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  • La guerre

    445165428 1500052664223297 7648407194539196207 nRien à ajouter

  • La beauté et la mort

     

    LES ÉGARÉS

     

    Ce livre-là n'est pas un roman, c'est une autobiographie.

    La nuit dernière, j'ai rêvé d'un grand cèdre. C'était doux, apaisant, il était immense, ses branches me surplombaient et je m'y sentais en sécurité. Et puis, ça s'est arrêté.

    Je savais avec certitude que je l'avais déjà vu. Et le souvenir m'est revenu. C'était à l'hôpital. Je veillais mon frère. 

    J'ai retrouvé le passage.

    Pourquoi est-ce que j'ai rêvé de cet arbre ? Est-ce dû à mon état actuel, à ces flots de questions sur le fonctionnement mortifère de l'humanité ?

    Mortifère... La mort. Ce que j'ai vécu là-bas s'est ancré en moi. Et, plus tard, les hernies discales qui me tuaient ont nourri cette présence de la mort. J'ai connu des périodes où je n'étais plus conscient de rien, sinon de la douleur physique et de la soufrance morale. Comme un condamné qui creuse son trou.

    Mais la beauté de la nature a toujours été l'élément salvateur. La beauté des arbres, la beauté du ciel, la beauté des femmes, quelques-unes. 

    Celle que j'ai croisée sur un trottoir de Brest, je pourrais la croiser aujourd'hui et la reconnaître. 

    J'espère que le cèdre est toujours debout.

     

     

    LES ÉGARÉS

     

    27 août. Le jour de son anniversaire, dans la chambre d’hôpital, au chevet de son frère.

    Ses parents lui avaient donné de quoi acheter un disque. Keith Jarret. The Köln Concert. Il en rêvait depuis longtemps.

    « Vas-y mon chéri, prends ton temps, promène-toi, écoute des disques, ça fait si longtemps que tu es là. »

    Cette voix adorée.

    « Merci Maman. »

    Il avait glissé le billet dans sa poche. Il avait embrassé ses parents.

    « À tout à l’heure Christian, avait-il dit en se tournant vers son frère. Je vais chercher Keith Jarret. »

    Il espérait qu’intérieurement l’évocation du piano cristallin le réjouisse, que la pureté des notes l’investisse, adoucisse ses luttes.

    « T’inquiète, je te le prêterai ! »

    Deux mois qu’il n’avait pas quitté son frère, deux mois qu’il n’était pas sorti de l’hôpital. Il avait veillé son frère comme on surveille une bougie et il avait fait de son amour pour lui une réserve de cire, l’interdiction de l’usure des forces, l’interdiction de l’affaiblissement de la flamme. Il ne savait pas si cela avait contribué au maintien de la lumière dans l’âme de Christian mais il percevait dans son propre espace intérieur l’émergence d’une force qui le bouleversait, une révélation dont il ne pouvait encore mesurer l’importance.

    En quittant le couloir des urgences, il avait réalisé qu’il allait sortir de l’enceinte de l’hôpital. Depuis combien de jours, depuis combien de semaines, était-il là ?

    Il s’était arrêté, le cœur battant. Il avait réalisé alors que cet espace ne se mesurait pas en temps mais en émotions. Combien d'émotions s'étaient-elles fossilisées en lui ? Voilà l'exploration qu'il aurait dû entreprendre. Mais il n'en avait aucunement conscience.

    Une autre vie.

    Un autre monde.

    Des gens heureux, affairés, perturbés, inquiets, amoureux, insouciants, des voitures, des vitrines, le bruit de la ville, les couleurs, des odeurs.

    Plus de murs aux peintures délavées, les effluves écœurants des désinfectants, les blouses des infirmières, les visages abattus des visiteurs, les voix mesurées ou les pleurs, le roulement des chariots, les appels dans les chambres, les sonneries sur le panneau lumineux des salles de veille, les émanations rebutantes des nourritures industrielles, les fenêtres closes, les horizons limités, le silence interminable des nuits, l’ombre invisible de la mort.

    Une nuit, il avait imaginé être dans la mort elle-même. La vie luttait à l'intérieur pour survivre, se reproduire et s'étendre... La vie était comme un cancer pour la mort. Elle la rongeait. Il était fier de participer à cette lutte, à cette multiplication acharnée des cellules vivantes dans le corps de la mort.

    Il avait traversé le parc de l'hôpital puis l’immense parking. Son trouble avait enflé conjointement à la rumeur des rues. Il avait pensé au prisonnier qu’on lâche dans la ville après des années d’enfermement.

    Premier trottoir.

    Il s’était dirigé vers le centre-ville.

    Un autre monde.

    Tous ces gens pressés qui ne savaient rien de l’hôpital, qui ne voulaient sûrement pas en entendre parler, qui géraient leurs existences agitées comme si tout devait durer.

    Un groupe de jeunes croisés sur un passage-piétons. Ils riaient. Il suffisait pourtant d’un chauffard pour que certaines vies s’arrêtent, que d’autres soient projetées dans un monde de douleurs, d’opérations, de rééducations, de médicaments, de dépendance, de dépressions. Ils ne savaient rien de la vie. Parce qu’ils ignoraient que la mort les guettait. Et pire que la mort encore : la souffrance.

    Il avait senti avec une force immense qu’il n’appartenait plus à ces groupes humains, à cette frivolité juvénile, qu’il ne pouvait plus supporter cet aveuglement entretenu, il avait eu envie de crier, de leur dire de se taire, de penser à tous les corps brisés qui luttaient jours et nuits sans connaître l’issue du combat, qui s’accrochaient désespérément au goutte à goutte suspendu au-dessus du lit, l’attente d’une opération de la dernière chance, le corps qui se morcelle, la lucidité de l’esprit qui enregistre chaque dégradation, chaque symptôme, la moindre douleur autopsiée, les médecins qui défilent avec leurs contingents d’adorateurs, leurs dossiers et leur suffisance, leur inhumanité diplômée.

    Il n’était plus de ce monde.

    C'est de ce jour qu'il avait toujours marché en ville les yeux baissés et les yeux levés dans la nature.

    Tous ces gens mourraient un jour, demain ou dans vingt ans, quelle importance. La mort était déjà dans leurs cellules, elle les dévorait, insidieusement. Nous n’étions jamais seul. La mort, en nous, était une compagne fidèle.

    À moins, comme il l'avait imaginé, que nous naissions au cœur de la mort et que nous devions apprendre à y survivre. Certains ne tenaient pas longtemps et nourrissaient très vite le terreau des cimetières. D'autres s'acharnaient. Par défi. Vivre de toutes ses forces et épuiser la mort de l'intérieur.

    Centre-ville, rue de Siam. Il descendait vers le port militaire. Des parfums iodés. Le cri d’un goéland par-dessus les toits.

    C’est là qu’il l’avait vue.

    Elle marchait vers lui. Une tenue, une grâce, une fluidité qui l’avait bouleversé. Un choc inattendu, inespéré, comme si elle évoluait au cœur du monde sans en être aucunement atteinte, comme si le monde n’avait aucune emprise sur elle. Toutes les pensées avaient jailli comme un éclair, une fulgurance qui avait effacé en lui deux mois de cauchemar.

    Une longue robe blanche, une chemisette bleu ciel, froissée comme du papier crépon, elle marchait les yeux baissés, de longs cheveux blonds flottant sur ses épaules, le balancement mélodieux de ses bras, la rondeur de ses seins sous le tissu, pieds nus dans des sandales à lanières qui remontaient sur ses chevilles, dix mètres, il allait la croiser, il s’était arrêté pour retarder l’échéance, le souffle coupé, plus de bruits, plus de mouvements, la ville avait disparu, il ne restait qu’une bulle protectrice, un espace protégé, elle avait levé le visage, elle l’avait regardé, la profondeur d’océan de ses yeux, immenses, bleus, lumineux, il n’avait plus bougé, catalepsie contemplative, elle avait souri, un soleil sur la peau lisse de ses joues, une fleur épanouie, le galbe rosé de ses lèvres, toute la beauté du monde, une envie immense de pleurer, de tomber dans ses bras et de pleurer, de vider toute cette horreur accumulée auprès de son frère, là, sur l’épaule de cette jeune fille, sans bouger, respirer le parfum de sa peau, s’enivrer de douceur, laisser couler les douleurs et s’abandonner à la quiétude, aucun désir, juste la paix, tout oublier.

    « Bonjour. »

    Elle était passée en l’enlaçant de sa voix.

    Le miel de ses notes avait ruisselé en lui et s’était lové au creux de sa mémoire.

    Il pourrait la retrouver aujourd’hui au milieu d’une foule, juste sa voix, deux notes comme une mélodie soyeuse, une caresse indicible, au-delà des choses connues.

    Il s’était adossé à une vitrine, les jambes tremblantes, il ne savait même pas s’il avait répondu, il l’avait regardée s’éloigner, elle flottait au milieu des arabesques de sa robe, suspendue par la grâce, intouchable, intemporelle, une fée.

    Un cadeau d’ange.

     

    Retour.

    Il avait acheté le disque tant désiré. Il avait demandé à en écouter les premières notes dans le magasin.

    Dom… dom… dom, dom, dom…

    Cristallin.

    Les bâtiments de l’hôpital. Si grands.

    Il s’était arrêté dans la traversée du parking. Il avait levé les yeux.

    Combien d’âmes en souffrance, combien de corps brisés, de vies sur le départ ? Certains en sortaient, aussitôt remplacés, certains y restaient, on les descendait à la morgue, la famille venait chercher le corps, une camionnette noire, le cimetière, des fleurs, des prières, le trou dans la terre, les proches qui pleurent.

    Évaluer le nombre de fenêtres. Le nombre de patients. Deux par chambre, le plus souvent.

    Combien allait mourir avant la fin de la journée ?

    Il avait repris son avancée vers la ligne de front, le couloir d’entrée des urgences puis l’escalier vers le service de neurochirurgie.

    Les cris, les pleurs, les drames, les horreurs, tout était contenu dans les murs blancs, il le sentait, rien ne disparaîtrait jamais.

    Il faudrait raser et brûler chaque pierre, tout réduire en poussière puis tout disperser dans l’océan. Et puis planter des arbres et que les oiseaux viennent y chanter.

    Il marcha dans les couloirs. La jeune fille flottait dans son âme.

    Elle dansait sur les notes de piano.

    La grâce d’un ange.

    Septicémie.

    La broche qui consolidait le fémur. Infection nosocomiale. Les chirurgiens avaient décidé de recommencer. Nouvelle anesthésie. Combien Christian en avait-il eue ? Sept, huit, dix ? Il ne savait plus. Nouvelle attente, les poings serrés. Cette concentration des forces.

    Il savait désormais parfaitement s’y prendre.

    Aucune déperdition d’énergie, une limitation des pensées, juste le maintien du contact avec Christian, il était avec lui, en lui, au cœur de sa survie, dans le courant de son sang, chaque pulsation de son âme, une sollicitation constante de son esprit, ne pas le laisser partir.  

    « Je suis là Christian, je suis là, avec toi, je t’attends. »

    Il avait imaginé se glisser dans une artère et remonter au cerveau, murmurer au cœur des cellules la nécessité de tenir, de ne rien lâcher, il était là, à l’intérieur, sa vie comme un don, son énergie comme une réserve inépuisable, une offrande, enlacer la vie éreintée de Christian, la réconforter, lui prodiguer tout son amour, toute sa force, établir un barrage contre la Mort, dresser des murailles, consolider les brèches, être à l’intérieur comme un guerrier farouche. Le sabre de l’amour prêt à trancher les armées de la Faucheuse.

    Il s’était installé dans le parc, sur un banc. Face à un cèdre majestueux. Adossé, les jambes étendues, il avait basculé la tête en arrière, les yeux fixés sur l’horizon vertical, une échappée par-delà les murs immenses des bâtiments, le ciel translucide semblait imiter les espaces océaniques, quelques risées écumeuses, des courants résistants à la dilution dans le corps immense, des chapelets de récifs cotonneux, la rumeur de la ville montait comme une houle indocile, quelques éclats parfois comme des vagues à l’assaut des écueils, des oiseaux blancs dérivaient sur les grands fonds, leurs arabesques lentes suivaient les vents solaires, des chemins invisibles qu’ils savaient deviner, tant de paix, cette douceur du monde par-delà les enceintes.

    Christian ne pouvait pas partir, il devait replonger dans cet amour, goûter encore aux bonheurs simples, à la vie câline, sans intention, juste la contemplation, l’abandon, la quiétude des émotions originelles, la connivence, l’osmose.

    « Ne pars pas Christian, je t’en prie. La vie a besoin de toi.»

    Toutes ces prières, cette force diffusée, cet attachement fraternel qu’il maintenait.

    Le cèdre lançait vers la lumière son sommet tabulaire, enivrant l’espace de senteurs résinées, des peuples de branches s’étalaient sur des plages de vide, dominaient la pesanteur comme des tapis suspendus, les aiguilles avides captaient les jus nourriciers, le tronc fiché dans la terre jaillissait telle une aiguille rocheuse, une colonne végétale, massive, compacte, dressée contre le temps, des arrondis de racines couraient sous la surface, étendant leurs ancrages, tellement de forces, tellement de vie. Née d’une graine infime. Il avait pensé au germe de vie que ses parents avaient créé, Christian unifié dans le secret intime de sa mère, la fusion émotionnelle de deux amours au service de la vie. Il était impossible que ça s’arrête. Pas maintenant.

    Christian était remonté du bloc. Placé immédiatement dans une chambre stérile. Ils ne pouvaient aller le voir que deux heures par jour. Ils enfilaient une longue blouse, des chaussons en papier, ils cachaient leurs cheveux sous un fichu, portaient un masque devant la bouche. Tout devait être jeté à chaque fois. Christian ne réagissait à aucune sollicitation, il maigrissait, cinquante kilos pour un mètre quatre-vingt-seize. Branché sur des perfusions aux aiguilles épaisses.

    Charlotte passait prendre des nouvelles.

    « Ne désespérez pas, il est bien suivi. On sait traiter ce genre de problème désormais. Mes collègues m’ont dit que les médicaments étaient efficaces. »

    Ils ne la croyaient pas vraiment.

    Ils regrettaient les crises de folie. Christian y était plus vivant que dans ce sommeil mortuaire.

    L’épuisement de ses parents. Tous ces allers-retours, leur travail, les heures d’angoisse, l’inquiétude d’une sonnerie téléphonique, un appel qu’ils avaient sûrement imaginé. Ils les avaient vus vieillir, perdre le sourire, le goût de la vie.

    La masse solide de son père fléchissait, les épaules tombaient, le visage sombre, abattu.

    Sa mère semblait tendue à se rompre, aux aguets, comme un filament fragile, juste préservé par la vie suspendue de Christian.

    Comme un cordon ombilical restauré et le refus de la lame qui le tranche.

    Tenir, tenir. Ne pas couler en entraînant les autres, ne pas être celui qui perd pied, tenir, tenir, pas de faiblesse, l’interdiction de sombrer. On ne coule pas devant un rescapé. On le veille, on lui transmet son énergie, on résiste à tous les courants sombres, on lutte, on se bat, on le maintient à la surface.

    Cette impression de flotter au milieu d’un océan d’incertitudes et de ne pas avoir le droit de s’enfoncer. Penser constamment à celui qui reste, à la détresse de sa solitude intérieure, à cette lutte viscérale contre l’invasion morbide.

     

     

  • Acidification des océans

     

    Environnement

    Tout comprendre sur : l'acidification des océans

    L'excès de dioxyde de carbone a des effets profonds dans l'eau, et met notamment en danger les animaux à coquille.

     

    De Alejandra Borunda

    https://www.nationalgeographic.fr/environnement/tout-comprendre-sur-lacidification-des-oceans

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    L'acidification de l'océan entraîne un stress supplémentaire pour les créatures marines.

    PHOTOGRAPHIE DE Cassie Jensen, National Geographic Your Shot

    Les océans deviennent de plus en plus acides et le changement se produit plus rapidement qu'à tout autre moment de l'histoire géologique.

    C'est une mauvaise nouvelle pour la plupart des créatures qui vivent dans l'océan, dont beaucoup sont sensibles aux changements subtils de l'acidité de leur habitat aquatique.

    C'est particulièrement problématique pour les coraux, les huîtres et d'autres créatures dont la coquille ou le squelette carboné est délicat, et qui sont fragilisés par des changements, même minimes, de l'équilibre acide de l'océan, un peu comme les pluies acides corrodent les gargouilles de pierre et les bâtiments en calcaire.

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    Environnement 101 : les océans

    Environnement 101 : les océans

    Le coupable de l'acidification est le dioxyde de carbone supplémentaire que l'Homme a fait s'accumuler dans l'atmosphère en brûlant des combustibles fossiles, en abattant des forêts... entre autres.

    LE COUPABLE, C'EST LE CARBONE

    Les océans ont toujours absorbé et rejeté du dioxyde de carbone, faisant la navette entre l'atmosphère et l'eau. Mais l'échange se fait lentement, généralement sur des milliers voire des dizaines de milliers d'années.

    L'Homme a perturbé ce lent échange. Depuis le début de la révolution industrielle, au milieu du 18e siècle, les humains ont ajouté quelque 400 milliards de tonnes de carbone dans l'atmosphère. C'est un sous-produit des grandes quantités de combustibles fossiles que nous avons brûlées pour produire de l'énergie, des arbres qui ont été abattus, du ciment que nous avons produit, etc.

    La majeure partie de ce carbone, sous forme gazeuse de dioxyde de carbone (CO2), reste dans l'atmosphère, où il piège la chaleur et contribue au réchauffement planétaire. Mais chaque année, l'océan absorbe environ 25 % de tout le CO2 supplémentaire émis. Au cours des dernières centaines d'années, environ 30 % de tout le dioxyde de carbone supplémentaire que les humains ont ajouté à l'atmosphère se sont infiltrés dans les océans.

    C'est une bonne chose pour l'atmosphère. Sans cette réduction supplémentaire de dioxyde de carbone, la planète se serait réchauffée encore plus qu'elle ne l'a déjà fait. Mais c'est une mauvaise nouvelle pour les océans.

    UN CLIN D'ŒIL À L'ÉCHELLE DES TEMPS GÉOLOGIQUES

    À la fin des années 1700, les océans s'étaient équilibrés pour être légèrement alcalins, avec un pH d'environ 8,1 – à peu près le même niveau d'acidité qu'un blanc d'œuf. (Les choses plus acides se situent plus bas sur l'échelle du pH. L'eau parfaitement distillée a un pH d'environ 7 ; le jus de citron et le vinaigre ont un pH de 2 à 3).

    Des lions de mer d'Australie jouent dans des herbiers marins, non loin des îles Hopkins du ...

    Diaporama

    Le pH de l'océan a changé à l'échelle du temps géologique. Pendant les phases froides de l'histoire de notre planète, le pH a augmenté (est devenu plus alcalin) d'environ 0,2 unité, et il a diminué (est devenu plus acide) d'environ la même quantité lorsque la planète s'est réchauffée. Mais il a fallu des dizaines de milliers d'années pour que ces changements se produisent - beaucoup de temps pour que les créatures vivant dans les mers s'adaptent au changement.

    Les eaux de surface des océans ont enregistré une baisse d'environ 0,1 unité de pH depuis le début de la révolution industrielle - un clin d'œil dans les temps géologiques ou évolutifs. Même si 0,1 unité ne semble pas être un grand changement, c'est significatif : l'échelle de pH étant logarithmique (comme l'échelle de Richter pour les tremblements de terre), ce petit changement signifie en fait que l'eau est environ 28 % plus acide qu'auparavant.

    UN AVENIR SOMBRE

    Ce changement rapide est un véritable stress pour tout ce qui vit dans la mer. Il ramollit les coquilles des coquilles Saint-Jacques. Il ralentit la mue des crabes et des homards. Il affaiblit les coraux. Il trouble les poissons, perturbant leur sens de l'odorat. Il peut même modifier la façon dont les sons se transmettent dans l'eau, rendant les environnements sous-marins légèrement plus bruyants.

    L'avenir nous réserve encore plus de défis. D'ici 2050, les scientifiques prévoient que 86 % de l'océan mondial sera plus chaud et plus acide que jamais dans l'histoire moderne. D'ici 2100, le pH de l'océan de surface pourrait chuter à moins de 7,8, soit plus de 150 % par rapport à l'état déjà corrosif d'aujourd'hui, et potentiellement encore plus, dans certaines parties particulièrement sensibles de la planète, comme l'océan Arctique.

  • Réchauffement des océans

     

    Climat

    Dans les océans, les records de chaleur menacent la vie marine

     

    Dans les océans, les records de chaleur menacent la vie marine

    https://reporterre.net/Dans-les-oceans-les-records-de-chaleur-menacent-la-vie-marine?

    Les eaux de surface des océans du globe atteignent sans interruption, depuis mars 2023, des températures jamais enregistrées auparavant.

    Voilà maintenant un an que l’océan global ondule en terrain inconnu. Depuis le 13 mars 2023, la température moyenne à la surface des océans bat quotidiennement des records, selon les données de l’Agence atmosphérique et océanique américaine (NOAA), traduites en courbes sur la plateforme Climate Reanalyzer de l’Université du Maine (États-Unis). Le 10 mars 2024, les eaux de surface mondiales atteignaient, toujours selon la NOAA, 21,2 °C. Du jamais-vu à cette période de l’année.

    Les services météorologiques européens tirent eux aussi la sonnette d’alarme. Dans un communiqué publié jeudi 7 mars, l’observatoire Copernicus constate que la température moyenne de surface des eaux, au mois de février, s’est élevée à 21,06 °C. Un niveau supérieur au précédent record mensuel (20,98 °C), établi en août 2023.

    Un coup d’œil à la carte mise au point par les experts donne une idée de la gravité de la situation : du Pacifique à l’océan Indien, en passant par la Méditerranée et la mer des Caraïbes, l’immense majorité des eaux tirent vers l’orange, traduisant une température moyenne supérieure, voire « très supérieure », à celle habituellement enregistrée en février au cours de la période 1991-2020. De très larges zones sont couvertes de rouge, indiquant le dépassement d’un record de chaleur.

    Les écarts de température de la surface des océans en février 2024 par rapport à la moyenne de 1991-2020. climate.copernicus.eu

    L’Atlantique nord, en particulier, a connu une année hors norme. À la fin du mois d’août, ses eaux de surface dépassaient les 25 °C, avec des anomalies de température supérieures de 1,3 °C à la moyenne 1982-2011. Les eaux irlandaises et britanniques ont été frappées par des canicules marines stupéfiantes, les températures pouvant dépasser de 5 °C les normales estivales.

    « Une année complète comme ça, avec des records journaliers, c’est exceptionnel », note Thibault Guinaldo, chercheur en océanographie spatiale au Centre national de recherches météorologiques (CNRS-Météo France). Le changement climatique en est le principal responsable, explique-t-il : « Les océans absorbent une très grande partie de l’excès de chaleur dans l’atmosphère, ce qui se traduit par leur réchauffement constant d’une année sur l’autre. »

    L’évolution quotidienne de la température mondiale à la surface des océans, de 1981 à 2024. climatereanalyzer.org

    À ce dérèglement d’origine humaine s’est superposée, en 2023, la perturbation naturelle El Niño. Ce phénomène climatique, qui réapparaît tous les trois à sept ans, s’est traduit par un réchauffement du Pacifique tropical. El Niño devrait normalement s’éclipser à la mi-2024, faisant légèrement redescendre le thermomètre. Du moins à court terme. « Tant qu’on émettra des gaz à effet de serre, l’océan continuera de se réchauffer » , dit Laurent Bopp, océanographe et chercheur au Laboratoire de météorologie dynamique.

    « On perturbe le fonctionnement du système climatique »

    Le réchauffement des océans a des conséquences majeures sur les sociétés humaines, le système climatique et la biodiversité. Il est notamment parmi les principaux responsables de l’élévation du niveau des mers, souligne Thibault Guinaldo : « Lorsqu’un fluide se réchauffe, il prend davantage de volume. Et donc, plus l’océan se réchauffe, plus son niveau augmente. »

    « Lorsque l’eau est plus chaude, il y a davantage d’évaporation, dit également Laurent Bopp. Il y a un lien entre la température de l’eau de mer, l’abondance de l’eau dans l’atmosphère et donc, les épisodes de précipitations extrêmes sur les continents. » Ce phénomène est notamment documenté en Méditerranée. La hausse des températures modifie également les grands courants océaniques, qui redistribuent l’énergie entre l’Équateur et les pôles. « On perturbe le fonctionnement du système climatique », note-t-il.

    La vie marine paie elle aussi un lourd tribut. Plus l’eau est chaude, moins elle peut contenir d’oxygène. Cela peut durement affecter le développement des poissons. Lorsque la température des eaux de surface augmente, elles deviennent par ailleurs moins denses, et se mélangent donc plus difficilement avec les eaux plus froides et lourdes situées en profondeur. Ce phénomène, appelé « stratification de l’océan », freine les échanges de chaleur, de carbone et d’oxygène entre les différentes couches d’eau salée. « Plus l’océan est stratifié, moins les éléments nutritifs de l’océan profond peuvent être amenés en surface et fertiliser le plancton », alerte le chercheur.

    « Peut-être les prémices d’un bouleversement de l’habitabilité de l’océan »

    À cela s’ajoutent les épisodes de blanchiment massif des coraux. Dans une étude publiée l’été dernier dans la revue scientifique Global Change Biology, une équipe d’une soixantaine de chercheurs internationaux a montré que les canicules marines qui ont frappé la région entre 2015 et 2019 avaient provoqué des « mortalités massives » chez une cinquantaine d’espèces de poissons, d’éponges, d’algues ou encore de mollusques, jusqu’à 40 mètres sous la surface de l’eau. « C’est comme si l’on se trouvait en face d’une forêt cramée », expliquait en juin 2023 à Reporterre Joaquim Garrabou, chercheur à l’Institut des sciences de la mer de Barcelone et co-auteur de cette étude.

    Lorsque les eaux de surface deviennent trop chaudes pour eux, les organismes qui y vivent peuvent être contraints de migrer vers les pôles. Ce phénomène pourrait n’être « que la partie émergée de l’iceberg », selon le chercheur Météo-France au Centre national de recherches météorologiques Roland Séférian. Une étude à laquelle il a contribué, publiée en 2022 dans la revue scientifique Nature Climate Change, suggère que les écosystèmes situés à plus de 50 mètres de profondeur pourraient eux aussi être bouleversés par l’accumulation de chaleur dans l’océan.« Ce qu’on voit aujourd’hui, ce sont peut-être les prémices d’un bouleversement complet de l’habitabilité de l’océan. »

    Seul espoir de mettre au pas ce phénomène meurtrier : « couper nos émissions de gaz à effet de serre », rappelle Thibault Guinaldo. « C’est la principale cause du réchauffement, et celle sur laquelle on peut jouer. »

    Océan de surface, océan profond, quelle différence ?

    L’océan est divisé en plusieurs couches. En surface, sa température peut être suivie de manière très précise et régulière grâce aux satellites. Ces derniers sont cependant incapables de mesurer la température de l’eau au-delà d’une certaine profondeur. Pour étudier le réchauffement de la zone située à plus de 200 mètres de fond, les scientifiques ont recours à un réseau de bouées autonomes. Leurs données suggèrent que l’océan profond se réchauffe lui aussi, quoique moins vite et de manière plus hétérogène que l’océan de surface, décrit Laurent Bopp.

  • THÈME : le climat (18)

    Terre europe

     

    Un thème que je devais créer pour retrouver les articles. De tout archiver dans ce thème-là est vraiment essentiel. Il faut compiler les données, les études, les écrits pour pouvoir dans dix ans, vingt ans, trente ans relire ce qui avait annoncé.

     

    Changement climatique : depuis 30 ans

    Chronologie du changement climatique d'origine humaine

    Dérèglement climatique

    Claude Lorius : glaciologue.

    Climat : dernier rappel.

    Climat : l'heure du constat

    Climat : l'heure du constat (2)

    Climat : l'heure du constat (3)

    Climat : Le problème de l'eau.

    Climat : toujours plus chaud

    Climat : un constat de plus.

    Climat et apprentis sorciers.

    Climat et pauvreté

    Climatiseurs et dissonance cognitive

    Climato-sceptique : arguments et objections

    Changements climatiques et épisodes méditerranéens

    Changement climatique et phénomènes météorologiques

    Changement climatique : un aperçu.

    Changement climatique à l'école

    Sciences et vie : le climat en France

    Sciences étonnantes : réchauffement climatique

    Méthane et climat

    Le changement climatique dans les Alpes

    Face à l'urgence climatique, les "J'accuse"...

    Réfugiés climatiques

    Réchauffement climatique : mécanisme et évolution

    "Je suis le climat"

    Réchauffement climatique

    Réchauffement climatique (2)

    "Si le climat était une banque..."

    Un climat de guerre

    Un climato-sceptique

    Un climato-sceptique (2)

    Incendies et climat.

    Jean Jouzel, climatologue

    Pour les climato-sceptiques

    Dépression climatologique

    "Les criminels du climat" (Nature)

    "La bataille du climat"

    Le piège climatique

    Le réchauffement climatique, un mythe ?

    Urgence climatique et croissance

    Zoonoses et dérèglement climatique

    Michael Shellenberger et la peur climatique

    Le catastrophisme climatique

    Enjeux philosophiques du changement climatique 

    Philosophie et réchauffement climatique

    Analyse des arguments climato-sceptiques

    Biodiversité et changement climatique

    Planète-info : climat

    Assurance et menaces climatiques

    Réchauffement climatique en graphiques

    Viande et réchauffement climatique

    Viande et réchauffement

    Vignobles et changement climatique

    Inondations : est-ce la faute du changement climatique ?

    Réchauffement des océans

    Acidification des océans

     

     

     

     

     

  • Global warning et climatosceptiques

     

     

    Tribune — Climat

    Déni de réalité : pourquoi le climatoscepticisme progresse

     

    Déni de réalité : pourquoi le climatoscepticisme progresse

    Les discours niant le dérèglement climatique foisonnent. À force d’outils efficaces, les climatosceptiques prospèrent et sont loin de vouloir s’arrêter, explique le chercheur Albin Wagener.

    Albin Wagener est chercheur associé à l’Institut national des langues et civilisations orientales (Inalco, Plidam) et au laboratoire Prefics de l’université Rennes 2.

    C’est un paradoxe de notre époque : alors que les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias et n’ont jamais été aussi saillants pour les populations, le climatoscepticisme reprend lui des forces au gré de l’actualité climatique. D’après un sondage mené par Ipsos et le Cevipof en 2023, ce sont 43 % de Français qui refusent de « croire » au réchauffement du climat.

    Plusieurs fois annoncé comme dépassé ou cantonné à des sphères complotistes, le climatoscepticisme n’en finit pas de se régénérer. Si les origines de ce courant remontent aux États-Unis, il prospère chez nous aujourd’hui via des incarnations bien françaises, comme l’a montré le récent documentaire La Fabrique du mensonge sur le sujet. Tâchons donc de revenir un peu en arrière pour comprendre le succès actuel de ces discours niant le dérèglement climatique.

    Une narration efficace

    Dans les années 1980, aux États-Unis, l’émergence et la propagation d’une « contre-science » du climat ont résulté de la mobilisation de think tanks liés au parti républicain et au lobbying de grandes entreprises, principalement dans le secteur de la production pétrolière, en s’inspirant par ailleurs des pratiques de l’industrie du tabac.

    Le terme de « climatoscepticisme » est, à cet égard, lui-même aussi trompeur que révélateur : en liant « climat » et « scepticisme », le terme donne l’impression d’une posture philosophique vertueuse (notamment la remise en question critique et informée), et induit en erreur. Car il s’agit ici bien moins de scepticisme que de déni, voire de cécité absolue vis-à-vis de faits scientifiques et de leurs conséquences, comme le rappelle le philosophe Gilles Barroux.

    Mais qu’importe : au moment de l’Accord de Paris et du consensus de plus en plus large sur le climat, le climatoscepticisme semblait réduit à portion congrue : en France, en 2019, la Convention citoyenne pour le climat montrait que le sujet pouvait être pris au sérieux tout en donnant lieu à des expérimentations démocratiques. Puis en août 2021, la loi Climat et Résilience semblait ancrer un acte politique symbolique important, bien qu’insuffisant.

    « Je ne crois pas au changement climatique », a écrit l’artiste Banksy sur une façade d’un immeuble de Londres, près d’une eau stagnante rappelant une inondation. Flickr/CC BY-NC 2.0 Deed/Dunk

    Pourtant, malgré ces évolutions politiques, le climatoscepticisme prospère aujourd’hui en s’éloignant de son incarnation et champ originel, puisqu’il constitue désormais une forme de discours, avec ses codes, ses représentations et ses récits. C’est précisément en cela qu’il est si dangereux : du point de vue linguistique, narratif et sémantique, il utilise des ressorts hélas efficaces, qui ont pour objectif d’instiller le doute (a minima) ou l’inaction (a maxima).

    « Préserver la domination de l’Homme sur ce que l’on appelle abusivement la « Nature » »

    Plus clairement, les sphères climatosceptiques vont par exemple utiliser des termes aux charges sémantiques équivoques (climatorassurisme, climatoréalisme, etc.), remettre en question la véracité des travaux du Giec [1], mettre en exergue les variations du climat à l’échelle du temps géologique (la Terre ayant toujours connu des périodes plus ou moins chaudes ou froides), ou bien encore expliquer que toute action mise en œuvre pour lutter contre le changement climatique relèverait en fait de l’autoritarisme liberticide. En d’autres termes, le doute est jeté sur tous les domaines, sans distinction.

    De ce point de vue, il est important de noter que le climatoscepticisme peut prendre plusieurs formes : déni de l’origine anthropique du réchauffement, mise en exergue de prétendus cycles climatiques, remise en cause du rôle du CO2 ou technosolutionnisme chevronné sont autant de variables qui donnent sa redoutable vitalité au climatoscepticisme.

    Lire aussi : Christophe Cassou : « Le climatoscepticisme a la couleur de l’extrême droite »

    Mais que cachent les discours climatosceptiques ? Outre les intérêts économiques, on retrouve également la préservation d’un ordre social et de systèmes de domination spécifiques : domination de l’Homme sur ce que l’on appelle abusivement la « Nature » (incluant les autres espèces, l’intégralité de la biodiversité et les ressources), exploitation des ressources nécessaires à l’activité industrielle et économique, mais aussi domination de certaines communautés sur d’autres — notamment parce que les femmes ou les populations indigènes sont plus vulnérables au changement climatique, tout en représentant également les populations les plus promptes à proposer des innovations pour contrer ses impacts.

    Des cibles et intérêts marqués

    Au-delà de sa pérennité, les recherches ont montré à quel point le climatoscepticisme restait efficace pour retarder l’action politique. Il ne s’agit pas ici de dire que la classe politique est climatosceptique, mais qu’un certain nombre d’acteurs climatosceptiques finissent par diffuser des discours qui font hésiter les décideurs, retardent leurs actions ou font douter quant aux solutions ou alternatives à mettre en place.

    La France n’échappe pas à cette tendance : entre les coups médiatiques de Claude Allègre, l’accueil de Greta Thunberg à l’Assemblée nationale ou encore les incursions de divers acteurs climatosceptiques (se désignant eux-mêmes comme climatoréalistes ou climatorassuristes), le paysage médiatique, politique et citoyen se retrouve régulièrement pollué par ce type de discours.

    Doté de solides ressources financières, ce mouvement a pu contester les résultats scientifiques dans la sphère publique, afin de maintenir ses objectifs économiques et financiers.

    Le Giec en a, par ailleurs, fait les frais de manière assez importante — et encore aujourd’hui ; régulièrement en effet, des scientifiques du Giec comme Jean Jouzel ou Valérie Masson-Delmotte, qui se sont engagés pour porter de manière pédagogique les travaux collectifs dans l’espace médiatique, se sont retrouvés la cible de critiques, notamment sur la véracité des données traitées, ou la raison d’être financière du groupement scientifique mondial. Cela est notamment régulièrement le cas sur les réseaux sociaux, comme le montrent les travaux de David Chavalarias.

    Prôner les certitudes d’un « vieux monde inadapté »

    Au-delà de ces constats informatifs, une question émerge : pourquoi sommes-nous si prompts à embrasser, de près ou de loin, certaines thèses climatosceptiques ? Pourquoi cette forme de déni, souvent mâtinée de relents complotistes, parvient-elle à se frayer un chemin dans les sphères médiatiques et politiques ?

    Pour mieux comprendre cet impact, il faut prendre en considération les enjeux sociaux liés au réchauffement climatique. En effet, cette dimension sociale, voire anthropologique est capitale pour comprendre les freins de résistance au changement ; si la réaction au changement climatique n’était qu’affaire de chiffres et de solutions techniques, il y a longtemps que certaines décisions auraient été prises.

    En réalité, nous avons ici affaire à une difficulté d’ordre culturel, puisque c’est toute notre vie qui doit être réorganisée : habitudes de consommation ou pratiques quotidiennes sont concernées dans leur grande diversité, qu’il s’agisse de l’utilisation du plastique, de la production de gaz à effet de serre, du transport, du logement ou de l’alimentation, pour ne citer que ces exemples.

    « Il est le symptôme d’autodéfense d’un vieux monde qui refuse de mourir »

    Le changement est immense, et nous n’avons pas toujours les ressources collectives pour pouvoir y répondre. De plus, comme le rappelle le philosophe Paul B. Preciado, nous sommes dans une situation d’addiction vis-à-vis du système économique et industriel qui alimente le changement climatique ; et pour faire une analogie avec l’addiction au tabac, ce ne sont jamais la conscience des chiffres qui mettent fin à une addiction, mais des expériences ou des récits qui font prendre conscience de la nécessité d’arrêter, pour aller vite. Cela étant, le problème est ici beaucoup plus structurel : s’il est aisé de se passer du tabac à titre individuel, il est beaucoup plus compliqué de faire une croix sur le pétrole, à tous les niveaux.

    Paradoxalement, c’est au moment où les effets du changement climatique sont de plus en plus couverts par les médias que le climatoscepticisme reprend des forces, avec une population de plus en plus dubitative. Ce qui paraît paradoxal pourrait en réalité être assez compréhensible : c’est peut-être précisément parce que les effets sont de plus en plus visibles, et que l’ensemble paraît de plus en plus insurmontable, que le déni devient une valeur refuge de plus en plus commode. Il s’agirait alors d’une forme d’instinct de protection, qui permettrait d’éviter de regarder les choses en face et de préserver un mode de vie que l’on refuse de perdre.

    Si le climatoscepticisme nous informe sur nos propres peurs et fragilités, il est aussi symptomatique du manque de récits alternatifs qui permettraient d’envisager l’avenir d’une tout autre manière. En effet, pour le moment, nous semblons penser la question du changement climatique avec le logiciel politique et économique du XXe siècle. Résultat : des récits comme le climatoscepticisme, le greenwashing, le technosolutionnisme (le fait de croire que le progrès technique règlera le problème climatique), la collapsologie ou encore le colibrisme (le fait de tout faire reposer sur l’individu) nous piègent dans un archipel narratif confus, qui repose plus sur nos croyances et notre besoin d’être rassurés, que sur un avenir à bâtir.

    De fait, le climatoscepticisme prospère encore, car il est le symptôme d’autodéfense d’un vieux monde qui refuse de mourir. Sans alternative désirable ou réaliste, alors que nos sociétés et nos économies sont pieds et poings liés par la dépendance aux énergies fossiles, nos récits sont condamnés à tourner en rond entre déni, faux espoirs et évidences trompeuses.

    C’est bien là tout le problème : si les chiffres sont importants pour se rendre compte de l’importance du changement et de ses conséquences (y compris pour mesurer les fameux franchissements des limites planétaires), ce n’est pas avec des chiffres seuls que l’on met en mouvement les sociétés et les politiques. Les tenants du climatoscepticisme ont parfaitement compris cette limite, en nous proposant les certitudes confortables d’un vieux monde inadapté, face aux incertitudes paralysantes d’un avenir qui sera radicalement différent du monde que nous connaissons, mais que nous avons le choix de pouvoir écrire.

    Cette tribune a été initialement publiée sur le site The Conversation.

     

     

    The Conversation

  • Solastalgie

    Non, je ne suis pas anxieux, je ne suis pas dépressif, je n'ai peur de rien au regard des années à venir. Pour une seule raison : je n'y peux rien.

    La haute montagne m'a enseigné le contrôle. Si je décide d'aller risquer ma vie sur un sommet, je dois être dans le contrôle. Il n'y a pas d'anxiété car je suis dans l'action. 

    Dans le cas de la dégradation continuelle du Vivant, je pourrais être anxieux puisque je ne peux pas agir sur le réchauffement climatique planétaire. Oui, mais je peux agir dans mes choix de vie. Et c'est ce qui me maintient dans un état d'esprit qui ne laisse pas de place à l'éco-anxiété ou à la solastalgie. Il m'arrive par contre d'être en colère ou d'être triste mais ça ne dure pas. Ma colère contre certains, elle ne les changera pas et ma tristesse envers le Vivant ne le soignera pas. Ce sont des émotions qui n'ont pas d'intérêt et par conséquent, je les laisse s'éteindre en ne leur accordant pas mon attention. Elles passent doucement et s'éteignent.

    Il n'empêche que lorsque j'avais 17 ans, je n'aurais jamais imaginé que des années plus tard, je sois en train de m'interroger sur la pérénnité du Vivant.

    J'étais insousciant et surtout considérablement naïf au regard de la confiance que j'accordais a priori à l'espèce humaine.

    Mais, ça, c'est  fini. 

    PC230091

     

    Qu’est-ce que la solastalgie ?

     

    Le terme solastalgie, ou « dépression verte », provient du mot latin solacium qui signifie « réconfort » et du suffixe grec algia relatif à la douleur. La solastalgie renvoie à la douleur liée à la perte de ce qui nous réconforte, en l'occurrence, notre environnement.

     

    En effet, les personnes atteintes de solastalgie sont dans un processus de prise de conscience par rapport à l’état de la planète en raison de différents maux :

    dérèglement climatique ;

    migration de populations ;

    perte de la biodiversité ;

    coût d’extraction grandissant des énergies fossiles ;

    système interdépendant ;

    effondrement ;

    etc.

    La solastalgie est une expérience immédiate s’illustrant par des émotions négatives intenses telles que :

    la tristesse ;

    l’impuissance ;

    la dépression.

    À l’inverse, l’éco-anxiété est une peur par anticipation qui renvoie à une réaction émotionnelle et ne peut pas donner lieu à une pathologie telle que la solastalgie. Ainsi, toute personne ayant conscience de l’ampleur de l’enjeu écologique actuel, présente de l’inquiétude quant à l’état de la planète et souffre donc d’éco-anxiété. L’incertitude, c’est-à-dire le fait de ne pas réussir à se projeter, ni à imaginer son avenir, fait également partie des symptômes de l’éco-anxiété.

    Quels sont les symptômes de la solastalgie ?

    La solastalgie, qui touche des millions de gens, impacte psychologiquement et physiquement les personnes qui en sont atteintes.

    Différentes émotions, troubles et questionnements sont rattachés à l’état de solastalgie, tels que :

    le sentiment d’impuissance ;

    le sentiment de perte de contrôle ;

    le sentiment de perte de sens ;

    le sentiment d’injustice ;

    le sentiment de frustration ;

    la colère ;

    la peur de l’avenir ;

    la tristesse ;

    le regret ;

    l’anorexie ;

    l’angoisse ;

    le pessimisme ;

    les troubles anxieux allant d’une anxiété chronique à des attaques de panique ;

    l’insomnie ;

    le questionnement autour du projet d’enfant ;

    la dépression.

    Cette multitude d’émotions et de questionnements peuvent apparaître de façon progressive ou soudaine. Le développement des symptômes de la solastalgie sont liés à un stress dit pré-traumatique.

    Qui est touché par la solastalgie ?

    La solastalgie peut concerner tout un chacun. Néanmoins, certaines personnes sont plus susceptibles d’être touchées, telles que :

    les personnes ayant été directement exposées aux répercussions du réchauffement climatique : inondation, incendie, canicule, etc. ;

    les personnes ayant vécu un choc tel qu’un paysage complètement différent comparé à ses souvenirs ;

    les climatologues, qui côtoient quotidiennement les catastrophes écologiques et qui sont à l’origine d’un vaste mouvement sur Twitter avec le hashtag #solastalgie en vue de sensibiliser la population ;

    la jeune génération qui se montre particulièrement inquiète quant à son avenir.

    Il apparaît aujourd’hui que 85 % des Français sont inquiets face au réchauffement climatique et, parmi eux,  29 % se montrent très inquiets. Un chiffre qui monte à 93 % parmi les jeunes âgés de 18 à 24 ans.

    Comment faire face à la solastalgie ?

    Dans tous les cas, la solastalgie n'est pas à minimiser. Si le besoin s'en fait sentir, elle peut faire l'objet d'un suivi psychologique.

    Voici quelques conseils pour faire face à la solastalgie :

    Prendre du recul sur la situation

    La première chose à faire lorsque les symptômes de la solastalgie se font ressentir est de prendre du recul sur cette situation que nous ne maîtrisons pas. Il est essentiel de ne pas tout prendre à cœur et d’accepter le fait qu’il est impossible d’endosser l’entière responsabilité de la lutte contre le réchauffement climatique. Agir à son échelle constitue déjà un premier pas de taille que ce soit par des actions concrètes ou en sensibilisant son entourage.

    S’engager pour l’environnement

    Chaque individu préoccupé par la situation climatique peut s’engager en rejoignant une ONG environnementale par exemple. Cette solution permet, non seulement de sensibiliser le plus grand nombre pour faire avancer la cause environnementale, mais aussi de vivre en cohérence avec ses valeurs.

    Adopter des écogestes

    Que ce soit au sein de sa vie quotidienne, comme sur son lieu de travail. Par exemple : se déplacer via des transports vertueux tels que le bus, le train, le vélo, la trottinette, la marche à pied ou encore le covoiturage ; réduire le gaspillage et diminuer la production de déchets ; maîtriser son impact numérique ; consommer mieux et moins en refusant, réduisant, réutilisant, recyclant et rendant à la terre, c'est-à-dire en compostant ; changer sa manière de voyager notamment en réduisant les vols en avion.

    Réduire son empreinte carbone

    En s’informant sur les causes du réchauffement climatique, à savoir une trop forte émission de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, afin de mieux les limiter en adoptant notamment les écogestes précédemment évoqués.

    Valérie Dollé

    Valérie Dollé
    Journaliste scientifique

  • Anticipation ou roman historique ?

     

     

    Je l'ai déjà écrit ici : je n'écris pas assez vite au regard de l'évolution et de l'accroissement effrayant des phénomènes climatiques d'ampleur. 

    On a tous entendu parler de la tempête Boris, vaste comme la France mais les medias ne s'y intéressent déjà plus. Elles n'ont d'ailleurs quasiment pas relayé les informations sur les déluges qui se sont abatuus sur le Sahara et les centaines de morts, et les dégâts considérables.

    Il est clair de toute façon que si les médias voulaient détailler les phénomènes météorologiques et le dérèglement climatique sur l'ensemble de la planète, elles ne feraient quasiment plus que ça. Il faudrait créer une chaîne dédiée...

    Il n'en reste pas moins qu'à la vitesse où ça va, cette quadrilogie en cours d'écriture pourrait bien à la place d'une anticipation devenir une fresque historique. Par contre, il est certain que dans ce cas-là, elle ne serait pas publiée étant donné qu'il n'y aurait plus grand-monde et certainement pas les structures éditoriales et que les lecteurs survivants auraient bien autre chose à aire que de prendre un livre...

    Comme je connais bien la vallée du Grésivaudan, j'ai imaginé une tempête Boris s'abattant sur les Alpes :

     

    LE DESERT DES BARBARES

     

     

    Le soleil avait réchauffé l'atmosphère quand ils aperçurent la croix du sommet, le plateau sommital en pente douce, des nuées évanescentes dérivaient en altitude, une brise légère jouait à animer les dentelles, les sommets de Belledonne flamboyaient, les neiges automnales comme des parures scintillantes.

    Dans les derniers mètres avant d'atteindre le bord de la falaise et de découvrir la vallée entière, Théo s'arrêta. Laure dans ses pas.

    « Sur cet itinéraire, avant que le monde ne parte en vrille, je rencontrais toujours des randonneurs. Pas des dizaines mais quelques-uns. Aujourd'hui, j'ai l'impression de vivre dans un monde parallèle, une autre dimension, le monde d'en bas et le monde d'en haut.

    - Oui, Théo, mais ce ressenti est influencé par notre statut d'être humain.

    - Qu'est-ce que tu veux dire ?

    - Les phénomènes naturels nous impressionnent par rapport aux dégâts qu'ils provoquent sur l'humanité mais est-ce que nous réagissions réellement lorsque la beauté de la création ne nous portait pas préjudice, lorsque la quiétude nous entourait ? On se pâmait devant un beau paysage, un beau coucher de soleil, un champ de fleurs mais sans en être bouleversés, sans que ces spectacles ne déclenchent une rupture radicale dans le simple ébahissement épisodique. On a vécu comme des enfants gâtés, incapables de réellement prendre conscience … je ne sais pas comment l'exprimer ... On vivait à côté de la nature et maintenant qu'elle nous secoue, on ne voit d'elle que sa puissance destructrice. Parce que c'est notre monde parallèle qu'elle bouleverse … Désolé. Je ne sais pas comment l'expliquer.

    - Si, je comprends, Laure. Nous n'avons pas témoigné de notre reconnaissance, pas à la hauteur du cadeau inestimable de la création et maintenant, nous ne voyons que les dérèglements qu'elle nous impose.

    - Il m'est arrivé de me demander quelle était la probabilité que la vie se développe sur la Terre. Je ne sais pas si un scientifique a déjà répondu à cette question mais j'imagine que c'est absolument bluffant, déconcertant, au-delà du concevable. Et il en est de même avec moi. Pourquoi moi et pas une autre combinaison entre l'ovule et le spermatozoïde ? Je suis une miraculée et nous le sommes tous. Sur une planète qui est elle-même une énigme scientifique et pour l'instant la seule connue. Et il faudrait pourtant que je sois atterrée, dévastée, désespérée, par les événements dramatiques auxquels nous assistons ? Non, je m'y refuse, non par obstination ou par déni mais parce que la vie est infiniment plus puissante que tous les désastres.

    - C'est le monde humain qui est parti en vrille, Laure, pas la nature. Ou alors, il faudrait accepter l'idée que la nature accompagne le mouvement, qu'elle nous imite, peut-être même qu'elle pense nous aider, qu'elle participe délibérément au nettoyage.

    - Oui, Théo, on l'a déjà évoqué et l'enchaînement des phénomènes plaide pour cette hypothèse.

    - Alors, si c'est bien le cas, nous devons changer de regard. Nous devons changer, intérieurement. Le problème, ça n'est pas la nature, c'est nous. »

    Il lui tendit la main, la paume vers le ciel.

    "L'homme est capable du meilleur comme du pire, mais c'est vraiment dans le pire qu'il est le meilleur.  C'est Grégoire Lacroix qui a écrit ça, il y a longtemps. Il nous reste donc à inverser la tendance. »

    Elle serra la main de Théo et ils avancèrent jusqu'au bord de la falaise.

    La vallée du Grésivaudan, noyée sous les eaux. D'une extrémité à l'autre. Des flots immobiles, terreux, marrons, gorgés de dépôts, les toits des maisons comme des écueils éparpillés, l'autoroute invisible, le lit de l'Isère totalement effacé.

    Théo posa son sac et sortit les jumelles. Sidéré. Un lac immense. Les immeubles de Meylan, Grenoble, Saint Martin d'Hères, émergeant des flots comme des amas de phares éteints. Domène, Le Versoud, Villard-Bonnot, englouties. Lorsqu'il porta son observation vers le sud-est, il atteignit Vizille. Il n'en restait rien. Une immense traînée de roches titanesques à l'entrée de la vallée de la Romanche, un mur gigantesque, plusieurs mètres de haut, des blocs colossaux, comme une montagne réduite en miettes, fragmentée, broyée, le déversoir d'une lame de fond s'étendant sur plusieurs centaines de mètres. Il comprit immédiatement. Le barrage de Gavet avait cédé, l'eau avait ravagé les gorges, Séchilienne, Livet, tous les villages balayés. Un tsunami dans les montagnes. Des millions de mètres cubes d'eau déboulant dans le couloir étroit des gorges. Le cours de l'Isère désormais barré par cette digue, un amas de roches, de blocs de béton, les maisons, les usines, les routes, les forêts, des centaines de milliers d'arbres, un conglomérat empli de cadavres. L'eau s'accumulait. Il distinguait le courant boueux de la Romanche descendant des montagnes et alimentant cette mer intérieure. La quantité de débris flottant n'était pas dénombrable. De chaque côté de la vallée, l'eau s'était établie sur les flancs, ligne horizontale au bord de laquelle, quelques hameaux perchés surplombaient les flots.

    Jamais, il n'aurait imaginé pareille catastrophe.

    Il baissa les jumelles et se tourna vers Laure.

    Elle était debout, immobile, le visage impassible.

    Le regard lointain.

    Levé vers les cimes.

    Elle tendit un bras pour désigner un point précis.

    Théo balaya le ciel, scruta l'horizon et ses yeux le trouvèrent.

    Un rapace tournoyait. De longues arabesques, sans aucun battement d'ailes, léger comme une plume dans le vent mais avec une parfaite maîtrise de son vol. Des cris aigus, prolongés et qui emplissaient le silence.

    Théo regarda Laure.

    Elle souriait.

    « S'aligner sur la résonance. »

    Elle se souvenait de cette expression qui l'avait troublée. Elle en comprenait désormais le sens.