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  • Pollution des plages bretonnes

    C'est juste effarant.

     

    Pollution des plages

    Christophe Le Visage, lanceur d'alerte sur la pollution des eaux bretonnes

     

    Par Matthieu Le Goff , publié le 22 novembre 2024

    https://www.socialter.fr/article/christophe-le-visage-pollution-eaux-bretagne-finistere

    Photos : Matthieu Le Goff

    En mai 2024, l’association Eau et rivières de Bretagne a publié une contre-enquête sur la qualité des eaux de baignade du littoral français et un classement des plages bien plus sévère que celui établi par les pouvoirs publics. Un succès national qui doit beaucoup au parcours du vice-président de l’association, Christophe Le Visage, passé sur le tard des bureaux ministériels à l’engagement associatif local. Rencontre chez lui en Finistère Nord, avec vue sur le rivage idyllique d’une plage bretonne pourtant polluée.

    «Pour être franc, ça nous a explosé à la figure. On est très surpris du succès. On a dû avoir près de 700 000 consultations uniques sur notre site labelleplage.fr, une centaine de médias écrits et une quarantaine de médias audiovisuels », confie Christophe Le Visage. L’homme n’est pas du genre à pérorer. Plutôt une figure de l’ombre, derrière ces lunettes qui s’assombrissent quand la lumière se fait trop forte. 

    Article issu de notre n°66, en kiosque, librairie, à la commande ou sur abonnement.

    On a dû insister pour le rencontrer et évoquer son rôle dans cette enquête par laquelle l’association Eau et rivières de Bretagne, pas née de la dernière pluie mais méconnue du grand public, a fait mouche sur un sujet peu ragoûtant. Pourtant, son lien avec la problématique de la qualité des eaux de baignade est aussi très personnel. Il coule dans son jardin derrière la maison et se jette sous ses fenêtres dans la mer, en répandant un discret halo verdâtre sur la plage.

    Il s’appelle le Melon, un de ces minuscules ruisseaux qui parcourent l’arrière-pays léonard, du nom de la moitié nord du département du Finistère. Comme beaucoup d’autres dans ce coin, il charrie régulièrement, en général après de fortes précipitations, une pollution microbiologique aux matières fécales qui se répand dans les eaux côtières où batifolent à la belle saison enfants et parents dans la plus grande insouciance. Toute une panoplie – listeria, coronavirus, norovirus, résidus médicamenteux – dont la présence est signalée par la détection d’entérocoques intestinaux ou de la bactérie Escherichia coli (E. coli).

    Les poissons ne votent pas

    « J’ai découvert en m’installant ici en 2019 que la plage en face était fermée six à sept fois par été pour pollution, que le ruisseau qui passait dans mon jardin était le vecteur de cette pollution, et que tout le monde faisait comme s’il ne se passait rien »,se souvient-il dans son salon avec vue sur la plage et la presqu’île du Melon, peu fréquentées en cette fin août. À l’époque, l’ancien haut fonctionnaire vient d’adhérer à plusieurs associations environnementales du coin, pour honorer une promesse qu’il s’était faite « quand il était de l’autre côté », celui de l’État. « J’avais fait une réunion en Bretagne où il y avait une cinquantaine de personnes, moitié agriculture, moitié État. Et au milieu, il y avait deux types d’Eau et Rivières de Bretagne. C’était les seuls qui savaient de quoi ils parlaient. Ils avaient une vision complète des enjeux aussi bien environnementaux que sociaux ou économiques. Je me suis dit : quand je serai retraité, j’irai là. »

    Sa détermination est d’autant plus grande que sa carrière professionnelle s’est accompagnée d’une prise de conscience progressive de l’importance des enjeux environnementaux, et surtout du désintérêt prononcé dont ils font l’objet dans l’élaboration des politiques de la mer au plus haut niveau. « Sur ces sujets, la politique est dirigée par en bas. Les seuls intérêts privés sont pris en compte, l’intérêt général rarement. Et les poissons ne votent pas. »Ici, Christophe rencontre un « presque voisin », un certain Laurent Le Berre, prof de techno et surtout surfeur, qui s’intéresse à la qualité des eaux des plages du secteur dans lesquelles son goût de la glisse lui fait passer pas mal de temps. « Quand je suis arrivé, mon collègue était déjà sur le sujet, il avait constaté des anomalies, mais il se heurtait au bocal de verre. Personne ne lui répondait. Il ne savait pas comment obtenir réellement des réponses de l’administration ou interpréter les directives européennes. Grâce à mon expérience côté État, on a pu commencer à regarder sous le tapis. »

    Mais quel tapis ? Christophe fait un geste vers un panneau d’information, de l’autre côté de la route, juste à l’entrée de la plage, un panneau en forme de vague. En s’approchant, on peut lire, sur une feuille A4 marquée du logo de l’agence régionale de santé (ARS) Bretagne, les résultats d’analyse des eaux de la plage régulièrement publiés depuis mi-juin. 

    Les « tripatouillages » de l’ARS

    « On a découvert que l’ARS trichait. Ça a été un choc pour nous. », se remémore Christophe. Pendant la saison de baignade, du 15 juin au 15 septembre, comme dans toute la France, l’ARS fait faire des prélèvements à un laboratoire de Brest pour rechercher une éventuelle pollution. L’agence procède ensuite à un calcul statistique défini par la directive européenne et a l’obligation réglementaire de publier les données pour chaque plage un peu fréquentée. « Un calcul pas très sexy, mais facile à faire. Quand on faisait le calcul nous, avec les données que nous avions dûment notées sur les panneaux, on ne trouvait pas la même moyenne à la fin de la saison. Alors on a pris la directive européenne, et on s’est mis dans la peau d’une personne désireuse de tricher. On a trouvé toutes les tricheries. »

    Parmi les « subtilités » mises au jour par Eau et Rivières de Bretagne, le recours à la fermeture préventive des plages en cas de précipitations. Dans le Finistère Nord, un certain nombre de plages sont très polluées à chaque fois qu’il pleut. Pour que les prélèvements soient aléatoires, les dates auxquelles ils sont effectués sont décidées en début de saison. Or ces dernières années, l’ARS s’était arrangée avec les communes pour que la plage soit préventivement fermée chaque fois qu’il allait pleuvoir et que tout le monde savait qu’il y aurait pollution.

    « Lorsqu’un prélèvement tombait sur une période de fermeture, cette fermeture permettait à l’ARS de justifier que la donnée soit écartée du calcul de la moyenne, et donc du classement de la plage. Ça avait pour conséquence de faire passer un certain nombre de plages d’un niveau insuffisant à un niveau suffisant ou même bon,relate Christophe. Il faut préciser que l’interdiction est le plus souvent purement juridique et administrative, épinglée sur une feuille A4. On peut quand même se baigner, dans une eau parfois plus polluée que la Seine ! »Devant le panonceau, Christophe pointe une autre curiosité. Sous les mesures communiquées par l’ARS, un code de trois couleurs, dénommé « Interprétation sanitaire », renseigne visuellement sur la qualité des eaux de baignade. Quand l’eau est de bonne qualité, la case est bleue ; de qualité moyenne, la case est verte ; et de mauvaise qualité, la case est rouge.

    « Pour l’ARS, quand la baignade est interdite, il n’y a plus de problème. Pour nous, il y a quand même un problème. »

    En l’occurrence, sur onze prélèvements depuis début juin 2024, la plage du Melon était cinq fois bleue et six fois verte, c’est-à-dire plus souvent de qualité moyenne que bonne. Mais le regard rapide d’un plagiste retiendra les couleurs verte et bleue, et surtout, pas de rouge. « Sous-entendu, aucun risque », sourit Christophe. Eau et Rivières de Bretagne décide alors d’aller au tribunal administratif. L’État demande une médiation pour éviter la confrontation, chose plutôt inhabituelle dans une procédure qui n’est pas individuelle. Le médiateur est un ancien préfet apparemment persuadé que l’association ne peut pas gagner contre l’ARS. Christophe se souvient : « Il était mal parti, les juristes d’Eau et Rivières de Bretagne sont excellents. On a gagné, avec un rapporteur public très remonté qui a expliqué que la confiance du public avait été trompée, qu’il y avait eu du “tripatouillage” de la part de l’ARS – le mot a été prononcé. »

    Couvrir la Bretagne de cochons

    Mais pourquoi tricher ? Christophe embraye : « J’ai appliqué les réflexes que j’avais quand j’arrivais dans un nouveau pays à l’époque où j’étais consultant à l’international. Comprendre qui décide et analyser la gouvernance. J’ai regardé qui était qui, comment les élus étaient représentés, comment les structures s’interpénétraient. »Dans cette partie du Finistère, tout ramène Christophe et ses collègues à l’élevage de cochons et aux puissantes coopératives porcines. « On peut parler de mafia. À la communauté de communes, le vice-président chargé de l’eau et de l’assainissement était un éleveur de cochons ; le maire de Saint-Renan, la commune voisine, autre vice-président, est un commercial de la coopérative agricole. Les Commissions locales de l’eau sont noyautées dans toute la Bretagne Nord par les instances agricoles, par la FNSEA. Et pour le préfet du Finistère, entre “pas de vagues” et “protéger l’environnement”, c’est souvent “pas de vagues” qui est la bonne solution. »

    En creusant, les membres d’Eau et Rivières de Bretagne tombent sur les excès de l’élevage intensif breton. « C’est une croyance bien ancrée ici, que l’élevage est l’avenir de la Bretagne. L’objectif est de couvrir la Bretagne de cochons. Ce qui n’est pas forcément celui de la population et on ne prend pas en compte les conséquences néfastes de ce choix. »Entre autres, le fait qu’un cochon produit en moyenne autant de bactéries que 30 humains. « Sur un petit bassin versant comme pour la plage voisine de Penfoul, vous avez 10 000 cochons, soit l’équivalent de 300 000 humains. Quand vous avez 1 500 habitants dont seulement 10 ne traitent pas correctement leurs eaux usées, et que de l’autre côté vous avez 300 000 équivalents humains qui ne traitent rien, il est probable que la pollution vienne plutôt des élevages de cochons que des humains ! »

    C’est une boucle infernale : les cochons produisent de la merde qu’on étale sur les champs pour faire pousser du maïs qui nourrit les cochons. Mais comme le sol et les plantes ne peuvent pas tout absorber, une bonne partie s’en va dans les eaux.

    Christophe en rirait presque, mais garde sa froideur analytique, et lâche encore sans sourciller quelques chiffres éloquents : « Il faudrait cultiver l’équivalent de trois Bretagne rien que pour nourrir les animaux d’élevage qui y vivent. On est donc obligés d’importer du soja et des protéines. Mais il faut bien se débarrasser des excréments. C’est une boucle infernale : les cochons produisent de la merde qu’on étale sur les champs pour faire pousser du maïs qui nourrit les cochons. Mais comme le sol et les plantes ne peuvent pas tout absorber, une bonne partie s’en va dans les eaux. »Le plus souvent ici, on préfère pointer du doigt les touristes. Christophe ironise : « L’explication peut être valable pour d’autres régions, comme en PACA où tout le littoral est classé rouge sur notre carte, mais ne tient pas la route ici : il y a relativement peu de touristes en Finistère Nord, et si c’est l’été que l’on constate que les plages sont polluées, c’est parce qu’il n’y a qu’en été qu’on fait des mesures ! »

    Un retentissement national

    Se sent-il menacé, à force de soulever des tapis et de remuer la poussière ? Il élude : « Je fais le tour de ma voiture pour voir que tous les boulons sont serrés. Mais on n’est pas inutilement provocateur, les gens violents sont minoritaires. Je ne me répands pas en disant systématiquement du mal des professions agricoles. »Il est vrai qu’Eau et Rivières de Bretagne n’avait pas parié sur un tel « succès », mais n’a pas non plus choisi le moment au hasard. Alors que les équipes enquêtaient sur la question depuis déjà plusieurs années, le sujet de la qualité des eaux est monté dans le débat public grâce à un hasard du calendrier. « En janvier 2024, à l’approche des JO, on a commencé à beaucoup parler de la qualité de l’eau de la Seine où personne ne se baignait, alors que nous, nous avions une carte toute prête de la qualité de baignade sur 2 000 plages françaises où des millions de gens se baignent chaque été, mais ça on n’en parlait jamais. On a décidé de préparer un lancement de notre carte avec une campagne de communication. »L’association a d’abord établi une carte bretonne.

    Problème : toute la côte nord de la région« clignotait » en rouge. Ils décident alors d’élargir la carte à l’échelle nationale, histoire d’éviter d’être taxés de « Bretagne bashing », mais aussi de faire bénéficier les autres régions des résultats de leurs recherches. Résultat : un site ultra-ergonomique, où tout un chacun peut, en quelques clics et un zoom, trouver sa plage, savoir de manière fiable et transparente s’il est recommandé de s’y baigner, et même connaître le classement des lieux sur les 1 853 plages de l’Hexagone. « On a eu des retours assez durs de la part des maires de certaines villes comme Le Touquet. Pas grand-chose côté agricole en Bretagne, mais on s’en doutait. La stratégie ici, c’est d’écraser le coup et d’attendre que ça passe », analyse Christophe. Du côté du corps médical, des voix s’élèvent pour demander à nouveau des enquêtes épidémiologiques à l’ARS, la carte des pollutions pouvant bien correspondre avec des maladies très localisées, ou des phénomènes d’antibiorésistance.

    Christophe résume : « La directive européenne a un objectif environnemental, et partant, sanitaire. En France, on a confié le sujet à l’ARS qui semble considérer que c’est exactement équivalent d’interdire la baignade quand l’eau est sale et de faire en sorte que l’eau soit propre, du moment que les baigneurs ne sont pas contaminés. Pour eux, quand la baignade est interdite, il n’y a plus de problème. Pour nous, il y a quand même un problème. » Et il ajoute, pensif en regardant quelques estivants se mettre à  l’eau : « Sur les algues vertes, personne n’en parlait jusqu’à ce qu’il y ait quelqu’un qui meure. » Tout en bas à gauche du panneau municipal à l’entrée de la plage, on peut péniblement déchiffrer sous la saleté : « Méfiez-vous des écoulements sur les plages : ces rejets peuvent être contaminés. Bien qu’ils apparaissent aux yeux des enfants comme un espace de jeu privilégié, apprenez aux petits à les éviter. » 

  • Ecrire en musique

    J'ai toujours les écouteurs sur les oreilles quand j'écris.

    Loscil, Richter, Hudson, Arvo Part...

     

     

  • "Rendre l'eau à la terre"

    Loin de moi, l'idée d'être irrespectueux envers les populations de Valence frappées par les inondations, les images sont terrifiantes et le bilan humain ne cesse d'augmenter.

    On sait depuis longtemps que le problème de l'urbanisation fait courir des risques majeurs aux populations. Un article sur France Info montrait l'envahissement des villes, l'extension des zones urbaines, commerciales, industrielles depuis les années 1950...L'eau n'a plus de place...

    Ce livre est une lecture nécessaire pour prendre conscience du problème.

     

     

    Rendre l'eau à la terre

     

    Sous-titre

    Alliances dans les rivières face au chaos climatique

    Baptiste MORIZOT

    Suzanne HUSKY

    Sur la planète Terre, une rivière vivante s’entoure de milieux humides qui protègent la vie. Pourtant, nous lui avons pris ces milieux pour déployer nos villes et nos agricultures industrielles. Corsetées, drainées, bétonnées, les rivières ne peuvent plus nous préserver d’un climat déréglé. Face au péril, il est temps de rendre l’eau à la terre, pour abreuver les déserts que l’extractivisme nous laisse en héritage.
    Comment ramener l’eau à la vie ? En enquêtant sur le temps profond des rivières. On découvre qu’elles ont coévolué avec une forme de vie qui travaille depuis des millions d’années à hydrater les milieux : c’est le castor. Il ralentit l’eau, l’infiltre dans les sols, la purifie et la donne en partage à tous les vivants. Il façonne ainsi des oasis de vie qui peuvent nous aider à traverser les sécheresses, les feux et les crues. Son action amplifie la vie. Traqué pendant des siècles comme un nuisible, peut-il devenir aujourd’hui un allié ? Le castor peut-il nous inspirer une philosophie de l’action enfin libérée du culte du pétrole, du machinisme et du contrôle ? Saurons-nous apprendre d’un autre animal comment guérir les rivières ?
    L’enjeu est de changer de paradigme, vers une pensée de l’eau vivante capable de désaltérer un monde assoiffé. En ces temps bouleversés, il est temps de passer des alliances avec des puissances non humaines. D’explorer la possibilité de participer, en humains, à l’autoguérison du monde. Et d’apprendre, nous aussi, à amplifier la vie.

    Retrouvez et soutenez les actions contribuant au mouvement d’alliance avec le peuple castor sur le site : https://mapca.eu/

  • Les castors

    Laisser la nature se réguler et en tirer les bénéfices. 

    Une famille de castors aide cette ferme drômoise face au dérèglement climatique

     

    « Le castor immerge l’entrée de sa maison par des retenues d’eau mais cultive toutes les espèces avec lesquelles il alimente son habitat, notamment les saules et les peupliers qu’il préfère. Ces arbres vont stimuler les milieux humides en pompant de l’eau, en la remontant en permanence et en la diffusant ensuite dans l’écosystème »

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    Texte: Liza TourmanPhotographie: Eve Campestrini6 juin 2024

    Au fin fond du Diois se trouve l’un des plus vieux GAEC de la Drôme : la ferme de Montlahuc où un jeune castor s’est installé il y a trois ans, inondant 2000m2 de terre, un exploit pour un lieu situé à 1000m d’altitude. Aujourd’hui, les 6 associés du GAEC cohabitent avec cet allié, réhydratant petit à petit les paysages et régénérant la biodiversité.

    D’une ferme conventionnelle à un havre de biodiversité

    Marco est l’un des associés du GAEC, la ferme de Montlahuc. Arrivé il y a une dizaine d’années, il développe l’activité « écosystème » qui consiste à prendre soin du territoire, de tout ce qui effleure de près ou de loin le Vivant et la durabilité de la ferme.

    « En 2013, le GAEC a amorcé une grosse transition où il y a eu un changement d’associés. On était trois jeunes à arriver. On a essayé de travailler avec l’inspiration Kogi, ce peuple ancestral de Colombie très connecté au Vivant. Comment repenser notre modèle agricole en laissant faire la nature au maximum ? » raconte-t-il pour La Relève et La Peste

    La ferme conventionnelle s’est transformée en quelques temps en poly-élevage, modèle vertueux pour la biodiversité. Le groupe fonctionne à 100 % en vente directe et a en une dizaine d’années redynamisé le village en passant d’une dizaine à une quarantaine d’habitants, relançant ainsi l’école.

    Les prairies de la ferme de Montlahuc

    Le rôle du castor dans le cycle de l’eau

    Il y a trois ans, un castor s’est installé au GAEC. De fil en aiguille, il a réhydraté le paysage.

    « Il a commencé par creuser un fossé au milieu de la prairie qui est devenue l’année suivante un véritable plan d’eau. Il a immergé 2000m2 de la parcelle sur 5000m2. Le premier raisonnement des voisins a été de nous dire de ne pas le laisser faire car nous étions en train de perdre de la surface pour le foin pour les animaux. On a quand même 1100 hectares, on s’est dit que 2000m2, on pouvait les laisser aux castors. Notre ruisseau temporaire est devenu permanent » se remémore Marco auprès de La Relève et La Peste

    Petit à petit, la biodiversité a fructifié. Des espèces aquatiques se sont installées comme une trentaine d’espèces de libellules, des canards et des oiseaux de zones humides. Le plus surprenant étant l’impact du rongeur sur l’écosystème en cultivant les espèces nécessaires pour se nourrir.

    « Le castor immerge l’entrée de sa maison par des retenues d’eau mais cultive toutes les espèces avec lesquelles il alimente son habitat, notamment les saules et les peupliers qu’il préfère. Ces arbres vont stimuler les milieux humides en pompant de l’eau, en la remontant en permanence et en la diffusant ensuite dans l’écosystème » détaille Marco pour La Relève et La Peste

    D’une prairie sèche et d’une végétation pauvre, la parcelle est devenue riche et dense. Des légumineuses sont apparues et ont diversifié le paysage. Une aubaine pour le pâturage. Ces légumineuses amènent des fleurs qui attirent tout un cortège de papillons et d’insectes, créant ainsi une vie spectaculaire avec l’apparition de feuillus là où auparavant ne cohabitaient que des pins.

    Un arbre coupé par un castor à la ferme

    « Les pins sont des espèces intéressantes mais qui partagent assez peu l’eau dans les écosystèmes, des espèces un peu plus « égoïstes » que les feuillus. Ces derniers travaillent ensemble. Ce qui permet une régénération de cet écosystème qui l’emmène vers un milieu qui amplifie la vie » sourit Marco

    Si le castor est arrivé seul sur cette parcelle il y a trois ans, ils sont aujourd’hui entre trois et quatre à habiter les lieux. Cependant, Marco nous signifie que sa présence existe sur ce petit cours d’eau depuis déjà une dizaine d’années, à quelques 3 kilomètres de là.

    « Notre petit ruisseau constitue la connexion entre le bassin des Baronnies et le bassin de la Drôme. C’est quasiment l’un des seuls corridors écologiques de zone humide entre ces deux grands bassins versants pour la circulation des espèces aquatiques : c’est un espace fondamental » précise Marco pour La Relève et La Peste

    Marco devant le barrage créé par les castors à la ferme de Montlahuc

    Le castor, un allié précieux

    Après des années de politique d’évacuation rapide de l’eau vers nos mers, on a aujourd’hui un assèchement majeur des territoires. Cette course a créé de l’érosion et donc une incision des ruisseaux qui ont tendance à descendre en profondeur. Les impacts bénéfiques du castor sur les écosystèmes sont multiples. L’un d’eux est le ralentissement et l’infiltration de l’eau dans les sols.

    « L’eau s’infiltre à la même hauteur que le ruisseau quand le castor fait un barrage, il remonte son niveau et aussi celui de cette nappe phréatique qui fait que les plantes ont plus d’accès à l’eau » détaille Marco.

    En édifiant des micro-retenues, le castor empêche une trop grande quantité d’eau de s’échapper. En la ralentissant et la stockant, elle est diffusée progressivement dans le paysage, ce qui évite les inondations.

    « On dit que le castor, en construisant des retenues, a tendance à réchauffer l’eau et que c’est mauvais pour les écosystèmes. En réalité, l’eau qui sort de terre est forcément plus fraîche et donc rafraîchit le cours d’eau. »

    Une expérience que la Californie, aux Etats-Unis, connaît bien. Face aux feux de forêts amplifiés par le dérèglement climatique, la Californie a mis en place des « zones castors », plus résistantes au feu grâce à l’humidité du sol. Ces fameuses « zones castors », dont la végétation perdure, peuvent recréer par la suite les forêts parties en fumée. Lieux refuges pour les animaux, ces derniers retournent dans les espaces désertifiés une fois le danger passé et, en déféquant des graines, régénéreront petit à petit les paysages.

    Le lieu de vie du castor à la ferme de Montlahuc

    Le castor est un animal clé dans l’équilibre des grands cycles, la régulation et la régénération des paysages. Depuis des millions d’années, il cohabite avec la rivière, ce qui en fait de lui en quelque sorte le gardien. Impressionnés par l’efficacité du castor sur cette parcelle, les agriculteurs tentent de l’attirer au plus près de la ferme de Montlahuc. Les associés ont tout mis en place pour rendre, selon l’expression de Baptiste Morizot, un emplacement attractif pour le plus gros rongeur d’Europe.

    « On a créé des petites retenues pour que son terrier soit immergé. On a aménagé ces espaces près des peupliers tremble, ses préférés, et on continue à en planter là-bas. Il y a de grandes chances qu’il soit déjà passé sur le lieu et qu’il l’ait repéré et qu’il vienne s’installer chez nous dès qu’il en aura besoin » espère Marco.

    Sur la ferme de Montlahuc, le réchauffement climatique se fait ressentir depuis une dizaine d’années. Le vent est de plus en plus fort et les parcelles, de plus en plus sèches. Avec une quantité de foin de moins en moins importante, chaque année est un peu plus difficile pour les associés.

    « On a planté 3000 arbres, un peu plus de 3km de haies. Ces arbres on les achète, il faut les protéger avec des clôtures, préparer les tracteurs, aller les planter. Tout ça prend beaucoup de temps, d’énergies fossiles, d’argent alors qu’en deux ans, le castor est plus efficace en utilisant moins d’énergie » résume Marco

    Les Etats-Unis ont ainsi mis en place des indemnisations pour les agriculteurs qui perdent des parcelles agricoles où le castor se réinstalle. Historiquement, le mot maraîchage est lié au marais, terres très fertiles qui ont été subtilisées aux castors. Ainsi, ce sont dans ces espaces qu’il va revenir d’où la nécessité que l’État prenne des mesures. Le modèle allemand a également un barème d’indemnisation agricole en cas de dégâts, de façon à ce qu’il y ait moins de problèmes de cohabitions entre les castors et les agriculteurs.

    Le barrage mimétique créé par les salariés de la ferme pour attirer le castor dans une nouvelle zone

    Entre envahir et infuser le Vivant pour l’habiter, il n’y a qu’un pas

    Co-créer avec le castor a une signification plus profonde et puissante sur notre urgence à cohabiter avec le Vivant, dont nous, humains, faisons pleinement partie. Ce sont des millions d’années de cohabitation qui se sont créées entre les espèces. Chacune, de par sa façon de vivre, a un rôle écologique, une fonction dans les écosystèmes.

    Chaque fois que l’une d’elles disparaît, c’est une fonction qui s’évapore et un équilibre qui est complètement modifié. Tout ce que l’on créait comme déséquilibre, c’est à nous que ça coûte économiquement, en charges de temps de travail et de tous les impacts. Il y a tout intérêt à amplifier la vie et de travailler avec lui.

    Pour Marco, on doit faire avec la nature et cohabiter avec elle dans tous nos espaces. La clé ne serait pas de sanctuariser quelques zones. En revanche, il préconise de préserver quelques endroits de l’intervention humaine de façon à laisser les dynamiques se mettre en place pour qu’ensuite elles puissent se propager. Les Kogis les appellent « zones d’espace sacré ». Que ces espèces puissent y perdurer en dépit du dérèglement climatique. Ainsi, une fois que cela se sera à peu près stabilisé, elles pourront recoloniser et régénérer le reste du paysage.

    « Puisque c’est la vie qui génère et amplifie la vie, il faut que cette diversité d’espèces et ces équilibres qui ont été créés depuis des millions d’années puissent fonctionner et réparer ce qu’on a fait derrière. Cette notion de sanctuaire arrive un peu là. Il n’y a pas une solution absolue, c’est la multitude de solutions qui va permettre qu’on s’en sorte demain »

    Le retour en force du castor dans nos campagnes françaises est donc une formidable façon de faire alliance avec le reste du Vivant.

  • L'écologie n'est pas punitive

    Mais l'absence de conscience écologique induit des sanctions terribles. 

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    Je lis encore et encore des commentaires sur les réseaux sociaux qui affirment que des inondations ont déjà eu lieu et patati et patata.

    Bon, si on prend en considération les données suivantes, en faisant une règle de 3, on peut avoir une idée de ce qui est en route :  5-6 degrés en 100 000 ans vs. 1,5 à 4 degrés en 150-200 ans. Ça donne une idée de la suite...

     

    "Au vu des derniers épisodes météorologiques, il est bon de rappeler certaines études sur les crues paléologiques en période de réchauffement climatique.

    il y a 56 millions d'années a eu lieu un réchauffement rapide (100'000 ans) de 5°C ou 6 °C, le PETM.

    Des mégacrues ont eu lieu : Les lits de certains fleuves ont débordés de 10 à 14 fois leur normale.

    Ces observations dépassent largement (d'un facteur 2 ou 3) les prévisions des modèles climatiques sur les augmentations de pluviométrie.

    Je cite l'étude :

    "Quelles sont les implications de ces résultats pour l'avenir ? Les simulations de modèles et les observations suggèrent que le réchauffement climatique anthropique entraînera des changements prononcés dans l'hydrologie mondiale. Plus précisément, on s'attend à des changements dans la saisonnalité et à une augmentation de l'occurrence et de l'intensité des phénomènes météorologiques extrêmes, mais l'ampleur des changements reste incertaine. Les arguments théoriques indiquent que les précipitations extrêmes devraient être proportionnelles à la capacité de rétention d'eau de l'atmosphère ( 7 % par degré de réchauffement)

    Bien que cette prédiction soit confirmée par les données mondiales sur les précipitations quotidiennes maximales annuelles, les précipitations extrêmes infraquotidiennes (horaires) semblent s'en écarter, certaines régions présentant proportionnalité moindre, tandis que d'autres avec une proportionnalité beaucoup plus importante

    Nos résultats suggèrent des précipitations extrêmes pendant le PETM et confirment donc la probabilité que le réchauffement climatique actuel puisse intensifier les précipitations extrêmes et les inondations associées à des taux plus élevés, peut-être imprévisibles, que ceux prévus par les modèles de circulation générale."

    Adrien Couzinier

    source document en Anglais

    https://www.nature.com/articles/s41598-018-31076-3?fbclid=IwY2xjawGPRrpleHRuA2FlbQIxMQABHTIdbIIs2f1rKhusbwz0jqEePdgjNnhZe7jB8ejAbJVgReKd2-hY5j8rpQ_aem_VDxmY-TXI4KeHpnBbACdaw

     

     

     

    Publié le 30 octobre 2024

    Une photo prise à Picanya, près de Valence, dans l'est de l'Espagne, le 30 octobre 2024, montre des voitures entassées dans une rue après des inondations. Jose Jordan / AFP

    Ce sont littéralement des torrents d’eau qui ont déferlé sur la région de Valence en Espagne dans la nuit du mardi 29 octobre en raison de pluies soudaines et extrêmement violentes intensifiées par le changement climatique. Le bilan provisoire fait état d’au moins 51 décès.

    Au moins 51 personnes ont péri dans de dramatiques inondations qui ont dévasté mardi 29 octobre au soir le sud-est de l’Espagne, selon un bilan provisoire. “Le chiffre provisoire de personnes décédées (est) de 51”, ont annoncé les services d’urgence dans un message posté sur X.

    La région était pratiquement coupée du reste du pays, certains villages étant inaccessibles, ont indiqué les services de secours. Dans la nuit, le président du gouvernement régional de la communauté de Valence, Carlos Monzón, avait indiqué que plusieurs corps avaient été retrouvés. “Nous faisons face à une situation sans précédent, que personne n’a encore jamais vue”, avait-il ajouté. Rien ne laissait toutefois prévoir un tel nombre de victimes, qui fait de ces inondations les plus dramatiques en Espagne depuis août 1996.

    Les autorités avaient indiqué mardi que sept personnes étaient portées disparues, dont une à L’Alcudia, dans la région de Valence, et six à Letur, dans la province voisine d’Albacete (région de Castille-La Manche), où une crue soudaine avait envahi les rues, emporté des voitures et inondé des bâtiments. Les services d’urgence, appuyés par des drones, ont travaillé toute la nuit pour rechercher les six disparus à Letur, a déclaré à la télévision publique TVE la déléguée du gouvernement central en Castille-La Manche, Milagros Tolon. “La priorité est de retrouver les personnes disparues”, a-t-elle ajouté.

    Armée spécialisée dans les opérations de sauvetage

    La police de la ville de L’Alcudia a, pour sa part, déclaré être à la recherche d’un chauffeur de camion porté disparu depuis mardi après-midi. Les autorités ont demandé à tous les habitants de la région de ne pas essayer de se déplacer par la route. Le gouvernement central a mis en place une cellule de crise, qui s’est réunie pour la première fois mardi soir, et a envoyé dans la région de Valence une unité de l’armée spécialisée dans les opérations de sauvetage. Cette cellule de crise devait se réunir de nouveau mercredi à midi sous la présidence du Premier ministre Pedro Sánchez, de retour d’une visite officielle en Inde.

    La mairie de Valence a annoncé que toutes les écoles resteraient fermées mercredi, de même que les jardins publics, et que tous les événements sportifs étaient annulés. Douze vols qui devaient atterrir à l’aéroport de Valence (est) ont été détournés vers d’autres villes d’Espagne en raison des fortes pluies et des vents violents, a indiqué l’opérateur aéroportuaire espagnol Aena. Dix autres vols qui devaient partir ou arriver à l’aéroport ont été annulés.

    Déraillement d’un TGV

    L’opérateur national d’infrastructures ferroviaires Adif avait suspendu mardi soir les trains à grande vitesse entre Madrid et Valence en raison des effets de la tempête sur les principaux points du réseau ferroviaire. Un train à grande vitesse transportant 276 passagers avait d’ailleurs déraillé dans la région méridionale d’Andalousie, mais personne n’avait été blessé, selon le gouvernement régional.  Les services d’urgence ont secouru des dizaines de personnes à Alora, en Andalousie, certains par hélicoptère, après le débordement d’une rivière.

    L’agence météorologique nationale Aemet avait déclaré une alerte rouge dans la région de Valence et le deuxième niveau d’alerte le plus élevé dans certaines parties de l’Andalousie, prévenant que les pluies allaient se poursuivre au moins jusqu’à jeudi. De nombreuses routes ont été coupées dans les deux régions en raison des inondations. La région de Valence et la côte méditerranéenne espagnole en général subissent régulièrement, en automne, le phénomène météorologique de la “gota fria” (la “goutte froide”), une dépression isolée en haute altitude qui provoque des pluies soudaines et extrêmement violentes, parfois pendant plusieurs jours. Les scientifiques avertissent que les phénomènes météorologiques extrêmes tels que les vagues de chaleur et les tempêtes sont à la fois de plus en plus fréquents, de plus en plus longs et de plus en plus intenses en raison du changement climatique. ■

  • L'autoroute de la pluie.

     

    Parmi nos 200 plantations, on a planté cinq paulownias sur notre terrain et leur croissance est impressionnante. Moins que les robiniers faux acacias mais ils n'en sont pas loin. Dans cinq ans, ils seront immenses.  

     

    Ils veulent planter 10 millions d’arbres du pays basque au massif central pour réguler la pluie

     

    « Nous visons une continuité de 40 à 80 arbres par hectare sur une zone délimitée au sud par le Piémont Pyrénéen, au nord par la Montagne Noire, la Garonne à l’ouest et le partage des eaux à l’est, afin de créer de l’ombre, refroidir les sols, accueillir la biodiversité et condenser de l’eau. Cela représente près de 260 000 hectares. »

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    Texte: Liza TourmanPhotographie: Mordolff28 octobre 2024

    Si, à la place de dégrader toujours plus impunément le climat, nous mettions à contribution l’inventivité du Vivant pour pérenniser ses cycles, assurer l’équilibre de nos écosystèmes et ainsi contribuer à la sauvegarde de notre planète ? C’est l’objectif que se sont donnés Cédric Cabrol (chimiste), Roméo Teyssier Dumont (gestion de projet) et Joris Dedieu avec leur projet « L’autoroute de pluie », lequel prône une agroforesterie d’urgence. En phase d’expérimentation, Cédric Cabrol nous en explique le concept.

    Une agroforesterie d’urgence

    L’autoroute de la pluie est un projet en gestation qui plaide en faveur d’une agroforesterie d’urgence. Les trois associés sont partis du constat que la simplification des paysages, l’érosion, l’artificialisation, la dévégétalisation etc. avaient fait perdre aux sols leur capacité à infiltrer, condenser et stocker l’eau. Même si l’idée d’augmenter les pluies en développant la végétalisation n’est pas neuve, le concept d’agroforesterie d’urgence, l’est. L’autoroute de la pluie est un projet qui vise à adapter nos paysages pour augmenter la connectivité climatique, générer de la fraîcheur et de l’humidité.

    « Nous visons une continuité de 40 à 80 arbres par hectare sur une zone délimitée au sud par le Piémont Pyrénéen, au nord par la Montagne Noire, la Garonne à l’ouest et le partage des eaux à l’est, afin de créer de l’ombre, refroidir les sols, accueillir la biodiversité et condenser de l’eau. Cela représente près de 260 000 hectares soit, sans tenir compte de l’existant, environ 10 millions d’arbres à  planter » explique Cédric pour La Relève et la Peste.

    Ils se sont inspirés du peuple Dogon au Mali qui plantent 40 arbres à l’hectare en utilisant majoritairement l’espèce Faidherbia Albida. Cette densité leur permet de constater des rendements de culture supérieurs de 40% par rapport aux parcelles dépourvues d’arbres. Pour Cédric, le choix de l’arbre est crucial. Le paulownia est, selon lui, une essence idéale pour l’agroforesterie d’urgence et le contexte climatique. Cependant, dans les terrains trop humides, d’autres espèces sont préférables, comme par exemple le peuplier.

    « Le paulownia possède plusieurs stratégies intéressantes, notamment dû à un mode de photosynthèse hybride. Il peut à la fois saturer au printemps, c’est-à-dire saturer l’atmosphère en vapeur d’eau et, comme un cactus, utiliser très peu d’eau lorsqu’elle devient un GES en été. Le gros intérêt est de faire rapidement de l’ombre pour capter la rosée sur les sous-couverts et directement sur le paulownia. Ses feuilles sont très efficaces pour cela. Condenser de la vapeur d’eau : c’est aussi éliminer du GES » nous explique Cédric.

    Pour améliorer le climat, Cédric aimerait créer des corridors avec ces systèmes agroforestiers. Les arbres capteraient la rosée et provoqueraient une pluviométrie invisible. De l’eau qui ne tombe pas du ciel mais que l’on capte. Faire de l’ombre, c’est perdre 5 à 10°C soit autant que pour un gain de 1000 m d’altitude.

    Feuilles de Paulownia ayant capté la rosée – Crédit : Cédric Chabrol

    L’autoroute de la pluie : un corridor d’arbres

    Alors que les continents représentent une surface équivalant à 40% des surfaces des océans, seuls 10% des volumes d’eau qu’ils évaporent arrivent à venir y alimenter les pluies. Pour Cédric, la cause principale est le manque de conductivité pour amener l’eau dans les territoires. L’autoroute de la pluie, à l’image du bocage normand ou breton, serait un “supraconducteur” pour améliorer la diffusion de l’humidité dans le continent. Cela marchera avec la captation de rosée sur les substrats ou directement sur le paulownia. A court terme, la plantation d’arbres offre la possibilité de faire une préparation de sol.

    « L’idée de l’autoroute de la pluie est de relier la porte d’entrée du climat frais humide régulier, c’est-à-dire le climat océanique, qui serait le climat du pays basque et de le relier avec le château de la France qui est le massif central. Ma vision c’est que la transition agroécologique est compliquée au regard de l’urgence. J’ai essayé de trouver quelque chose de plus simple et accessible où l’on dit que l’on ne plante qu’un arbre et après l’idée est d’amener les gens là-dedans mais par étape. On commence par se mettre en sécurité avec une agroforesterie d’urgence. »

    Cédric travaille sur la démonstration de faisabilité. Avec son frère, ils ont lancé vingt hectares d’agroforesterie d’urgence sur leur exploitation. Pour le moment, leur succès est mitigé. Dans leur pépinière, ils ont des paulownias de 3m30, planté en 2023, malgré une gelée qui a remis à zéro les arbres. Le gel leur a fait perdre 2.5 mètres de potentiel de croissance en pépinière et en plein champ. Actuellement, ils font 1m50 pour les plus grands, sans que l’eau n’apparaisse limitante. Cependant, les objectifs restent atteignables.

    Avec le scientifique Jean-Pierre Sarthou, Cédric et ses compères ont ouvert une thèse en partenariat avec Météo France pour voir quel est l’impact de la dégradation des sols sur le climat. Actuellement, Cédric a eu une quarantaine d’heures de discussions avec 35 climatologues. Il est intervenu dans un colloque scientifique pour proposer une vision d’agro-éco-climatologie qui mélange plusieurs sciences.

    Le paulownia, l’arbre couteau suisse

    Le paulownia est un arbre pré-pionnier qui précède la forêt. Dans les nombreux avantages qu’on lui attribue, le paulownia a une croissance rapide, résiste à des hautes températures (jusqu’à 55° en serre), sa photosynthèse fonctionne jusqu’à 35/38°. Il est endomycorhizien, c’est-à-dire qu’il ne va pas venir concurrencer les cultures mais plutôt leur donner du sucre pendant les phases caniculaires.

    « Il va jouer le rôle d’ascenseur hydrique. Il nous permet d’humidifier et de capter la rosée. Il remonte les minéraux. Il est comestible pour le bétail, la teneur en protéine est de 22 %. D’un point de vue économique, il rapporte de l’argent à court terme. » s’amuse Cédric auprès de La Relève et la Peste

    Dans un contexte changeant, si l’on considère que cette essence va améliorer la captation de la rosée et ainsi augmenter la pluviométrie, il peut être intéressant de constater qu’il modifie l’écosystème pour participer à sa résilience.

    « Pour moi, cette modification est positive. Il y a aussi le rôle des pollens hydrophiles qui peuvent participer à la saison des pluies ou la dissiper. J’ai tendance à penser que le paulownia est un arbre qui va amener la pluie grâce à son pollen ».

    La pollinisation hydrophile consiste en un transfert à la surface de l’eau ou sous l’eau des pollens. Sa reproduction est assurée par l’eau. Ainsi, le pollen hydrophile permet de condenser la vapeur d’eau et de former la goutte de pluie. On parle de noyau de condensation. Et pour les détracteurs du projet ou ceux du paulownia qui argumentent que ce dernier peut être invasif. Cédric répond :

    « Si l’on avait des modifications du climat qui ne convenaient pas, on serait capables de remodeler le dispositif et de l’ajuster le temps que les autres se mettent à niveau. Mais, il faut songer que le Paulownia ne se développe aujourd’hui que sur les concassés SNCF et trottoirs. Il a trop besoin de lumière pour résister à quelques brins d’herbes. »

    En tant qu’arbre pionnier, le paulownia a donc une durée de vie limitée et pourrait être remplacé par des arbres endémiques qui auront bénéficié de sa protection.

    « A terme, l’idéal est bien sûr de planter des espèces natives. On dit que le meilleur moment pour planter un arbre était il y a 20 ans. Planter le paulownia permet de faire comme si on en avait compris la pertinence. A nous, de comprendre la pertinence de planter des graines ou de laisser la nature les planter au pied de ces arbres. »

    Les prochaines étapes sont de réussir à faire une preuve de concept d’ici à l’an prochain. Passer de 20 hectares à 30 ou 40.

    Un autre monde est possible. Tout comme vivre en harmonie avec le reste du Vivant. Notre équipe de journalistes œuvre partout en France et en Europe pour mettre en lumière celles et ceux qui incarnent leur utopie. Nous vous offrons au quotidien des articles en accès libre car nous estimons que l’information doit être gratuite à tou.te.s. Si vous souhaitez nous soutenir, la vente de nos livres financent notre liberté.

    Liza Tour

  • Le parti d'en rire

     

    Paroles de la chanson Le Parti D'en Rire par Chansons Enfantines

     

    Oui
    Notre parti
    Parti d'en rire
    Oui
    C'est le parti
    De tous ceux qui n'ont pas pris de parti
    Notre parti
    Parti d'en rire
    Oui
    C'est le parti
    De tous ceux qui n'ont pas pris de parti

    Sans parti pris nous avons pris le parti
    De prendre la tête d'un parti
    Qui soit un peu comme un parti
    Un parti placé au dessus des partis

    En bref, un parti, oui
    Qui puisse protéger la patrie
    De tous les autres partis
    Et ceci
    Jusqu'à ce qu'une bonne partie
    Soit partie
    Et que l'autre partie
    C'est parti
    Ait compris
    Qu'il faut être en partie
    Répartis
    Tous en seul parti
    Notre parti

    Nous avons placé nos idéaux
    Bien plus haut
    Que le plus haut
    Des idéaux

    Et nous ferons de notre mieux
    Cré vindieu de vindieu de vindieu
    Pour que ce qui ne va pas aille encore mieux
    Oui pour vivre heureux
    Prenons le parti d'en rire
    Seules la joie et la gaieté peuvent nous sauver du pire
    La franche gaieté
    La saine gaieté
    La bonne gaieté des familles

    Nos buts sont déjà fixés:
    Réconcilier les oeufs brouillés
    Faire que le veau d'or puisse se coucher
    Apprendre aux chandelles à se moucher
    Aux lampes-pigeons à roucouler
    Amnistier les portes condamnées
    A l'exception des portes-manteaux

    (tiens ça rime pas, ah oui je sais:)
    C'est pour ça qu'y peuvent s'accrocher
    Exiger que tous les volcans
    Soient ramonés une fois par an
    Simplifier les lignes d'autobus
    En supprimant les terminus
    Et pour prouver qu'on n'est pas chiches
    Faire beurrer tous les hommes-sandwichs

    Voilà quel est notre programme
    Voilà le programme
    Demandez le programme
    On le trouve partout
    Je le fais cent sous

    Mais... pas d'hérésie!

    - Notre parti

    - Parti d'en rire, oui
    - Non!
    - Si!
    - Crétin!
    - Pauvre type!
    - Abruti!

    Et voici... ce qu'est notre parti
    Oui!

     

  • TERRE SANS HOMMES : Ange

     

    Je n'avais pas écrit depuis des semaines, des mois peut-être. Je ne sais plus.

    Je sais que ça ne me sert plus à rien de me forcer à m'asseoir devant l'ordinateur et d'écrire quelques lignes. J'ai beaucoup changé ma façon de travailler. D'ailleurs, je ne parle même plus de "travail".

    Je n'écris que lorsque ça devient nécessaire, lorsque tout est là et qu'il faut que je le pose devant moi, que je le vois en lettres, en mots, en lignes, en chapitres. Que ça ne soit plus seulement que des images, que le film dans ma tête réclame lui-même de s'extraire de cette enceinte, comme s'il n'avait plus de place.

    C'est ce qui vient de se passer pour Ange. Un nouveau personnage qui est apparu de façon fugace il y a quelque temps et pour lequel je n'avais encore rien écrit. Comme si cette femme devait d'abord prendre forme, qu'elle se matérialise, qu'elle se construise, dans le secret de mes pensées et de mes rêves.

    Ce qui suit, je l'ai écrit hier et ce soir. J'écris uniquement le soir. Parfois, la nuit. 

    Je sais que ça devra être repris, affiné, précisé mais l'essentiel est fait.

    Maintenant, Ange est entrée dans le livre. 

     

     

     

    TERRE SANS HOMMES

     

    « Je m'appelle Ange...Je m'appelle Ange... Le cri est parti, c'est vide dans ma tête mais je sais que je m'appelle Ange. C'est bien. Je n'ai pas tout perdu. »

    Elle marchait dans l'herbe détrempée et parfois elle avait l'impression que la terre cherchait à l'absorber. Elle entendait des succions, des baisers aimants et elle se réjouissait de ces câlins répétés. Elle avait pris de la boue et s'en était couvert le visage et maintenant que la terre avait séché, elle s'amusait à tendre et à détendre la peau de son visage pour en sentir l'étreinte. Des volutes d'haleine d'arbres s'enroulaient autour d'elle et elle écoutait attentivement toutes leurs paroles parfumées.

    Depuis que le cri s'était éteint, elle sentait en elle un sourire d'enfant, une sorte de joie figée, l'impression d'être ouverte à tout, comme un antre qui n'aurait plus d'enceintes, une bulle sans paroi, un placenta sans membrane. Elle s'amusait des images.

    Parfois, elle caressait son fusil dont elle avait oublié le nom du modèle tout comme ceux des deux pistolets rangés dans des ceintures, en travers de sa poitrine, elle aimait le poids du métal, elle aimait le poids du sac sur son dos, la fatigue de ses épaules, elle aimait tout ce que son corps délivrait, non pas que ça soit nouveau pour elle mais juste parce que le cri s'était éteint et qu'il lui était délicieux de se sentir revivre.

    Elle marchait hors du temps passé et elle ne cherchait pas à le retrouver, à reconstruire son existence, à rétablir le chemin parcouru. Seuls les pas devant elle l'attiraient. Elle éprouvait cette paix étrange qui enlace celui qui vient de frôler la mort, non pas dans une fraction de seconde mais pendant des jours et des nuits et des milliers d'heures et des milliards de secondes sans que jamais le moindre répit ne soit accordé.

    Le cri dans sa tête était parti et c'était comme s'il avait avalé son existence, comme s'il s'était évaporé après avoir phagocyté la totalité de ses souvenirs. Le cri avait asséché sa mémoire, comme une éponge abandonnée sous un soleil cuisant, toute l'eau disparue, des alvéoles vides, la matière craquelée. L'horreur du cri l'avait déshydratée jusque dans les circonvolutions de son cerveau. Elle imaginait les lobes craquelés comme des oasis asséchés.

    Et maintenant, elle marchait dans les marais, le long de canaux aux eaux sombres, sous les frondaisons, sur des chemins enherbés où elle distinguait les passages d'animaux. Hier soir, elle avait surpris un chevreuil et bien qu'il ne lui restait plus grand-chose à manger dans son sac, elle n'avait pas utilisé son fusil. Le chevreuil ne la menaçait pas et elle ne mourait pas de faim. L'animal l'avait regardé quelques instants, comme étonné, le cou tendu, les oreilles agitées, elle distinguait l'écarquillement de ses yeux, le frémissement fébrile de ses narines. Puis, il avait bondi dans les buissons, un saut magnifique et elle en avait ri de bonheur.

    « Je m'appelle Ange... Je le sais. J'aime bien. »

    Au fil de ses avancées lui revenaient en brides fugaces des images de chaos, explosions, cris, courses tendues, tout le corps en alerte, les souffles puissants, des armes qui balayent l'espace devant elle, des flashs qui la laissaient démunie, dans une incompréhension lourde.

    « Je m'appelle Ange mais je ne sais pas ce que j'ai fait. »

    Depuis que son nom lui était revenu, depuis que le cri s'était tu et avait laissé de la place, des souvenirs remontaient. Elle ne les désirait pas tous, elle aurait même voulu en repousser certains, qu'ils retombent dans leurs abysses. Mais elle n’y pouvait rien.

    Son corps, désormais apaisé, s’appliquait à déverser dans le cerveau tout ce qu'il portait dans ses fibres, dans sa chair, dans ses muscles, dans sa peau. L'idée l'amusa et elle s'étonna de l'étrangeté de cette intuition. Elle se reconstruisait en humant les parfums de l’eau, de l’herbe grasse, en laissant les doigts effleurer les écorces, en écoutant le silence, l’absence de bruits humains et les sons du monde. Elle se reconstruisait en absorbant la totalité de chaque instant maintenant que le cri avait disparu. Mais elle ne pouvait pas repousser les images qui fusaient, insoumises et la raidissaient, une violence écarlate, des explosions, des incendies, des combats. Des morts. Ils étaient là, enfouis, prêts à jaillir, elle n’y pouvait rien.

    Alors, elle s’appliquait à marcher, les sens en alerte, le corps ouvert, affamée de sensations, désireuse de combler le vide de sa mémoire pour en couvrir le chaos inexplicable, elle enregistrait chaque pas dans l'herbe comme ceux d'un nouveau-né qui s’émerveille, elle regardait les arbres et leurs branches nues, les feuilles pourrissant en tapis colorés, elle franchit un ruisseau sans chercher de gué, l'eau froide remplissant ses Rangers et elle s'en accommoda. Le monde, autour d'elle, n'était que végétation, le silence d'un ciel plombé, un océan gris suspendu, immobile, silencieux, un couvercle au-delà duquel elle devinait parfois la clarté laiteuse d'un soleil d'automne.

    Elle avait passé beaucoup de temps le dos appuyé contre le tronc d'un arbre immense et elle avait imaginé le cheminement ralenti de la sève. Ces moments-là lui importaient bien davantage que la quête fébrile d'une mémoire dévorée. Le cri l'avait consumée mais elle avait survécu. Et l'instant restait la seule certitude d'être toujours là.

    Elle avait passé plusieurs jours dans une cabane de pêcheur, ça sentait le poisson, au bord d'un bras d'eau serpentant sous les branches nues. Avant la nuit, quand elle allait remplir sa gourde filtrante de survie dans le canal, elle observait les gerris aux longues pattes qui patinaient sur l'eau immobile puis, les rares fois où le plafond nuageux s'entrouvrait, elle contemplait les rayons du couchant à travers les innombrables toiles d'araignées tissées dans les iris et les massettes. Elle s'amusait à siffler avec les petits oiseaux, à répéter les mélodies qu'ils s'échangeaient entre congénères.

    Elle était seule et elle ne voulait pas de congénère.

    Elle en avait tué beaucoup. Elle n'avait aucun visage sur ces morts, juste des silhouettes affolées, des gens armés qui cherchaient à l'abattre, elle s'était enfuie, elle avait appartenu à un groupe mais elle était partie, le cri dans sa tête l'avait condamnée à la solitude, c'est elle qui avait décidé de laisser ses hommes, c'était la règle, elle ne devait pas les contaminer, elle était la chef. Elle avait pris un des 4X4, elle avait chargé de la nourriture, de l'eau, des armes, des munitions, du matériel de survie et elle était partie et elle avait roulé pour s'éloigner des zones habitées, la certitude en elle que seuls les arbres pourraient la sauver de la folie dans son crâne. Elle se souvenait vaguement avoir suivi la côte, empruntant des routes secondaires, évitant les zones habitées. Elle dormait dans le véhicule, sur des chemins de terre, sous les arbres, loin des routes. Une nuit, elle s'était réveillée en sursaut, trempée de sueur, elle se souvenait d'une explosion gigantesque, une raffinerie, c'était sa mission, Donges, elle retrouvait ce nom, la raffinerie de Donges, des roquettes, elle avait tiré des roquettes, puis le cri l'avait envahie, les souvenirs revenaient dans le désordre, comme si elle devait reconstruire un puzzle, alors elle avait longé la côte, des gens, une fois, avaient voulu l'arrêter et ils étaient morts parce qu'elle refusait de s'arrêter et qu'ils ne savaient pas qu'elle pouvait tuer n'importe qui.

    Elle suspendit son pas au moment où elle allait déposer sa lourde chaussure sur un escargot, une coquille volumineuse à peine visible dans l'herbe drue. Elle se baissa et le prit délicatement pour le poser dans la paume de sa main. L'animal, aussitôt rentré à l'abri, attendit quelques instants avant de ressortir une tête prudente, puis deux yeux observèrent la situation, deux petits ronds noirs perchés à la pointe des fines tentacules. Elle approcha l'animal de ses yeux, émerveillé par les corpuscules couvrant le corps gluant.

    « Il ne reste plus grand-monde pour te faire du mal mais tu dois quand même rester prudent, » murmura-t-elle en le déposant dans l'herbe.