que la capacité à conserver l'érection contribue bien évidemment au plaisir féminin. La conscience des muscles pelviens, le contrôle du souffle, l'abandon de l'idée de l'éjaculation comme une nécessité dans la quête de l'orgasme. Le tantrisme est la voie...

    La lecture de "KUNDALINI" serait une première approche pour ceux que ça intéresse.

     

    KUNDALINI. (roman)Kundalini

     

     

    Life 18/02/2024 09:00 Actualisé le 18/02/2024 15:31

    Une vasectomie avant 25 ans ? Ces hommes racontent leur parcours médical semé d’embûches

     

    Faire une vasectomie quand on est jeune et sans enfants peut être compliqué, la faute à un corps médical qui a parfois du mal à accepter ce choix.

    Par Mathieu Alfonsi

    Les jeunes hommes qui souhaitent faire une vasectomie font souvent face au refus des chirurgiens.

    Inti St Clair / Getty Images/Tetra images RF

    Les jeunes hommes qui souhaitent faire une vasectomie font souvent face au refus des chirurgiens.

    CONTRACEPTION - « J’ai essuyé le refus de trois urologues consécutifs. » Lorsqu’Émilien entame les démarches pour faire une vasectomie alors qu’il n’a pas encore 25 ans, il se heurte aux réticences du corps médical. En cause ? Il est « trop jeune » pour se priver de la possibilité d’avoir des enfants. « On me disait que j’en voudrais plus tard. Comme je n’avais pas de maladie et que j’étais en bonne santé, il n’y avait aucune raison que je n’en veuille pas. »

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    La vasectomie, futur moyen de contraception privilégié aux États-Unis?

    La vasectomie est considérée comme une contraception définitive, bien qu’elle puisse être réversible dans certains cas. Elle consiste à bloquer les spermatozoïdes via une ligature des canaux déférents qui les transportent depuis les testicules. Et elle gagne en popularité : selon une étude de l’Assurance maladie et de l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament, publiée lundi 12 février, le nombre de vasectomies pratiquées en France a été multiplié par quinze entre 2010 et 2022.

    Un intérêt croissant qui n’empêche pas certains jeunes hommes de rencontrer des difficultés pour faire cette opération. Cela a été le cas d’Émilien, mais aussi de Thomas*, un ouvrier agricole originaire du Rhône-Alpes. Tous deux ont fait une vasectomie avant l’âge de 25 ans et se sont confrontés aux nombreux refus des médecins. Pour Le HuffPost, ils racontent leur parcours semé d’embûches jusqu’à la vasectomie.

    « J’avais l’impression que mon corps n’était plus le mien »

    Deux principales raisons ont poussé ces jeunes hommes à opter pour la vasectomie : ils ne voulaient pas d’enfant et souhaitaient partager la charge de la contraception avec leur compagne. « Je ne voyais pas de raison de ne pas le faire. Au pire, l’opération inverse existe même si elle n’est pas sûre à 100 %, et il y a aussi l’adoption », raconte Émilien. Après quelques mois de réflexions, il décide de sauter le pas.

    La procédure est en apparence assez simple : Émilien doit d’abord prendre un premier rendez-vous avec un urologue, qui lui expliquera en quoi consiste l’opération et recueillera son consentement. Puis, il doit fixer une date pour procéder à la vasectomie, au minimum quatre mois plus tard. Mais, dans le cas d’Émilien, c’est dès le premier rendez-vous que les difficultés surviennent.

    « Les urologues essayaient de me faire changer d’avis, et me disaient qu’ils ne faisaient pas de vasectomie avant 30 ou 35 ans. Je me disais : s’ils savent qu’ils ne feront pas l’opération, puisque j’ai 24 ans, pourquoi acceptent-ils le rendez-vous ? J’avais l’impression de perdre mon temps et mon argent », détaille le boulanger.

    Les chirurgiens ont le droit de ne pas procéder à l’opération, au nom de la clause de conscience, selon laquelle un médecin peut refuser certains actes médicaux s’ils sont contraires à ses valeurs morales. « Ce qui arrive souvent », déplore Gersende Marceau, spécialiste de la contraception masculine au planning familial, que nous avons contactée.

    Émilien parviendra finalement à faire sa vasectomie, avec le quatrième professionnel qu’il rencontre. Mais il confie avoir ressenti beaucoup d’énervement : « J’avais l’impression que mon corps n’était plus le mien et que la société devait décider pour moi. Alors que je suis le seul concerné. »

    Rendez-vous chez le psychologue

    Pour Thomas, les difficultés ont commencé avant même les rendez-vous chez l’urologue. Cet ouvrier agricole de 25 ans doit d’abord obtenir une ordonnance d’une médecin généraliste. Cette dernière lui donne, mais lui lance au passage qu’il sera « responsable de la baisse de la population dans le monde », avant d’enchaîner avec : « Vous ne viendrez pas vous plaindre quand vous aurez le SIDA. » Thomas suppose que la généraliste pensait qu’il voulait « faire une vasectomie pour coucher à gauche et à droite sans protection ». « Ce qui n’est pas du tout le cas », précise-t-il. Quoi qu’il en soit, le ton est donné.

    Il prend alors un premier rendez-vous avec une urologue de sa ville, qui se passe à merveille. Il fixe une date, quatre mois plus tard, pour procéder à l’opération. Mais l’urologue se rétracte entre-temps, estimant que Thomas est trop jeune et changera d’avis au sujet des enfants.

    Il s’adresse alors à un second professionnel qui accepte de faire l’opération. À une condition : il doit d’abord consulter un psychologue, afin de discuter de son choix de ne pas congeler son sperme. Mais le rendez-vous avec ce psy tourne au vinaigre : « Il a commencé à me dire que je faisais n’importe quoi. Il m’a fait un profil psychologique pour me déstabiliser et avait un discours très moralisateur. C’était très malsain. Et j’avais encore moins envie de congeler mon sperme. »

    Si l’urologue doit vérifier que le patient est bien en capacité de prendre, par lui-même, la décision de faire une vasectomie, il ne peut pas exiger une expertise psychologique. « C’est illégal », rappelle Gersende Marceau, selon la loi du 4 juillet 2001. Mais Thomas souligne : « Si je ne faisais pas le rendez-vous avec le psy, il pouvait toujours activer sa clause de conscience. »

    Une méthode pas contraignante

    Suite à ces expériences, les deux jeunes hommes déplorent que les médecins aient tenté d’influencer leur choix et de décider à leur place. « Je me suis senti un peu envahi dans mon intimité à cause de toutes ces personnes qui ont partagé leur opinion, alors que ça ne les concerne pas, explique Thomas. Une personne de 22 ans qui veut faire un enfant, tout le monde va la soutenir, alors qu’une personne de 22 ans qui n’en veut pas, ça devient un problème de société. »

    Malgré ces nombreuses embûches, les deux jeunes hommes ont fait leur vasectomie, et ne regrettent rien. Ils assurent que cette méthode n’est pas pas contraignante. « Je ne sens aucune différence par rapport à avant. Il n’y a pas de cicatrice, et rien n’a changé dans ma manière d’éjaculer et dans mes rapports sexuels », détaille Émilien.

    Ce qui n’empêche pas la vasectomie de souffrir d’idées reçues. « Ça fait peur à plein de mecs virils qu’on leur touche les testicules. Certains pensant qu’on ne peut plus ressentir du plaisir ou avoir d’érection » explique Thomas, qui assure, pour ceux qui en doutent, « ne pas avoir perdu [sa] virilité avec une vasectomie ».